samedi 14 septembre 2024

Toute pierre est montagne en puissance - Galerie Grâce - Bruxelles - septembre 2024

La Galerie Grâce accueille une peintre et une photographe, Saskia Weyts et Clara Gassull Quer, dans une exposition dialogue autour d'une présence mystérieuse qui de tout temps fascina les humains, celle des pierres. 



Le temps des pierres correspond à une échelle différente du temps des êtres humains. C'est un temps lent pour nous. Un temps où l'on a l'impression que rien ne se passe, alors qu’il change et se transforme. Le temps des pierres nous donne à penser et l'observation de ces choses demande du temps. 

Saskia Weyts et Clara Gassull Quer ont une pratique étroitement liée à l'observation, dans laquelle elles prennent le temps de regarder les choses, en essayant de voir au-delà de ce qui est visible à l'œil nu. 

Saskia, à partir d'une pratique méditative et à travers la peinture et le dessin, observe les pierres et essaye d’approcher le secret qu’elle recèle.

Clara, à partir d'une recherche et d'une pratique artistique qui combinent différents langages, les observe avec l'intention de créer d’autres imaginaires autour d'elles.


Le titre de cette exposition : Chaque pierre est montagne en puissance est tiré du livre La lecture des pierres, de Roger Caillois. Cette idée d’une transformation, d’une puissance contenue et d’un dépassement, intéresse les deux artistes, qui veulent l’approfondir dans leur dialogue.

Vernissage dimanche 8 septembre à partir de 11h / du 06 au 15 septembre, vendredis, samedis et dimanches de 11h à 19h.

Galerie Grâce, Impasse du Val des roses, 4 -1000 brussels / A quelques pas de la Place Saint Jean et du Parking Albertine / Contact : grace.gallery@icloud.com

vendredi 30 août 2024

Les racines de l'enfer


Grâce à Michel Weber

Après l'avoir lu et relu avec attention cet été, je recommande vivement et urgemment la lecture du dernier livre paru de Michel Weber Les racines de l'enfer, dans lequel le philosophe belge analyse de manière subtile et rigoureuse les liens intimes et inéluctables entre pouvoir et perversion. Ce livre va aux racines même du mal tout en démasquant les causes de la crise globale, infernale, décisive mais dépassable, que traverse actuellement notre humanité...


Voici la présentation qu'il fait de ce livre : "La profondeur, la polyfactorialité et l'intensité de la configuration crisique actuelle nous imposent de reprendre ab ovo la question du mal. Il semble maintenant difficile, en effet, de faire l'économie d’une analyse philosophique — ponérologique - des entrelacs existant entre politique, théologie et psychologie pour comprendre à la fois les enjeux crisiques et les contours du démoniaque. En mettant en synergie les pensées théologique, politique et clinique du mal, la ponérologie politique, portée sur les fonts baptismaux par Lobaczewski en 1985, ne constitue finalement que le remembrement d’une tradition philosophique millénaire. Que nous apprend-elle ? Que le premier péché est celui contre l’anarchie, et qu’il est le propre du pervers."



Ce livre est disponible sur I6doc.com La librairie des éditions scientifiques



samedi 24 août 2024

Va vers toi par ce chemin qui est en toi

 Grâce à toi Annick de Souzenelle


Le 11 août dernier, à l'âge de 101 ans, 
Annick de Souzenelle est née au Ciel, comme disent nos soeurs et nos frères Orthodoxes qu'elle rejoignit à 36 ans. Annick de Souzenelle passa une bonne partie de sa vie à étudier et à traduire 
lettre à lettre 
le texte hébreu de la Genèse, ce qui donna deux volumes d'une profondeur inouïe des récits de la création, de la chute, de l’exil et de nombreux autres ouvrages consacrés aux riches développements qu’autorisaient ses découvertes véritablement inspirées d'En haut. Selon ses termes, elle donne «une lecture chrétienne du texte hébreu de la Genèse » qui constitue une lecture absolument nouvelle et vivante de ce texte fondateur qui corrige les nombreux et graves contresens des traductions historiques et rétablit la profondeur, la continuité et l'actualité de la Révélation ouvrant des perspectives spirituelles inouïes dans de multiples orientations. Sur son site, elle résuma en une page très dense ce
 Mythe fondamental pour l’humanité du premier Livre de la Bible intitulé La Genèse. 
En son hommage et en guise d'introduction à son oeuvre essentielle pour notre temps apocalyptique, je republie cette page ici.  


Dans l’Évangile de Marc (8, 22-26), Jésus met de la salive sur les yeux de l’aveugle, lui impose les mains et lui demande s’il voit quelque chose. Levant le regard, l’aveugle dit : « Je vois des hommes ; ils sont comme des arbres qui marchent.» Mais comment accéder à ce monde visionnaire sans entrer d’abord dans le monde des symboles. Le symbole de l’Arbre est présent dans les textes sacrés de notre tradition judéo-chrétienne. Arbre de Vie, Arbre de la Connaissance, Arbre des Sephiroth, Arbre de la Croix… mais que nous disent tous ces arbres ? Ils nous parlent d’aspects essentiels, de réalités profondes, ils nous disent de « qui nous sommes » et « vers où nous allons »… A.d. S 2023


