vendredi 31 janvier 2025

L'art qui vient

Grâce aux révélations divines

Je n'ai pas terminé la recension et la mise en forme de mes carnets d'artiste des années 1987 à 1997. Ce long travail, une fois terminé, constituera le Tome 2 de Ad Imaginem Dei, sous titré L'œuvre qui vient. Je peux toutefois publier ici le premier chapitre de cet ouvrage, dans le lequel je tire les conséquences de l'ouvrage précédent - Ad Imaginem Dei I L'œuvre invisible - pour esquisser les bases d'un art qui vient et parviendrait à dépasser les réductions historiques opérées par l'histoire de l'art et l'idéologie qui la sous-tend, le modernisme progressiste propre à la pensée technico-scientifique, pour restaurer la véritable vocation de l’art qui est de transcender le temps et l’espace, les apparences, la logique commune, afin de contribuer à la révélation de la Nature divine en tout homme et de favoriser ainsi sa seconde naissance en l’Esprit Vivant de Dieu. De nos jours cette Co-naissance de Dieu est largement occultée et oubliée par l'homme lui-même car ni les sagesses ni les savoirs ni les sciences ni la logique binaire du monde ne peuvent atteindre l’incalculable, l’impensable, l’inconcevable, l'inimaginable dessein de Dieu pour notre humanité : son Amour absolu pour chacun de nous. Cette Co-naissance ne peut nous être donnée que par une seule voie, celle de la Révélation, faite elle-même d'une succession de révélations et de théophanies recueillies dans les Écritures Saintes. Cette Révélation venant à s’accomplir par une théophanie ultime, un acte divin nouveau, distinct des lois de la Création du monde, éclairant toutefois le sens et le but de cette Création : la divination de l’homme par l’incarnation de Dieu en un homme, Jésus de Nazareth, le Messie annoncé par les prophètes dans les Écritures Saintes. Cet Homme Dieu par son incarnation, par ses paroles, ses paraboles, ses gestes, ses miracles, sa mort et sa résurrection, par son Amour absolu, est venu accomplir l’homme voulut par Dieu avant la création du monde. Il nous a fait connaître Dieu comme son Père et Notre Père à tous, nous révélant son dessein immémorial : restaurer la nature divine en la nature humaine et donner aux humains qui accueilleront son Fils, la Vie éternelle en partage.

En quoi et comment les œuvres de l’art véritable, de tous les arts véritables et de tous les temps, plus particulièrement celles de l’art chrétien, participent-elles de la révélation divine ? C’est à cela que j’essayais de répondre à cette époque de ma vie.




 
L'Annonciation par Robert Campin. 1420.
Musées Royaux des Beaux Arts de Bruxelles


AD IMAGINEM DEI  II — L'ŒUVRE QUI VIENT  



1987


Chapitre I 


L'art qui vient

 

Durant ma convalescence chez mes parents l’hiver dernier, je décidai qu’au printemps, guéri de ma pneumonie et revenu à Bruxelles, je lancerai aux artistes un ‘’Appel pour un art à venir’’. Le voici : 


Avec Roublev, Giotto, Cimabue, Fra Angélico, Ucello, Léonard da Vinci, Van Eyck, Memling, De la Pasture, Bosch, Brueghel, Vélasquez, Greco, Goya, Turner, Courbet, Gauguin, Rodin, Van Gogh, Ensor, Braque, Chagall, Picasso, Miro, Kandinsky, Klee, Matisse, Rotko et les milliers d’artistes anonymes et célèbres passés et présents, vouons-nous, nous les artistes d’aujourd’hui, à dévoiler par la mise en œuvre le fait pictural essentiel, c’est-à-dire le phénomène esthétique de la venue de l’invisible dans le visible, de la mise en présence du mystère ou du paradoxe qui se manifeste dans l’avancée d’un retrait, la présence d’une absence, l’apparition d’une disparition, un déchirement de l’âme, tragique et joyeux à la fois, une blessure de lumière selon Braque, un effleurement théophanique dirai-je avec les mystiques, une grâce ineffable, une plaie radieuse nous souriant dans la Nuit, un accueil, une hospitalité divine, un festin de joie, un éclair de louange et de ravissement, une prière conjointe de l’homme et de Dieu, en définitive la révélation de l’incarnation éternelle continuelle du Vivant Amour en chacun de nous ! 


En 1981, avec trois ou quatre créatifs de la publicité, j’avais envoyé un Appel à la profession créative belge qui provoqua dans la quinzaine suivante une Assemblée de plus de trois cents créateurs du secteur, directeurs artistiques, rédacteurs concepteurs, illustrateurs, graphistes, photographes, typographes, cinéastes, réalisateurs, monteurs, ingénieurs du son etc, qui constituèrent en une soirée mémorable The Creative Club of Belgium, un Club dont la vocation était de défendre une certaine éthique et esthétique de la publicité. Naïvement, j’espérais qu'un Appel comparable envoyé à quelques dizaines d’artistes autour de moi rassemblerait une poignée de contestataires du système de l’art contemporain désireux de se regrouper pour agir au nom de cette liberté d’esprit que seul l’Esprit peut donner. Seulement voilà, après quelques coups de sondes auprès d’artistes et écrivains rencontrés ici et là je dûs me rendre cette évidence : aucun d’entre eux ne partageait ma vision spirituelle de l'art ! Il devait bien y en avoir quelques uns pourtant, mais ils sont aussi invisibles que moi sur la scène artistique belge. Il me fallait reporter à plus tard la formation éventuelle d’un groupe d’artistes orientés vers l’art spirituel et faire de mon Appel une Prière pour un art à venir ! Au fil des mois, ma Prière se nourrit de nouvelles rencontres avec cet art sans âge et des leçons reçues des oeuvres de ces artistes du passé qui sont à mes yeux plus contemporains que nos contemporains. 


Dans les pages qui suivent, j’ai rassemblé mes notes sur l’art théophanique, ancien, abstrait, moderne, contemporain et sur l’Incarnation qu’un tel art est susceptible de nous révéler. J’y dénonce l’oubli des fondements et de la véritable vocation de l’art, et j’évoque des artistes de tous les temps qui sont et seront nos alliés dans le combat spirituel que l’art de notre temps doit poursuivre contre le nihilisme et l’idolâtrie.


L’art théophanique

Seul véridique, seul vivant et seul nécessaire, l’art théophanique a été mis en œuvre à divers degrés de présence par les artistes de tous les temps. En Occident chrétien, il se développa au Moyen-Age et culmina aux XIVe et XVe siècles pour se perdre à la Renaissance et sombrer pendant quelques siècles dans l’art mondain, l’imitation stérile des apparences, la représentation vaniteuse des puissants et des pontifiants, dans la propagande historique, l’imagerie religieuse ou idéologique pour s’éteindre à jamais dans la décoration d’intérieur. À l’exception de quelques génies comme Brueghel, Bosch, Dürer, Titien, Vélasquez, El Greco, Vermeer, Goya, Turner Courbet, Cézanne, Van Gogh, Redon, Ensor, pour ne citer que les plus connus et sans pouvoir nommer les innombrables anonymes, ni oublier les modernes cités précédemment, la plupart des artistes postérieurs à la Renaissance et à son humanisme, se détournèrent de l’intériorité, de la verticalité, de la spiritualité et de sa source vivante et invisible d’où jaillissent ensemble la vie et l’art, pour se tourner vers l’extériorité, l’horizontalité du monde, les apparences, les leurres et les idoles. La plupart des œuvres de ces siècles, aussi habiles que furent leurs auteurs, ne reflètent que la prétention absurde des hommes à se faire dieu sans Dieu et leur penchant jubilatoire à profaner la Création et la vie humaine.  

