vendredi 30 septembre 2016

Il faut se dépêcher si l’on veut encore voir quelque chose car les choses sont en train de disparaître...


Grâce à vous Paul Cézanne et Robert Campin


Extrait de Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible

par Robert Empain


... Sur le chemin du Musée Granet, où j’espère voir quelques Cézanne, je songe à ce qu'il disait :  « Il faut se dépêcher si l’on veut encore voir quelque chose car les choses sont en train de disparaître.»  
Où les choses allaient-elles disparaître ? Dans les ténèbres du monde : images, idoles, simulacres, écrans... mais aussi de notre faculté de les voir apparaître.


Cézanne sur le motif

Les gens d’Aix n'ont rien vu de son génie, la Ville ne lui a jamais rien acheté. Résultat : aucun tableau de Cézanne n’est exposé ici. Il y a tout juste quelques aquarelles de la Sainte Victoire, mais qui ont été prêtées au Musée !
Dans le témoignage des rares admirateurs qui lui rendirent visite ici à Aix on  lit que lorsqu’il sortait de son atelier des Lauves, pour aller sur le motif, les gamins de rue lui jetaient des cailloux comme au fou du village. Pour ses Baigneuses aucune femme d'Aix ne voulut poser nue, il ne trouva que le facteur pour le faire. Ce sont les fesses musclées et démultipliées de ce brave postier que Cézanne expédie à la postérité. Petite victoire posthume de la peinture et de l’humour sur la stupidité. Une maigre compensation, le Musée Granet, qu’il sera impossible à tout jamais d’appeler Musée Cézanne, offre à l'amateur de fesses nues de caresser celles de Thetis, convenablement peintes par Ingres en 1811, dans une toile monumentale et mythologico-comique : Jupiter et Thetis.



Robert Campin. La Vierge en gloire entre saint Augustin 
et saint Pierre vénérée par un donateur. 1435


Mais, grâce au ciel, voici La Vierge en gloire entre saint Augustin et saint Pierre vénérée par un donateur, un petit panneau de 1435, une miniature à soulever les montagnes, peinte par mon vénérable ami, mon ancêtre, quasi homonyme, Maître de la Flémalle : Robert Campin.
La vision de la Vierge en gloire se produit dans un  jardin clos, retiré du monde, de ses leurres et de ses trafics : le jardin de l'âme. L'âme entre dans ce tableau à l'instant même où le tableau entre dans l'âme. Pour le vivant, qu'il soit croyant ou non, la Parole de Dieu opère sans cesse sans lui demander son avis puisqu'elle lui donne la vie à chaque seconde. Le croyant est celui qui s'en souvient, l'incroyant est celui qui l'oublie et qui en vient à oublier l'avoir oublié ! Seulement, la Parole de Dieu, à la différence de la parole humaine, fait ce qu'elle dit et dit ce qu'elle fait et cela d'un seul mot, d'un seul verbe : sois !  Un Verbe qui inclut tous les verbes et les conjugue à tous les temps et hors du temps. Or voici un peintre mystique, Robert Campin, si pénétré de la Parole divine que ses oeuvres opèrent comme elle, sa peinture fait ce qu'elle peint et peint ce qu'elle fait,  elle peint une vision, une apparition, et elle ouvre l'âme à la vision intérieure.
Le Maître, par souci de ceux qui ont l'âme aveuglée par les mirages du monde,  a parsemé cette opération spirituelle d'un trousseau de clefs symboliques...  Alors, pour t'évader de la nuit de ton oubli il n'y a qu'a suivre l'étoile Robert Campin. Regarde ! Dans son tableau il y a un trou, un trou dans le ciel. Ce trou ouvre le panneau, il troue le mur du monde, en même temps, il perce ton oeil. Il t'appelle. Il te dit approche, viens mon ami, c'est ouvert, c'est troué, viens voir une vision, une merveille, une naissance...  Alors tu y vas. Tu entres. Tu deviens l'homme vêtu de noir agenouillé à l'avant du tableau : le  donateur.  Comme lui, tu t'es donné et tu vas recevoir. Comme lui, tu cherchais la vérité, tu t'es éloigné de la ville splendide, qui n'est que l'oeuvre du Malin, et tu as atteint un petit jardin clos et retiré. Et là, tu es entré en toi même, et en toi même tu es tombé à genoux, tu as ouvert les mains et tu as appelé et tu as imploré saint Pierre de te donner la clef du Paradis, la clef de la vie éternelle. Saint Augustin, que tu n'as jamais prié, ne t'a pas oublié pourtant, il est venu aussi dans ton âme pour te rappeler où se trouve la clef que tu cherches : il te dit la clef est dans ton coeur. Pour t'aider à comprendre il a serré ton coeur dans sa main. Alors tu as ouvert ton coeur et d'un coup le ciel s'est ouvert aussi. Et Saint Pierre te dit vois et tu as vu la vision promise. La Vierge Marie et l'Enfant Jésus t'apparaissent maintenant dans une lumière si éblouissante que tu perçois à peine le trône céleste sur lequel ils sont assis. Ce que tu vois c'est le regard de la Vierge Marie qui traverse les yeux de ton âme et te dit maternellement : - Mon enfant, tu as oublié que connaître veut dire aimer, aimer la Source vivante de toute connaissance, de tout amour et de toute vie ; connaître c'est  reconnaître le Vivant et par Lui renaître à la Vie. A ces mots, elle anime doucement pour toi la rose rouge qu'elle tient dans sa main droite et tu comprends que cette rose est ton propre coeur. L'enfant Jésus qui est assis sur le genoux de sa Mère a vu ton émoi et éclate de rire comme ton petit frère. Si bien que toi aussi tu éclates de rire et tu comprends que cet enfant Jésus, ce nouveau né, ce Fils de Dieu, ce frère, c'est toi ! Alors te montent aux yeux des larmes de joie !
- Pssitt ! Une main me tapote l'épaule et me ramène aux réalités temporelles d'Aix-en-Provence : c'est l'heure de fermeture du Musée me dit un gardien qui n'a rien d'un ange.

À suivre...



Texte extrait de 1985. extrait de Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible. Robert Empain, 
disponible sur Amazon et sur iTunes store et en version papier
 
Illustration : une image du tableau de Robert Campin. Rappel : les tableaux de cette espèce ne sont pas des images