samedi 31 août 2019

Grâce à ces lecteurs qui m'ont écrit.


Un livre c'est une longue lettre adressée à de lointains amis, imaginés ou inconnus pour la plupart, qui vous lisent sans que vous le sachiez pendant des jours sinon des mois et qui font ainsi revivre en eux votre livre et votre vie et celles de ceux qui les ont nourris. Grâce donc à mes lecteurs connus et inconnus qui louent et multiplient, sans toujours la reconnaître en eux, la Source, la Vie absolue qui ne cesse de se donner invisiblement à tous avec l'espérance d'être reconnue et aimée en chacun.




Pierre Mertens, écrivain, académicien. Premier lecteur en 1999 de L’Oeil joyau Carnets 1980-1985, un recueil de textes, augmentés ensuite pour Ad Imaginem Dei - L’oeuvre invisible

Cher Robert Empain, J’ai savouré ce voyage artistique ( et surtout qu’il s’agit d’une amorce à une série…) C’est de pèlerinage initiatique qu’il faudrait plutôt parler. En particulier sur les traces de Picasso à Antibes (A propos, aimez-vous de Staël?) Merci de tout cela, bien chaleureusement. Amitiés  Pierre Mertens. 1999 

 

Thierry Berlanda, philosophe, romancier 

Ad Imaginem Dei, de Robert Empain. Ce titre d’apparence canonique est celui d’un livre du peintre, penseur et poète Robert Empain. Cela dit, est-ce vraiment un livre ? Et est-il vraiment canonique ? Deux fois non. Ce recueil de pensées, d’aventures et de prières est plus grand qu’un livre, plus sauvage aussi. Il n’est pas un objet à classer sur un rayonnage de bibliothèque : il fait partie de nous, présent dans nos coeurs bien avant même qu’il n’ait été écrit. Pas un livre donc, mais une révélation. Pas une référence, mais un ami intime. Pas une thèse, mais un chant. Dans cette pérégrination tout autant rafraîchissante que brûlante (sa nouveauté nous brûle, à vrai dire, et sa brûlure nous renouvelle), nous suivons Robert Empain pas à pas, débonnaire, fervent, parfois en colère, mais d’abord et finalement scintillant de sa confiance en Dieu. Ici il visite Venise ou Florence, à contretemps des hordes de touristes, là l’Espagne, le sud de la France ou les Etats Unis ; chaque fois l’occasion de rencontres, agréables ou déchirantes, et d’études lumineuses, non seulement de peintres, (ses évocations de Picasso, de Dali, de Cézanne, de Matisse, entre vingt autres, sont inouïes), mais aussi d’écrivains, de sculpteurs (son Cellini est sublime) ou de philosophes (Jung notamment, si l’on veut bien admettre ce génie, injustement réprouvé, parmi les philosophes). Chaque fois, où qu’on le suive, où qu’il nous accompagne, Robert Empain agit et parle avec justesse, mais pas comme un sage en position de surplomb, jugeant et déjugeant, encapsulé dans ses certitudes, mais comme un homme parmi les autres, amoureux, enthousiaste, sagace comme pas deux, parfois frappé durement, mais se relevant toujours pour rendre grâce, sachant qu’il n’est pour rien dans le don qu’il reçoit, dans le don qu’il est, comme vous et moi, d’être miraculeusement vivant. Ce livre, d’une profondeur et d’une beauté de volcan, n’est pas encore publié. Or aucun véritable éditeur, s’il en reste, ne peut laisser filer un tel OVNI, ce chant d’amour, ce gisement d’intelligence pure, sans tenter avec lui une rencontre du troisième type. Nous n’aurons de cesse de favoriser cette rencontre. Et pas dans l’intérêt de Robert Empain, qui ne s’en soucie pas, mais dans celui de tous ses lecteurs potentiels : c’est-à-dire tout homme ayant un coeur, ce qui nous fait encore un assez grand nombre. » Thierry Berlanda.  Texte publié sur son site en 2014


*Ad imaginem Dei, premier tome, L'oeuvre Invisible, de Robert Empain, est une recension de ses rencontres, artistiques, intellectuelles, spirituelles ou simplement amicales ou amoureuses. 


Gabriel Arnou-Laujeac, romancier, mystique 

« Il y a de très belles fulgurances dans ce livre traversé, de part en part, par le souffle et la quête du Tout Autre. Félicitations. » Gabriel Arnou-Laujeac. 2014 


Hélène Maindron-Charlier, peintre d’icône 

« J’avais rendez-vous avec ce livre et je ne le savais pas. Je l’ai découvert par hasard et j’ai pressenti assez vite qu’à travers le voyage initiatique de l’auteur, qui a commencé bien avant la première page, il allait m’emmener dans un espace ouvert, sensible, créatif – un don que l’on reçoit avec gratitude. Dans un espace de vie bien ancré qui nous fait murmurer : c’est la vie ! Rien à voir avec la fatalité, mais avec le cri, la colère, le surgissement, la beauté, la gratitude. En le lisant, naturellement, j’ai griffonné des notes, fais des croquis. C’est aussi un livre que l’on prend à pleine mains avec des illustrations, de belles découvertes ou redécouvertes.” Hélène Maindron-Charlier. 2014 


