mercredi 30 juillet 2014

La Vie ne peut que se donner


Grâce à toi Thérèse de l'Enfant Jésus



Au couvent des carmélites de Lisieux, quand venait le mois de juin, la jeune Thérèse de l'Enfant Jésus et ses soeurs novices recueillaient les pétales des roses pour les jeter en chantant au crucifix. 

Ces performances avant l'heure étaient pour ces jeunes soeurs des actions de grâce, à savoir des gestes de gratitude, de louange et d’offrande à l’Epoux, au Bien-Aimé Jésus, de toutes les actions de leur journée. Thérèse écrit à cette époque qu’elle offre à Jésus chaque battement de son coeur.  

Les mille actions quotidiennes d’une carmélite sont des plus humbles : préparer les repas, laver le linge, soigner les malades, repriser une chemise, écouter, regarder, lire, méditer, prier, chanter, communier, aimer...

En vérité, les gestes les plus ordinaires de nos vies deviennent extraordinaires pour autant que de bonne grâce nous nous reconnaissions incapables de nous donner le pouvoir qui les permet, que nous comprenions que nous recevons ce pouvoir d’agir d’une puissance qui le détient.

Pour les chrétiens, Celui qui possède la puissance de donner la vie et tous ses pouvoirs d’agir se nomme Dieu, le Verbe, la Vie en Personne. 
Une Personne qui nous donne la Vie qu’il est et qu’il a. Et, avec ce Don, la liberté de le recevoir et de l’aimer Lui, la Personne divine qui nous le fait. 
Mais ce don de la liberté exige aussi que chacun soit libre de prendre pour lui  la vie qu’il reçoit afin d’en jouir à sa guise ; de jouir alors de la liberté de ne pas se placer, comme Thérèse et les chrétiens, dans la reconnaissance et la gratitude pour la Vie qui se donne et se redonne sans cesse, la liberté, tragique alors en vérité mais si commune, de ne pas comprendre le secret de la Vie dont chacun de nous jouit, un secret qui ne se révèle qu’aux coeurs humbles et reconnaissants, un secret qui est celui ci : la Vie ne peut que se donner.

Heureux et ressuscités dors et déjà sont ceux à qui se révèle ce secret que la Vie est ce Don absolu par lequel nous vivons éternellement en Elle.  La Vie est le mouvement même du Don premier qui se reçoit pour se donner. Un mouvement dont le Nom est Amour. C’est pourquoi, nous dit saint Jean, Dieu est Amour.



La jeune Thérèse, méditant toutes ces choses en son coeur ne tarda pas à reconnaître son insuffisance à aimer Dieu et ses semblables, alors même qu’elle en avait le vif désir. 

Comprenant d’abord que la vie est un Don de Dieu, elle comprend que l’amour est un autre don de Dieu. Alors, le plus humblement et le plus franchement du monde, elle demande à Dieu de lui faire don de l’amour. Cette demande simple et directe à la Vie en Personne, Thérèse l’appelle sa Petite Voie, ouvrant ainsi pour tous une Voie si simple que personne avant elle, même saint ou sainte, n’avait osé l'inaugurer.

La Grâce vidéo que je montre ici,  intitulée Rose recrée à Mérigny, est un symbole de tout cela : grâce à un petit tour technique ce petit film retourne le temps et montre que si il est facile de cueillir et d'effeuiller une rose, nul en ce monde n’a le pouvoir de la recréer , de lui redonner vie véritablement, sinon Dieu et ses rosiers à chaque printemps. De même en est-il pour toutes les créatures vivantes, de même en est-il pour nos vies qui nous sont données pour être données à leur tour. Car là est la loi de la Vie, le secret d'Amour du Vivant.