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"Dans la Genèse, écrit Annick de Souzenelle : la femelle n'est autre que les shamaïm (les cieux), alors appelée adamah dans la fonction matricielle du shem (le NOM) qu'elle porte. La adamah est mère (et mer) des profondeurs de tout être humain ; elle doit être cultivée - ce qui signifie qu'Adam doit faire oeuvre mâle en elle, en pénétrer chaque énergie, la nommer, la travailler, afin de construire l'Arbre de la Connaissance et de faire mûrir son fruit, le divin en l'Homme.  Adam a pour vocation de se mettre au monde ; dans ce sens, il a vocation de maternité. L'Adam du Sixième Jour, encore confondu avec sa Adamah, baigne dans les eaux de l'inconscience ; les énergies de celles-ci, douées d'une vie autonome, jouent à la place de l'Homme et il ne le sait pas ! Ceci décrit la situation actuelle d'exil dans laquelle l'Homme est maintenu parce qu'il se détourne de lui-même et de Dieu. L'Adam du Sixième Jour (et celui de l'exil) est incapable de travailler sa Adamah. " Il n'y a pas d'Homme pour cultiver la terre [Adamah] ", dit le texte du Septième Jour. Nos traducteurs exilés ont déduit de ce verset de la Genèse l'inexistence de l'Homme, qui venait cependant d'être créé au Sixième Jour ; ils en ont conclu que ce deuxième chapitre de la Genèse constituait une autre Genèse, étrangère à la première ; et la critique historique d'aller bon train ! Or, ce deuxième chapitre de la Genèse décrit un jour où " Elohim se retire [shabbat] " pour que croisse YHWH, comme un père le fait devant un fils qui commence à affirmer son identité, car YHWH, JE SUIS, est l'identité réelle d'Adam, par laquelle il peut devenir conscient de lui-même. En ce Septième Jour, un processus de différenciation s'accomplit entre Adam et sa Adamah ; l'Homme entre en résonance avec son noyau divin fondateur, il sort de son être collectif pour devenir sa personne et faire croître son arbre. Elohim dit : " l'Homme coupé de lui-même ne peut s'accomplir " (verset généralement traduit par : " il n'est pas bon que l'homme soit seul ").  Elohim initie alors Adam à faire oeuvre mâle en lui-même, à nommer les animaux (énergies) de sa Adamah pour transmuter leur peau (ténèbres) en lumière (jeux de mots hébreux intraduisibles):  Elohim fait " communiquer " Adam avec lui-même dans des " face-à-face " incontournables pour son accomplissement. Adam cherche le face-à-face total ; il est alors " endormi " d'un sommeil qui est en réalité un éveil, au coeur duquel Dieu lui montre la totalité de son autre côté. Cet " autre côté " n'a jamais été une côte : il est le côté " inaccompli ", donc encore voilé, de l'Arbre de la Connaissance qu'est Adam dans sa totalité ; il est " dressé " par Dieu, devant cet Adam, en " épouse ", Ishah, dont Adam est l'époux ; Ish. Ishah est l'autre nom des shamaïm, les cieux, appelés Adamah en tant que mère des profondeurs et maintenant Ishah, " épouse " d'Adam.
Lorsque Adam découvre son épouse et l'enfant divin qu'elle porte, il vit une extase et s'écrie : " Voici celle qui est os de mes os et chair de ma chair " ce qui en hébreu signifie : " Voici celle qui est la substance de ma substance [qui se tient cachée sous les apparences] et l'Image divine que je suis ". Car la " chair ", basar, " scellée dans les profondeurs de cet autre côté " est l'Image divine fondatrice, constituée de bar, le " Fils " (le shem) et d'une présence secrète symbolisée par la lettre médiane de ce mot, le shin, première lettre du mot shem, le NOM, dont l'idéogramme primitif (flèche retenue au bout d'un arc tendu à l'extrême) exprime " l'esprit " qui est en l'Homme.
L'esprit est puissance de l'éros qui (départ de la flèche) rend capable l'accomplissement du Fils (le logos grec). La puissance de l'éros est, dans le principe, celle du désir infini de l'Homme pour son Dieu, qui ne peut se traduire dans un premier temps que par ses épousailles avec Ishah ; elle est une pulsion de vie informationnelle car elle transforme les énergies potentielles de Adamah en informations - le conscient - ; elle fait croître la sève de l'Arbre de Connaissance dont Adam va devenir le fruit : le Fils - JE SUIS - totalement accompli.
Ce Grand Oeuvre est possible, puisque maintenant " Adam et son Ishah sont deux ; ils connaissent le chemin qu'ils ont à faire ; ils ne sont plus confondus " ; ce verset, à un premier niveau de lecture est traduit par : " ils étaient tous les deux nus et ils n'en avaient pas honte ". C'est à cette hauteur du mythe qu'intervient, au milieu de tous les animaux (les énergies) intérieurs d'Adam," le serpent, le plus rusé de toutes les énergies ". Ici, la racine du mot hébreu arom " rusé ", est aussi celle du mot qui vient de qualifier Adam et son Ishah et que l'on a traduit par " nu " au verset précédent.
Le serpent doué de savoir et de savoir-faire est une émanation du Satan, l'Adversaire ; il va tenter de déstabiliser Adam en s'adressant à son épouse Ishah. Ishah prend le fruit de l'Arbre de la Connaissance que lui tend le serpent-Satan ; elle le donne à son époux qui le mange. Adam entre alors dans l'illusion totale d'être devenu JE SUIS ; ce " je " illusoire est l'ego du monde de l'exil, qui se trouve alors en relation avec l'extérieur des choses et d'Adam lui-même, mais coupé de l'intérieur, coupé d'Ishah dont il croit qu'elle est devenue sa totale lumière. Réduit à l'état animal du Sixième Jour, Adam n'est plus que l'homme devant la femme alors seulement appelée Eve. Eve devient mère biologique dans le monde extérieur alors que c'était à lui Adam, de devenir mère ontologique, mère du Fils intérieur, JE SUIS.  

Annick de Souzenelle


En 2010 Annick de Souzenelle ouvrit à Angers L'institut d'Anthropologie Spirituelle qui propose un cycle d’études à ceux qui entendent le Va vers toi,  à savoir l'appel divin adressé à Abraham et qui ressentent alors la nécessité de prendre un chemin qui implique des renversements à la verticale, renversement dans lequel l’humanité totale est aujourd’hui saisie et auquel chaque personne dans son expérience unique peut donner sens et accomplir sa filiation en Dieu.


lundi 24 juin 2024

Parution de Or, tu es né


J'ai le plaisir de vous annoncer la parution 
aux Editions Grâce à Bruxelles de Or, tu es né, mon recueil de poésies, de prières, de tracts, de prescriptions, de textes sur l'art et de grâces rendues des années 70 à nos jours. Dix poèmes tirés de ce recueil, rassemblés sous le titre Où est l'Ailleurs ? ont été édités séparément en version graphique en 20 exemplaires.  
Ces ouvrages ont parus à l'occassion de mon exposition Disparitions -- Apparitions 
à la Galerie Grâce en juin 2024. Ils sont disponibles aux Editions Grâce *

Je publie ci dessous les deux textes d'où sont tirés les titres de ces publications





Paradis retrouvé


Aquarelle 


Flux et reflux de l'eau mêlée aux couleurs qui s’irisent au vent marin               


Recréation perpétuelle 


Pourtant, l'Ange déchu qu’est l’homme sombra dans sa rancœur 

et fit du Miracle restitué un cauchemar à son image 


Mais des fils de l’homme allant par des chemins écartés reçurent dans leurs âmes 

un peu de la beauté du monde créé pour leurs retournements 


Peu à peu, les rancœurs s'évanouirent de leurs cœurs 

et la lueur vivante illumina à nouveau leur Nuit


 La voix qui murmurait depuis toujours dans leurs songes, dit plus fortement à l’un d’eux : 

- Mon enfant, dis une seule parole et tu seras guéri de la première mort et de la deuxième 


Parole inouïe pour lui et toujours incomprise de la plupart 


La voix dit encore à l’enfant : 

- Mon enfant, si ta résurrection te semble si difficile à croire, songe à ceci : 

ta naissance n'est-elle pas plus incroyable encore que ta résurrection ? 

