jeudi 24 décembre 2020

Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle : aujourd'hui, il vous est né un Sauveur.

Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée !

 

Hermann et Jan de Limbourg. l’Annonce faite aux bergers.
Manuscrit pleine page des « Très Riches Heures du duc de Berry ».
Cahier des Heures de la Vierge. 1411-16.
Chantilly, Musée Condé.

 

Evangile selon saint Luc 

1

1 Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, 2 suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement et sont devenus des ministres de la parole, 3 il m'a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer par écrit d'une manière suivie, excellent Théophile, 4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.

5 Du temps d'Hérode, roi de Judée, il y avait un sacrificateur, nommé Zacharie, de la classe d'Abia; sa femme était d'entre les filles d'Aaron, et s'appelait Elisabeth. 6 Tous deux étaient justes devant Dieu, observant d'une manière irréprochable tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur. 7 Ils n'avaient point d'enfants, parce qu'Elisabeth était stérile; et ils étaient l'un et l'autre avancés en âge. 8 Or, pendant qu'il s'acquittait de ses fonctions devant Dieu, selon le tour de sa classe, 9 il fut appelé par le sort, d'après la règle du sacerdoce, à entrer dans le temple du Seigneur pour offrir le parfum. 10 Toute la multitude du peuple était dehors en prière, à l'heure du parfum. 11 Alors un ange du Seigneur apparut à Zacharie, et se tint debout à droite de l'autel des parfums. 12 Zacharie fut troublé en le voyant, et la frayeur s'empara de lui. 13 Mais l'ange lui dit: Ne crains point, Zacharie; car ta prière a été exaucée. Ta femme Elisabeth t'enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. 14 Il sera pour toi un sujet de joie et d'allégresse, et plusieurs se réjouiront de sa naissance. 15 Car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère; 16 il ramènera plusieurs des fils d'Israël au Seigneur, leur Dieu; 17 il marchera devant Dieu avec l'esprit et la puissance d'Elie, pour ramener les coeurs des pères vers les enfants, et les rebelles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple bien disposé. 18 Zacharie dit à l'ange: A quoi reconnaîtrai-je cela? Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge. 19 L'ange lui répondit: Je suis Gabriel, je me tiens devant Dieu; j'ai été envoyé pour te parler, et pour t'annoncer cette bonne nouvelle. 20 Et voici, tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu'au jour où ces choses arriveront, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps. 21 Cependant, le peuple attendait Zacharie, s'étonnant de ce qu'il restait si longtemps dans le temple. 22 Quand il sortit, il ne put leur parler, et ils comprirent qu'il avait eu une vision dans le temple; il leur faisait des signes, et il resta muet. 23 Lorsque ses jours de service furent écoulés, il s'en alla chez lui.

24 Quelque temps après, Elisabeth, sa femme, devint enceinte. Elle se cacha pendant cinq mois disant: 25 C'est la grâce que le Seigneur m'a faite, quand il a jeté les yeux sur moi pour ôter mon opprobre parmi les hommes. 26 Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, 27 auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. 28 L'ange entra chez elle, et dit: Je te salue, toi à qui une grâce a été faite; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. 30 L'ange lui dit: Ne crains point, Marie; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il règnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n'aura point de fin. 34 Marie dit à l'ange: Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? 35 L'ange lui répondit: Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu.  

36Voici, Elisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37 car rien n'est impossible à Dieu. 38 Marie dit: Je suis la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon ta parole! Et l'ange la quitta. 39 Dans ce même temps, Marie se leva, et s'en alla en hâte vers les montagnes, dans une ville de Juda. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Elisabeth. 41 Dès qu'Elisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. 42 Elle s'écria d'une voix forte: Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni. 43 Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi? 44 Car voici, aussitôt que la voix de ta salutation a frappé mon oreille, l'enfant a tressailli d'allégresse dans mon sein. 45 Heureuse celle qui a cru, parce que les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur auront leur accomplissement. 46Et Marie dit: Mon âme exalte le Seigneur, 47 Et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur, 48 Parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Car voici, désormais toutes les générations me diront bienheureuse, 49 Parce que le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint, 50 Et sa miséricorde s'étend d'âge en âge Sur ceux qui le craignent. 51 Il a déployé la force de son bras; Il a dispersé ceux qui avaient dans le coeur des pensées orgueilleuses. 52 Il a renversé les puissants de leurs trônes, Et il a élevé les humbles. 53 Il a rassasié de biens les affamés, Et il a renvoyé les riches à vide. 54 Il a secouru Israël, son serviteur, Et il s'est souvenu de sa miséricorde, 55 Comme il l'avait dit à nos pères, -Envers Abraham et sa postérité pour toujours. 56 Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois. Puis elle retourna chez elle. 

