lundi 26 décembre 2022

La couronne légère des fils de Dieu

 

Grâce au Père Abbé Dom Jean PATEAU

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NOËL


MESSE DE MINUIT


Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault

(Fontgombault, le 25 décembre 2022)


Natus est vobis hodie Salvator

Aujourd’hui, un Sauveur vous est né.

(Lc 2,11)


 Chers Frères et Soeurs,


 Mes très chers Fils,


 Un jour, un des aumôniers de la reine Elizabeth II d’Angleterre, rappelée à Dieu il y a quelques mois, fut assez surpris de l’entendre dire qu’elle espérait que le Christ reviendrait sur terre de son vivant. « Pourquoi ? » lui demanda-t-il interloqué. Sa réponse, qui trahit la profondeur de sa vie spirituelle et l’aboutissement d’une réflexion où tous les termes ont été bien pesés, ne se fit pas attendre : « Car j’aimerais tant déposer ma couronne à ses pieds. »




Le 
diptyque de Wilton, 1395-1399. Maître anonyme anglais



 Alors qu’au terme du chant de la généalogie de Notre-Seigneur Jésus-Christ tirée de l’Évangile selon saint Matthieu, nous venons de déposer l’Enfant-Dieu dans la crèche, alors que la surabondante miséricorde venue du Ciel se déverse une nouvelle fois sur l’humanité dans le don de l’Emmanuel, Dieu avec nous, sommes nous prêts à aller à la crèche pour y rencontrer le Sauveur ? Comment y irons-nous ? Y déposerons-nous nos couronnes ? Quelles couronnes ?


 L’introït de la Messe emprunté au psaume second commence par une interrogation : 


Pourquoi ce tumulte des nations, ce vain murmure des peuples ? Les rois de la terre se dressent, les grands se liguent entre eux contre le Seigneur et son Messie.


 Un regard posé sur l’actualité, sur notre terre, sur notre pays, et parfois aussi malheureusement sur nos communautés, sur nos familles, sur les membres de l’Église, révèle tant de haine, tant de colère qui habitent les coeurs.


 Aujourd’hui, force est de constater que les rois de la terre ne sont pas unis… même contre le Seigneur. Le psaume poursuit :


 Celui qui règne dans les cieux s'en amuse, le Seigneur les tourne en dérision ; puis il leur parle avec fureur , et sa colère les épouvante : « Moi, j'ai sacré mon roi sur Sion, ma sainte montagne. »… Je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre tout entière. (v.4-6 ; 8)


 Au milieu du tumulte d’un monde qui ne supporte pas d’avoir un Dieu, si ce n’est ceux qu’il se donne et dont il aime à se rendre esclave, qu’attendons-nous de la visite du Seigneur ?


 Que ferons-nous devant le Christ, seul vrai Roi de l’univers, sinon déposer à ses pieds nos couronnes, couronnes de gloire, couronnes de misère, couronnes dont habituellement nous sommes si fiers, couronnes aussi qui si souvent nous accusent.


 La préface de Noël atteste que nous ne serons pas déçus : Par le mystère de l’incarnation du Verbe, un nouveau rayon de votre splendeur a brillé aux yeux de notre âme, de sorte que, connaissant Dieu sous une forme visible, nous soyons ravis par lui en l’amour des choses invisibles.


Tel est bien le plan de Dieu. Quel contraste entre l’empereur Auguste, qui déplace la population de son empire afin d’en faire le recensement et de satisfaire ainsi vanité, curiosité et appétit de puissance, et le Roi des Cieux qui, lui, se déplace, se fait tout petit enfant, pour venir sauver ceux dont il veut faire ses propres enfants et les ravir dans son amour. Hier, le martyrologe de Noël rappelait ce plan divin : Toto orbe in pace composito Jesus Christus… mundum volens adventu suo piissimo consecrare 

– Le monde étant en paix, Jésus-Christ… voulant sanctifier le monde par sa venue pleine de bonté. Alors que les guerres déchirent nations et familles, beaucoup de gens ne pourront pas communier vraiment à la joie de Noël. Le Seigneur, lui, ne manquera pas de les visiter en voulant consacrer leur souffrance. Il nous appelle à collaborer à son oeuvre, à devenir artisans de paix, de lumière. Lui sait le vrai prix des vies, qu’un jour il rachètera de son propre sang. 


 Bethléem, c’est en hébreu la maison du pain. Là, Dieu se fait chair pour nous donner sa chair. En sa naissance, comme lors de la Cène au soir du Jeudi-Saint, Jésus se fait nourriture. De cette présence, un nouveau rayon de lumière éclaire les coeurs, une grâce particulière éclaire les âmes. Le chrétien se nourrit déjà de la nourriture de l’éternité, du pain du Ciel. A Bethléem, le pain des anges s’est fait le pain des hommes: Panis angelorum fit panis hominum.


 Aussi, tous sont invités à venir à la crèche… même si bien peu répondront à l’appel. Les bergers, veilleurs silencieux dans la nuit, gardiens des troupeaux, seront de ceux-ci. Veilleurs silencieux et gardiens des dons de Dieu, telles sont bien les conditions pour rencontrer le Seigneur à la crèche, lui qui vient inattendu au beau milieu de la nuit, et pour partager la bonne nouvelle de son message au monde. En cette nuit, il faut que quelque chose se taise en nous pour que quelque chose soit entendu.




Les mages à l'approche de la Lumière de la Vie. R.E. 2022



 Dans une lettre adressée à un moine de Solesmes le 16 juillet 1877 Mère Cécile Bruyère évoquait des dispositions que nous pouvons faire nôtres aujourd’hui :


 La patience, la prudence, l’adresse produite par une charité ingénieuse, et surtout le silence feront tout. Jamais je n’avais mieux compris l’importance du media nocte, du « milieu de la nuit ». Dieu vient dans les ténèbres de la vie présente, et dans le silence. C’est une formule qui nous demeure comme une leçon profonde. Vraiment on parle trop et peut-être est-ce l’unique mal. On parle pour le bien, on parle pour médire, on parle pour parler, pour diriger, pour consoler, pour remédier : il en résulte une cacophonie épouvantable avec les meilleurs instruments, car personne ne veut lâcher son air. Eh ! je vous en prie, un peu du « Marie conservait toutes ces choses dans son coeur. » (Mt 25,6). (In Spiritu et Veritate. Adorateurs en Esprit et en Vérité. p.205- 206) Dans quelques instants, et mieux que dans la crèche où nous avons déposé son santon, le Christ en son corps et en son sang sera présent au milieu de nous. Puissions-nous le recevoir comme Marie a su le recevoir.



Prière de Dieu prière de l'Homme. R.E. 2005



 Dans l’audience du 13 juin 1979, le Pape Jean-Paul II citait un poète polonais, Adam Mickiewicz : Je m’entretiens avec toi, qui règnes dans les cieux et en même temps habites en moi… Je m’entretiens avec toi. Les mots me manquent ; ta pensée connaît toutes mes pensées ; tu règnes au loin et tu sers tout près. Tu es roi dans le ciel et dans mon coeur sur la croix. (Entretiens du soir)


 Entrons donc enfin dans la crèche. Déposons la lourde couronne des fils du monde pour recevoir de l’Enfant-Dieu la couronne légère des fils de Dieu. 

Saint et joyeux Noël à tous.

Amen.