Or, tu es né


1985


                                                                  __                                                                    



     Où est l’Ailleurs ? 


L’Ailleurs sera toujours ailleurs où que tu ailles 

D’où il se trouve que l’Ailleurs est là où personne ne le cherche 

Même pas au bout de tes doigts, mais plus près encore de toi 

Même pas sous tes paupières, ni dans tes pupilles, ni sous ta peau veinée

Même pas dans ta chair chaude

Mais là où tu vois

Entends et sens l’Ailleurs couler et battre !



1982


____



 






* Contact et informations : Grace.gallery@icloud.com / robertempain@skynet.be

mardi 14 mai 2024

Disparitions --- Apparitions. Exposition de Robert Empain à la Galerie Grâce


Exposition de Robert Empain à la Galerie Grâce

7 juin -- 23 juin  2024 

4, Impasse du Val des Roses, 1000 Bruxelles


     Depuis sa fondation en 2003, la Galerie Grâce se voue à l'art spirituel contemporain et aux rares artistes actuels qui se reconnaissent ou se reconnaîtraient dans son engagement radical. Nous parlons d’art spirituel contemporain en ce sens que toutes les œuvres d'art authentiquement spirituelles, passées ou présentes, sont des œuvres vivantes pour cette raison qu’au temps de leur création elles correspondaient à une Nécessité intérieure de l’artiste, c’est-à-dire à une inspiration créatrice de l’Esprit vivant en lui ; ce même Esprit vivant en chacun, chacun peut le recevoir aujourd’hui par la médiation de cette œuvre. Voilà pourquoi de telles œuvres nous sont contemporaines et peuvent éveiller, illuminer et élever nos vies, sinon les ressusciter comme le soutenait le philosophe Michel Henry, à cette condition toutefois que nous leurs accordions de notre temps, de notre attention, de notre esprit, de notre vie dans la rencontre.  Cette vision spirituelle de l'art commence dès la naissance de l'art - qui fut appelé ainsi bien plus tard  par l'Occident - avec les arts magiques et chamaniques, les arts funéraires, les arts de l’antiquité, les arts orientaux, l’art paléo-chrétien, l'art roman, l'art des peintres d’icônes du Moyen-âge et des grands artistes des XIVe et XVe siècle. Cette vision toute intérieure de l'art fut, sauf exceptions remarquables, oubliée pendant quelques siècles par l'art mimétique de la Renaissance tourné vers l’extériorité et les apparences du monde. Elle fut retrouvée peu à peu au XIXe siècle par les fondateurs de la Modernité artistique radicale et poursuivie par les artistes majeurs du XXe siècle. Ces artistes redécouvrirent le contenu spirituel commun aux arts universels et durent affronter de leur vivant le drame de la condition humaine moderne, exilée d’elle-même dès lors qu’elle était livrée au matérialisme, à l’objectivisme, à l'athéisme et aux idéologies totalitaires qui découlèrent de la pensée moderne. Cette vision spirituelle d’un art pour la vie et les vivants diffère donc radicalement de la vision historiciste et progressiste de l’art officiel muséifié, historique et actuel dont s’est emparé le marketing d’un art mondialisé, politisé et financiarisé, appelé art contemporain depuis plus de soixante ans et qui demeure, à de rares exceptions, coupé de toute spiritualité. 



Âme disparue. Huile sur toile. 100x120cm. 1997




Le miracle de l'apparition du monde ne se produit pas seulement là, devant de nous à tout instant, mais par un miracle plus grand encore, celui de notre propre apparition, de notre venue incessante à nous-mêmes dans la vie, en et par laquelle le monde apparaît. Or, notre venue incessante à nous-mêmes dans la vie n’est pas de notre fait, car aucun vivant ne s’apporte lui-même dans la vie. Et si nous possédons les pouvoirs de voir, d’entendre, de sentir, de marcher, de penser, de créer et d’aimer etc, nous n’avons pas le pouvoir de nous donner ces pouvoirs. Dès lors, nous devrions humblement reconnaître que tous nos pouvoirs nous sont donnés par une Vie absolue, par un premier Vivant qui possède le pouvoir de se donner la vie et de nous la donner ensuite. Or, la possibilité d’un déni du Don de la vie, de son appropriation par vanité de l’ego suivis de son oubli total, ont dès l’origine habités le cœur des humains. Ce lien rompu avec le Donateur nécessita de sa part la Création d’un lieu de vie et d’un temps donnés pour notre retournement, pour notre éveil, pour la lente reconnaissance de notre naissance immémoriale en la Vie absolue et divine.  

    

Au cours des temps de ce monde, le Vivant n’a cessé de se rappeler à nous à travers de multiples signes, témoignages, apparitions, œuvres d’art miracles et révélations. La plus puissante de ces révélations fut la venue il y a plus de 2000 ans du Vivant en personne, de la Vie absolue et divine, dans un corps comme le nôtre, celui de Jésus de Nazareth, fils de Marie et Fils de Dieu. Par Lui, la révélation de notre naissance en Dieu, celle de son amour et de sa miséricorde nous fut faite comme jamais auparavant ;  par son incarnation, sa passion et sa résurrection la Voie de notre retour à la vraie vie et de notre salut fut ouverte à tous les hommes de bonne volonté. Une Civilisation à vocation universelle naquit de cette révélation inouïe et grâce à elle de très nombreux humains s’engagèrent avec confiance dans la Voie incarnée par le Christ. Ceux là sont sauvés de la mort car ils furent ramenés à la Vie par la Vie même. Les témoignages sont innombrables. Si certains pensent aujourd’hui que cette Civilisation est morte, ils se trompent car la Vie absolue ne peut mourir, elle nait sans cesse d’elle-même, elle est le Commencent éternel qui désire nous ressusciter en Elle.




