lundi 26 février 2018

J'ai mis devant toi la vie et la mort. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité


 Grâce à toi Fabrice Hadjadj

Je vous invite à suivre ici les conférences de Carême 2018 données et orchestrées tous les dimanches à Notre Dame de Paris par Fabrice Hadjadj sur le thème de La culture, un défi pour l'évangélisation...  Cet extrait de la première conférence en donne l'enjeu  : " L’apocalypse n’est pas simple effondrement, mais, dans l’effondrement, révélation du fond, de l’essentiel. De plus en plus, il faudra croire, je ne dis pas en Dieu, mais en un Créateur et Sauveur de la chair, je ne dis pas pour devenir un être supérieur, mais pour mener une vie simple et humaine, une vie de culture. Et c’est pourquoi, de plus en plus, l’apôtre est conduit à ce retournement de perspective. Lui qui annonce le Ciel se retrouve à défendre la terre. Lui qui témoigne du Messie se retrouve à faire l’éloge du berger, du vigneron et du charpentier. Lui qui est mû par l’Esprit se retrouve à chanter les sexes. La sainteté va de plus en plus ressembler à l’existence ordinaire. De cet ordinaire qui est l’œuvre même de Dieu..." 


  
Ces conférences retentissent comme des appels à la vie et à un sursaut collectif immédiat dont les chrétiens doivent être porteurs face à la menace de l'effondrement imminent du vivant dans son ensemble !  La voix forte de Fabrice Hadjadj se joint à celles à de nombreux penseurs et artistes de notre temps qui nous placent face au choix irrévocable pour notre humanité menacée dans son humanité même, un choix que posait déjà à l'homme le cinquième livre de la Bible, le Deutéronome :  

" J'en prends aujourd'hui à témoin contre vous le ciel et la terre: j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité".  

 


Extrait de la seconde conférence du 25 février : " La foi chrétienne est d’abord la foi en Dieu créateur, seigneur et sauveur. Or on ne peut aimer le Créateur, si l’on n’aime pas sa création, pas plus qu’on ne pourrait dire à un peintre qu’on l’admire tout en crachant sur ses tableaux. Et on ne peut aimer le Sauveur, si l’on n’aime pas sa créature même blessée à mort, pas plus qu’on ne pourrait dire à un médecin qu’il fait un métier magnifique mais que s’occuper des malades est quelque chose d’odieux. En un mot, si le chrétien ne divinise pas la Nature, c’est pour pouvoir mieux l’aimer et la garder. Celui qui voit dans la Nature une divinité devra se résigner devant la destruction perpétrée par cette divinité : le séisme qui dévaste la terre et la peste qui ravage les troupeaux ne seront pour lui des maux qu’au niveau local, car, au niveau global, ils apparaîtront comme bons, leur tache contribuant à la composition harmonieuse. C’est ce qu’affirmaient les stoïciens. Mais il y a en nous quelque chose de plus vaste que le monde qui nous donne d’embrasser le monde et d’en prendre soin au-delà de notre intérêt, avec une attention divine, à tel point que même la disparition des dinosaures ne nous satisfait pas, et que nous éprouvons le mystérieux besoin d’en entretenir la mémoire."

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Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris par Valère Novarina, écrivain, dramaturge, peintre et dessinateur. Conférence de Carême du 18/03/2018. 

« La plus profonde des substances, la plus miroitante, la plus précieuse des étoffes, la très-vivante matière dont nous sommes tissés, ce n’est ni la lymphe, ni le plasma de nos cellules, ni les nerfs de nos muscles, ni les fibres, ni l’eau ou le sang de nos organes, mais le langage.

La langue : l’autre chair. Nous sommes tressés par son architecture invisible, mus par le croisement et le combat des mots ; nous sommes nourris de leurs intrigues, de leurs jeux, de leurs dérives, pris dans leurs drames. Nous, les Terriens — nous les « Adam », les bonshommes de terre — nous sommes formés de langues tout autant que de tendons, de muscles et d’os. Nous sommes étayés, pétris, bâtis de langues, structurés par elles — quotidiennement modelés par la très vive philologie — chaque jour creusés par la combinatoire imprévue, l’histoire mouvante, la disparition et l’apparition des mots. Enfants du résonnement et de la raisonnance. Nés des amours et de la lutte des mots. »
Valère Novarina, Voie négative, 2017.