Illustrations : 
Grâce vidéo par Robert Empain : une séquence extraite du film Vivre d'Amour, dédié à sainte Thérèse présenté à Bruxelles dans le cadre de notre exposition en 2009.
Portrait photographique de Thérèse Martin.


jeudi 10 juillet 2014

Ouvrir le noyau intérieur


Grâce à toi Annick de Souzenelle

A la lumière de son cheminement intérieur, Annick de Souzenelle nous invite à la redécouverte de notre nature divine. C’est avec un regard neuf qu’elle scrute les textes bibliques et l’alphabet hébraïque pour nous livrer les secrets de notre devenir. Par-delà son affiliation au christianisme orthodoxe, elle est aussi une femme de son temps, cultivant amour de la tradition et art du psychothérapeute - l’apport de la psychanalyse est pour elle indéniable. Son enseignement véhicule un souffle régénérateur puissant et constitue une formidable dynamique pour nous aider à comprendre et à grandir dans l’émerveillement de la tâche à accomplir.


Annick de Souzenelle lors de sa visite à notre exposition 
Face de Dieu Face de l'Homme à l'église des Minimes à Bruxelles en 2009



Un entretien de Annick de Souzenelle avec Claudine Della Libera pour la revue en ligne Nouvelle Clés.

Nouvelles Clés : L’homme aujourd’hui, quel est-il ? Quelle étape vit-il ? 
Annick de Souzenelle : L’homme patauge encore dans le psychique. Il est l’Homme du 6e jour de la Genèse, un homme en gestation qui n’a pas laissé germer la conscience en lui, mais qui est à la veille de le faire. Face aux problèmes qui le menacent, il ne peut rester dans une logique "animale" ; il lui faudra accéder à la conscience pour sortir du labyrinthe qu’il s’est créé. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cela est déjà en marche. Nous vivons cette percée du nouvel homme qui cesse d’être un "forgeron de l’extérieur" pour oeuvrer dans la forge intérieure.
N. C. : On ne peut évoquer le monde contemporain sans évoquer le danger nucléaire, les pollutions diverses et la violence qui prend de multiples formes partout sur la planète. L’homme ne sera-t-il pas assez fou pour se détruire lui-même ?
A. de S. : L’homme d’aujourd’hui est encore sous l’emprise des passions psychiques. Il a banalisé et normalisé l’état de chute ; il accomplit à l’extérieur ce qu’il n’accomplit pas dans son cosmos intérieur et se trouve dépourvu devant les forces ainsi libérées, telle la force nucléaire. Il ne peut dominer une vie qui lui échappe ; d’où les peurs qui l’habitent, génératrices de guerres et de violences. Ce n’est qu’au prix de ce retournement de l’extérieur vers l’intérieur, à la lumière d’une urgente prise de conscience que l’homme ouvrira son noyau intérieur et accomplira le Dieu qui est en lui.
N. C. : Et si le retournement ne se faisait pas ?
A. de S. : Je ne peux y croire. Dans les textes, l’homme est déjà sauvé, accompli dans sa dignité. La résurrection du Christ, c’est celle de chacun d’entre nous au terme de son accomplissement. C’est dans notre inconscience que nous ne sommes pas ressuscités.
N. C. : Pourquoi avoir choisi la tradition judéo-chrétienne pour comprendre l’aventure humaine ?
A. de S. : D’abord parce qu’elle constitue notre racine culturelle. Comme beaucoup d’autres, j’ai eu à un moment de ma vie le besoin d’aller vers l’Inde et des religions orientales. Ma rencontre avec l’Église orthodoxe de France a décidé de mon retour à l’Évangile et aux textes bibliques ; leur richesse est immense. Après 30 ans d’expérience dans cette tradition, je suis de plus en plus dans l’émerveillement. Et c’est dans l’émerveillement que je découvre l’histoire d’Adam, celle du peuple hébreu et celle des femmes de la Bible, comme étant ma propre histoire, la vôtre, celle de l’humanité tout entière. Quant à la langue hébraïque, je la découvre aussi sous-tendue par le verbe divin lui-même !
N. C. : La tradition serait alors bien vivante et nous arlerait à différents niveaux accessibles en fonction de notre propre niveau de conscience ?
A. de S. : Cette communication avec elle est aussi forte que l’est notre désir ; avec elle nous cheminons dès lors que notre coeur s’est ouvert, jusqu’à la mort et la résurrection du "fils" en nous.
N. C. : Ce "fils", quel est-il ?