Le Souffle. Caséine sur toile. 145x180cm. 1993



Avec l’avènement des Temps modernes réapparurent en ce monde les temps du doute, du matérialisme, de la raison calculante, de l’objectivisme et de la négation de la Vie invisible. « La pensée moderne, écrivait Michel Henry en 1996, repose sur la connaissance scientifique et non sur la connaissance que peut avoir l’homme de sa propre essence. Dans le champ ouvert par la science moderne, l’homme en tant que tel n’existe pas, une négation qui équivaut à celle de Dieu - un réductionnisme non voulu par la science mais inévitable et effectif. La défense de l’homme véritable, transcendantal, est la tâche de la philosophie mais la pensée moderne l’a trop oublié. Que reste-t-il de l’homme hors de la Vérité de la Vie, dans la vérité de ce monde qui aujourd’hui est d’une certaine façon l’Anti-Christ et dont l’agir est réduit à la technique, faisant de l’homme un automate ? Toutefois les hommes voudront mourir – mais non la Vie. »  Cette prédiction s’est réalisée sous nos yeux. L’illusion de l’ego de se faire dieu sans Dieu est à son comble, le scientisme se prend pour la nouvelle religion universelle, les puissances financières imaginent que le monde leur appartient, que nos vies, réductibles à des donnés numériques, leur appartiennent, que l’avenir de l’humanité est entre leurs mains, que la disparition de l’homme actuel est inévitable, que l’homme spirituel est obsolète, que le Dieu révélé par le Christ est à abattre, que le seul dieu réel est l’argent virtuel, que la vie éternelle des corps est à portée de leurs mains, que les faibles, les inutiles et les hostiles seront éliminés, que les hommes nouveaux de demain seront augmentés et fabriqués en série comme des robots biologiques, clonés et reclonés à volonté, jetés et ou recyclés selon les besoins. 




 L’Appel ultime. Assemblage. 21x17x15cm. 2010



Face à la disparition programmée de l’homme en tant que tel et à l’apparition de l’homme abject et de l’enfer sur terre, un profond  désespoir s’empare des hommes et de la jeunesse de ce siècle qui éprouvent les sentiments inextricables de mourir de ne pas mourir et de vivre sans vivre réellement ; ce faisant ils peuvent encore toucher en eux le fond abyssal de la Vie, de la Vie absolue qu’ils ont oubliée, mais qui, elle, ne les a jamais oubliés et qui jamais n’a cessé de les aimer. C’est alors que des profondeurs du désespoir humain la Vie peut encore appeler l’homme à la vraie vie, à un retournement vers lui-même pour ressusciter en lui l’espoir de faire de sa disparition programmée par la folie humaine l’apparition en lui de la vérité éternelle. 

Voilà brièvement résumée la situation apocalyptique dans laquelle nous sommes - apocalyptique au sens de révélation, de catastrophe et de mutation qu’évoque le titre de mon exposition, qui s’inscrit dans la vocation de la galerie Grâce et dans le prolongement du combat spirituel des artistes de la véritable Modernité artistique, qui, du XIXe siècle au XXIe siècle, s’opposèrent à la barbarie totalitaire que la modernité portait en elle à son insu depuis le début avec les idéologies dont elle a accouchés : le matérialiste, l’objectiviste, l’athéisme, le capitalisme, le colonialisme, le communisme, l’impérialisme, le nazisme, le fasciste, le scientisme, le trans-humanisme…



 Disparition-Apparition du Crucifié. Objet trouvé. 

14x30x1cm.1982




Les quarante œuvres présentées dans cette exposition, objets, dessins, peintures, sont reproduites dans ce catalogue. Ces œuvres, chacune à leur manière, sont des apparitions de notre disparition et inversement. La première, par exemple, est un objet trouvé en 1982 : un crucifix duquel le crucifié avait disparu, laissant sur la croix une trace qui révèle la fois sa disparition du monde visible et son apparition invisible en chacun de nous. Les arts chrétiens ont pour vocation première de porter à chacun la révélation de sa naissance éternelle en Dieu, de rendre visible la vie l’invisible et de faire connaître ce qui nous est caché depuis la fondation du monde. La voie royale de cet art fut résumée par Beethoven en ces mots simples : « Cela doit venir du cœur pour aller au cœur », car c’est en son cœur, en tant qu’organe spirituel, que tout homme peut connaître en lui le Don de la Vie. Les œuvres rassemblées pour cette exposition sont à recevoir comme des traces, des signes, des appels donnés à mon attention comme il en fut donné de nombreux à d’autres poètes et artistes en ces temps de détresse. 




                                                                       Apparition - Disparition de Marie. 

Mixte sur papier. 70x100cm. 2023




    Ceci me donnant l’occassion de rappeler que nous tous les vivants sommes faits poètes et artistes par le Poète originel, par le Vivant Amour qui nous appelle à vivre dans sa Joie et à L’aimer en tout et en tous. Ecoutons sa Parole vivante, aimante et bienveillante au fond de notre cœur, ou au fond de notre vie phénoménologique radicale et divine, comme la nomment les phénoménologues contemporains, qui se sont levés et se lèveront avec nous contre cette barbarie infernale. Je serais heureux de parler de tout cela et de ces œuvres avec chacun de vous à la galerie Grâce où je serai présent durant toute l’exposition.

Robert Empain

jeudi 28 décembre 2023

Les hommes voudront mourir – mais non la Vie.

Alors que la société planétaire du gaspillage, du divertissement, des offres promotionnelles, des écrans et des mensonges continuels vient de fêter noël encadré par une armée de pauvres types déguisés en pères noël déployés sur tous les points de vente en tant qu'agents au service du marketing international ; alors que les chrétiens célébraient dans le recueillement, la simplicité et l'allégresse la Nativité de Jésus Christ ; Celui-là qui a dit : " Je suis la vérité, la voie et la vie." Et :" En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle." ; et que dans le brouhaha général ces paroles et bien d'autres du Christ demeurent inaudibles au lieu de retenir l'attention des mortels, il n'y a à nos yeux rien de plus urgent que de recentrer l'attention des vivants sur le sens des paroles du Christ et sur la Naissance de cet Enfant divin qui est venu et vient sans cesse nous révéler notre propre Naissance divine pour que par Lui nous l'éprouvions en vérité. Michel Henry (1923-2003) à voué sa vie et son oeuvre de philosophe à dévoiler le sens radical de la vie qui est la notre. En 1996 il publia C'est moi la vérité, Pour une philosophie du christianisme. « Ma phénoménologie de la vie, dit-il, s’est trouvée en présence d’une phénoménologie de la vie, c’est-à-dire de ma propre vérité. J’avais travaillé sur la vie, le moi, le corps subjectif, disons, si l’on veut, la chair. Seulement la phénoménologie que je rencontrais n’était pas une phénoménologie de la chair mais de l’incarnation, n’était pas une phénoménologie du moi mais d’avant le moi. Il s’agissait de savoir comment le moi venait en lui-même. C’est ainsi que j’ai fait ce livre sur le Christianisme qui est en fait un livre de phénoménologie radicale, portant sur ce qui vient avant notre vie mais qui est dans notre vie, une sorte de lecture en arrière, partie à la recherche d’un avant le sujet, d’un avant le moi. Incarnation est un livre sur un « avant la chair ». 

