vendredi 24 avril 2020

Paroles inouïes

Actions de Grâce

Paroles inouïes

par Robert Empain


Je publie aujourd'hui un texte de 2011 que j'avais publié dans la version précédente de ce blog qui fut piratée en 2013 et remplacée par celle-ci. Ce texte est celui de la présentation de mon exposition Paroles inouïes, une exposition inouïe elle aussi autant qu'incomprise, que j'ai présentée en 2012 à Galerie CLJP Originals à Bruxelles grâce à sa courageuse et généreuse propriétaire Md. Carine Lauwers. 
Les Paroles inouïes qu'il s'agissait de faire entendre en 2012 sont les mêmes aujourd’hui, ce sont les Paroles de la Vie en Personne qui ne cesse d’appeler à la résurrection les morts vivants que la plupart de nos contemporains sont devenus sans même plus le savoir, une ignorance fatale d’où provient leur effroi face aux manipulations diaboliques et incompréhensibles des agents officiels du néant.


L'ultime appel. Assemblage. 2010

À quinze ans, alors que je commençais mes études d’art, je connus la joie éblouissante de rencontrer la fulgurante beauté d’une oeuvre d’art, celle de L'Agneau Mystique, le retable des frères van Eyck exposé dans l'église Saint Bavond à Gand. Cherchant à sonder cette illumination inaugurale, à comprendre ce prodige, je réalisai que cette expérience ne pouvait se dire avec des mots mais qu’elle pouvait seulement être vécue à nouveau par de nouvelles rencontres avec les oeuvres d’art ou approchée par l’expérience d’un faire, par l’art lui-même, par l’acte de peindre et de voir la peinture se faire devant moi et en moi. Je découvris ainsi que la beauté, l’art, l’amour et la vie ne font qu’un et que tout cela est en vérité un miracle permanent ! Ainsi, ce que Kandinsky avait appelé la Nécessité intérieure ne désignait pas seulement la Voix intérieure et impérieuse qui pousse l’artiste à accomplir les oeuvres qu’il porte en lui, mais encore, et d’un même mouvement, l’accomplissement de sa propre vie comme la seule oeuvre véritablement essentielle, puisqu’elle est celle que l’Esprit créateur accomplit en lui. De même, ce que Kandinsky avait appelé la dualité de l’extérieur et de l’intérieur ou ce que Paul Klee voulait dire en prétendant rendre visible l'invisible ne concernait pas seulement les oeuvres, ni la seule personne de l’artiste, mais tous les vivants puisque les oeuvres d’art qui apparaissent dans le monde visible apparaissent aussi dans l’âme des vivants qui les éprouvent, leur révélant ainsi, pour autant qu’ils s’y consacrent, leur propre réalité vivante invisible. 

Me joignant en tout à Kandinsky, à Klee et à tant d’autres prédécesseurs pour lesquels l’art est spirituel ou n’est rien, je m’étais forgé ma conviction que les oeuvres d’art, de tous les arts, comme d’ailleurs toutes les oeuvres humaines dignes de ce nom, n’ont de sens que si elles sont nécessitées par l’Esprit et pour l’Esprit, c’est-à-dire par la Vie et pour la Vie. La Nécessité intérieure n’étant rien d’autre que la Nécessité de la Vie, la Parole de Dieu à l’oeuvre en tous les vivants à chaque instant. 


Seulement, la vocation spirituelle des arts, à savoir la possibilité qu’ils ont de nous arracher à l’enfer des objets dans lequel nos vies sont tombées, celle de nous révéler notre intériorité et de pétrir nos âmes pour y faire lever l’Esprit vivant, celle de faire connaître à nos coeurs le don gratuit et miraculeux de la Beauté, de la Vie et de l’Amour, toutes facultés qu’ils partagent avec les rites et les sacrements de nous rassembler en une communion spirituelle invisible, tout cela n’est plus d’actualité pour notre époque, ni pour sa politique culturelle, ni pour les musées, ni pour les arts contemporains et leurs agents, encore moins pour le marché de l’art, du spectacle et du divertissement, sinon dans la marge, l’exception, la clandestinité, la résistance, le silence.