Cet art borgne, artificiel autant qu’officiel, a garni les murs des palais, des châteaux et des églises avant de remplit les musées et leurs réserves, les catalogues et les magazines. Il est fait d’images talentueuses et spectaculaires et dès lors illusoires et trompeuses. Cet art aussi vide que vain fut adoré par les puissants de ces siècles, rois, princes et courtisans,  banquiers , bourgeois, historiens et artistes à la mode ou à la botte. Des légions d’idolâtres se vénérèrent ainsi eux-mêmes dans des œuvres creuses ou subjuguantes qui occultaient et reniaient la vocation de l’art qui consiste à révéler aux humains ceux qu’ils sont en vérité : non pas des images ou des choses, mais des personnes uniques et irremplaçables faites à l’Image du l’Unique, des vivants faites à l’Image du Dieu Vivant pour leur libre ressemblance à son Amour.


Sauf exceptions remarquables, l’inspiration spirituelle de l’art ne fut retrouvée qu’au XIXe siècle par les précurseurs de la modernité artistique - idéalistes, romantiques, symbolistes, premiers modernes. Si ces artistes ne parlaient guère d’art théophanique, c’est qu’il valait mieux le taire et laisser les œuvres en parler d’elles-mêmes et témoigner de l’Esprit créateur à l’œuvre en elles comme  dans les arts du passé, arts premiers, arts antiques, arts primitifs, voire arts populaires dont souvent elles s’inspiraient. Les œuvres de ces artistes oubliés, méprisés, maudits ou anonymes que les borgnes précités avaient qualifiés de grossiers et de sauvages en raison de leur prétendues maladresse, de leur ignorance de la perspective et de la ronde bosse. C’est par eux pourtant que l’Esprit vivant refit son apparition dans les œuvres de Turner, Courbet, Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Rodin, Redon, Ensor et de bien d’autres voyants qui ouvrirent la voie à Kandinsky, Picasso, Matisse, Miro, Rouault, Chagall, Klee, Rotko et à quelques autres par la suite. 


A leurs débuts, les artistes de la modernité artistique, reconnus et aimés par beaucoup aujourd’hui, furent autant controversés que les primitifs. Rejetés dans la marge et condamnés à la misère ils ne furent reconnus que par la génération suivante d’artistes. Cette reconnaissance éveilla la convoitise des renifleurs de bonnes affaires et fit monter les prix au point que ces œuvres furent rapidement pétrifiées par l’œil mauvais de la cupidité et de l’idolâtrie qui de tout temps cherche à recouvrir toute grâce en ce monde.

 

De nos jours, cette tendance morbide et cyclique a été poussée à l’extrême. Le terme théophanie est inconnu ou incongru dans les milieux de l’art contemporain. L’art spirituel est congédié, moqué, abusé, relégué aux oubliettes. Les thèmes religieux ne sont abordés que pour être récupérés et souillés dans des œuvres sacrilèges et scandaleuses aussitôt exhibées dans les media, célébrées par les marchands et les institutions qui, athées par principe, sont friands de profanations faciles et de scandales juteux. 

Bref, imposteurs, faussaires, voleurs de vies et trafiquants de morts pullulent dans l’air comme dans l’art de ce temps, fascinés qu’ils sont par ce qui seul a de la valeur à leurs yeux : la célébrité, la profanation. Coupés de leurs racines spirituelles ces morts vivants ne risquent guère de voir venir l’art qui vient et qui n’a jamais cessé de venir.


Ainsi en est-il également de la plupart des artistes contemporains, ralliés à la doctrine de la tabula rasa de tout héritage artistique et spirituel du passé, qu’ils considèrent forcément comme dépassé par le progrès accéléré et impératif. Cela n’empêchant pas nombre de ces artistes de répéter ad nauseam et sans y voir l’ombre d’une contradiction, les gestes historiques d’un Marcel Duchamps ou d’un Joseph Beuys dans les officines de l’art officiel. Qu’ils soient peintres, sculpteurs, conceptuels, minimalistes, installationistes, vidéastes, performeurs ou provocateurs, ces artistes vouent leurs vies à la fabrication d’un art officiel contemporain d’appellation contrôlée tout en se voyant mutuellement comme des concurrents sur le marché mondial d’un art d’autant plus convoité qu’il est vide et vain. 

De leur côté, les marchands, petits et grands, jouissent comme jamais du pouvoir pervers de faire et de défaire à leur gré les artistes en se graissant les pattes et les rouages du système. Dans cette production intensive d’œuvres d’art labellisées contemporain, les commissaires d’expositions ont pour mission de valider historiquement ces marchandises artistiques à coups répétés d’expositions muséales et d’épais catalogues. Dans cette machinerie bien rodée, les critiques sont devenus des agents publicitaires qui vantent ce qui se pense, s’expose et se vend en hauts lieux.


Quant aux collectionneurs, spéculateurs et trafiquants, ils s’amusent follement à blanchir l'argent sale du monde dans la machine à laver de l’art contemporain. 


Il en irait tout autrement si les artistes n’écoutaient que leur Nécessité intérieure pour ne délivrer au monde que des œuvres qui leur seraient intérieurement nécessaires. Il en irait tout autrement si les prétendus amateurs d’art aimaient et vivaient les œuvres en vérité. Il en irait tout autrement si les collectionneurs ne possédaient que momentanément des œuvres véridiques, le temps qu’elles fassent leur œuvre en eux, pour les rendre ensuite à tous. Ceux là, si il y en a - je ne peux renoncer à en trouver l’un ou l’autre un jour - se rencontreraient eux-mêmes en vérité en rencontrant ces œuvres véridiques, ils les assimileraient, les incarneraient et se mettraient eux-mêmes à l’œuvre, partageant leurs expériences et multipliant en tous ce que l'art leur donna, et guidant alors autrui de la beauté gratuite à la Lumière des lumières qui peut rejaillir dans la nuit de l’oubli. Tous ainsi rendraient grâce à cette Lumière qui donne la vie et tous vérifieraient la Loi divine qui veut que les humains deviennent librement ce qu’ils aiment : des enfants du Dieu Vivant  ou des possédés du Satan, à savoir du néant !


De l’art théophanique, je parle d’expérience, d’expériences vécues et répétées. Je fus et je suis encore un témoin de ces œuvres, de ces apparitions. Je dis et écris ce que j’ai vu et ce que j’ai vécu. Je parle de vraies rencontres, de mise en présence de la Présence, je parle d’illuminations, d’apparitions et de révélations. Je témoigne de que je ne peux garder pour moi, de ce que je dois absolument dire à tous, à savoir que tout cela vient et advient d’une Puissance invisible, d’un Amour et d’une Beauté absolue que l’on peut nommer Dieu, mais encore la Vie, la Vie vivante en moi et en tous, la Vie en Personne qui se révèle à ceux qui l’appellent et la recueillent, aux artistes dont je parle en l’occurence. Je ne suis donc pas seul à témoigner ni seul à avoir vécu de telles expériences. J’appelle à la rescousse des milliers de témoins : les artistes de tous les temps et leurs œuvres innombrables ne demandent qu’à témoigner, en étant vues, entendues, connues et vécues par tous. 


Parmi ces œuvres puissantes, il y eut d’abord pour moi celles des grands musiciens, russes principalement, qui pétrirent et nourrirent mon âme d’enfant. Celles des peintres ensuite, Jan et Hubert Van Eyck en premier lieu, auteurs de quelques miracles durables comme le Retable de L’Agneau mystique que je pus contempler un long moment à quinze ans dans une chapelle latérale de l’église Saint Bavon de Gand. Peu après, je connus Vasily Kandinsky qui, à l’aube de ce XXe siècle infernal, fut un des rares à parler de Nécessité intérieure, de spirituel dans l’art et du combat que doit mener l’artiste contre lui-même, contre son temps, contre le nihilisme. En 1922, Kandisnky réussit à fuir la folie de la révolution soviétique, à laquelle il crut un moment, pour rejoindre le Bauhaus en Allemagne. En 1933, il fut rattrapé par la fureur des nazis qui voyaient dans son œuvre un modèle de l’art dégénéré. Réfugié à Paris avec son épouse, dans un modeste appartement sur la Seine, il prêcha l’art spirituel dans le désert parisien sans jamais cesser de peindre, jusqu’à sa mort en 1943, quelques chefs d’oeuvres pour une humanité à venir… 


Ces artistes ont changé le cours de ma vie dès mon adolescence. Les Van Eyck en me révélant qu’une œuvre d’art pouvait s’apparenter à une apparition divine et donner lieu à une naissance spirituelle. Et Kandinsky en m’expliquant comment cela était possible. Mieux que quiconque, différemment mais aussi bien que Cézanne, Kandinsky dira la vérité en peinture. Cette vérité, il l’a reçue des peintres d’icônes russes et de ces peintres anonymes qui au nord de la Russie, peignaient de toutes les couleurs, au dehors comme  au dedans, leurs Isbas,  leurs maisons traditionnelles, comme des tableaux, comme des icônes à habiter.