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Nous publions ici la présentation de Michel Henry de cet ouvrage essentiel. Outre son thème central, cet essai précise le rapport de l’individu à l’essence sur les points suivants : la naissance ; l’ipséité -- le soi qui vient dans la vie est-il mon soi ou celui de la vie ?  ; l’agir ; autrui ; le langage. 




Introduction

     Ce que le Christianisme considère comme la vérité diffère du concept moderne de vérité. Un vigoureux préalable méthodologique exclut que la connaissance de celui-ci dépende des textes qui en parlent. Seule la référence du texte à la réalité fait la vérité de celui-ci. Cette vérité ne peut non plus être réduite à la « vérité » problématique de l’histoire, incapable de saisir la réalité des individus et dont l’événement dont elle se veut témoin répète l’impuissance de l’événement à se poser dans l’être. Ces incapacités sont formulées dans le Nouveau Testament qui affirme que seule la Vérité qui est la sienne peut rendre témoignage d’elle-même.

I – La vérité du monde, II – La vérité du Christianisme, III - Cette vérité qui s’appelle la Vie

    Ces chapitres sont conçus de façon antithétique. Est disqualifiée la vérité du monde qui prévaut depuis la Grèce – et que L’Essence de la manifestation avait rudement critiquée : si tout ce qui se montre dans la lumière est tenu pour vrai, c’est le monde qui désigne la vérité et non la façon dont celle-ci se montre, conception portée à l’absolu par la philosophie de la conscience. La vérité du monde n’est en réalité qu’auto production du dehors comme condition de visibilité.
    D’autre part cet au-dehors est pris dans le flux du temps (critique qui vise Heidegger). Soumise à la loi d’apparition des choses, la vérité du monde jette celles-ci hors d’elles-mêmes, les vide de leur chair dans un faire-voir qui est destruction.
    Dans la vérité du Christianisme au contraire la vérité n’a pas à se diviser entre elle-même et ce qu’elle montre. En elle il n’y a ni voir ni vu, elle est matière phénoménologique pure, concerne le fait de se montrer, non le phénomène. Dieu est cette révélation pure qui ne révèle rien d’autre que soi et le Christianisme est donation en partage aux hommes de l’auto-révélation de Dieu.
    Cette auto-révélation se produit dans la vie dont elle constitue l’essence, la vie n’étant rien d’autre que ce qui s’auto-révèle. Cette vie n’est pas dans le monde, elle se tient en soi, s’éprouve sans distance, hors monde, hors pensée, hors rapport conscience-objet, sans différence, condition pour qu’elle s’éprouve. Son mode de révélation est chair d’un pathos, non structure formelle. D’où la première équation du Christianisme : Dieu est Vie, l’essence de la Vie est Dieu. 

    M.H. recense les trois façons contemporaines qui dépouillent la vie de son auto-révélation : 1 - le scientisme actuel, qui laisse de côté la question capitale de l’ipséité et oublie que ce qui en nous voit ou touche, n’est ni l’œil, ni la main, mais la vie. Quant à la biologie, elle ne s’intéresse plus à la vie, bien que le biologiste sache ce qu’elle est, joie, angoisse etc. 2 – la conception de Heidegger qui réduit la manifestation du vivant à son apparition sous forme d’étant dans l’éclaircie du monde. 3 – La déviation du freudisme qui pense que la conscience réside dans la représentation, avec cette conséquence, la vie n’est que force aveugle, inconsciente, source de ravages.
    Antithèse de ces dévalorisations, le Christianisme estime que la Vie est plus que le vivant et qu’elle le précède. Phénoménologiquement, c’est de la Vie transcendantale qu’il faut partir. D’où l’importance de la naissance, de la génération de l’homme comme fils de Dieu et de celle de l’Archi-Fils qui est le premier vivant (archi- vient du grec archè, commencement).

IV – L’auto génération de la Vie comme génération du premier vivant

    Ce chapitre important traite de l’origine et de l’ipséité qui fait l’objet des trois chapitres suivants. Ici il est question de l’ipséité originelle dont L’Essence de la manifestation avait déjà traité.
Pour le Christianisme, il n’y a qu’une seule Vie, agissante, puissance d’engendrement immanente à tout ce qui vit. Elle est l’essence de Dieu lui-même, un Dieu qui n’est pas pensé par l’esprit, comme le croyait Saint Anselme. Le vivant parvient dans la vie en s’identifiant à son auto révélation. La vie n’est pas, le concept d’être est à congédier. Elle advient et ne cesse d’advenir. Elle n’est pas non plus un milieu phénoméno-logique où baigne tout ce qui est vivant, ni un monde intérieur qui serait l’antithèse du monde de l’au-dehors. «Dans l’accomplissement éternel de ce procès, la vie se jette en soi, s’écrase contre soi, s’éprouve soi-même, jouit de soi, produisant sa propre essence». Telle est la dynamique de l’ipséité qui s’effectue comme pathos et constitue «la chair affective» de cette révélation. S’éprouver soi-même signifie éprouver ce qui n’est en sa chair rien d’autre que ce qui l’éprouve. Cette identité de l’éprouvant et de l’éprouvé est l’essence originelle de l’ipséité.
    Le Père est le mouvement que rien ne précède, et dont nul ne connaît le nom. Il engendre éternellement le Fils, ce premier vivant en l’Ipséité originaire duquel le Père s’éprouve lui-même. Comme le Père, le Fils est Logos, Verbe. Sa naissance ne se produit pas à l’intérieur d’une vie préexistante, elle est élément co-constituant du surgissement de la vie. L’engendrement du Père et du Fils ne font qu’un.