La déchéance des arts, de la culture et de la civilisation est spirituelle et provient de la surdité des hommes à la Nécessité intérieure et invisible, à la Parole de la Vie en eux.  Cette surdité des hommes à la Vie a produit l’absurdité d’un monde devenu invivable. 

Le festin déserté, installation présentée dans l'exposition Paroles inouïes


Ainsi, cette surdité des hommes a-t-elle produit l’absurdité de la technologie qui les régit désormais intégralement. A l’Âge de la Technique la Méthode scientifique est appliquée à tout et à tous : au monde, à la nature, au vivant et, de plus en plus, aux personnes vivantes que nous sommes. Mais quand la science s'imagine et prétend détenir la vérité de ce que nous sommes elle devient l'idéologie scientiste de la barbarie actuelle qui conduit progressivement la nature et l’humanité à la destruction. 
Il n’est pas inutile que je rappelle ici brièvement que par principe les sciences et les techniques font de  tout ce qu'elle considère des objets, des objets de scienc, la méthode scientifique consistant précisément à exclure  la subjectivité, à savoir la sensibilité, les affects et les sentiments car il seraient sources d’erreur et irréductibles aux calculs et aux mesures objectives. Or, comme l’a montré Michel Henry, et comme chaque vivant peut le vérifier en lui, la vie dont nous vivons est absolument affective à la différence des objets et des machines qui n’éprouvent et n'éprouveront jamais rien. La vie ne s’éprouve que par les vivants qui ne cessent d’être affectés par la joie ou la souffrance, l’espoir ou la peur, la nostalgie, la mélancolie, la colère ou l’amour, et dégoûtés par la laideur, comblés par la beauté,  élevés par la musique et ainsi de suite...

Comment alors les vivants que nous sommes peuvent-ils vivre dans un monde transformé de fond en comble par un système objectif qui exclut par principe leurs propres vies subjectives et ses nécessités intérieures, affectives,  esthétiques et
spirituelles ? Réponse : ils ne le peuvent plus car un tel monde est invivable. Et c’est la fuite ou le rejet de ce monde absurde et inhumain auxquels nous assistons aujourd’hui.

La vraie vie est vécue en chaque vivant hors du monde. C'est pourquoi nous pouvons dire que nous ne sommes pas de ce monde mais que nous vivons la Vie, et cela depuis longtemps, depuis toujours en vérité, tout en continuant à y exister...
Cette dualité vie intérieure et invisible/existence extérieure visible est la duplicité (au sens de double) de tous les vivants, dont je viens de vous parler.  
Or, dire ces choses, prononcer ces paroles vraies et inouïes, c'est redire des Paroles prononcées il y a deux mille ans par Jésus Christ : « Vous n’êtes pas de ce monde »  et  « Le Royaume de Cieux est en vous »  et encore  «Là où vous êtes en mon Nom, je suis au milieu de vous»  et « Je Suis la Voie, la Vérité et la Vie »

Ces Paroles du Christ, nous révèlent que nos vies viennent et appartiennent à la Vie invisible, que c'est en une Vie absolue et par Elle, que le Christ nomme Notre Père, que nous vivons et que nous vivrons si nous voulons vivre et jamais dans le monde fait des objets morts de nos désirs. 

Paroles du Christ, dévoilées sur des pans de murs arrachés de la galerie.




Ces paroles inouïes, dès qu'un homme les éprouve et les vit, il ne peut les taire, il doit au contraire les proclamer par tous les moyens dont il dispose pour nous les faire entendre.
 
Le Royaume des Cieux, c'est-à-dire le Paradis de la Vie, de la Beauté et de l’Amour, est en nous et les oeuvres d’art peuvent nous en entrouvrir la Porte.

Cette exposition Actions de Grâces Paroles inouïes espère humblement vous faire entendre à nouveau, dans l’absurdité d’un monde déchiré, les Paroles inouïes de la Vie invisible. 

Textes, oeuvres et images, Robert Empain  2010, 2011

On peut voir davantage d'images de cette exposition sur mon site Quelques travaux 


lundi 6 avril 2020

Que surgisse dans le Christ un monde renouvelé


 Grâce à toi Seigneur Jésus Christ
+

DIMANCHE DES RAMEAUX

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 5 avril 2020)

Chers Frères et Soeurs,
Mes très chers Fils,

Voici que s’ouvre le chemin de la Semaine Sainte, une semaine douloureuse, à l’image des temps d’épidémie que nous traversons. Pour les cérémonies, les portes des églises, les portes des maisons aussi resteront fermées.