57 Le temps où Elisabeth devait accoucher arriva, et elle enfanta un fils. 58 Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait fait éclater envers elle sa miséricorde, et ils se réjouirent avec elle. 59 Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l'enfant, et ils l'appelaient Zacharie, du nom de son père. 60 Mais sa mère prit la parole, et dit: Non, il sera appelé Jean. 61 Ils lui dirent: Il n'y a dans ta parenté personne qui soit appelé de ce nom. 62 Et ils firent des signes à son père pour savoir comment il voulait qu'on l'appelle. 63 Zacharie demanda des tablettes, et il écrivit: Jean est son nom. Et tous furent dans l'étonnement. 64 Au même instant, sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia, et il parlait, bénissant Dieu. 65 La crainte s'empara de tous les habitants d'alentour, et, dans toutes les montagnes de la Judée, on s'entretenait de toutes ces choses. 66 Tous ceux qui les apprirent les gardèrent dans leur coeur, en disant: Que sera donc cet enfant? Et la main du Seigneur était avec lui. 

67 Zacharie, son père, fut rempli du Saint-Esprit, et il prophétisa, en ces mots: 68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, De ce qu'il a visité et racheté son peuple, 69 Et nous a suscité un puissant Sauveur Dans la maison de David, son serviteur, 70 Comme il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens, - 71 Un Sauveur qui nous délivre de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent! 72 C'est ainsi qu'il manifeste sa miséricorde envers nos pères, Et se souvient de sa sainte alliance, 73 Selon le serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père, 74 De nous permettre, après que nous serions délivrés de la main de nos ennemis, De le servir sans crainte, 75 En marchant devant lui dans la sainteté et dans la justice tous les jours de notre vie. 75 Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; Car tu marcheras devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies, 77 Afin de donner à son peuple la connaissance du salut Par le pardon de ses péchés, 78 Grâce aux entrailles de la miséricorde de notre Dieu, En vertu de laquelle le soleil levant nous a visités d'en haut, 79 Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, Pour diriger nos pas dans le chemin de la paix.

80 Or, l'enfant croissait, et se fortifiait en esprit. Et il demeura dans les déserts, jusqu'au jour où il se présenta devant Israël.

Luc 2

1 En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. 2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David, 5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. 6 Pendant qu'ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, 7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l'emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie.

8 Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. 9 Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d'eux. Ils furent saisis d'une grande frayeur. 10 Mais l'ange leur dit: Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie: 11 C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. 12 Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. 13 Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, louant Dieu et disant:

14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée!

Andrea Mantegna. L’ Adoration des bergers. Vers 1455-1456.
New York. Metropolitan Museum of Art.



15 Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres: Allons jusqu'à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. 16 Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. 17 Après l'avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. 18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l'étonnement de ce que leur disaient les bergers. 19 Marie gardait toutes ces choses, et les repassait dans son coeur. 20 Et les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, et qui était conforme à ce qui leur avait été annoncé.

21 Le huitième jour, auquel l'enfant devait être circoncis, étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus, nom qu'avait indiqué l'ange avant qu'il fût conçu dans le sein de sa mère.

22 Et, quand les jours de leur purification furent accomplis, selon la loi de Moïse, Joseph et Marie le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur, - 23 suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur: Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur, - 24 et pour offrir en sacrifice deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, comme cela est prescrit dans la loi du Seigneur.

25 Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël, et l'Esprit-Saint était sur lui. 26 Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. 27 Il vint au temple, poussé par l'Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu'ordonnait la loi, 28 il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit:

29 Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S'en aller en paix, selon ta parole. 30 Car mes yeux ont vu ton salut, 31 Salut que tu as préparé devant tous les peuples, 32 Lumière pour éclairer les nations, Et gloire d'Israël, ton peuple.