A. de S. : En hébreu, le mot "fils", "Bar", désigne aussi "le grain de blé" : une seule loi recouvre la vie de ces deux êtres : le grain de blé doit mourir dans la terre extérieure pour croître et donner un nouvel épi. Le "fils", ce grain d’incréé en nous, nous oblige à mourir dans nos terres intérieures pour donner le fruit de l’Arbre de la connaissance : "si le grain ne meurt...", dit le Christ. Et Lui, fils de l’Homme total (l’humanité) meurt et ressuscite pour qu’il donne son fruit !
N. C. : Votre tâche en tant que "transmetteur" du message biblique quel "effort" constitue-t-elle ?
A. de S. : Quand l’homme recherche Dieu, il n’y a pas d’effort. C’est un travail amoureux et partager ce que l’on vit est une joie. Mon travail sur la Genèse n’est qu’un marche-pied qui un jour sera dépassé dans une plus grande conscience des textes. Ceux-ci sont une colonne vertébrale vivante. Ils nourrissent et contri- buent à la verticalisation de l’homme.
N. C. : En tant que femme comment vivez-vous le péché dont Eve s’est rendue coupable et qui fût, nous ne pouvons le nier, le début d’un net ostracisme pour la femme ?
A. de S. : Cette Ève qu’on a dit saisie par le serpent n’est pas la femme ; elle est le premier féminin de la Bible, Isha, côté ombre qu’Adam a reçu l’ordre de garder et de cultiver ; notre inconscient, en fait. C’est lui qui, chaque jour encore est saisi par le serpent avant même que nous le sachions, et souvent sans que nous ne le sachions jamais ! Adam chassé de son Eden intérieur et retourne vers I’exterieur ne connaît plus que la femme biologique appelée Ève. Le mariage entre l’homme et la femme est une vie d’accomplissement renvoyant à la nécessité du mariage intérieur de chacun. La vie monacale est une autre voie, mais le rejet de la femme dans un certain type de monachisme me semble une déviance. En tout état de cause, il ne peut exclure le féminin intérieur hors duquel il n’y a pas de salut.
N. C. : L’image de la femme stérile revient souvent dans la Bible, que signifie-t-elle ?
A. de S. : La stérilité qui affecte dans un premier temps la plupart des femmes de la Bible, c’est la stérilité intérieure. Pour les hébreux, faire le fils, c’est faire le fils intérieur. Dans le mot hébreu qui signifie "stérile", on retrouve la notion d’"essentiel". Cette stérilité est là pour faire prendre conscience que la vraie fécondité n’est pas dans l’enfant extérieur. Le drame de l’humanité, c’est de se satisfaire de ses fils biologiques.
N. C. : Mais toutes les instances sociales et religieuses n’ont-elles pas prôné que le but de la vie est dans la procréation et le mariage ?
A. de S. : Ces données ont des conséquences dramatiques et ont fait oublier à l’homme ce qu’est authentiquement l’être "religieux" : celui qui se relie au fils intérieur. Là est la vraie maternité. Le monde des serviteurs et des esclaves dans la Bible est fécond tout de suite, car biologiquement fécond, comme tout animal.
N. C. : Il est dit aussi dans la Bible que "la femme stérile est belle", ce qui peut surprendre... 
A.de S. : La femme stérile, c’est l’humanité, l’Homme du 6e jour que nous sommes. L’Homme du 6e jour est analogue à l’arbre qui est encore sous terre. Il prend le "sous terre" pour la lumière. Sa vocation à ce moment-là est de planter ses racines. Il ne peut à ce stade porter son fruit. Mais cette étape de sa stérilité est essentielle. C’est le travail de germination des profondeurs. Il y a donc une nécessité de la stérilité pour atteindre à la beauté qui naît de la transformation intérieure. En ce sens, ces femmes stériles, appelées à être rendues fécondes par le souffle divin, sont belles. La beauté, l’harmonie du monde dépend de ces épousailles avec le féminin.
N. C. : Et le masculin dans tout cela ?
A. de S. : Il est indispensable ; il n’y aura pas d’enfantement sans lui. Être mâle, pour l’homme comme pour la femme, c’est être celui qui se souvient de son inaccompli, c’est donc être conscient de sa faiblesse ! Il doit se souvenir de cette réalité intérieure qui est à la fois son futur et son passé : la Adamah, la mère intérieure qui est là avant Adam et qui recèle le noyau de son être. C’est cette mère que nous avons à épouser pour devenir l’homme accompli. Tous les mythes le disent.