Aude Fauconnier, jeune artiste 

« En commençant ce livre, j’ai entamé un voyage avec un poète. Un voyage particulier car il s’est révélé être un voyage intérieur. Et cela en compagnie de Robert qui nous partage ses réflexions, ses découvertes au travers de ses voyages avec ce petit quelque chose qui lui est propre…Non, je ne parle pas de sa touche d’humour mais son amour de la Vie. Au fil des pages, je me suis laissée transporter et guider en toute simplicité dans la mémoire de cet écrivain. Comme le voyageur sur sa route, je me suis sentie libre de continuer ma lecture ou tout simplement de l’arrêter un instant afin de revenir dans le temps de la réalité pour me questionner sur les différents sujets abordés dans le livre, entre autre concernant la place de l’artiste d’aujourd’hui. Un questionnement très parleur étant une jeune artiste. A la lecture, j’ai ressenti que j’étais face à une de ces oeuvres que nous cite Robert dans son livre. A savoir, une oeuvre qui se révèle à nous-mêmes lorsque nous prenons le temps de nous en imprégner. Il s’agit de moments précieux et très fort comme nous l’explique l‘auteur de son expérience face à la fresque de ‘La creazione di Eva’ découverte en entrant par hasard dans un Palais de Florence. Une rencontre qui ne l’a pas laissé insensible et ce même au travers du le temps. C’est là pour moi la richesse et l’aboutissement d’une oeuvre, elle a le don de laisser son empreinte sur celui qui la contemple quelque soit le nombre d’années écoulées. En plus de la lecture, j’ai trouvé intéressant que l’écrivain nous présente ses oeuvres au fil des pages. Elles nous invitent à prendre ce temps précieux de laisser mûrir les écrits en nous et en même temps d’aller à la rencontre de l’artiste qui se trouve derrière ce livre. Poète, écrivain, artiste,….. un troubadour ! C’est avec joie que je suivrai la route du poète pour lire (ou avoir cette étrange impression de l’entendre ?) raconter ses récits dans le tome à suivre. Il y a tant de choses qui méritent d’être vécues et qui attendent que nous venions à leur rencontre. Récemment, pour moi il s’agissait de la (re)lecture de ce livre où l’écriture y est telle une ode à la Vie. Alors en attendant de croiser la route de Robert dans le second tome, je poursuis mon propre chemin avec mon âme d’artiste et cette nécessité intérieure de contempler des oeuvres ou de les donner à voir. Si la route vous a mené jusqu’à la fin de ce texte, sachez qu’il n’y a pas de hasard. Cela signifie qu’il est temps pour vous aussi de commencer à lire ce binchois ! « Aude Fauconnier. 2014 



Jean Lavoué, poète, éditeur de poésie (au fil de la lecture)  «Je viens de télécharger Ad Imaginem Dei, votre ouvrage magnifiquement illustré… 

… Les cinquante premières pages me parlent et me touchent. Cette simplicité avec laquelle vous vous confiez, la liberté de ton, la qualité de l'écriture et la découverte pas à pas de cette grande sensibilité et culture artistiques qui sont les vôtres. J'aime en particulier ce passage sur le féminisme au sens de l'amour du Féminin... Mais tant d'autres choses aussi. … 


… Vous dire Robert que j'ai lu tout à l'heure ce dialogue avec Jung d'où est tiré le titre de votre ouvrage : magnifique ! J'aime la fulgurance des intuitions, la liberté de ton et cette force de l'Esprit, du Souffle, du Poème qui emporte tout ! Merci… Je poursuis ma lecture… 


… Je viens de terminer la lecture de votre ouvrage dans lequel j'avais pu me plonger trois heures d'affilée jeudi après-midi. C'est la force de l'expérience intérieure et de la foi bien sûr qui s'impose et à certains moments nous emporte vraiment vers ce royaume de confiance et de Présence auquel l'art nous introduit. Votre art, mais votre écriture aussi et l'enthousiasme qui la soulève... Merci de m'avoir ainsi initié un peu plus à la magie de la création picturale et à tout ce qui l'accompagne dans une existence comme la vôtre traversée d'éclats, de joie et de douleurs… Et toujours cette Vie, cet indicible, cet invisible sur la toile duquel se dévoile pas à pas l'oeuvre essentielle. … 

C’est bien cette affirmation de foi que je qualifierai de ‘johannique’ en m'appuyant sur votre référence à l'Apocalypse, que l'on ressent en vous lisant et en recevant votre témoignage. Oui, sans doute, l'oeuvre d'art est-elle une bonne médiatrice pour introduire à ce mystère de la Présence, mais encore faut-il accepter de se laisser guérir de nos aveuglements mondains et égotiques... Ouvrir les yeux : une voie toujours à dégager et à reprendre ! 

