samedi 17 mai 2014

L'Esprit, la dérision et la joie


Grâce à Denis Vassejésuite, psychanalyste et médecin 

Propos recueillis par Fabrice Lengronne, publiés par la revue Pluriel
sous le titre Le rire est une rencontre

Manifestation de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance de la parole, le rire peut être ouverture ou bien enfermement. Il est aussi ce qui brise l’idolâtrie. Denis Vasse nous explique comment le rire caractérise l’homme et lui permet de trouver son identité.


Identités. Aquarelle dans un livre comptable. Carnet de doubles. 1997




Pluriel : Quelles sont les dimensions du rire ? D’où vient-il et que manifeste-t-il en l’homme ?
Denis Vasse : Le rire est une figure qui marie des contraires. C’est souvent un compromis historique entre le mensonge et la vérité. Le rire est provoqué par l’émergence d’un sens dans une proposition ou un mot, un sens qui n’était pas attendu. Ce peut être de l’ordre de l’étonnement, et le rire est alors une espèce d’ouverture à un espace que l’on n’attendait pas. Mais aussi, à cause de l’autre sens qui apparaît dans le rire, ce peut être le lieu d’une résistance formidable. Il y a une manière de rire qui est une façon de ne rien vouloir entendre de ce qui se dit, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Dans l’expérience analytique qui est la mienne, à cause de cet espace qui s’ouvre dans la contradiction, je crois que le rire peut être la porte d’entrée dans deux processus opposés : la dérision et la joie.

Pluriel : Comment se manifeste cette ambivalence du rire ?
Denis Vasse : La dérision est une manière de s’emparer avec lucidité des deux sens qui apparaissent pour les annuler. La dérision est vraiment, pour moi, un symptôme de la folie : elle est la constante mise en annulation du sujet parlant et désirant. C’est une facon d’avoir un discours exact qui annule le sujet par une ambiguïté constante et permanente. C’est annuler la vérité en la disant. On trouve là le lien entre le rire et la mort : il n’y a qu’une manière de faire la nique à la mort, c’est d’annuler le sujet. On rencontre cliniquement des patients qui font le mort pour ne pas mourir. Accepter la rencontre de la différence, c’est prendre un risque: celui de l’émergence du sens, et de la remise en cause qui peut en surgir. Dans certaines psychoses, la naissance même est vécue comme une mort. A partir du moment où la différence mort/vie est annulée, vous ne risquez plus rien. Si vous annulez la différence vérité/mensonge, il n’y a plus de parole, et vous ne risquez plus rien. C’est le rire dérisoire.

Pluriel : A contrario, le rire peut se manifester positivement …
Denis Vasse : Le rire peut être ouverture à la reconnaissance d’une libération du sens qui permet au sujet d’entrer dans son histoire. Cela l’aide aussi à reconnaître que ce qui parle en lui n’a aucun des deux sens que fait apparaître le rire, mais qu’il éveille un sens qui est en nous. Ce rire-là ouvre sur la douceur, et en particulier sur la louange. Il peut être le lieu de libération du sujet. La joie découverte dans le rire, qui ne se nourrit pas de l’opposition, contrairement au rire dérisoire, est de l’ordre de la louange. Elle se transmet. C’est d’ailleurs à cela qu’on la reconnaît. La joie se donne comme la parole et la vie se donnent. C’est donc le signe de la naissance.

Pluriel : On trouve le rire et le sourire aux moments cruciaux de la vie. Par exemple à la naissance, dont vous venez de dire que c’est le signe, et parfois à la mort ou dans des moments tragiques…
Denis Vasse : Le sourire, qui apparaît très tôt chez le nouveau-né, est ce qui donne un visage à quelqu’un. Il témoigne que la parole est toujours « déjà là ». Quand l’enfant sourit, il répond à ce qui parle en lui quand on lui parle. On est au cœur même de la psychanalyse : parler, pour un homme, c’est répondre à ce qui parle en nous quand on nous parle. Je crois d’ailleurs qu’on peut voir le progrès d’une cure à la modification du visage et du sourire de quelqu’un, sans tomber pour autant dans un délire d’interprétation. Sourire et avoir un visage, c’est toujours confesser une altérité. Dans l’ordre de la psychose et de la perversion, il n’y a pas d’autre, et il n’est pas question, inconsciemment bien sûr, de confesser l’autre Même si pour le patient, c’est la souffrance ultime, l’enfermement par excellence.
Quand on rit à posteriori d’un événement dramatique, ce n’est pas de l’ordre de la dérision. Il n’y a qu’une manière de dire que l’on est vivant, c’est dire qu’on a traversé la mort. Il n’y a qu’une manière de rendre grâce, c’est de raconter ses naufrages. Ce rire-là est de l’ordre de la louange : il est une reconnaissance du sens qui a surgi dans la catastrophe.