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Drame dans le Ciel. Aquarelle. 1990



 
N. C. : Cela crée-t-il pour l’homme une nouvelle exigence ?
A. de S. : Une nouvelle exigence se fait jour, comme lorsqu’on travaille sur les textes hébraïques. A force de les scruter, si nous parvenons à un autre niveau de lecture - les hébreux disent que la Thora peut se lire sur 70 niveaux de lecture - le texte nous oblige à vivre ce qu’il révèle, sinon il se ferme. Lorsqu’il s’ouvre, on acquiert une nouvelle intelligence du coeur, et celle-ci exige de nous toujours plus.
N. C. : Il s’agit de ce que vous nommez "noces" ou "épousailles" et dont la connotation est à la fois amoureuse et charnelle...
A. de S. : Oui, mais il existe deux modes d’épousailles. L’un qui concerne les noces de l’homme avec lui-même (mâle et femelle au niveau essentiel dont nous venons de parler) ; l’autre qui concerne les noces de l’homme et de Dieu : au fur et à mesure que l’homme s’accomplit dans ses premières noces, il se construit en tant qu’"épouse" de Dieu, pour atteindre aux deuxièmes noces. L’Adam est féminin par rapport à Dieu, mâle par rapport à son féminin intérieur, "Ish" (époux) par rapport à "Ishah" (épouse), mais il est aussi "Ishah" par rapport à Dieu, époux-archétype. Les épousailles sont donc à deux niveaux et interfèrent dans un embrassement admirable. Mais c’est en ce sens qu’on ose dire qu’Adam est le "côté ombre" de Dieu, le féminin de Dieu. Cette double rencontre ne peut se faire que dans l’acceptation et l’amour et dans notre dimension chamelle. Les cieux, c’est ici et maintenant, et cela passe par la réalité la plus concrète. Les noces avec le divin se vivent dans chacune de nos cellules. Dans cette perspective, il faut ausi reconsidérer le rapport homme-femme.
N. C. : Justement ce rapport nouveau entre homme et femme quel est-il ? Quelle mutation sera nécessaire ?
A. de S. : Beaucoup de femmes aujourd’hui vivent les prémices de cette mutation intérieure et ont reconnu cette dualité intérieure qui porte en elle-même la dynamique de l’accomplissement. Elles se sont éveillées plus vite que les hommes. Beaucoup d’entre elles souffrent de ce que leurs compagnons de vie ne les suivent pas dans l’éclosion de leur nouvelle conscience. C’est un passage douloureux qu’elles auront à assumer, souvent au prix d’une grande solitude. C’est en ce sens que réside en elles le salut du monde.
N. C. : Comment expliquer ce temps d’avance de la femme sur l’homme aujourd’hui ?
A. de S. : Les deux dimensions : biologique et ontologique, ne sont pas séparées, et la femme comme nous l’avons déjà dit est davantage portée vers le sacré et beaucoup plus sensible à la réalité du mystère qui est en elle. Chaque femme qui porte un enfant vit en résonance avec ce mystère. Elle vit d’une façon naturelle une fonction "sacerdotale" qui dépasse infiniment sa réalité biologique. Avant l’homme, elle semble avoir trouvé son côté mâle, celui qui "se souvient".