L’icône 

L’art de l’icône fut initié par Jésus Christ lui-même. Au cours de sa Passion le Messie laissa l’empreinte de son visage ensanglanté sur le linge qu’une sainte femme posa sur sa Face alors qu’il portait sa Croix vers le Golgota. Cette image sainte fut nommée Vera Icona et donna son nom à la sainte femme qui la recueillit, Véronique. La Vera Icona - Image vraie, Image acheiropoïète, non faite de main humaine, fut faite par le Fils de Dieu qui laissa l’empreinte de sa Face sur une fine toile. Comme le Christ lui-même, l’art de l’icône et l’art chrétien dans son ensemble ont pour vocation de révéler la Vérité aux hommes. Quelle Vérité ? La Vérité en Personne, la Vérité de la Vie, la Vérité de l’Amour, la Vérité de l’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu.


Or, cette Vérité souvent oubliée ou méconnue, Kandinsky la sentait vivre au fond de lui-même comme au fond de toute âme humaine. Ainsi lui fut-il révélé que l’art a pour haute vocation de révéler cette Vérité au monde et non pas de le tromper et de l’illusionner. Fort de cette révélation, il redécouvrit au début du XXe siècle les fondements spirituels des arts de tous les temps et posa les fondations de l’art révolutionnaire de notre temps, de l'art qui vient, de l'art qu'annonçaient les premiers modernes, de l’art véridique qui dit la vérité éternelle de manière toujours nouvelle et révolutionnaire. Cet art véritable Kandinsky le dira spirituel et matériel, le spirituel en Orient n’étant pas séparé du matériel, Kandinsky le dira abstrait et concret à la fois. 


Abstrait parce que cet art fait abstraction des apparences du monde et des représentations que nous nous en faisons. Abstrait parce que cet art renouvelé se débarrasse des conventions mimétiques, illusionnistes et objectivistes de l’art académique et bourgeois. Concret parce que cet art libéré de l’imitation des apparences se sert des éléments concrets et matériels de la peinture et des arts visuels : les points, les lignes, les formes, les plans, les volumes, les proportions, les couleurs, les supports, leurs nuances, leurs combinaisons, leurs contrastes et leurs harmonies infinies.


Comme la musique se sert de notes, de rythmes, d’accords et d’harmonies, c’est-à-dire de ces pures vibrations de l’air que sont les ondes sonores, la peinture se sert des vibrations de la lumière qui, pénétrant l’espace et la matière, fait apparaître les couleurs et les formes. Les vibrations de l’air et de la lumière qui agissent en toute chose et en tout être créés, les chrétiens d’Orient les nomment les énergies divines. Concrètes et abstraites, matérielles et spirituelles, visibles et invisibles, humaines et divines peuvent être les  œuvres humaines dignes d’être appelées œuvres d’art véridiques. Celles-ci par leurs énergies divines agissent non seulement sur nos corps, touchent nos sens, affectent nos âmes, suscitent en nous émotions et sentiments, mais encore, par l’œuvre de l’Esprit qui inspira leurs auteurs, sont susceptibles d’élever nos cœurs et nos esprits à la révélation de la vérité qui nous précède, à la connaissance du Dieu Vivant qui fait de chacun de nous une Vera icona, une personne unique, belle, bonne et libre capable de se connaître vivant et aimant dans l’Amour du Vivant   


Kandinsky, n’en doutons pas, a reçu cette révélation comme les peintres d’icônes dont il est l’héritier. Dès lors, pour lui tout est régénéré, tout est transfiguré. Tout ce qui se manifeste, tout ce qui apparaît dans la lumière du monde renvoie à l’apparaître antérieur et invisible de la lumière vivante dans l’âme et le cœur humains. Les formes, les couleurs, les sons, les matières, les créatures le cosmos entier, les combinaisons, les harmonies, les motions et les modulations infinies de toutes ces choses créées, sont vécues comme autant de résonances intérieures, d’impressions, d’émotions délicates ou fortes, subtiles ou rudes, plaisantes ou déplaisantes, tristes ou joyeuses, favorables ou défavorables qui nous révèlent notre naissance permanente et potentiellement éternelle dans la Vie divine et l’épreuve de notre séjour  terrestre. Pour Kandinsky le ciel étoilé comme la moindre chose de ce monde vivent en nous et pour nous, tout relèvent et révèlent le miracle continuel dans lequel et par lequel nous apparaissons sur Terre et nous vivons en Dieu. La vocation des œuvres de l’art est de contribuer à sa révélation.

le 20/11

La vérité, la beauté, la bonté d’une œuvre d’art ne dépend donc jamais du sujet mais de la manière dont le sujet est traité par l’artiste qui vit en vérité ce qu’il fait. Vivre c'est sentir en soi la vibration, la sonorité propre à chaque élément mis en œuvre et sa juste et nécessaire résonance avec tous les éléments qui composent l’œuvre accomplie. L’artiste véritable n’obéit jamais à une nécessité extérieure à lui, apparences du monde, conventions académiques, à la mode, besoin de succès, désir de faire scandale, appât du gain etc, Il obéit à la Nécessité intérieure qui n’est autre que la fidélité à lui-même, à l’Esprit qui vit en lui, à la Vie qui ne cesse de lui révéler, pour autant qu’il l’écoute, ce qui est nécessaire à sa propre vie intérieure, ce qui est vrai et beau et bon pour son âme et son élévation spirituelle. 


La Nécessité intérieure est pour Kandinsky le principe souverain de l’art qui vient, d'un art fondé sur une éthique et une esthétique vécues intérieurement comme une Nécessité impérative de la Vie, de l’Esprit créateur à l’œuvre en l’artiste, en tous et en tout.


Les voleurs de vies

L’Image vivante de Dieu, la Vie même dont nous vivons, les hommes n’ont cessé de la voler depuis le commencement du monde pour en jouir seuls, sans la devoir à personne et surtout pas à Dieu. Vivant alors dans l’oubli ou le déni sans plus savoir de qui, par qui ni pour qui de tels hommes vivent terrés et bientôt enterrés dans un trou dans la terre sans jamais avoir imaginé, ou si rarement, que la vie leur fut donnée pour s’accroître et se multiplier spirituellement et que cela ne peut se faire qu’en donnant sa vie mais jamais en la volant. Dans leur folie, comment des tels hommes se souviendraient-il du Vivant Amour qui leur donne de vivre ? Seul, séparé, désemparé, abêti, ils en viennent, comme on le voit partout et depuis toujours, à haïr la vie et à désirer la mort. La vie de l’autre d’abord, l’homme ou la femme, qu’il aura trompé, exploité, abusé, volé, jalousé, méprisé, haït, frappé, voire tué et exterminé. La vie de son propre corps ensuite, à jamais sacré, miraculeux et divin pourtant mais encore et toujours malaimé, objectivé, meurtri, usé, enlaidi, subit, maudit et finalement haï. Vivant à la fin d’une vie insupportable, des tels hommes en viendront à désirer la mort qu’il craignaient tant. Il maudiront ce Dieu absurde qu’ils disaient mort et qui à la fin lui donneraient la mort. Quant à l’Unique vrai Dieu, le Vivant, il ne cessèrent  de le méconnaître en eux comme en tous. En si un jour par charité, par compassion, par amour, un frère ou une soeur se risquent à rappeler à de tels hommes de qui ils tiennent leurs vies, ils le moquent, l'insultent, le volent, le rossent, le torturent ou le crucifient !  