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La joie de vivre. Huile sur une publicité des années trente. 1992




Pluriel : Le rire traduit un surgissement du sens. Un sens unique ?
Denis Vasse : S’il est lieu d’enfermement sous une fausse transparence dans la dérision, le rire est aussi le lieu d’une multiplicité de sens où apparaît le sujet qui n’est réductible à aucun des sens, mais qui parle à un autre. L’animal ne rit pas. Il n’y a pas pour lui cette émergence du sens qui est toujours multiple dans le langage. C’est dans la polysémie des mots qu’est indiqué quelque chose du sujet qui n’est réductible à aucun des mots. Le rire, c’est le lieu de l’altérité. Il y a deux possibilités de fonder une différence : soit dans un tiers, la parole ou l’esprit, dans lequel les termes de la différence peuvent se rencontrer sans s’exclure ni se confondre. C’est la différence fondée dans l’unité de l’esprit. Ou bien, s’il y a exclusion du tiers qu’est la parole, la différence ne peut plus se fonder que sur une opposition. On comprend bien comment l’unité de l’esprit qui fonde la différence, c’est la paix, et l’opposition des différences entre elles, c’est la guerre. C’est l’un ou l’autre, mais pas les deux ensemble, et il n’y a pas de troisième voie. Il y a des gens qui ne supportent pas les jeux de mots, parce que cela révèle un double sens ; ça éveille en eux une violence intérieure qui est restée ignorée. La peur de la polysémie vient d’une différence fondée sur une opposition.

Pluriel : L’homme, créé à l’image de Dieu, traduit-il par son rire un rire de Dieu ?
Denis Vasse : Nous sommes créés à l’image de Dieu. Mais justement, Dieu n’a pas d’image. Nous sommes créés à l’image de celui qui n’a pas d’image. Cela met l’accent sur la primauté de la parole. Ce peut être la vérité en ce qu’elle ordonne et qu’elle ouvre l’imaginaire au réel. Tout ce qui, en nous, est image de Dieu et qui n’est pas ouvert à la parole n’est qu’une image de nous. C’est de l’idolâtrie. Par contre, le sourire de la chair témoigne que cela parle depuis les origines !
Quand le rire est provoqué par la peur, il traduit une résistance au désir. Quand, au contraire, il est provoqué par un consentement au désir, il y a acceptation de la rencontre, qui fonde le sujet. Le désir, c’est le désir de l’Autre, comme dit Lacan, et j’ajouterais : le désir de Dieu.
Quand une structure psychique est coincée dans un rire dérisoire, qui est donc pervers, il y a, pour sortir de la dérision, un passage obligé par les larmes. C’est la chute d’une image fondée contre. L’imaginaire ( c.à.d ici la construction de l’image qu’on a de soi ) est toujours fondé contre dans la mesure où il veut se prouver à lui-même sa différence. C’est vrai entre l’homme et la femme, entre l’adulte et l’enfant. L’imaginaire est souvent fondé contre la parole et contre l’autre.
Nous n’avons pas d’autre lieu pour accéder à la parole que celui de la différence. Dans la Bible, la parole surgit entre Adam et Eve, dans un lieu de reconnaissance envers Dieu. Si l’on est déconnecté de cette parole originaire, on n’est plus sujet de la parole, mais sujet de l’imaginaire: on défend sa propre image.
Aujourd’hui, la conception que l’on a de l’identité consiste à défendre sa propre image. C’est un détournement de l’identité humaine. L’homme entre dans un rapport vrai à son identité quand il perd son image. Quand il réside dans la parole, comme dit Heidegger. Un rire qui ne renvoit pas au silence de la parole, le silence qui permet à la parole d’exister, est un rire qui n’a rien à dire.