N. C. : Qui dit s’éveiller dit aussi souffrir, rencontrer le mal ?
A. de S. : Avoir le désir du face à face avec le divin, c’est accepter d’être confronté aux "animaux" qui nous habitent et qui, doués d’une vie autonome, nous dévorent. Là est le mal constitué par "la chute" dont nous reconduisons chaque jour le drame, ce qui nous amène à reconduire du même coup la souffrance. Nous générons alors des événements qui en sont la conséquence directe, non punition divine, mais effet des lois fondatrices que notre infantilisme nous laisse ignorer, préférant le concept facile et déresponsabilisant de "père fouettard" ! Mais même au coeur de ces événements, si douloureux soient-ils, le retournement est possible. Chaque épreuve est une possibilité pour nous de pénétrer nos ténèbres (le féminin) et d’en faire la lumière. Alors une nouvelle intelligence de la souffrance se fait jour, elle est lumière jetée sur le chemin de l’accomplissement. Nous sommes dans l’esclavage tant que nous n’avons pas compris cela. Tout est dans l’acceptation des événements, là commence la véritable libération, et l’on perçoit soudain la profonde beauté de la vie.
N.C. : Ainsi il n’y aurait ni bien ni mal, mais seulement "accompli" et "inaccompli" ?
A. de S. : Le mal n’existe pas ontologiquement dans la Genèse, et le mot "péché" signifie en hébreu "mal visé". L’Arbre de la connaissance du bien et du mal est en fait celui de l’accompli et de l’inaccompli. Le Christ sur la croix dit : "Tout est accompli." C’est le passage des ténèbres à la lumière. La résurrection est déjà là. Il est le véritable fruit de l’Arbre de la connaissance. C’est celui-là que nous sommes en devenir et qu’alors nous pourrons manger. Dans l’Eucharistie, le chrétien se nourrit de Lui pour le devenir.
N. C. : Comment votre intelligence du monde considère-t-elle ta maladie ?
A. de S. : Elle est la somatisation d’un non-faire intérieur. Le rôle physiologique de chaque organe et de chaque membre est sous-tendu par la fonction essentielle de chacun d’eux : celle-ci concourt à conduire l’homme, "image de Dieu", vers la "ressemblance", la déification. Devenir des hommes - que nous ne sommes pas encore - puis des dieux, telle est notre vocation inscrite dans la programmation de la moindre de nos cellules. C’est pourquoi la maladie est l’un des langages du corps. A nous de savoir le déchiffrer et de devenir responsables. Le médecin, sans le travail du malade, ne peut qu’effacer le langage, c’est-à-dire déplacer le problème, mais non le guérir .
N. C. : Comment pressentez-vous le futur de l’homme ?
A. de S. : Avec une grande espérance, car dans la résurrection du Christ l’humanité est déjà accomplie. Pour l’instant c’est à la femme, plus avancée sur le chemin, de faire le travail, mais lorsque l’homme s’y attèlera, tout ira très vite. Il lui faudra quitter la conquête extérieure pour la conquête intérieure. Cela lui sera difficile, mais quelle beauté immense il nous donnera à ce moment-là ! 