Ce que le voleur de vie feint d’ignorer et d’oublier, c’est que la liberté qu’il a de jouir de sa vie pour lui seul sans jamais en donner une pincée à quiconque, comme celle qu’il a de voler la vie d’autrui et de la nier indéfiniment, il la reçoit elle aussi, cette liberté, du Vivant Amour. C’est pourquoi, ce voleur de vie en niant l’Amour du Vivant à qui il doit tout se nie lui-même et se condamne lui-même à mort ! 

Non pas à la mort de son corps, qu’il imagine comme le soulagement de son absurde et misérable existence, mais à une mort inimaginable pour lui, à la mort éternelle de son âme immortelle, de son âme qui vivait d'une vie donnée à jamais, d'une vie donc qui ne peut mourir, d’une vie dont il mourra éternellement de ne pas mourir.


Qu’est-ce qu’un tableau ?

Pour Picasso la réponse à cette question n’est pas une théorie mais un acte, un faire, un art de faire qui est l’art même. À cette question, Picasso répond par un tableau, un autre tableau à faire et encore un autre un tableau et ainsi de suite à l’infini. C’est le voir et le faire qui font le tableau qui fait voir. C’est l’acte de regarder qui refait le tableau, car celui qui le voit vraiment le vit vraiment, lui donne vie et le ressuscite. 


De même, la musique est l’art de faire de la musique, de l’entendre en soi, de la noter, de la composer, de la jouer, de l’écouter de la vivre, de l’incorporer, de l’incarner à l’infini. De même pour la danse et tous les arts qui sont des arts de la vie, des arts de vivre sa vie. 


Par l’acte créateur tout un chacun peut éprouver sa liberté créatrice et la joie et la douleur de faire une œuvre véridique de lui-même, réalisant alors que la vie est l’œuvre incessante qui nous fait vivant, qui nous donne de nous recueillir et de nous accroître comme  une œuvre vivante, l’œuvre inimaginable de Dieu, le miracle qu’il est et devient sans cesse. La vie, toute vie est à recevoir comme le miracle que chacun est libre d’accomplir pleinement par son faire propre. Chacun peut en effet accomplir ce qui lui semblait inimaginable et impossible : se co-naître en vérité et ressusciter. Chacun étant aussi libre de ne rien faire de sa vie, de la nier même et de vouloir s'en défaire. 


La Révélation

La révélation chrétienne vient de la Personne de Jésus Christ, le Vivant et l’Amour incarné, Dieu fait homme pour que par Lui les hommes soient faits dieux, comme disent les Pères de l’Église. 

Par Jésus Christ, la Vie et la Vérité s’incarnent en une chair semblable à la nôtre pour que nous connaissions Dieu sous son vrai Nom de Père qui par Amour nous donne de vivre de sa Vie même. L’Incarnation surpasse toutes les révélations et théophanies antérieures car elle donne à tout homme de connaître qu’en sa chair palpitante, en son coeur, le Vivant vit en lui et lui dans le Vivant. Cette révélation insurpassable par sa simplicité et son évidence constitue l’essentiel de l’Évangile, de la Bonne Nouvelle toujours nouvelle que le chrétien ne peut garder pour lui mais qu’il doit absolument annoncer à ses semblables par son témoignage, ses actions et ses oeuvres.  À ce sujet, certains m’ont posé cette question  : —  Si ton Dieu Vivant nous fait vivants et libres comme lui, pourquoi le fait-il sans nous avoir demandé notre avis ? A quoi il faut évidemment répondre qui il faut que nous vivions pour pouvoir donner un avis sur quoi sur la vie que nous recevons du Vivant. 


Il faut se rappeler sans cesse que la Parole du Vivant est créatrice, tout phénomène par  elle se manifeste sont à recevoir doublement : extérieurement, dans le temps et l’espace de ce monde et intérieurement, par le coeur. Ainsi, par exemple, la Terre promise par l’Éternel à Moïse et au peuple Hébreux doit être reçue non pas tant comme ce pays au delà du Jourdain dont ils prendront possession, mais bien comme la Terre vivante de leurs âmes dans lesquelles ils reçoivent et peuvent connaître le Vivant qui leur donne vie, sa Vie, si bien que par cette connaissance ils renaîtrons à la Vie éternelle qui est Dieu.


Mais si le Vivant a le désir de nous donner sa vie, il n’a pas le pouvoir de nous forcer à l’aimer Lui et le Don gratuit et éternel qu’il nous nous fait de Lui-même. La vie vient et revient sans cesse en chacun de nous, en vérité la vie s’incarne indéfiniment pour nous refaire à son Image pour sa ressemblance en Amour. Mais si la Vérité qui est la Vie se rappelle à l’homme par sa vie même, elles se rappelle et se révèle encore par l’amour que tout un chacun peut éprouver pour un autre que lui-même. Mais encore, et je me voue  à le répéter au fil de ces pages, les oeuvres des arts nous mettent en présence de la Beauté et de la Charité divines mais aussi de la Liberté de recevoir et d’aimer ces Dons inimaginables pour les multiplier à notre tour, comme le font les artistes, les peintres d’icônes, les grands maîtres et les artistes anonymes car, en définitive, toute œuvre véritablement inspirée et justifiée est une icône en ce sens qu’elle révèle la Véritable Image de Dieu en ceux qui s’y consacrent. Tous les oeuvres des arts véridiques se font par l’action de l’Esprit Saint qui donne la vie, se fondant et poursuivant en tous le mystère de l’incarnation.


L’Eucharistie 

Pour rappeler à nos mémoires défaillantes que la vie nous est donnée à tout instant par le Vivant Amour, Jésus-Christ, lors de l’ultime repas avec ses disciples, instaura le sacrement de l’Eucharistie. Un miracle en vérité que tout disciple et tout baptisé devait célébrer en mémoire de Lui, de son Incarnation, de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection. Mais aussi alors, en mémoire de sa propre incarnation, de sa propre mort au monde des illusions, de sa propre naissance éternelle et de sa propre résurrection dans la Vie et dans la Vérité. La célébration de l’Eucharistie forme le coeur de la messe, du repas et du mémorial où se répète le miracle initial qui fait du pain et du vin consacrés au Nom de Jésus Christ sa chair et son sang de Vie. Manger de ce pain et boire de ce vin c’est communier avec la Vie dont nous vivons, c’est connaître notre incarnation et réaliser, au sens le plus fort de ce verbe, que nous vivons tous dans une seule et même Chair, dans un seul et même Verbe, dans une seule et même Vie éternelle. 

Prolongeant l’Incarnation par l’Eucharistie, le Christ transsubstantie le pain en son corps et le vin en son sang, transsubstantiant ainsi ces nourritures terrestres en nourritures célestes pour nos âmes et nos esprits. Ce miracle de l’Amour étant suivi par sa Résurrection, le Christ opère ainsi la Transfiguration de toute la Création et rétablit sa nature originelle et sa destination divine. C’est alors l’univers, la lumière, les corps célestes, la Terre, la matière, les éléments, les énergies, les formes, les couleurs, les sons et tous les corps vivants qu’elle contient, ainsi que les actions, les créations et les oeuvres de tous les arts, qui sont appelés à participer à l’œuvre de la Rédemption et à l’effusion de grâces révélatrices et salvatrices, pour autant que les vivants orientent leurs visions et leurs oeuvres en ce sens. Pour comprendre la vocation spirituelle de l’art réaffirmée par Vassily Kandinsky au début de ce siècle barbare, il faut avoir à l’esprit et vivre cette vision d’une Humanité, d’une Création, d’un Cosmos transfigurés par l’Incarnation du Vivant Amour dans un homme semblable à nous et semblable à Dieu. 