samedi 24 février 2018

Le pesanteur et la grâce


Grâce à vous artistes anonymes

Je publie ci dessous un texte paru en 2010 dans la version antérieure de Attention, l'art peut ressusciter la vie ! qui fut piratée 2013.  J'ai écrit cette note en 2010 dans le cadre superbe du collège des Bernardins où une exposition était proposée tout l’été. Elle était intitulée La pesanteur et la grâce, un titre inspiré par les œuvres de Simone Weil.  Cette exposition était une commande du Collège des Bernardins et nous invitait à réfléchir sur le rapport entre abstraction et spiritualité... Le commissaire Eric de Chassey (directeur de la Villa Médicis à Rome de 2009 à 2016) voulait exposer cinq artistes d’âges différents, présentant des œuvres solides et abstraites, appartenant à une voie nouvelle qu’il appelle « abstraction spiritualisante » par opposition à la voie de « l’abstraction spirituelle ». « Une abstraction qui, dit-il, ne prescrit pas un contenu par avance, mais le découvre au fur et à mesure du travail de l’artiste et de l’attitude que l’œuvre induit chez le spectateur » ... « une des voies possibles, dit-il encore, pour qu’une création artistique puisse se trouver au plus près d’une expérience spirituelle authentique » Ajoutant  : « la figuration en peinture est devenue particulièrement difficile, car obligée de prendre en compte un aspect très négatif de l’humain ». Et : « il y a une réelle difficulté à assumer dans une même image cette négativité de l’humain et la possibilité de quelque chose qui la dépasse et qui la sauve ...  Peu d’artistes arrivent à tenir les deux, et faut-il encore que le visiteur accepte de jouer le jeu, de se rendre attentif à ce qu’il a devant les yeux, c’est-à-dire faire l’expérience spirituelle fondamentale : sentir ce passage de rien à quelque chose ». Les artistes exposés sont : Emmanuele Becheri, Callum Innès, Georges Tony Stol, Emmanuel Van der Meulen, et Marthe Wery.


Vue de l'exposition




L'exposition La pesanteur et la grâce présentée au collège des Bernardins à Paris cet été (2010) se réfère explicitement à Kandisnky et à l'abstraction.  Elle présente des oeuvres minimales, qui me touchent très minimalement à vrai dire, de Marthe Wéry, Callum Innes, Georges Tony Stoll, Emmanuel Van der Meulen et de Emmanuelle Becheri.

En 1911, Wassily Kandisnky, dans son livre Du spirituel dans l'art, rappelait que toutes les formes et toutes les couleurs sont des forces, des vibrations spirituelles émanant de l'Esprit Créateur et qu'un simple point de couleur posé sur une toile ou un mur blanc suffit à poser le mystère de l'apparaître...

Ici, aux collège des Bernardins, des oeuvres d'un art dit minimal, car elles sont faites de très peu d'éléments, viennent s'ajouter, vibrer et résonner dans un lieu qui est déjà une oeuvre d'art accomplie, et, incontestablement, c'est le rapport du lieu et de ces ajouts minimalistes qui fait oeuvre ici.  Ce lieu, qui est un chef d'oeuvre, est ainsi utilisé comme Plan originel — selon la désignation Kandinsky — à savoir comme fond pour une composition plastique nouvelle. Ce procédé de base est inévitable car il faut bien qu'une oeuvre, comme toute chose en ce monde, soit placée quelque part, en un lieu. 

Vue de l'exposition


L'art moderne, et à sa suite l'art contemporain, ont instauré l'usage intensif, voire  même exclusif durant des décennies, de lieux absolument blancs, celui du musée ou de la galerie d'art, des lieux qui correspondent au fond blanc de la toile ou du papier. 
Dans de tels lieux blancs et hyper-lumineux, les formes, les couleurs, les objets se trouvent isolés, séparés de tout, abstraits du monde et ainsi mis en état de se présenter tels qu'ils sont, c'est-à-dire de révéler leur vibration propre, leur mode d'être-là, leur aura, leur présence mystérieuse, leur pouvoir d'apparition.

Notons que de son côté la publicité ne s'y est pas trompée : elle nous montre très souvent ses produits parfaitement idéalisés sur de tels fonds blancs purs, et confère ainis à la moindre boite de lessive une dimension magique d'apparition...

De même, dans des lieux comme cette salle des Bernardins, qui sont des chefs d'oeuvres de l'art architectural, la moindre petite chose du monde vient palpiter comme un oiseau en vol dans un ciel pur, dans sa dimension céleste, angélique.

Je signale ces choses non pour dénigrer ces pratiques mais pour les relativiser, les décrypter, pour les replacer dans l'humilité minimale, initiale, souhaitable et nécessaire mais encore pour rendre grâce aux artistes authentiquement spirituels et anonymes qui ont su créer et bâtir de tels lieux, que l’on a raison d’appeler sacrés, tant ils sont capables de faire descendre un peu de la beauté du Ciel sur la terre, permettant à tout un chacun de rencontrer en personne une beauté créée qui témoigne de la Beauté incréée.

Vue de l'exposition


Dans ce sens, je retiens la phrase de Simone Weil citée dans la présentation de l'exposition : « La grâce ne s’atteint pas par une volonté héroïque mais par la soumission humble aux nécessités de la pesanteur… » ce qu'elle appelle encore l'effet de levier,  à savoir :  monter en s'abaissant .  Ajoutant : «  il ne nous est peut-être donné de ne monter qu’ainsi… »

Des propos qui rejoignent ceux de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et la Sainte Face - propos dont j'ai fait des voiles - qui comprend que l'amour infini de Dieu consiste à s'abaisser vers nous pour nous élever vers lui ; et que nul homme ne pourra s'élever s'il n'est d'abord descendu au fond de lui pour y mener le combat avec l'inconnu qu'il est encore à lui-même et y trouver son vrai Nom, celui que de sa seconde Naissance dans l'Amour, c'est-à dire son engendrement dans la Vie du Vivant. A bon entendeur...