Pluriel : Quand on ne sait pas rire, c’est qu’on a un problème avec la parole ?
Denis Vasse : Beaucoup d’enfants et d’adultes n’ont pas les mots pour leur chemin intérieur. Ce n’est pas une question d’information, mais de témoignage. C’est l’autre côté du rire, le rire impossible : il réclame une compassion extraordinaire.
Dans la Bible, Sarah dit : Dieu m’a donné de quoi rire et tous ceux qui l’apprendront me souriront. Le sourire, c’est l’accomplissement de la bonne nouvelle. La bonne nouvelle, c’est qu’on est vivant, et ce qui nous rend vivant, c’est la rencontre. La vie n’est pas donnée comme un objet. Elle est donnée dans la rencontre. La première rencontre, c’est la naissance. Une vrai rencontre, c’est ce qui nous autorise à réinterprêter notre naissance. C’est l’aujourd’hui du Deutéronome, « Je vous avertis solennellement aujourd’hui, je place devant vous la vie et la mort… Choisissez la vie. » La parole n’est que maintenant, ou elle n’est pas. On peut refuser d’interprêter à la lumière de la parole, mais alors on interprête à la lumière de ce qu’on imagine. L’intervention de la parole, c’est être délogé de ce que nous imaginons. Il y a de quoi rire ! Denis Vasse.

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Pour prolonger cet article, on peut lire de Denis Vasse “La dérision ou la joie”un livre qu’il présente en ces termes : “Accéder à la joie, c’est «se réjouir intérieurement». La joie témoigne d’un bonheur partagé ; la manière dont elle se communique dans le don dit la vérité d’une présence intime, irréductible à un objet de jouissance au sens juridique (avoir l’usufruit d’un bien) ou sexuel (profiter de la possession par les sens). Elle atteste la présence de l’Autre à l’intime de soi.  Il y a une jouissance manifeste et répétitive que tout psychanalyste rencontre : celle qui consiste à épuiser, en le niant, le désir - dans la recherche d’un rassasiement qui ne dure jamais. Avec elle, l’homme ne se sent vivre qu’en vivant contre la vie, dans une rivalité jalouse et exclusive. Dans une certaine manière de vouloir jouir jusqu’au bout, de s’éclater ou d’aimer à mort, la fine pointe de la jouissance se répercute en écho de dérision. Au cœur de la folie ou de la perversion, c’est l’intensité de la sensation qui se donne pour la Vérité ; celle-ci n’est plus ce qui parle, mais ce qui se sent. Cette modalité jouissive du sensationnel exclut la parole et/ou le sens. Elle clôt la libido sur le même. Elle interdit au plaisir d’être la nécessaire médiation qui noue l’esprit et la chair dans une rencontre de sujets incarnés. Fermée à la parole, elle alimente la jouissance exclusive des sens. Elle enferme l’homme en lui-même, dans l’intensité d’un fantasme pris pour le réel et dont la répétition l’aliène. Faute de vivre de l’altérité au cœur du même, le désir tourne en déris, et la parole en dérision.

Textes : Denis Vasse
Illustrations : Jérôme Bosch et Robert Empain

samedi 10 mai 2014

J’ai pouvoir de donner ma vie et pouvoir de la reprendre


Grâce au Père au Fils et au Saint-Esprit

Si votre résurrection vous semble si difficile à croire, réfléchissez donc à ceci : votre naissance n'est-elle pas plus difficile encore à croire  ? Or vous êtes nés.  Une méditation sur la Résurrection de Celui qui a le pouvoir de donner la Vie, et de la redonner à chaque instant...


La Résurrection de Christ. XVI ième siècle.
Musée du Vatican.
Tapisserie Atelier dePieter van Aelst. Bruxelles