Porte de lumière à Alcobaça, Portugal. 2014


Que le Seigneur vienne nous visiter comme il le fit pour ses disciples après sa Résurrection, « januis clausis – les portes fermées. » Lui se joue des portes fermées, si les portes des coeurs lui sont ouvertes. Loin des églises, ravivez votre liturgie familiale par la méditation des textes liturgiques si riches, par le chapelet, par la pratique d’une vraie charité entre vous. Les diocèses, les communautés mettent à vos dispositions bien des outils. Imitez les apôtres avant la Pentecôte : « Tous, d’un même coeur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères. » (Act 1,14) Le pape Pie XII disait : « Une famille qui prie est une famille qui vit », et saint Jean-Paul II : « Une famille unie dans la prière, reste unie ». 

Dès ce matin, la Messe, et en particulier les lectures, nous plongent dans le mystère pascal : mort et résurrection du Seigneur. La foule hostile réclame la libération de Barabbas et obtient la crucifixion de celui qu’elle avait acclamé quelques jours plus tôt comme Fils de David, Roi d’Israël, le Béni venant au nom du Seigneur.


Ecce homo huile sur panneau par Jérôme Bosch , vers 1485, conservé au Musée Städel




Barabbas relâché manifeste, bien involontairement, l’effet de la rédemption accomplie par le Christ : par sa mort, le coupable est libéré. Mais la foule qui demande la libération de ce criminel se trompe d’interlocuteur. Ce n’est pas à Pilate, le gouverneur romain, qu’elle devrait s’adresser, mais à Dieu, source de tout pouvoir authentique. Pilate, en se lavant les mains, se fait, comme la foule, complice d’un geste en lui même inique, et qui cependant coopère au plan de Dieu.

Au seuil de cette semaine, nous pouvons faire un examen de conscience, afin de reconnaître à la fois notre condition de créatures coupables, et la réalité de ce salut que le Seigneur nous a obtenu si souvent. Vivons-nous pour autant comme des êtres sauvés au prix de son Sang ? Ne sommes-nous pas responsables de ce que notre monde s’est détourné de Dieu ? Croyons-nous même avoir besoin d’un sauveur ?

Saint Paul nous a recommandé d’avoir les dispositions qui sont dans le Christ Jésus. Au commencement de sa lettre, il avait encouragé ainsi les Philippiens : « Celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement, au jour où viendra le Christ Jésus. » (Ph 1, 6) Et il poursuivait : « Soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. En effet pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. » (Ph 1,20-21)

Le disciple n’est pas au-dessus de son maître. Le souvenir de la Pâque du Christ, de son passage de la mort à la vie, nous mène à notre propre pâque, ce passage qui doit être fait à la suite du Christ et avec son secours.

Quelles dispositions devons-nous mettre en oeuvre ? Nous les
connaissons : amour, générosité, humilité, pardon, obéissance à Dieu, don de soi. Plus radicalement, si nous voulons que notre vie soit le Christ, c’est tout notre être qui doit se convertir, et pas seulement notre agir. Osons affronter cette question.

Le Christ obéissant jusqu’à la mort, et la mort ignoble de la Croix, remet son âme au Père. Le Père lui donne le Nom au dessus de tout nom. Mort et Résurrection du Christ, c’est tout le mystère pascal. Alors que nous mourrons au péché, la mort du Christ s’accomplit en nous. Alors que le Christ ressuscite, il nous ressuscite avec lui.

En ces jours, prenons du temps, personnellement et en famille, avec le Crucifié. Demandons les uns pour les autres,pour nos familles, nos communautés, pour notre pays et pour le monde entier, par l’intercession de Marie au pied de la Croix, la grâce de vivre une semaine qui soit sainte non seulement par les événements qui s’y dérouleront, mais surtout par la conversion durable des coeurs et l’accueil de la grâce pascale. 

En ces jours sombres mais porteurs d’espérance, un monde vieilli s’en va. Que surgisse dans le Christ un monde renouvelé.
Amen.

Images : Peinture de Jérôme Bosch ; Photographie de Robert Empain