 Image de l'exposition issues du site du Collège des Bernardins à Paris
Texte de Robert Empain, 2010

mardi 6 février 2018

Mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu

   
Grâce à toi Léon Bloy 

J'ai découvert tout récemment la revue Nunc à travers son magnifique numéro 43 dédié à Léon Bloy et paru en novembre dernier à l'occasion du centenaire de sa mort. L'oeuvre de Léon Bloy demeure inouïe, au sens propre, et prophétique, non pas au sens commun où elle prédirait l'avenir mais en ceci qu'elle porte une parole susceptible d'ouvrir le Ciel, comme le fait et devrait le faire toute oeuvre d'art digne de ce nom...





Il y a une trentaine d'années, alors que je travaillais sur le phénomène des apparitions et des visions, j'ai beaucoup lu sur ce sujet, et entre autres Le symbolisme des apparitions, le livre que Léon Bloy consacra aux apparitions mariales, principalement celles de Notre Dame à La Salette.

Les apparitions de Marie, celles de Jésus, celles des Anges, comme les visions et les songes véridiques et les révélations qui les accompagnent sont reçus le plus souvent par des coeurs simples et recueillant. Ces phénomènes sont innombrables et vont même en se multipliant depuis le début de l'époque dite des "lumières", sans être pour cela divulgués à tous. Nous les recevons -- nous avons surtout à nous disposer à les recevoir -- comme autant de grâces et d'ouvertures du Ciel, comme autant d'illuminations secrètes de l'Amour en Personne dans le secret de nos coeurs. Et cela précisément dans une époque qui a perdu l'esprit et qui est désormais en mesure de détruire l'humanité après avoir aboli l'art comme théophanie, méconnu les sacrements comme régénérations dans l'Esprit-Saint et la prière comme colloque du coeur où s'écoute la Parole de Vie et où se donne parfois à voir sa Lumière invisible.

Apparition sur la montagne


J'ai repris depuis peu de temps la lecture de Léon Bloy. 
J'ai lu La femme pauvre et je lis Le Désespéré... Le dossier de Nunc est et sera très précieux à tous car il met admirablement l'oeuvre de Bloy en perspective historique et transhistorique et expose avec clarté les questions qui se posaient à ce Pèlerin de l'absolu il y a un siècle et qui se posent aujourd'hui à nous, rares artistes chrétiens.

Dieu soit loué, nous disposons aujourd'hui de lumières nouvelles susceptibles de modifier l'intelligence que nous pouvons avoir de ces questions. 
En premier lieu, nous avons de nouvelles traductions et interprétations des Ecritures Saintes, à la fois plus libres, plus savantes, plus transversales, plus polysémiques, plus inspirées, plus justes et éclairantes que jamais, celles d'Annick de Souzenelle, d'André Chouraki et de Jean-Yves Leloup par exemple ;
en second lieu nous avons un accès sans précédent à toutes les traditions mystiques, les nôtres comme celles des autres peuples ; en troisième lieu, le XXe siècle nous a donné un relecture phénoménologique du christianisme avec des auteurs comme Michel Henry et Jean-Luc Marion, auxquelles nous pourrions ajouter les lectures anthropologiques de René Girard et psychanalytiques de C.G Jung, de Pierre Solié, de Denis Vasse et de Paul Diel, notamment. 

Apparition de Notre Dame dans nos cendres

Apparitions innombrables et révélations faites aux saints et surtout aux saintes ces derniers siècles, mais faites aussi aux poètes inspirés, avancées de l'esprit humain vers l'intelligence de la Sagesse divine, tout cela témoignent de l'action de l'Esprit-Saint dans les ténèbres de perdition qui nous entourent et dans lesquelles, paradoxalement, nous sommes plus que jamais appelés à comprendre, c'est-à-dire à imaginer, ce qui demeurait obscur il y a encore un siècle à des inspirés tels que Léon Bloy, Arthur Rimbaud, sainte Thérèse de Lisieux et nombre d'autres.

Le Dossier Bloy de Nunc place à plusieurs reprises au centre de la vocation visionnaire de l'écrivain cette parole de saint Paul : "Aujourd'hui, nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu."

Cette parole, et bien d'autres semblables, est en passe de se réaliser non pas sous la forme imaginée par les millénarismes du XIXe d'un retour
glorieux du Christ  dans le monde visible, mais au sens de sa venue, glorieuse elle aussi, dans l'intimité des coeurs dans lesquelles s'incarnent en vérité sa Parole de Vie et d'Amour

Nous le savions pourtant : le Royaume
annoncé de l'Amour et de la Vie  ne se trouve pas ailleurs qu'en nous, au milieu de nous, là où la Vie s'incarne et fait de nous les enfants d'un même Père. De même c'est en nous que vient et ne cesse de s'accomplir cette autre Parole du Christ : "Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement." 


Illustrations : couverture du N° 43 de la revue Nunc, et des oeuvres de Robert Empain, l'une de 1990 l'autre de 2015
Texte : Robert Empain, le 6 février 2018