La Vraie Image 

Ce qui est appelé la Vera Icona est l’empreinte de sa face ensanglantée laissée par Jésus-Christ sur un linge avec lequel une sainte femme, nommée Véronique, essuya son visage alors qu’il portait sa Croix vers le Golgota. Cette Image est dite acheiropoiètes en grec, non hominis manu picta en latin, soit non faite de mains d’homme en français. Cette trace, ce monotype, cette icône est à l’origine de l’art chrétien, de l’art de l’icône, de l’art théophanique chargé de révéler l’Incarnation du Vivant dans la chair des humains. Cette présence incarnée, cette sainte femme l'a ressentie dans sa compassion pour l’homme Jésus dont la souffrance était criante aux yeux de tous. Et si beaucoup, jour là, ont ressenti cette compassion, seule cette femme risqua sa vie pour soulager la souffrance de cet homme, son semblable, sacrifié. Dans cette humble  empreinte presque effacée se trace, s’écrit, se dessine, s’imprime, se peint et se révèle l’Image de l’Homme Dieu avec une intensité pathétique inouïe, donnant à voir à tous sur une simple linge la réalité double de toutes les réalités du monde, visibles et invisibles, extérieures et intérieures, comme je l’ai dit maintes fois avec Kandinsky. Mais il me faut insister : là se manifeste la Réalité invisible de toutes les réalités, la Réalité originelle qui nous donne de voir, de toucher et de ressentir la Vie même, la Vie en Personne qui est la nôtre identiquement. La vie que le Père donne à tous, celle de ce Dieu que nul n’a jamais vu. Est-il le Trésor caché dans les créatures dont parle l'Islam ? Oui si on entend par Trésor caché la Vie divine à l’œuvre en tous, la seule et unique Vie dont nous vivons tous en l’oubliant sans cesse comme nous oublions la lumière qui nous les révèle les choses que nous voyons. Cette Vie que Jean appelle la Lumière des hommes que le Fils de Dieu est venu nous la révéler au risque de notre incrédulité, en vivant sa passion et sa mort et  pour nous donner la preuve ultime : la Gloire de sa Résurrection.    


L’art théophanique est l’art ad venant, l’art venant de Dieu et allant vers Lui. Cet art là ne vient ni du passé ni du présent ni de l’avenir ni de tel ou tel lieu, ni de tel pays ou de tel continent, ni de telle foire, de tel commissaire ou de tel marchand d’art ! Car en vérité cet art advenant est venu et vient et revient sans cesse vers ceux qui vont vers lui, vers ceux qui le feront venir en eux et qui le reconnaîtront à l’instant où ils le rencontreront. L’art venant est avant le monde et ne vient pas de lui, il vient de l’Esprit, il vient du Verbe, il vient de la Vie, il vient de l’Amour avant même de venir au monde, il vient des grâces données et recueilles à tout instant. Il vient de la charité, il vient de la gratitude.


À la question de savoir si de telles considérations peuvent donner matière à un nième Manifeste pour un art contemporain la réponse est non ! Non, parce que ces termes se sont usés à force d’être abusés et qu’il est impossible de réparer en un clin d’oeil l’usure des mots et la corruption de langage. Ainsi et d’abord, il faut rappeler une autre imposture nommée art contemporain ; ces deux termes accolés l’un à l’autre ne veulent pas désigner l’ensemble des oeuvres d’art produites par les artistes de notre temps mais une partie seulement de la production actuelle, précisément celle de l’art marchand officiel contemporain. L'art contemporain n'est donc rien d’autre qu'un concept du marketing. Il en va de même pour la musique contemporaine qui n’inclut certes pas toute la musique de notre époque mais à vrai dire une infime partie de celle-ci. Ces appellations contrôlées ne visant qu’à s’approprier la reconnaissance prématurée de l’histoire de l'art pour des oeuvres qui pour la plupart sombreront assez vite dans l’indifférence et l’oubli. Il faut donc dire clairement que ces dénominations sont des impostures dans les termes qui permettent des impostures dans les faits, notamment en imposant aux imbéciles et aux ignorants des oeuvres récentes comme des oeuvres dignes des chefs-d’œuvre du passé au motif qu’elles ont été validées comme telles par la critique, les institutions, les marchands, les spéculateurs, autrement dit par l'argent et la mafia de l'art. Il en va de même pour le terme Manifeste qui est aussi usés que les deux autres et par conséquent tout autant inutilisable. 


Il ne peut donc être question pour des artistes qui rejètent ce système de l’art contemporain et ses falsifications historiques de fonder un nième mouvement historique, une avant-garde de plus ou une arrière-garde nostalgique d’un art historique quelconque, car la Modernité artistique initiale et véritable instaure le dépassement de la vision occidentale historique, moderniste, progressiste, mimétique, en un mot idolâtre, de cet art mort né par définition, pour ressusciter l’art spirituel et vivant au delà des lieux et des temps. Si donc je parle de Profession de foi pour un art advenant, c’est parce que ces mots ont précisément pour moi ce sens alors qu’ils n’en ont aucun pour les agents de l’art contemporain. L’art advenant est l'art qui vient et ne cesse de venir. D'où vient-il ? Je l'ai dit. Il vient de l’Esprit créateur de la Vie même et de son désir de se faire connaître des vivants. Comme l’Esprit l’art advenant est libre, provident et généreux, il n'advient qu’en ceux qui le reçoivent et se donnent à Lui. 


L’art advenant n’a pas d’âge ni de lieu déterminés, il inclut les oeuvres véridiques et les chefs-d’oeuvres de tous les temps qui sont contemporains de ceux qui les vivent au présent de leurs vies. Ces oeuvres venant de l’Esprit c’est aux esprits et aux coeurs des vivants qu’elles vont, donnent et révèlent l'Esprit originel sans jamais appartenir matériellement ou objectivement à personne. Comme des graines en sommeil,  comme des Belles au bois dormant, ces oeuvres nous attendent partout là où nous allons vers elles pour les embrasser : dans les musées, les églises, les palais, les ateliers, les particuliers. D’un regard amant nous leur redonneront vie, nos vies en vérité recueillies, ressenties, nos vies réjouies multipliés à l’infini et redonnées à leur tour. Prolongeant ainsi ce qu’ont fait les créateurs qui reçurent leurs oeuvres de l’Esprit pour les donner à tous en dépit des adversités du monde, pour la Gloire du Dieu Vivant.


Quelques Alliés


Si la plupart des artistes n’ont pas jugé utile de déclarer publiquement avoir fait ou visé un tel art théophanique alors qu'ils espéraient l'avoir approché sinon atteint, c'est, je pense, pour s'effacer derrière leurs œuvres et les laisser parler elles-mêmes, et mieux qu’eux, de ces réalités divines invisibles autant qu'indicibles. Certains, pourtant, s'y sont risqué et évoqué cette nécessité, souvent contre leur époque et leur intérêt, au péril de leurs de vies ou au risque de la folie. Tous sont et seront nos Alliés éternels. 


Friedrich Hölderlin 

Face aux espoirs déçus les Lumières, face aux terreurs révolutionnaires, face au culte de la Raison devenue la déesse, à la science devenue la religion nouvelle rejetant mythes et dieux et annonçant la mort définitive du Dieu révélé des Écritures, face au nihilisme et à la barbarie que portaient en eux les Temps modernes, Hölderlin fut l'un des premiers parmi les voyants de son temps à oser dire que seul un dieu à venir pouvait nous sauver de ces périls. Un dieu à vivant en vérité dont la divine présence s'éprouve en toutes choses vivantes : « Ce que tu cherches, écrit-il, est proche et vient déjà à ta rencontre» Et «Mais qu’est-ce que la vie divine, le ciel de l’homme, sinon de ne faire qu’un avec toutes choses vivantes, retourner, par un radieux oubli de soi, dans le Tout de la Nature, tel est le plus haut degré de la pensée et de la joie, la cime sacrée, le lieu du calme éternel où midi perd sa touffeur, le tonnerre sa voix, où le bouillonnement de la mer se confond avec la houle des blés. » Et ce dieu à venir et vivant, le poète l'appelle aussi : « Ether ! Ô Père ! Ton Appel mille fois crié montait et volait de bouche en bouche, et personne n'était seul pour porter la vie, car partager un tel bien, une telle joie, l'échanger avec l'étranger était une jubilation qui faisait croitre en notre sommeil la puissance du Père, de son Nom sérénissime retentissant du plus loin qu'il venait, de l'antique Signe hérité des anciens, frappant et fécondant l'ici bas. Ainsi reviennent Ceux du Ciel, par un ébranlement profond de l'ombre d'où jaillit la Lumière parmi les hommes.»