V – Phénoménologie du Christ

    La naissance non mondaine du Christ signifie que toute naissance est transcendantale, générée dans la Vie absolue car le vouloir du monde est incapable d’engendrer la vie, il la présuppose. Le Père est «dans les cieux», c’est-à-dire invisible. La Vie n’apparaît dans aucun monde, «Personne n’a jamais vu Dieu». D’où le rejet violent par le Christ de sa généalogie humaine : «Avant qu’Abraham fut, Moi je suis.» Cette conception de la naissance qui fait de l’Archi-Fils un étranger au monde et à sa temporalité propre est cause du drame dont le Christianisme est l’histoire, car dans la vérité du monde le Christ n’est qu’un homme parmi les autres et ce qu’il dit passe pour blasphème.
    Le Prologue de Jean explique la Trinité dans cette perspective d’une phénoménologie de l’invisible : Archi-génération transcendantale de l’Archi-Fils, le Verbe étant l’accomplissement de la révélation, auto-engendrement de la vie qui «se fait chair» sous la forme d’une Ipséité essentielle, celle du Premier Vivant, aussi ancien qu’elle. La proposition, «En lui était la Vie», désigne l’intériorité phénoménologique réciproque du Père et du Fils, ce qui n’existe jamais dans la génération humaine.
    La signification du Christianisme est prise dans une phénoménologie, puisqu’il s’agit de rendre le Père manifeste, révélation qui se fait dans un mouvement sans fin grâce au Fils incarné, le Christ ne disant rien d’autre que ce que dit «Celui qui m’a envoyé». Mais pas plus que le Père, le Fils ne peut se montrer dans le monde en tant que tel. Le système autarcique constitué par la relation de la Vie et du premier vivant signifie qu’il n’est d’accès au Christ que dans la Vie. Le Christianisme n’enseigne rien d’autre que cela et défait la conception de l’homme comme être du monde, il est Fils de Dieu.


Adoration dans la forêt. 1459. Fra Filippo Lippi. 


VI – L’homme en tant que « Fils de Dieu »

    Ce chapitre capital s’attaque à la question très rarement abordée par les philosophes, celle de l’ipséité individuelle.
    Point central du Christianisme, l’homme n’est pas un être du monde, ni au sens réaliste naïf, ni au sens philosophique commun qui voit en l’homme un être doué de raison – appartenance que maintient la religion quand elle le comprend comme un être non pas engendré mais créé, c’est-à-dire tenant ses lois de l’apparaître, confusion que répète la christologie quand elle tente d’expliquer l’union dans le Christ de deux natures hétérogènes, l’une humaine, l’autre divine, alors que le Christ n’a jamais parlé de lui-même comme d’un homme – et que l’homme n’existait pas quand lui, le Christ, a procédé de l’auto-engendrement de la vie.
    En tant que fils de Dieu, l’homme participe aussi de l’essence de la vie. Il doit être pensé à partir du Christ, car la Vie a le même sens pour Dieu, le Christ et l’homme. Or si l’homme est porteur de l’essence divine, en quoi diffère-t-il de Dieu ou du Christ puisqu’il est ce Soi singulier engendré dans l’auto-engendrement de la Vie absolue - c’est-à-dire cette épreuve qui est ipséité ?
    Il faut donc distinguer deux concepts de l’auto-affection – affection signifiant manifestation, ce qui se donne
à moi dans mon expérience. Il y a auto-affection quand ce qui affecte est le même que ce qui est auto-affecté, ie. quand la vie constitue elle-même le contenu de son affection (cf. § 31 L’Essence de la manifestation). L’auto-affection est donc acosmique, mais il faut dissocier les modalités du moi transcendantal vivant, l’Archi-Fils et l’essence phénoménologique de cette Vie absolue.
    Il y a donc un concept « fort » d’auto-affection ( naturant) : la génération par soi de la Vie qui définit elle-même le contenu de sa propre affection et se le donne à elle-même. Cette auto-donation qui est auto-révélation est un pathos affectif qui a posé son propre contenu. Cette auto-affection forte est le propre de Dieu.
     Le concept « faible » d’auto-affection est un naturé. En tant que Moi transcendantal vivant, je puise aussi mon essence dans l’auto-affection. Je suis moi-même l’affecté et ce qui affecte, le sujet de l’affection et son contenu, tout est moi, le senti, le touché, le voulu, le désiré, le pensé. Mais cette auto-affection n’est pas mon fait.
    Quel est le rapport de ces deux sens ? Dans le sens faible, le Soi singulier que je suis ne s’éprouve lui-même qu’à l’intérieur du mouvement par lequel la Vie se jette en soi et jouit de soi dans le procès éternel de son auto-affection absolue. D’où, parce que c’est un pathos, la passivité de ce soi singulier que je suis, passif à l’égard de soi parce que passif à l’égard du procès éternel de la vie qui ne cesse de l’engendrer. C’est cette passivité qui fait de ce soi un moi – ipséité qui n’est pas un attribut métaphysique posé sur la pensée. Cette passivité engendre des modalités pathétiques comme l’angoisse, angoisse qui tente de se fuir. Ecrasée sous son propre poids, elle tente de se changer soi-même – principe de toute action - , sa souffrance peut ainsi se métamorphoser en joie.
    Intermédiaire entre Dieu et l’homme, mais consubstantiel au Père, le Christ appartient au procès fort . Le rapport de l’homme transcendantal à Dieu n’est pas direct mais médié par le Christ : grâce à l’Ipséité de ce premier Soi, la place est ouverte à tout vivant, son ipséité est possible. Fils de Dieu, le vivant ne peut l’être qu’en tant que Fils dans le Fils.


Les Mages à l'approche de la Lumière de la Vie.
80x120 cm. Robert Empain 2022


VII – L’homme en tant que « Fils dans le Fils »

    Le statut de l’ipséité individuelle, auto-affection « faible », est métaphoriquement exposé dans la parabole, relatée par Jean, du berger et de ses brebis : c’est dans l’Ipséité originaire du Fils, par une relation d’engendrement acosmique et intemporelle, que chaque homme puise son ipséité personnelle. Le Christ n’est pas seulement le medium entre l’homme et Dieu, il est le medium entre chaque moi et lui-même, conférant à ce moi une concrétude phénoménologique, une chair. Aussi « le berger » connaît-il le nom de chacune de ses brebis, il est la porte, ie. « l’accès à tout moi transcendantal réside dans une Ipséité plus ancienne que lui », Ipséité qui est l’herbe que paissent les brebis, c’est-à-dire que chaque moi s’accroît de lui-même.
    Ce processus a une conséquence capitale : la relation des vivants entre eux n’est plus dans l’extériorité du monde mais dans l’archi-génération de la Vie : il est impossible de parvenir jusqu’à l’autre, de l’atteindre, sinon à travers le Christ, de le frapper sans frapper celui-ci. Or le voleur qui, dans la parabole, s’approprie ce qui ne lui appartient pas, le possède quand même : quoi qu’il fasse, tout moi fait usage d’une ipséité dans le pouvoir de laquelle il n’entre pour rien. Aussi les ouvriers de la onzième heure seront-ils payés de la même façon que ceux qui ont travaillé tout le jour.
    L’extrême originalité de la pensée chrétienne de l’Individu est d’avoir d’entrée de jeu lié la conception de l’Individu avec la Vie, relation qui est dans la Vie dont elle est l’engendrement constant. Son ipséité est pour chacun la condition essentielle de son identification à la Vie universelle donnée en sa chair phénoménologique. Tout soi est singulier. « L’homme naturel » n’existe pas, ce qui individualise n’est nulle part dans l’au-dehors. Priorité de l’essence : « C’est moi qui vous ai choisis ».