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Se souvenir du Jardin... Gouache sur papier. 
1992





De la femme et de la vocation essentielle

N. C. : Annick de Souzenelle, on ne peut qu’être frappé par l’immense majorité de femmes qui viennent vous entendre. Que signife ce phénomène ?
A. de S. : La société et les moeurs ont évolué de telle façon que beaucoup de femmes se sont libérées de la domination exercée par l’homme et des contraintes de la vie domestique aussi. Ainsi s’est produit la mise en disponibilité d’une énergie folle, cette énergie constituant la force même de la femme. En synchronicité, beaucoup de barrières se sont levées. Autrefois, la force de l’inconscient était jugulée par des interdits religieux ou moraux. Aujourd’hui, cette force n’est plus contenue. Les femmes - et l’humanité tout entière - croient se libérer, mais elles risquent de ne s’enchaîner que davantage à d’autres "époux", si elles n’entrent pas dans ce qui est la vraie libération.
N. C. : Et cette libération, quelle est-elle ?
A. de S. : Il faut bien comprendre que le rapport de l’homme à la femme est analogique à celui du conscient et de l’inconscient : l’Adam de la Genèse, "créé mâle et femelle" est "image de Dieu". A un premier niveau, animal, cette dualité désigne l’homme et la femme ; mais en tant qu’"image de Dieu", l’Adam est infiniment plus que l’animal. A ce deuxième niveau, l’Adam (l’humanité totale, hommes et femmes, chacun de nous) est constitué de deux pôles : l’un qui "se souvient" (même mot que le substantif "mâle" en hébreu) de l’autre, "contenant" d’un immense potentiel d’énergies, dont le noyau est le germe divin, semence de tout être. Ce féminin, cette réserve d’énergies est un potentiel inouï, qui est à conquérir - et ceci en chacun comme en l’Adam total. Il est bien certain que les deux niveaux de lecture ne sont pas étrangers l’un à l’autre et que l’homme est plus que la femme concerné par la vocation de conquérant - mais il ne l’a investie jusqu’à aujourd’hui qu’à l’extérieur de lui-même - et que la femme, plus que l’homme, est sensible au mystère divin qui habite chacun, mais qui, jusqu’ici, est resté noyé dans une inconscience quasi totale. La vraie libération est le retour aux normes ontologiques qui invitent l’homme et la femme à intérioriser la conquête et devenir conscients du potentiel divin qu’ils sont et qui, non accompli, peut devenir diabolique.
N. C. : Ce féminin-là n’a pas grand-chose en commun avec celui qui fait la une des magazines dits "féminins" ?
A. de S. : Non, évidemment. Le féminin en chacun de nous, c’est la Adamah de la Genèse biblique, la "grand-mère des profondeurs" de Jung, celle de notre réalité archétypieue. Elle est notre terre intérieure, le "côté ombre" qu’Adam ne connaissait pas avant que Dieu ne la lui révèle (Gen. II, 22) et qu’il doit "épouser". Chacun d’entre nous en tant qu’Adam est appelé à le faire. Elle est la totalité de notre cosmos intérieur, tout ce que la psychologie moderne nous aide à découvrir, ce "féminin" qui appartient aussi bien à l’homme qu’à la femme.

Illustrations : Photo de Astrid Meurens. 2009. Aquarelle et gouache de Robert Empain. 1990 et 1992

mardi 8 juillet 2014

Mille grâces mille larmes de joie, film infni


Je publie sur ma page You Tube des extraits du film Mille grâces, mille larmes de joie que j'ai commencé en 2000 et présenté en 2001 dans une chapelle romane à Le Blanc en France. 
Ce film ne prétend pas s'approprier la beauté du monde mais espère tout simplement lui rendre grâce. Les plans séquences qui s'y succèdent, et qui s'y succèderont indéfiniment au fil du temps, je les nomme des grâces, des grâces recueillies une caméra à la main, des grâces rendues à l'Auteur véritable des réalités terrestres sans cesse créées par Lui pour notre émerveillement et notre éveil, des grâces projetées sur la Terre, dans le Ciel et dans les yeux des humains depuis la création du monde, depuis que la lumière a jailli des ténèbres, depuis que des vivants les regardent, s'en étonnent et s'en émerveillent.  Un tel film, amis, ne saurait ainsi avoir un début, un milieu et une fin car il est infini et ne fait que capter ce qui dans le monde à chaque instant ne cesse de commencer. C'est pourquoi un tel projet, une telle prière en vérité est toujours en cours, toujours à voir, à faire et à dire, toujours en retrait de sa tâche infinie. 

Je publie ci dessous quelques unes de ces grâces que vous retrouverez plus nombreuses sur You Tube.
Je publie en complément la petite allocution que j'ai faite à Le Blanc en 2001 avant de la projection d'un premier jet de ce film qui était alors composé d'une cinquantaine de grâces recueillies dans le Parc régional naturel de la Brenne qui entoure cette belle ville de France. Grâce à ceux qui m'ont permis de le faire. 






Qui suis-je ? 
Mesdames, messieurs, si je suis un étranger pour vous, sachez que je suis encore, et largement, un inconnu pour moi même. On me dit poète et peintre, je suis un voleur. 
Non pas un voleur de banques, de sacs à main ou de mobylettes, mais un voleur de petit chemin, un voleur de beauté, un voleur de feu. Un glaneur serait plus juste, selon le titre du beau film qu'Agnès Varda présentait alors que je montais mon modeste film, mon premier film, mon seul film, un film à tout jamais inachevé, et sans cesse recommencé... 
Ce que vous allez voir est mon butin, la petite moisson de ce que j'ai glanée sur les chemins de votre pays de Brenne. 