Auguste Rodin 

«Si la religion n’existait pas, j’aurais eu besoin de l’inventer. Les vrais artistes sont, en somme, les plus religieux des mortels. On croit que nous ne vivons que par nos sens et que le monde des apparences nous suffit. On nous prend pour des enfants qui s’enivrent de couleurs chatoyantes et qui s’amusent avec les formes comme avec des poupées… L’on nous comprend mal. Les lignes et les nuances ne sont pour nous que les signes de réalités cachées. Au delà des surfaces, nos regards plongent jusqu’à l’esprit, et quand ensuite nous reproduisons des contours, nous les enrichissons du contenu spirituel qu’ils enveloppent. L’artiste digne de ce nom doit exprimer toute la vérité de la Nature, non point seulement la vérité du dehors, mais aussi et surtout celle du dedans… Michel-Ange fait gronder la force créatrice dans les chairs vivantes. Luca della Robbia la fait divinement sourire… Le paysagiste va plus loin peut-être, il voit le reflet de l’âme universelle dans les arbres, les buissons, les plantes, les collines. Corot voyait la bonté éparse sur la cime des arbres, sur l’herbe des prairies, sur les miroirs des lacs. Millet y voyait de la souffrance et de la résignation. Partout le grand artiste entend l’Esprit répondre à son esprit. Où trouverez-vous un homme plus religieux ?


Paul Cézanne

Aux jeunes artistes qui venaient le voir à Aix en Provence : « Il faut se maintenir sur le terrain de l’analyse et de l’observation, oublier les oeuvres faites pour en créer d’imprévues, tirées du sein de l’ouvrage de Dieu.»


Vasilly Kandinsky

En 1912, Kandinsky écrivait dans Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, que le principe qui doit guider l’art et les artistes est « la nécessité intérieure, qui est l’élément d’art pur et éternel qu’on retrouve chez tous les humains, chez tous les peuples et dans tous les temps, qui paraît dans l’œuvre de tous les artistes, de toutes les nations et de toutes les époques et qu’elle n’obéit, en tant qu’élément essentiel de l’art, à aucune autre loi d’espace et de temps.» Dans Retour sur le passé, il raconte l'expérience décisive qu'il fit au cours d’une mission ethnologique  : « Je n’oublierai jamais les grandes maisons de bois couvertes de sculptures et de peintures. Elles m’apprirent à me mouvoir au sein même du tableau, à vivre dans le tableau. Je me souviens encore qu’en y entrant pour la première fois je restai figé sur place devant un tableau aussi inattendu. La table, les coffres, le grand poêle, qui tiennent une place importante dans la maison du paysan russe, les armoires, chaque objet, étaient peints d’ornements bariolés étalés à grands traits. Sur les murs, des images populaires, les représentations symboliques d’un héros, une bataille, l’illustration d’un chant populaire… Lorsque j’entrai plus avant dans la pièce, je me sentis environné de tous côtés par la peinture dans laquelle j’avais pénétré. C’est vraisemblablement à travers ces impressions, et non autrement, que prit corps en moi ce que je souhaitais, le but que je fixai pour mon art personnel. »


Pablo Picasso 

En 1937, Picasso n’hésita pas à jeter ces mots à la face des fascistes : «J'ai toujours cru et je crois encore que les artistes qui vivent et travaillent selon des valeurs spirituelles ne peuvent pas et ne doivent pas demeurer indifférents au conflit dans lequel les plus hautes valeurs de l'humanité et de la civilisation sont en jeu.» 


Jean Paulhan 

A la même époque, écrivait « De tous temps le divin nous renseignait sur la peinture, aujourd’hui la peinture pourrait bien nous renseigner sur le divin.».  


Salvador Dali 

«Le peintre doit laisser un ange guider sa main afin de gagner l’immortalité. » 


Henry Matisse 

«Tout art vraiment digne de ce nom est religieux. Des lors qu’un artiste sort de son sentiment une création faite de lignes, de couleurs etc, si cette production n’est pas religieuse elle n’existe pas. Ou alors c’est de l’art documentaire, de l’art anecdotique… de l'art qui n’est plus de l’art, de l'art qui vient d'une époque de civilisation qui a besoin d’expliquer, de montrer des choses à des gens sans éducation artistique et paresseux d’esprit, des gens à qui il faut leur mettre sous les yeux des images qui leur font des souvenirs et les entraîne un peu plus loin peut-être, mais cela c’est un art dont nous n’avons plus besoin maintenant, c’est dépassé.»


Rabindranath Tagore : 

«Le corps est un lieu divin. La joie. L’occident muraille tout. La nature est participée par le poète. Le poète est le scribe de Dieu. Le corps. Le chant. La rumeur. Le bouillonnement, une extase qui nous dépossède de notre petit ego ; un principe d’intégration dans le cosmos, non un principe d’individualisation… » 


Victor Hugo

«La création est un palimpseste à travers lequel on déchiffre Dieu. »


Arthur Rimbaud : 

«Mon âme éternelle observe ton vœu.» Et : «L’automne déjà ! Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.» Et encore «Mais tu te mettras au travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s’offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d’anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? en tout cas, rien des apparences actuelles. » 


Georges Sand,

Dans une lettre à Charles Poncy, poète et maçon, écrit : « Le temps ne paraît long qu'à nous. Aux yeux de Dieu, il n'existe pas. Nos siècles ne comptent pas dans l'éternité, et nous sommes vivants et agissants avec Dieu dans l'éternité, car nous mourons pour renaître et progresser. Chaque existence est la récompense ou le châtiment de celle qui l'a précédée. Chaque vertu amasse pour notre prochaine ré-apparition sur la terre un trésor de dédommagement et de force nouvelle. Soyez sûr que vous avez déjà vécu de tout temps sur la terre, et que votre génie poétique est la récompense de quelque belle action, de quelque noble dévouement dont vous ne vous souvenez pas. Faites-en donc un noble usage, afin de vous réveiller “apôtre” ou “héros” après le sommeil de la mort. Et maintenant ne doutez pas et ne désespérez pas, vous n'avez pas le droit de douter de cette action sur le monde. Priez toujours, dites toujours : "Seigneur, Seigneur, la vérité ! " La foi vous viendra. » 


Nicolas Fontaine

«Les saints disent que le monde n’est qu’un tableau où Dieu en créant les choses visibles n’a fait que peindre les invisibles, comme les Peintres ne représentent que les visibles. Notre négligence, et notre peu d’application à Dieu, est comme un rideau qui nous voile les beautés de ce tableau inimitable. On tâche autant que l’on peut, dans ce petit ouvrage — Le Dictionnaire Chrétien (1691) à l’article Tableau — de le dévoiler, et de tirer le rideau qui nous le cache. Un tableau presque tout effacé, où l’on a peine à démêler quelque trait, est notre véritable tableau. Dieu, comme un Peintre inimitable, nous avait faits à son image et à sa ressemblance. Mais depuis le péché, cette loi naturelle qui nous faisait discerner si facilement le bien d’avec le mal, a été effacée. Cette loi néanmoins avait été totalement imprimée au fond des cœurs et de la conscience, que Dieu, par sa miséricorde, n’a pas voulu même qu’après cette chute, elle fût entièrement ruinée. Mais les linéaments de ce tableau sont tellement obscurcis qu’on n’y reconnaît presque plus aucun trait, quoiqu’il en reste assez pour faire que l’homme approuve encore quelques vérités d’une honnêteté et d’une justice naturelle et s’abstienne quelquefois de faire ce que cette loi lui défend. »


Guy Debord 

Écrit dans ses Commentaires sur la société du spectacle : « …dans une époque où ne peut exister d’art contemporain, il devient difficile de juger les arts classiques. Ici comme ailleurs l’ignorance n’est produite que pour être exploitée. En même temps que se perdent ensemble le sens de l’histoire et le goût, on organise des réseaux de falsification. Il suffit de tenir les experts et les commissaires priseurs, et c’est assez facile, pour tout faire passer, puisque dans les affaires de cette nature, comme finalement dans les autres, c’est la vente qui authentifie toute valeur. »


Il serait salutaire pour nombre de nos contemporains qui ont perdu l’Esprit de faire un recueil de ces professions de foi peu connues des peintres, poètes, écrivains, musiciens, cinéastes, acteurs, danseurs, architectes de tous les temps qui reconnurent avoir été inspiré par l’Esprit Vivant qui leur donna de mettre au monde les chef-d’œuvre pour le révéler à tous et lui rendre grâce.