I. L’événement historique et transcendant
Le mystère de la résurrection du Christ est un événement réel qui a eu des manifestations historiquement constatées comme l’atteste le Nouveau Testament. Déjà Paul peut écrire aux Corinthiens vers l’an 56 : " Je vous ai donc transmis ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze " (1 Co 15, 3-4). L’apôtre parle ici de la vivante tradition de la Résurrection qu’il avait apprise après sa conversion aux portes de Damas (Ac 9,3-18).
Le tombeau vide
 " Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, mais il est ressuscité " (Lc 24,5-6) . Dans le cadre des événements de Pâques, le premier élément que l’on rencontre est le sépulcre vide. Il n’est pas en soi une preuve directe. L’absence du corps du Christ dans le tombeau pourrait s’expliquer autrement (Jn 20,13 ; Mt 28,11-15) Malgré cela, le sépulcre vide a constitué pour tous un signe essentiel. Sa découverte par les disciples a été le premier pas vers la reconnaissance du fait de la Résurrection. C’est le cas des saintes femmes d’abord (cf.LC 24,22-23), puis de Pierre (Lc 24,12) . " Le disciple que Jésus aimait " (Jn 20, 2) affirme qu’en entrant dans le tombeau vide et en découvrant " les linges gisant  (Jn 20,6) " il vit et il crut " (Jn 20, 8) . Cela suppose qu’il ait constaté dans l’état du sépulcre vide que l’absence du corps de Jésus n’a pas pu être une œuvre humaine et que Jésus n’était pas simplement revenu à une vie terrestre comme cela avait été le cas de Lazare (Jn 11,44).
Les apparitions du Ressuscité
Marie de Magdala et les saintes femmes, qui venaient achever d’embaumer le corps de Jésus ( Mc 16,1 ; Lc 24,1)  enseveli à la hâte à cause de l’arrivée du Sabbat le soir du Vendredi Saint (Jn 19, 31-42) , ont été les premières à rencontrer le Ressuscité ( Mt 28, 9-10 ; Jn 20, 11-18). Ainsi les femmes furent les premières messagères de la Résurrection du Christ pour les apôtres eux-mêmes ( Lc 24,9-10) . C’est à eux que Jésus apparaît ensuite, d’abord à Pierre, puis aux Douze (1 Co 15, 5). Pierre, appelé à confirmer la foi de ses frères (Lc 22,31-32) , voit donc le Ressuscité avant eux et c’est sur son témoignage que la communauté s’écrie : " C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon " (Lc 24,34-36).