Qu'ai-je glané pour vous ? 
La beauté et la lueur des visages croisés au hasard à Le Blanc, l'impudeur de quelques fleurs abandonnées au bord des routes de Mérigny, un peu de vin dans un verre d'eau, un étang minuscule dans le creux d'une pomme, les éclats du soleil dans des perles de rosée à Ingrandes, des arcs-en-ciel produits par un arrosoir, des étoiles dans les plis de vos rivières, des arbres se diluant dans le courant, le regard d'une enfant fascinée par un serpent à la Foire commerciale, des tortues prises au piège dans une boite en plastique et ainsi de suite... Mille grâces à mes yeux.

Pourtant cette beauté là est sans valeur pour notre temps, elle appartient au monde du rien,  elle appartient donc à tout le monde et par là elle n'appartient à personne, si ce n'est au poète, au voleur de feu que je suis. Elle est hors spectacle, hors marché, elle n'est pas cotée en bourse, en vérité elle est sans prix et donc hors de prix. Tout simplement parce qu'elle relève de l'être et non de l'avoir, cette beauté là, comme toute beauté véritable, est gratuite. Gratuite cela signifie qu'elle provient de la grâce. De la grâce infinie et oubliée qui nous donne à tous d'être là dans une vie et dans un monde qui nous sont donnés à chaque seconde.



J'ai pris le titre de ce film, Mille grâces, mille larmes de joie, à une prière que Blaise Pascal avait cousue dans son manteau : Feu Joie Joie Joie, mille grâces, mille larmes de joie, pour chaque jour d'exercice sur la terre... 
J'aurais pu voler la belle formule dans laquelle Martin Heidegger concentre sa philosophie : Denken is danken - Penser c'est remercier. 

Les images de ce film ne prétendent certes pas s'approprier la beauté du monde, elles espèrent juste lui dire merci, lui rendre grâce. Elles ne sont littéralement que des reflets fugaces des images crées en permanence par la lumière, des phénomènes existants depuis la création du monde, depuis qu'existent la lumière et les ténèbres. 
Rainer Maria Rilke disait de la beauté qu'elle est le voile qui nous protège encore du Terrible. Je vous prie de regarder ces images comme les voiles tendus de l'Amour, comme mille voiles  à lever sur l'inconnu familier qui vous entoure, des images projetées ici sur un tissu de soie presque transparent pour mieux en montrer la nature cachée.  
Ces images espèrent inaugurer un autre regard sur la beauté du monde : un regard capable d'admirer son humilité.  Admirer, oui : "Admirer l'homme et admirer la terre et vous vivrez ardents et clairs". Admirer, le verbe splendide que nous a donné le poète belge Émile Verhaeren pour orienter la pensée et les rapports entre les hommes.
Un tel film, mes amis, ne saurait ainsi avoir un début, un milieu et une fin, il est infini ou indéfini. car il pointe ce qui dans le monde ne cesse de commencer. C'est pourquoi un tel projet, une telle prière en vérité, ne peut être qu'inachevée car toujours en retrait de sa tâche infinie.

Les images de visages de femmes et d'hommes que vous y verrez espèrent encore témoigner humblement de la Loi divine qui fonde notre Humanité et pourrait remplacer toutes nos lois humaines, une Loi nous rappelle que de tout homme est un miracle sur la Terre comme au Ciel. Une Loi que chaque visage humain proclame :  « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».


Je remercie les personnes qui ont bien voulu me confier l'image de leur visage et ainsi le visage de leur véritable image... 

Je vous invite maintenant à regarder ce voile d'images. Regardez les comme des mensonges qui lèvent un peu le voile sur la vérité.  N'est-ce pas  cela  qu'espère accomplir toute œuvre d'art ?  

J'en dirai plus une autre fois.

A suivre...  

                                                           
                                                            
Texte de présentation du film de Robert Empain Mille grâces mille larmes de joie, deux séquences vidéos extraites ce ce film. projeté en la chapelle du Château Naillac à Le Blanc. Eco musée du Parc Naturel de la Brenne. 2001