samedi 27 juin 2015

C'est par l'esprit que tu me vois


Grâce à toi Myriam de Magdala




La chapelle de Plaincourault à Mérigny, Indre


Juchée sur un promontoire rocheux dominant la vallée de l’Anglin, la chapelle de Plaincourault est appelée Le Joyau de la Brenne en raison de l’éclat des peintures murales qu’elle préserve depuis le XIIe siècle. En ce lieu éloigné de l’agitation du monde se rencontre en effet une lumière particulière, une présence mystérieuse, une vibration émanant des couleurs, des formes et des symboles, toutes choses qui portent le passant à recueillir en lui le mystère de sa propre présence, lui révélant la fonction de tout édifice sacré, celle de toute oeuvre d’art véridique : l’accueillir et le faire pénétrer en lui-même, là où l’oeuvre a lieu en vérité. 



Vue de l'exposition : à gauche peinture de Robert Empain,
à droite peintures de Saskia Weyts et fresque d'un peintre anonyme du XIIe siècle


Accueillis à Plaincourault par le Parc régional naturel de la Brenne, qui en a la garde, Saskia Weyts et Robert Empain se savent aussi reçus par les compagnons anonymes qui ont élevé et peint cette chapelle ; ils les regardent comme des hôtes invisibles, des amis avec lesquels dialoguer avec gratitude. Les artistes, comme tous les vivants en vérité, sont d’emblée en communion avec les oeuvres du passé pour autant qu’ils les vivent et les aiment au présent, se donnant pleinement dans la rencontre ou s’en inspirant pour en créer de nouvelles.

Noûs 
C’est par l’Esprit que toute communion est possible.
Le terme noûs donne son titre à l’exposition, il désigne pour Platon la partie divine de l'âme humaine, l’esprit, l’intelligence. Or, dans l’Evangile de Marie, récemment redécouvert, ce terme est utilisé par Jésus pour révéler à Myriam de Magdala (Marie-Madeleine) que c’est par le noûs, par l’esprit donc ou mieux encore par le coeur, qu’elle le voit lui le Ressuscité alors que les disciples venus au tombeau vide au matin de Pâques ne l’ont pas vu. Si donc Marie Madeleine le voit la première c’est qu’elle l’a aimé de tout son corps, de toute âme et de tout de son coeur. Vérifiant alors cette Béatitude : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » Mt 5.8.  C’est donc une femme que le Christ envoie aux disciples incrédules et aux nations pour témoigner de sa Résurrection, fondant par son témoignage le christianisme. Une femme que les premiers siècles chrétiens reconnurent comme l’Apôtre des apôtres.



"Marie, ne me touche pas, je ne suis pas encore monté vers le Père...
 " Caséine sur toile, 210 x 279 cm. Robert Empain 2015




 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Un dialogue entre artistes et visiteurs, entre ceux qui ont cherché et cherchent à témoigner de ce qu’ils voient et ceux qui souvent ne veulent pas croire à l’invisible Vie ressuscitée se poursuivra peut-être ici par la grâce de cette faculté de l’âme humaine nommée par le Christ Jésus le noûs, l’esprit, le coeur. La faculté qui en chacun voit ou peut voir pour autant qu’il aime comme Marie Madeleine a aimé, d’un amour absolument rendu au Donateur de nos vies et de nos facultés.

Les oeuvres 
L'exposition est conçue pour le lieu en mode évolutif, elle est donc susceptible de se transformer au cours de l'été. Robert Empain présente deux peintures de dimensions murales réalisée pour ce lieu. Ces oeuvres, tirées d’une série sur le thème du Noli me tangere, proposent de revisiter la première apparition du Ressuscité d’un point de vue renouvelé par l’Evangile de Marie. Il présente aussi deux installations : une première au sol, intitulée Arbre de l'Anthropos, donnera lieu à une série de dessins symboliques réalisés au fil de l’exposition et des conversations qu’elle inspirera, et une seconde sur l'autel central intitulée Evangile de Marie, 10,25.




C’est par le coeur que tu me vois. Caséine sur toile. 185 x 285 cm. 
Robert Empajn. 2015


Saskia Weyts présente une série de peintures de visages sur papier intitulée Où es-tu ?  
Quel est ce lieu, demande-t-elle ainsi, où se croisent les regards des figures peintes ou sculptées de l’art sacré et les nôtres ? Où vivent les âmes défuntes anonymes ? Où ont lieux nos apparitions et nos disparitions ?     


Ce sont les questions essentielles du voir et du donner à voir qui sont posées ici. Celles encore de l’apparaître et de l’apparition, de l’imaginaire et de l’Imagination créatrice, de l’image fausse et de l’image vraie, du témoignage et de sa véracité, de l’art, de sa vocation et de sa contrefaçon. Pour aborder avec les visiteurs ces questionnements et les oeuvres présentées, les artistes seront présents dans la chapelle tous les samedis du 8 août au 20 septembre de 15h00 à 19h00.



      

 Deux oeuvres de la série Où es-tu ? 
12 huiles sur papier de Saskia Weyts. 2015







Deux artistes de Grâce
Pour Robert Empain l’art et la vie ne font qu’un et l’artiste est celui qui va au fond de l’inconnu pour y trouver du nouveau (Rimbaud). Cet inconnu, cet invisible et ce nouveau étant la vie même, la Vie invisible et absolue. Ainsi, l’art jaillit de la Vie comme une création  d'elle-même, une nécessité intérieure propre à nous la faire éprouver, connaître et aimer. En un mot, l’art est spirituel ou il n’est pas. Mais l’art ainsi vécu s’est perdu dans l’époque qui en a fait le produit d’une histoire de l’art qui se jouerait désormais en direct sur les marchés de l’art mondialisé. 