33 Son père et sa mère étaient dans l'admiration des choses qu'on disait de lui. 34 Siméon les bénit, et dit à Marie, sa mère: Voici, cet enfant est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël, et à devenir un signe qui provoquera la contradiction, 35 et à toi-même une épée te transpercera l'âme, afin que les pensées de beaucoup de coeurs soient dévoilées.

36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge, et elle avait vécu sept ans avec son mari depuis sa virginité. 37 Restée veuve, et âgée de quatre vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le temple, et elle servait Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière. 38 Etant survenue, elle aussi, à cette même heure, elle louait Dieu, et elle parlait de Jésus à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

39 Lorsqu'ils eurent accompli tout ce qu'ordonnait la loi du Seigneur, Joseph et Marie retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville. 40 Or, l'enfant croissait et se fortifiait. Il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.


Le Greco. Adoration des bergers. 1612-1614.
Le Prado.


lundi 7 décembre 2020

Au coeur du Sujet, la Vie.

Grâce et expositions : Au Coeur du Sujet - 2006

 Espace Grâce Bruxelles

En octobre 2006, quatre artistes du groupe Grâce, composé alors de Saskia Weyts, d'Yvon Mouster, de Philippe Pavageau et de Robert Empain,  présentaient à Bruxelles une exposition intitulée « Au Cœur du Sujet ». Nous disions alors ce que nous n'avons cessé de dire depuis : ce qui est au coeur de chaque homme c'est un Désir qui le veut en vie, non pas pour la mort comme le pensait Martin Heidegger et ses suiveurs aveugles, mais pour la vie infinie. Ce Désir est celui de la Vie absolue - Dieu - qui nous donne sa vie en espérant que nous la recevions et que nous l'aimions en nous-mêmes et en chaque vivant. Nous disions encore que la Vie, l'Amour et la Lumière sont les Noms de Dieu et que l'art peut encore ouvrir nos coeurs à ce Désir infini et nous apprendre de quelle chair éternelle notre âme est faite. Nous voulions aussi rendre hommage aux peintres Paul Cézanne et Vassily Kandinsky, au poète Arthur Rimbaud et au philosophe Michel Henry qui nous ont aidés à comprendre ces choses. Je publie ici le texte de l'Appel à participer à cette exposition que j'avais lancé à quelques artistes en 2006, car il peut nourrir notre réflexion aujourd'hui alors que la peur de la mort pétrifie plus durement que jamais des coeurs humains fermés à la vraie Vie.
 

Je suis la Vie, huile sur velours 2006. Robert Empain

 

Paul Cézanne :  «Il faut se dépêcher si l’on veut encore voir quelque chose, car les choses sont en train de disparaître.»  

Or, la disparition a eu lieu. Comment et où les «choses» ont-elles disparu ?  Elles ont disparu dans les écrans et les images, elles ont disparu de notre capacité de les voir, elles ont disparu de l’art lui même.  Cette disparition se nomme Barbarie, Science, Technique, Spectacle, Marché, Musée…La suite est en cours : l’homme - pensé comme un objet parmi les objets du monde - est en train de disparaître.  



Corps subjectif de Wassily Kandinsky, technique mixte sur toile, 2006. Robert Empain

 


Au cœur du sujet est ta disparition
Pourtant, un seul tableau de Cézanne, un seul poème de Rimbaud - par exemples - sont plus essentiels pour l’homme que des milliards d’images car ils pourraient lui en apprendre beaucoup sur son apparition et sur sa disparition… 

 


Yvon Mouster. Photographies issues d'une série de portraits de défunts déposes sur des tombess. 2006. 