Noli me tangere. Fresque de Fra Angelico. Florence


Tout ce qui est arrivé dans ces journées Pascales engage chacun des apôtres - et Pierre tout particulièrement - dans la construction de l’ère nouvelle qui a débuté au matin de Pâques. Comme témoins du Ressuscité ils demeurent les pierres de fondation de son Église. La foi de la première communauté des croyants est fondée sur le témoignage d’hommes concrets, connus des chrétiens et, pour la plupart, vivant encore parmi eux. Ces " témoins de la Résurrection du Christ " (Ac 1,22) sont avant tout Pierre et les Douze, mais pas seulement eux : Paul parle clairement de plus de cinq cents personnes auxquelles Jésus est apparu en une seule fois, en plus de Jacques et de tous les apôtres (1 Co 15, 4-8).
Devant ces témoignages il est impossible d’interpréter la Résurrection du Christ en-dehors de l’ordre physique, et de ne pas la reconnaître comme un fait historique. Il résulte des faits que la foi des disciples a été soumise à l’épreuve radicale de la passion et de la mort en croix de leur maître annoncée par celui-ci à l’avance (Lc 22, 31-32). La secousse provoquée par la passion fut si grande que les disciples (tout au moins certains d’entre eux) ne crurent pas aussitôt à la nouvelle de la résurrection. Loin de nous montrer une communauté saisie par une exaltation mystique, les Évangiles nous présentent les disciples abattus ( "le visage sombre " : (Lc 24,17) Lc 24,17) et effrayés. C’est pourquoi ils n’ont pas cru les saintes femmes de retour du tombeau et " leurs propos leur ont semblé du radotage " LC 24,11). Quand Jésus se manifeste aux onze au soir de Pâques, " il leur reproche leur incrédulité et leur obstination à ne pas ajouter foi à ceux qui l’avaient vu ressuscité " (Mc 16,14).
644 Même mis devant la réalité de Jésus ressuscité, les disciples doutent encore (Lc 24,38) , tellement la chose leur paraît impossible : ils croient voir un esprit ((Lc 24,39). " Dans leur joie ils ne croient pas encore et demeurent saisis d’étonnement "(LC 24,41). Thomas connaîtra la même épreuve du doute (Jn 20,24-27) et, lors de la dernière apparition en Galilée rapportée par Matthieu, " certains cependant doutèrent " Mt 28,17) C’est pourquoi l’hypothèse selon laquelle la résurrection aurait été un " produit " de la foi (ou de la crédulité) des apôtres est sans consistance. Bien au contraire, leur foi dans la Résurrection est née - sous l’action de la grâce divine - de l’expérience directe de la réalité de Jésus ressuscité.
L’état de l’humanité ressuscitée du Christ
645 Jésus ressuscité établit avec ses disciples des rapports directs, à travers le toucher (Lc 24,39 ; Jn 20,27) et le partage du repas (Lc 24,30; Jn 2&,9,13-15)  Lc 24,30. 41-43) . Il les invite par là à reconnaître qu’il n’est pas un esprit mais surtout à constater que le corps ressuscité avec lequel il se présente à eux est le même qui a été martyrisé et crucifié puisqu’il porte encore les traces de sa passion. Ce corps authentique et réel possède pourtant en même temps les propriétés nouvelles d’un corps glorieux : il n’est plus situé dans l’espace et le temps, mais peut se rendre présent à sa guise où et quand il veut ( Jn 24n 19. 26 ; 21, 4) car son humanité ne peut plus être retenue sur terre et n’appartient plus qu’au domaine divin du Père. Pour cette raison aussi Jésus ressuscité est souverainement libre d’apparaître comme il veut : sous l’apparence d’un jardinier (JN 20,14-15) ou " sous d’autres traits " (Mc 16,12 que ceux qui étaient familiers aux disciples, et cela pour susciter leur foi (Jn 29, 14,16 ; 21, 4, 7)
646 La Résurrection du Christ ne fut pas un retour à la vie terrestre, comme ce fut le cas pour les résurrections qu’il avait accomplies avant Pâques : la fille de Jaïre, le jeune de Naïm, Lazare. Ces faits étaient des événements miraculeux, mais les personnes miraculées retrouvaient, par le pouvoir de Jésus, une vie terrestre " ordinaire ". A un certain moment, ils mourront de nouveau. La Résurrection du Christ est essentiellement différente. Dans son corps ressuscité, il passe de l’état de mort à une autre vie au-delà du temps et de l’espace. Le corps de Jésus est, dans la Résurrection, rempli de la puissance du Saint-Esprit ; il participe à la vie divine dans l’état de sa gloire, si bien que S. Paul peut dire du Christ qu’il est " l’homme céleste " (1 Co 15, 35-50).
La Résurrection comme événement transcendant
" O nuit, chante l’Exsultet de Pâques, toi seule as pu connaître le moment où le Christ est sorti vivant du séjour des morts " (MR, Vigile Pascale). En effet, personne n’a été le témoin oculaire de l’événement même de la Résurrection et aucun évangéliste ne le décrit. Personne n’a pu dire comment elle s’était faite physiquement. Moins encore son essence la plus intime, le passage à une autre vie, fut perceptible aux sens. Événement historique constatable par le signe du tombeau vide et par la réalité des rencontres des apôtres avec le Christ ressuscité, la Résurrection n’en demeure pas moins, en ce qu’elle transcende et dépasse l’histoire, au cœur du mystère de la foi. C’est pourquoi le Christ ressuscité ne se manifeste pas au monde (Jn 14n22) mais à ses disciples, " à ceux qui étaient montés avec lui de Galilée à Jérusalem, ceux-là mêmes qui sont maintenant ses témoins auprès du peuple " (Ac 13,31).

II. La Résurrection - œuvre de la Sainte Trinité
La Résurrection du Christ est objet de foi en tant qu’elle est une intervention transcendante de Dieu lui-même dans la création et dans l’histoire. En elle, les trois Personnes divines à la fois agissent ensemble et manifestent leur originalité propre. Elle s’est fait par la puissance du Père qui " a ressuscité " (Ac 2,24) le Christ, son Fils, et a de cette façon introduit de manière parfaite son humanité - avec son corps - dans la Trinité. Jésus est définitivement révélé " Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit, par sa Résurrection d’entre les morts " (Rm 1,3-4). S. Paul insiste sur la manifestation de la puissance de Dieu (Rm 5,4 ; Co 13,4 ; Ph 3,10 ; Ep 1,19-22 ; He 7,16) par l’œuvre de l’Esprit qui a vivifié l’humanité morte de Jésus et l’a appelée à l’état glorieux de Seigneur.
Quant au Fils, il opère sa propre Résurrection en vertu de sa puissance divine. Jésus annonce que le Fils de l’homme devra beaucoup souffrir, mourir, et ensuite ressusciter (sens actif du mot) (Mc 8,31 ; 9, 9-31 ; 10,34 )  Ailleurs, il affirme explicitement : " Je donne ma vie pour la reprendre. (...) J’ai pouvoir de la donner et pouvoir de la reprendre "(Jn 10,17-28) " Nous croyons (...) que Jésus est mort, puis est ressuscité " (1 Th 4, 14).