Ne cherchez donc pas Robert Empain dans le système marchand institutionnel de l’art mondial, il n’y est pas entré. Il n’a pourtant jamais cessé de créer une oeuvre singulière, foisonnante, imprévisible ; utilisant peinture, collage, objet, assemblage, vidéo, projection, installation, performance, poésie, photographie, il expose à l’atelier, chez des amis et pendant des années dans un Centre médical où il soigne les malades avec des oeuvres d’art, édite les poèmes des patients et expose leurs oeuvres. Ailleurs, on l’a vu distribuer des tracts poétiques dans les rues, tracer des messages à la craie sur le sol et les murs, publier ses carnets d’artiste où il chante l’art comme art de vivre. En 1999, il commence en Brenne un film infini intitulé Mille grâces, mille larmes de joie. Il le projette à Le Blanc et par la suite en divers lieux, comme en 2007 sur le sol d’une forge à Mérigny. En 2003, il crée à Bruxelles l’Espace et le groupe Grâce qui monte une douzaine d’expositions. Avec Saskia Weyts, le groupe expose dans l’Abbaye de Jette en 2008, puis à Tournai. Année où il crée le blog Attention, l’art peut ressusciter la vie ! pour faire connaître les actions de Grâce. De 2008 à 2010, le groupe montre des expositions continues dans une église historique du centre de Bruxelles.  En 2012 il présente l’exposition Paroles inouïes à la galerie Lauwers à Bruxelles.  En 2014, il publie le premier tome de AD Imaginem Dei - L’oeuvre invisible.  Il vit et travaille à Bruxelles et à Mérigny.


"Arbre de l'Anthropos : " Soma, pysché, noûs, Pneuma.
Poussière de pierre, cailloux, terre cuite. bois.
Diamètre 210 cm. Robert Empain 2015



Saskia Weyts est Professeur titulaire de l’Atelier Dessin à l’Académie de Tournai, un atelier qui compte plus de trente jeunes artistes de diverses nationalités, elle est peintre et pratique le dessin, la gravure et la photographie. Tout tableau, quelqu’en soit le sujet, est abstrait en ce sens qu’il est issu d’une double nécessité intérieure, l’une propre à l’artiste qui l’exprime dans une oeuvre et l’autre propre l’oeuvre et à ses lois, ces deux nécessités du dedans et du dehors cherchant leurs résonances.  Cette découverte de l’art abstrait par Vassily Kandinsky en 1909 fut une conquête majeure de l’art au XXe siècle qui donna aux artistes la liberté d’explorer les possibles de l’art, le libérant des conventions représentatives, le ramenant à sa vocation spirituelle ou le livrant aux égarements de l’art pour l’art. Parmi ces possibles, Saskia Weyts découvre une voie directe qui lui permet de toucher sans détour la nécessité intérieure de chacun : la voie du coeur. Ne suivant pour y parvenir que le sien, écoutant son immense sensibilité, ses affinités avec les couleurs et les formes, sa spontanéité dans la composition et sa rigueur dans la mise en oeuvre.
Elle a gagné de nombreux prix et concours, participé et organisé de nombreuses expositions collectives en Belgique, au Pays-Bas et en France. Dès 2004, elle participe aux expositions du groupe Grâce.  En 2007, elle participe, avec de grandes peintures à l’exposition Natuur au Markten, le Centre culturel flamand de Bruxelles.  En 2008, elle organise pour huit artistes l’exposition Recevoir Donner à l’Abbaye de Jette. Elle expose à la galerie Twilight Zone à Tournai.
En 2011, elle illustre un livre du poète Bart Vonck et expose ses tableaux récents à la galerie Lauwers à Bruxelles.  En mai 2015, elle présente une rétrospective de ses peintures dans un presbytère proche de Bruges. Elle vit et travaille à Bruxelles et à Mérigny.


Illustrations : photos et peinture de Robert Empain et Saskia Weyts

dimanche 21 juin 2015

L’enfer de notre ingratitude


Grâce à Jean-Yves Leloup



Tout est grâce. Assemblage cartons, huile, aquarelle. 2010



Qu’est-ce qui peut nous rendre « sensible ›› à la beauté, à la grâce, à la Présence qui se donne à travers toute vérité, toute vie, toute bonté ?

la gratitude… la louange…
la gratitude rend la grâce possible
elle est notre ouverture à l’Ouvert
on pourrait dire ainsi qu’elle précède la grâce

dire merci avant de recevoir
est l’un des secrets du Bienheureux

dès qu’on a dit merci, tout ce qui nous arrive
est merci, miséricorde, grâce et don.

Celui qui ne dit jamais merci, ne reçoit jamais rien,
car ce merci est l’acte même de la réception,
la possibilité d’une réceptivité, d’un accueil,
l’ouverture par laquelle le ciel enveloppe la terre,
l’ouverture par laquelle les dieux peuvent entrer.

Celui qui ne dit jamais merci, garde fermées les portes de la perception,
comme celles de l’affectivité et de la connaissance.

L’enfer dans lequel nous nous enfermons consciemment est celui de notre ingratitude.

Etre incapable de gratitude ou de louange c’est perdre toute joie d’être et de vivre.
Nous mourons de ne pas savoir dire merci, dire merci à notre épreuve, c’est en faire une occasion de croissance, de dépassement ; dire merci à notre mort, c’est en faire une délivrance ou un passage vers une vie plus vaste.

Seuls ceux qui savent dire « merci ›› seront sauvés.

La gratitude met le cœur et le souffle « au large ›› (sens du mot salut iescha en hébreu),
elle est la clef qui nous ouvre à la beauté de toutes réalités visibles et invisibles, c’est elle qui nous permet « d’entrer ›› en philocalie.


Illustration : Robert Empain. 2010