L’art pourrait-il encore nous sauver ?
Une telle possibilité est-elle encore d’actualité pour l’art et ses agents ? Au cœur du sujet il y a cette question : quel art pourrait nous sauver ?  
L’artiste qui espèrerait régénérer une telle possibilité, ne serait-ce que pour lui-même, doit comprendre et affirmer avec force  : L’art, en son essence, est hors du monde, hors du temps, hors de toute époque, hors de ce que nous osons appeler la culture, hors des marchés, hors même du visible, il n’a rien à voir avec les images et les objets, rien à voir avec les idées et les concepts.  Il s’ensuit que l’art ne peut être expliqué par l’histoire de l’art, la science, l’économie, la politique, la sociologie, la psychologie, la sémiologie, la psychanalyse, pas davantage par la technologie, la mode, le musée, les galeries, les médias, la nationalité, l’ethnie, la classe, le pouvoir, la biographie… 

C’est au contraire la prolifération des théories, des explications, des justifications,  l’addition de leurs considérations fragmentaires, hors de son sujet et hors Sujet, qui ont produit la confusion actuelle et détruit la relation vivante à l’art - passé comme présent -  ainsi que son enseignement et sa pratique.  C’est l’essence de l’art qui a été et qui est continuellement annulée par les politiques culturelles, muséales et patrimoniales ; qui est assassinée par les médias et anéantie par la spéculation et l’argent.
Philippe Sollers : « Désormais, les mortels unis par leur seule passion, qui est la mort, n’ont donc qu’une chose à faire, c’est d’éviter  au maximum que se produise parmi eux un trop de bonheur. Le navigateur d’aujourd’hui est plus clandestin que jamais. Il doit recourir à d’autres stratégies et endurer la volonté générale qui consiste à fabriquer du temps pour la mort. » Une visite aux MAC’S SMAK et autres FRAC suffit à le démontrer.

Si l’art n’est pas du monde, pas dans l’histoire, pas dans le visible, pas dans la culture - telle qu’on nous la sert – pas dans les images et ainsi de suite, où est-il ? Quel est son lieu ?



Photographies du poète Philippe Pavageau. 2006


L’art a lieu en toi, dans ta chair, dans ta sensibilité, dans ton cœur, dans ta vie.  « Le cœur est  la définition la plus adéquate de l’homme.» écrit Michel Henry. Ce que tu éprouves dans ta chair, dans ton cœur, c’est la vie. Mais qu’est-ce que la vie ? « La vie est le mouvement invisible et incessant de venir en soi, de s’éprouver soi-même, de s’accroître de soi ; enraciné dans la vie, l’art est une réponse pathétique (un éprouver) que la vie s’efforce d’apporter à l’immense Désir qui la traverse. Et cette réponse, la vie ne peut la trouver qu’en elle-même, dans une sensibilité qui veut sentir davantage, se sentir plus intensément… » écrit Michel Henry. La vie est ainsi la Force invisible (un Flux dira Nietzsche) qui veut toujours s’éprouver plus intensément et s’accroître davantage en nous à chaque instant.  L’art n’a d’autre but que de nous faire ressentir et d’accroître la vie et l’essence de l’art est la sensibilité.  L’essence de l’art Wassily Kandinsky n’a cessé de l’affirmer :  « C’est par la sensibilité seule que l’on parvient à atteindre le vrai dans l’art. »



Saskia Weyts. Regard croisé. Huile sur toile. 2006


La vie et l’art ne s’éprouvent qu’en l’homme, dans sa chair, dans son cœur et jamais dans le monde - car le monde n’éprouve rien.  C’est pourquoi l’art, en son essence sensible qui est la vie elle même, est toujours hors du monde, hors de l’histoire, hors de l’époque, c’est pourquoi il n’a rien à voir avec quoi que ce soit d’objectif, un objet, une matière, un concept, une idée, une image etc. L’art a du sens si il est propagateur de vie, et l’artiste est le passager clandestin du monde qui, contre les forces de négation de la vie, contre la disparition du monde et de l’homme, contre cette époque, affirme et exprime la vie.
Martin Heidegger face à la dévastation du monde a écrit :  « Seul un dieu peut nous sauver » Le seul dieu qui peut nous sauver est pourtant celui que Heidegger avait perdu de vue, il se nomme la Vérité et la Vie. Par lui nous pouvons sortir de cette interminable Saison en enfer et dire enfin avec Arthur Rimbaud  : « …il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » 



Vue de l'exposition Au coeur du Sujet, à l'espace Grâce à Bruxelles


Illustrations : oeuvres de Saskia Weyts, Yvon Mouster, Philippe Pavageau, Robert Empain,  

Texte : Robert Empain