Les Pères contemplent la Résurrection à partir de la personne divine du Christ qui est restée unie à son âme et à son corps séparés entre eux par la mort : " Par l’unité de la nature divine qui demeure présente dans chacune des deux parties de l’homme, celles-ci s’unissent à nouveau. Ainsi la mort se produit par la séparation du composé humain, et la Résurrection par l’union des deux parties séparées " (S. Grégoire de Nysse, res. 1 : PG 46, 617B) ; cf. aussi DS 325 ; 359 ; 369 ; 539).



Ascension de Notre Seigneur.
 Miniature des Très Riches Heures du Duc de Berry,
par les frères Limbourg, vers 1410.


III. Sens et portée salvifique de la Résurrection
" Si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine et vaine aussi notre foi " (1 Co 15, 14). La Résurrection constitue avant tout la confirmation de tout ce que le Christ lui-même a fait et enseigné. Toutes les vérités, même les plus inaccessibles à l’esprit humain, trouvent leur justification si en ressuscitant le Christ a donné la preuve définitive qu’il avait promise, de son autorité divine.
La Résurrection du Christ est accomplissement des promesses de l’Ancien Testament (Lc 24,26-27; 44-48) et de Jésus lui-même durant sa vie terrestre (Mt ; Mc 16n6 : Mc 16,7 ; Lc 24, 6-7 ) 28,§) L’expression " selon les Écritures " (1 Co 15, 3-4 et le Symbole de Nicée-Constantinople) indique que la Résurrection du Christ accomplit ces prédictions.
La vérité de la divinité de Jésus est confirmée par sa Résurrection. Il avait dit : " Quand vous aurez élevé le Fils de l’Homme, alors vous saurez que Je Suis " (Jn 8,28). La Résurrection du Crucifié démontra qu’il était vraiment " Je Suis ", le Fils de Dieu et Dieu Lui-même. S. Paul a pu déclarer aux Juifs : " La promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur (...) ; il a ressuscité Jésus, ainsi qu’il était écrit au Psaume premier : Tu es mon Fils, moi-même aujourd’hui je t’ai engendré " (Ac 13,32. 34 ; Ps 2, 7). La Résurrection du Christ est étroitement liée au mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu. Elle en est l’accomplissement selon le dessein éternel de Dieu.
 Il y a un double aspect dans le mystère Pascal : par sa mort il nous libère du péché, par sa Résurrection il nous ouvre l’accès à une nouvelle vie. Celle-ci est d’abord la justification qui nous remet dans la grâce de Dieu (Rm 4,25). " afin que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle " (Rm 6,4). Elle consiste en la victoire sur la mort du péché et dans la nouvelle participation à la grâce (Ep 2, 4-5 ; 1 P 1,3). Elle accomplit l’adoption filiale car les hommes deviennent frères du Christ, comme Jésus lui-même appelle ses disciples après sa Résurrection : " Allez annoncer à mes frères " (Mt 28,10 ; Jn 20,17). Frères non par nature, mais par don de la grâce, parce que cette filiation adoptive procure une participation réelle à la vie du Fils unique, qui s’est pleinement révélée dans sa Résurrection.
Enfin, la Résurrection du Christ - et le Christ ressuscité lui-même - est principe et source de notre résurrection future : " Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis (...), de même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ " (1 Co 15, 20-22). Dans l’attente de cet accomplissement, le Christ ressuscité vit dans le cœur de ses fidèles. En Lui les chrétiens " goûtent aux forces du monde à venir " (He 6,5) et leur vie est entraînée par le Christ au sein de la vie divine (Col 3,1-3) " afin qu’ils ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux " (2 Co 5, 15).
Catholique.org

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