VIII – L’oubli par l’homme de sa condition de Fils : « Moi, je » ; « Moi, ego »
(Chapitre capital pour le statut du sujet)

    Pourquoi les hommes sont-ils si malheureux en dépit de leur ascendant ? Or c’est justement à partir de l’ipséité que s’éclaire l’oubli. L’ignorance de l’homme s’enracine dans le procès même en lequel la vie génère en
soi le moi de tout vivant. C’est dans la naissance du moi que se tient la raison cachée de l’oubli. S’éprouvant passivement sur le fond de cette Ipséité originelle de la Vie qui le donne à lui-même, le moi se trouve être plus que ce qui se désigne comme un moi : entrant en possession de lui-même, il entre en possession de pouvoirs (du corps, de l’esprit), il peut les exercer. Car le « je peux » ne fait que définir l’essence du « je ». Toutefois ce « je » n’y est pour rien, la source des pouvoirs est le Soi de l’Archi-Fils.
     Une fois entré en possession de son être propre, le « je » se sent libre de déployer tel de ses pouvoirs. De passif originairement, l’ego devient actif - et libre parce qu’il n’est rien du monde, son Ipséité n’appartenant qu’à la Vie. Ainsi naît l’illusion transcendantale de l’ego qui se prend pour le fondement de son être, oublie sa condition de Fils. Celui qui soulève un poids croit que c’est lui qui le soulève… et le don des pouvoirs est réel.
    De plus, la dissimulation de la Vie invisible dans l’ego lui ouvre l’espace du monde, l’ego ne s’intéresse qu’à ce qui est hors de lui – même s’il ne se soucie en réalité que de lui-même. L’égoïsme transcendantal lui fait oublier sa condition et l’emplit de ce Souci que le Christianisme nomme convoitise.
    Il est toutefois une cause plus essentielle de l’oubli : incapable de prendre place devant son propre regard, la Vie est sans mémoire, elle est l’Immémorial parce que jamais séparée de soi par une intentionnalité. Il faut rejeter les conceptions classiques qui fondent sur la mémoire les possibilités du moi : la mémoire détruit l’essence de la vie, déploie l’écart de la distance du passé. Le Soi n’est possible que radicalement immanent, sans visage.
    C’est ainsi que l’oubli par l’homme de la condition de Fils n’est pas un argument contre celle-ci mais sa conséquence et sa preuve. Il y a donc deux oublis : bien qu’oubliant le Soi qui l’installe en lui-même, l’ego n’en est pas moins immergé en lui-même à son insu. Le second oubli porte sur ce qui est advenu avant qu’on soit, l’antécédence de la Vie, l’Immémorial absolu.

IX – La seconde naissance

    Le salut pour le Christianisme est de surmonter cet oubli radical, ie. de naître une seconde fois, mais ce salut ne relève ni du savoir ni d’une prise de conscience libératrice. Les preuves de l’existence de Dieu (Saint Anselme etc.) sont absurdes : se constituer en tribunal et alors que l’essence de Dieu est sa présence invisible, son auto-révélation originelle, le soumettre à une preuve sous la lumière du monde. D’accès au vivant, il n’est que dans la vie.
    D’où l’aporie : comment l’homme peut-il atteindre l’Avant absolu de l’auto-engendrement de la vie en laquelle il est engendré ?
    A la différence de la philosophie classique où le temps est identifié au surgissement phénoménologique du monde, la temporalité du Christianisme permet de saisir la relation de notre naissance à l’Avant qui la précède : le rapport à l’Avant n’est pas distance mais pathos. Ce rapport est chair de la vie qui est mouvement, venue en soi qui ne se sépare jamais de soi.
    La relation du vivant à la Vie ne peut donc se rompre, comme le montre la parabole du Fils prodigue. Certes celui-ci avait oublié. Mais l’immanence de la Vie absolue dans la vie singulière de l’ego fait qu’une seconde naissance peut s’accomplir en faveur d’une autotransformation de la vie selon ses lois propres : elle consiste dans un faire, l’éthique chrétienne refusant l’ordre de la parole et de la connaissance. Ce faire est retour à l’auto-engendrement de la vie, conformément à la volonté du Père. Dieu est vie, le Soi vivant laisse la vie s’accomplir en lui comme la vie de Dieu lui-même. Seuls les actes comptent, comme celui du Bon Samaritain ou des œuvres de miséricorde.
Le salut est une seconde naissance, entrée dans une vie nouvelle, le « Je peux » étant donné par la Vie. Cet agir de miséricorde repose sur l’oubli de soi, parce que l’ego y est reconduit au pouvoir de la Vie absolue qui le donne à lui-même. Dans ce nouvel agir, le soi retrouve la puissance dont il est né – l’agir mondain de l’ego est remplacé par l’agir originel de la Vie.