A suivre… 




vendredi 17 janvier 2025

Grâce à vous Robert et Marcelle, mes chers parents.

 Il y a dix ans, le 9 janvier 2015, je publiais sur ce blog un texte en hommage à mes chers parents.     J'avais écrit ce texte durant l'hiver 1988 alors que j'étais en convalescence chez eux, suite à une sérieuse pneumonie attrapée dans mon atelier glacial de Bruxelles. Aujourd'hui, je ne changerai pas un mot à ce texte de gratitude à leur égard, sinon pour accentuer une synchronicité de date révélatrice.                       Ma mère était de 5 ans plus âgée que mon père et leur amour fut particulièrement mis à l'épreuve par les conséquences de la crise économique de 1929, la seconde guerre mondiale, la ruine de la famille en 1958 et l'éducation de leur quatre fils. Si leur amour trembla bien des fois, il résista à tout jusqu'au bout.   Maman quitta ce monde le 9 janvier 2004, âgée de 89 ans, cinq ans plus tard, le 9 janvier 2009, Papa, âgé de 89 ans, se lava, s'habilla et s'allongea sur son lit pour rejoindre Marcelle, l'amour de sa vie dans le Royaume des Enfants de Dieu.             



Robert Empain et Marcelle Gaillard mes parents bien aimés
 

Mon Père était si vif qu'à dix-sept ans il courait le quatre-vingt mètre mètres en neuf secondes et des poussières, ce qui était, selon ma Mère, le record absolu de la province du Hainaut. 
Sa vivacité extraordinaire lui a sauvé la vie un jour de la fin mai quarante où il venait d’avoir vingt ans et que la drôle de guerre était perdue. L’Etat-Major, où Papa était aide de camps, n’avait fait que reculer vers le Nord, dans les Flandres, de château en château. Là, acculés à la mer, paniqués, le dernier ordre des hauts gradés fut : chacun pour soi et bonne chance à tous !  Papa fut pris par les allemands avec les milliers de soldats qui fuyaient sur les routes et que les vainqueurs entassaient dans des camions. Profitant d’un arrêt du convoi, d'un bond, Papa sauta du camion et courut encore plus vite que d’habitude dans les bois et les champs de Flandres. 
Par chance, dans une ferme isolée, on lui donna un vélo, et par les petites routes, il fonça à toute vitesse vers sa fiancée, la femme de sa vie, celle qu’il aimait à la folie, la belle Marcelle, ma Mère. Marcelle, l'inespérée, la musicienne, la poète, celle dont toute la ville de Binche disait qu'elle ne marchait pas mais qu'elle sautait de joie, et même qu'elle volait en chantant dans les rues comme un pinson ! Marcelle, son aînée de cinq ans, qui était courtisée par les plus beaux partis de la ville. Marcelle, que mon jeunot de Papa ne savait pas comment conquérir sinon en lui criant son incroyable désir de l'aimer et de vivre, en lui lançant son regard noir et vif et parfois même, m'a-t-elle dit, en se tapant la tête contre un mur jusqu'au sang ! Marcelle qui l'aimait tant, et qui l'aime tant depuis cinquante ans, qu’elle a tout donné.  Oui,  toute cette vivacité, tout cet amour, toute cette passion et ce vif appétit de la vie que vous aviez, vous nous les avez donnés à pleines mains à nous, vos quatre garçons. Et vous l'avez nourrie intensément de tout ce qui est vivant : des meilleures nourritures terrestres et célestes, d'embrassades, de musiques, de poésies et de rires, de festins, de cris, de disputes, de tourments, de colères, de peurs, de pleurs, de pardons, de prières et de courage. 
Papa, le Nom que tu portes et que tu as donné à Maman et à nous tes enfants, après l'avoir reçu toi-même, ce nom de pain nourricier, de pain d’amour, tu l’as incarné, vous l’avez incarné Maman et toi, et, malgré toutes les adversités et les peines, vous l'êtes devenu ce Pain,  car vous n'avez fait qu'un dans ce devenir. Oui, chers Parents, chers Robert et Marcelle, chers enfants de Dieu, ce Pain de vie, vous nous l’avez donné à manger chaque jour et il n’a pas fini de nous nourrir.

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Illustration : photographies Gérard Lebrun, 1942/43
Texte : extrait de Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible. Robert Empain

jeudi 16 janvier 2025

Livre de la nature humaine. Ou la révélation de Jésus Grand Prêtre dans l'épître aux Hébreux

Grâce à Jean-François Froger



Y a-t-il une caractéristique unique de l'humanité qui puisse la distinguer du monde animal ? La biologie nous apprend que l'espèce humaine est différente des mammifères supérieurs par son nombre de paires de chromosomes, d'où l'on pourrait penser que l'homme est simplement mieux doué que les autres animaux. La biologie n’épuise pas la question. En effet, l’anthropologie révèle que tous les peuples ont universellement institué des rituels. La ritualité s’explicite dans le langage et les cérémonies, que ce soit dans la multitude des religions ou dans les sciences. L’ultime rituel est celui de la pensée : la logique. Cet ouvrage de Jean-François Froger* entend montrer que la ritualité de l’homme définit une nature humaine. L’auteur appuie sa démonstration sur la Lettre aux Hébreux du rabbi Shaoul de Giscala (saint Paul). On y voit que la ritualité liée au Temple de Jérusalem est l’exemple parfait montrant la nature humaine et son devenir chaotique lorsqu’elle n’est pas comprise.






Préface de cet ouvrage par le Père Francisco José López Sáez Professeur de théologie spirituelle à l’Université pontificale Comillas des jésuites de Madrid

Le lecteur recevra ce Livre de la nature humaine comme la carte d’un trésor «nouveau et ancien» (Mt 13, 52) qu’on a mise dans une bouteille et jetée dans la mer agitée du monde contemporain, en espérant que, portée par les vents imprévisibles de la Providence, elle arrive à des mains amoureuses du travail et à des cœurs brûlants de désir de vérité. Cette carte ne provient pas, cependant, des restes d’un naufrage, comme beaucoup de réflexions anthropologiques actuelles qui configurent notre mentalité profonde, culturelle, politique et sociale, et nous invitent à nous conformer au désespoir, parce que, de toutes façons, nous ne serions que des animaux évolués, mammifères qui ont réussi, mais tout à fait à la dérive dans une existence que personne n’a appelée, aimée et instituée. Non pas, donc, de l’île des naufragés, mais d’un îlot de joie qui a pour nom « théologie ».

C’est en théologien courageux que l’auteur de ces pages denses et diamantines nous offre le fruit de sa solitude contemplative et de son étude patiente de la Parole de Dieu. Parce qu’il faut du courage pour donner aujourd’hui un vrai cadeau théologique qui nourrisse dans la joie sans se laisser porter par les normes du convenable ni avoir à payer le prix des corrections assumées. Quelles sont les joies que ce livre veut réveiller dans notre mentalité chrétienne ?

Tout d’abord, la joie de goûter du texte de l’épître aux Hébreux dans une traduction directe de l’araméen, en nous faisant sentir son rythme oral construit par des balancements du souffle et des structurations par mots-clés, aptes à la mémorisation par cœur et la rumination constante de l’enseignement. L’ effort de répéter maintes fois la lecture du texte comme une récitation à haute voix, en se laissant imprégner des images révélées avant même d’en approfondir son étude, ne restera pas sans fruit. 