X – L’éthique chrétienne XI – Les paradoxes du Christianisme

    Ce chapitre X définit le principe de cette éthique, à la lumière duquel sont ensuite expliquées les affirmations paradoxales du Christianisme qui déterminent la possibilité d’une seconde naissance. Celle-ci implique un faire qui n’a rien à voir avec la réalisation objective d’un projet subjectif mais où réalité et action se situent dans l’auto transformation pathétique de la vie, un agir transcendantal qui n’obéit qu’à la donation à soi de la Vie absolue. La Loi nouvelle n’est plus une norme idéale, extérieure, son Commandement est la Vie, condition d’accomplissement pour l’homme de son essence – ce que Jean appelle amour de Dieu. Loin de résulter du Commandement, l’amour en est la présupposition – à l’inverse de la morale du devoir kantien.
    C’est à partir des écrits de Jean et des Béatitudes que doivent se lire les intuitions fondatrices qui en rendent intelligibles les paradoxes car elle réfèrent à la structure interne de la vie( chap. XI) :
1 – La duplicité de l’apparaître : tout se montre à nous de deux façons, de même que notre corps. Il y a d’un côté la vérité pathétique et inextatique de la Vie, de l’autre l’horizon de visibilité du monde, sa vérité extatique. Cette coexistence peut donner lieu à un comportement comme la feinte de l’hypocrisie qui joue sur cette duplicité que démasque le Christianisme en renversant une connaissance rationnelle fondée sur la perception : « ceux qui n’ont pas la connaissance n’entreront pas au royaume de Dieu ».
2 – L’intuition de la structure antinomique de la vie, qu’expriment les paradoxes des Béatitudes. « Heureux ceux qui souffrent » exprime la co-appartenance originelle du souffrir et du jouir, la réversibilité du premier dans le second, un se subir soi-même qui est en même temps entrée en possession de soi. C’est cette structure réversible du pathos qui fonde le sens des Béatitudes, car la plénitude de la vie - « malheur aux riches » - peut céder la place au Désir qu’aucun objet ne viendra combler.
3 – Différence qui sépare la Vie du vivant : la malédiction, « malheur à vous qui êtes repus » s’adresse à ceux qui, oubliant leur condition, éprouvent la vie comme leur bien propre. Car il y a la Faim, la grande Déchirure, « ce manque terrifiant en chaque ego de ce qui le donne à lui-même », que seule peut apaiser la Vie absolue dans la seconde naissance.
4 – Situation aporétique : la différence entre l’auto-affection de la Vie absolue qui s’apporte elle-même en soi et celle de l’ego, donné à lui-même sans y être pour rien et qui est « submergé par l’hyperpuissance de la vie », parce qu’en fait il n’y a qu’une auto-affection, celle de la Vie absolue. D’où la situation paradoxale de l’ego qui n’existe point par soi : « Celui qui aura trouvé la vie pour lui la perdra et celui qui aura perdu la vie à cause de moi la trouvera »

XII – La Parole de Dieu. Les Ecritures

    Ce chapitre revient sur ce qui a été écarté au début – fiabilité des textes du Nouveau testament, histoire etc. – et traite de ce dernier paradoxe : les Ecritures revendiquant la transmission de la Parole de Dieu, comment surmonter la carence ontologique du langage ? En réalité, il faut distinguer la parole humaine de cette autre Parole qui ne comprend ni signifiant ni signifié, ne vient pas d’un locuteur, est antérieure à tout interlocuteur et qui nous permet de comprendre les Ecritures. Car la parole humaine doit prendre appui sur le langage qui ne peut dire la chose que s’il la donne à voir, relève de la vérité du monde et crée un écart avec ce qu’il désigne. Cette parole est incapable de nous mettre en rapport avec la Vie qui ne se montre dans aucun dehors, exclut l’irréalité et ne connaît que la plénitude du vivre.
    Comment la Parole divine révèle-t-elle et que dit-elle ? Elle est Logos de Vie, se révèle elle-même dans sa phénoménalité pathétique et ne révèle rien d’autre. Elle ne soutient aucune référence aux choses de ce monde, elle n’est pas action mais génération qui est auto-génération. Elle parle au commencement dans ce Logos qui est auto-révélation comme Parole. Elle est amour et dit à chaque vivant sa propre vie, « j’entends à jamais le bruit de ma naissance ». Car ce n’est pas la Parole des Ecritures qui nous donne à entendre la Parole de la Vie, c’est elle en nous engendrant qui réalise sa propre vérité.
    Pourquoi le Christ a-t-il dit cela dans une parole d’homme ? A cause de l’oubli par ce dernier de la condition de Fils, car l’essence phénoménologique de la vie « est le plus grand Oubli, l’Immémorial auquel aucune pensée ne conduit [ ]Seul le Dieu peut nous faire croire en lui, mais il habite notre propre chair.. »


Marie Mère de Dieu. 190x190 cm. 2020. Robert Empain


XIII – Le Christianisme et le monde

    L’objection majeure faite au Christianisme de détourner l’homme de ce monde est ici balayée. Ce reproche a été notamment formulé par le jeune Hegel avec sa critique de « la belle âme » qui brise la réalité en un invisible qui est pur vide, opposé à la réalité visible. C’est oublier que le Christianisme n’a rien de vaporeux, la seule réalité pour lui est la vie. Et c’est parce que la vie est invisible que la réalité l’est également : faim, souffrance, plaisir, angoisse, ennui, ivresse s’éprouvent hors monde. L’éthique chrétienne se fonde sur l’agir qui constitue l’action effective, non un processus objectif mais un « je peux » individuel, édifiant dans l’invisible. Loin de méconnaître la vérité du monde, le Christianisme la circonscrit. Il constitue la voie d’accès qui conduit à ce qui est réel dans le monde et qui ne doit rien à l’apparaître de celui-ci. M.H. cite à l’appui l’analyse de Marx sur le travail vivant, invisible, subjectif, individuel, qui fait la preuve de l’invisibilité de la vie.
    Quant à la question d’autrui, elle doit être également soustraite à cette erreur : concevoir le rapport à autrui comme rapport à un être situé dans le monde, individu empirique porteur de caractères mondains. Autrui est un autre moi, il est Fils de Dieu et sa généalogie humaine n’a pas lieu d’être. L’autodonation de la Vie est identique en chacun. La relation à un moi quelconque présuppose notre relation avec le pouvoir qui l’a joint à lui-même. Avec cette conséquence pour l’éthique : aimer Dieu, aimer le prochain comme soi-même.
Car c’est une erreur de la philosophie moderne de penser la relation à autrui à partir de l’ego que je suis : il faut partir de la possibilité des « ego » en général, celle d’un Soi transcendantal tenant son ipséité de l’Ipséité de la Vie absolue, la relation entre les « ego » doit le céder à la relation entre les Fils, la Vie est être-en-commun.

Conclusion : Le Christianisme et le monde moderne

    La pensée moderne repose sur le renforcement de l’approche traditionnelle selon laquelle l’homme est lié à la connaissance que nous pouvons en avoir, connaissance conçue comme scientifique et non comme accès de l’homme à sa propre essence. Dans le champ ouvert par la science moderne, l’homme en tant que tel n’existe pas, négation qui équivaut à celle de Dieu - réductionnisme non voulu par la science mais inévitable et effectif.
    La défense de l’homme véritable, transcendantal, est la tâche de la philosophie mais la pensée moderne l’a trop oublié. Que reste-t-il de l’homme hors de la Vérité de la Vie, dans la vérité du monde, ce monde qui aujourd’hui est d’une certaine façon l’Anti-Christ et dont l’agir est réduit à la technique, faisant de l’homme un automate ?
    Toutefois « les hommes voudront mourir – mais non la Vie. »

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Textes : Chapeau Robert Empain 2023  ; Article : Michel Henry, 1996