On trouvera ensuite la joie de voir se construire dans le champ de notre propre personne l’édifice merveilleux de la nature humaine, tel qu’il a été conçu par Dieu et révélé dans l’Écriture Sainte pour que nous nous concevions nous-même dans la liberté de comprendre et l’assentiment de la foi. Le livre ne veut aucunement imposer une vision, même renouvelée, de la nature humaine, mais offrir des instruments inouïs, sortis de la logique même de l’Écriture, pour que ce soit la Parole révélée elle-même qui nous apprenne à penser et façonne en nous l’intelligence du mystère filial de notre appel, toujours surprenant, à être des hommes dans l’Humanité accomplie du Fils, termes d’une relation de Parole qui fonde et garantit divinement une authentique socialité humaine. L’ auteur a su dégager de l’épître aux Hébreux les catégories de notre vocation humaine, et nous invite à un voyage passionnant de transformation intérieure par un effort de pensée et de reconstruction de notre nature, tombée dans la Chute mais réinstaurée dans la Parole incarnée.

Si l’on ne fuit pas trop vite les appuis techniques dans les logiques quaternaire et ternaire, découvertes par l’auteur comme cohérence profonde du langage révélé, on aura la surprise de contempler la nature humaine structurée par les catégories du Temple, qui la différencient en féminité, masculinité, sacerdoce et grand-sacerdoce, quatre catégories concomitantes, nécessaires l’une à l’autre, et qui aident à sortir de la contraposition infructueuse de l’homme et de la femme dans une lutte idéologique pour le pouvoir. Une nouvelle logique est nécessaire pour accueillir la nouveauté de l’Évangile prêché par saint Paul, auteur de l’épître selon la meilleure tradition de l’Orient et de l’Occident ; ce livre offre les outres nouvelles pour le vin nouveau, seulement, il faut s’exercer à ses catégories pour en savourer la douceur et la cohérence.

La clé du message de l’épître aux Hébreux est la révélation de Jésus Ressuscité comme Grand-Prêtre. Peu de théologiens ont exploré le rôle grand-sacerdotal de Jésus. Dans le langage ecclésiastique habituel, on parle du sacerdoce de Jésus comme modèle du sacerdoce des ministres ordonnés, en identifiant les catégories du Prêtre et du Grand-Prêtre. Ce langage appauvrit la compréhension des grands trésors anthropologiques et spirituels cachés dans la révélation de Jésus comme le Grand-Prêtre dont nous avions besoin. On n’avait pas même soupçonné l’importance du grand-sacerdoce de Jésus comme achèvement de la nature humaine. C’est que, en ne discernant pas la différence entre le Prêtre et le Grand-Prêtre, on ne discerne non plus la profondeur théologique de la différence entre l’homme et la femme, parce qu’il y a autant de différence entre le sacerdoce et le grand-sacerdoce qu’entre la masculinité et la féminité. Dans la totalité du corps-Temple qui constitue la nature humaine, achevée dans la catégorie unique du Grand-Prêtre, une nouvelle lumière jaillit pour comprendre l’homme et la femme comme fonctions liturgiques et vocations représentatives de différents aspects de la nature humaine et même comme des reflets de la structure trinitaire de Dieu, puisque l’homme intégral est créé « à son ombre-image et selon sa consanguinité-ressemblance ».

La redécouverte du rôle du Grand-Prêtre dans la structure de la nature humaine achevée, comme clé de compréhension des autres catégories anthropologiques, pourrait, nous l’espérons, faire sortir à bonne heure le langage religieux de la fascination des deux abîmes chimériques entre lesquels se débat aujourd’hui la réflexion théologique. Réflexion tentée de perplexité et risquant la paralysie de la langue de bois ou la perte du sel évangélique : d’un côté, l’abîme de la dissolution de la différence entre l’homme et la femme, qui nous entraîne dans un égalitarisme lissant la richesse concrète de l’asymétrie entre les sexes et son sens révélé ; c’est l’athéisme théorique et pratique qui se cache dans cette chimère, comme a bien vu Chr. Singer, qui disait : « Lorsque une société veut couper l’homme de sa transcendance, elle n’a pas besoin de s’attaquer aux grands édifices des églises et des religions, il lui suffit de dégrader la relation entre l’homme et la femme »1 ; de l’autre côté, l’abîme d’un recours trop rapide à la mystique, qui pourrait enfoncer dans le brouillard de l’indéfini ou la projection des désirs non informés par le langage, certainement difficile et toujours analogique, de la révélation, en nous faisant croire que le vrai message de l’Écriture se trouve au-delà de tout langage et même de toute compréhension.

Ce livre invoque la voie, non pas d’un au-delà de la logique, mais d’une logique construite autrement, quaternaire pour la description des différenciations qui ont lieu dans la création, et ternaire pour la compréhension des transformations spirituelles décrites dans les récits évangéliques, une logique capable d’embrasser de façon cohérente et de tenir ensemble les diverses catégories de la nature humaine garanties dans sa rationalité et sa dicibilité par la Parole même de Dieu. Comment sortir de ces deux abîmes ? Le livre ne connaît qu’un chemin : c’est la joie de comprendre.

Une lumière toute nouvelle jaillit aussi de ces catégories pour la compréhension de la fonction rituelle du sacerdoce et du sacrifice que le prêtre est appelé à réaliser. La troisième partie de l’œuvre ose proposer avec une audace logique les raisons profondes de la décision de l’Église de ne pas conférer le sacerdoce ordonné aux femmes. Ce que le Magistère, interprète fidèle de la Révélation, indique sans comprendre, le théologien doit l’expliquer, parce que les choses ne sont pas vraies parce que c’est l’Église qui les dit (cela serait purement et simplement un aspect subtil du fidéisme), mais, à l’inverse, l’Église dit les choses qu’elle dit parce qu’elles sont vraies, et donc doivent être comprises et étudiées avec tous les moyens de la raison, pour déceler sa vérité libératrice. Le paysage sur le mystère de la femme qui se dessine dans cette troisième partie de l’œuvre est vraiment lucide et d’une hauteur surprenante, et les réflexions qui lui sont dédiées pourront compter, je crois ne pas exagérer, entre les pages les plus belles et profondes que la théologie ait jamais écrites sur l’Église-Épouse comme accomplissement eschatologique
de la nature humaine. 

Ce courage et cette joie coûteuse qui mènent à dévoiler les raisons, logiques et analogiques, et même anagogiques, de la Révélation, en respectant la pédagogie du Verbe de Dieu et l’expérience la plus profonde de la vie de sainteté de l’Église, seront la source d’une métaphysique renouvelée, centrée sur la relation comme paradigme fondamental. L’horizon qui se dévoile de cette lecture de l’épître aux Hébreux comme livre de la nature humaine est difficile et exigeant, bien sûr, mais c’est la façon de penser et de comprendre demandée par cet effort que l’Église de notre temps appelle, peut-être sans savoir encore en exprimer les raisons profondes, comme une « nouvelle évangélisation ».

Je me suis limité à signaler quelques joies de ce livre comme orientation pour la lecture. Des trésors de compréhension attendent à chaque page pour l’enrichissement du lecteur bienveillant. Une préface n’est qu’une carte de la carte. Reste à faire courageusement le chemin en se plongeant dans la mer. La perle n’est pas en surface, on ne la trouve qu’en s’immergeant dans les eaux fraîches de la Parole de Dieu, muni de logique et de confiance en la rationalité de tout ce que Dieu nous a communiqué. L’ effort vaut la peine, il n’est que pour la joie. 

                                                                                                    Père Francisco José López Sáez

Professeur de théologie spirituelle à l’Université pontificale de Comillas des jésuites de Madrid, de spiritualité et liturgie des Églises d’Orient à l’Université Ecclésiastique San Dámaso  


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  1. Chr. Singer, Du bon usage des crises, Albin Michel, 57, cité par F. de Muizon, Homme
    et femme, l’altérité fondatrice
    , Le Cerf, Paris, 2008, 9.