Merci en tous les cas de me faire découvrir tous ces artistes et votre propre oeuvre qui ont été et sont chemin vers cette manifestation de la Vie en son plus haut mystère… …. 


Bien sûr, vous pouvez reprendre, Robert, ce que je vous ai écrit en toute spontanéité et sincérité : sans doute pas suffisamment longuement au regard de la durable résonance de votre écriture entrecroisée de tableaux et de ce dévoilement du regard qu'opère votre généreuse et vigoureuse pédagogie ! » 

Jean Lavoué. 2015 


Françoise Chaulder, mère de famille 

«Un livre se lit et s’oublie parfois… Il se relit ensuite pour se souvenir des moindres détails. Le vôtre se parcourt au gré des pages, un chapitre chaque matin tel un livre précieux. On y découvre de bien belles choses : promenades, tableaux… On y rencontre de bien beaux personnages. Mais comment peut il en être autrement puisqu’il reflète votre douceur, votre plaisir de vivre… Je savais qu’en vous lisant sur votre blog, je devais posséder votre livre sur papier. Merci à vous, Robert, grâce à vous mon esprit vagabonde, mes yeux s’ouvrent de nouveau vers un monde plus beau. J’adore parcourir votre livre à n’importe quel moment de la journée. Il m’envoie à une « paix intérieure » Françoise Chaulder. 2015 


Olivier Mass, ingénieur et artiste à ses heures 

« Lors de notre dernière entrevue, je vous avais dit que je prendrais contact avec vous pendant la lecture de votre livre, afin d'échanger avec vous à son sujet. C'est une chose en cours en ce moment : je suis plongé dans Ad Imaginem Dei, à peu près à la moitié de l'ouvrage alors que votre récit nous emmène à la visite du musée Cézanne à Aix et que vous réfléchissez sur la démarche si personnelle et courageuse de ce peintre qui trace la route d'un nouveau regard sur le réel et sa représentation picturale. J'ai éprouvé dès maintenant, en cours de route, le besoin de vous contacter pour vous dire un peu ce que je ressens, avant même la fin du livre. En effet, il ne s'agit pas pour moi de faire un commentaire élogieux et amical au bout du parcours, car votre livre me touche d'une manière particulière à laquelle je souhaite répondre dès maintenant. L'idée qui me vient pour caractériser ce que je cherche à exprimer est une notion de globalité : je trouve que votre livre traduit de manière particulièrement juste la globalité d'une démarche : la vie sentimentale et professionnelle, l'expression vive, précise et inspirée d'une aspiration mystique très forte et très vivante, le cheminement d'une réflexion intellectuelle sur les valeurs et la société, une rumination approfondie sur une vocation artistique et les exigences de cette démarche en cohérence avec vos aspirations religieuses, intellectuelles et subjectives, et, pour finir, une iconographie représentant certaines de vos oeuvres personnelles ou celles d'autres artistes qui balisent votre cheminement et permettent d'en apercevoir les fruits. La globalité de ce parcours s'exprimant sur tous ces fronts sonne vrai et me touche, car elle couvre un certain nombre des thèmes qui ont également occupé mes pensées au cours de ma vie. Votre récit sonne vrai à mes oreilles, car par son ampleur il embrasse largement le réel de votre expérience et trouve place dans le réel de la mienne. Votre propos me paraît familier sur de nombreux points et pourtant à chaque fois quasiment, il est plus fort, plus brûlant que celui que j'aurais pu formuler. Votre amour mystique de la vie et du Christ, que je partage, bien que chez moi il soit plus modéré, plus raisonnable, voire somnolent. Votre recherche picturale logée au coeur de vos aspirations mystiques, de vos expériences oniriques, et de l'étude poussée des maîtres de la peinture et des théoriciens de cet art. J'ai un peu parcouru ce domaine en dilettante et pour moi dessiner et peindre est un plaisir "innocent" qui s'apparente simplement à la pratique d'une langue vivante d'un autre type qui nous met en relation avec la beauté du monde et des hommes. Je savoure vos analyses et vos commentaires d'oeuvres d'art pour leur pertinence et la compréhension de l'intérieur de l'oeuvre qu'elles révèlent. Voilà ce que voulais te dire dès maintenant. Sachez que quelque part en région parisienne un petit bonhomme fait un bout de chemin avec vous, le Robert d'aujourd'hui ou d'hier, un peu les deux probablement, et que cet amicale entraide de l'auteur vis à vis de son lecteur reproduit une fois de plus le miracle de la culture qui échappe aux limitations du temps et de l'espace. Merci bien ! A bientôt pour vous voir, et, de toute façon, pour vous lire. » … « Cher Robert, J'ai terminé votre livre dans l'élan d'une lecture captivante ! Je comprends que vous avez vécu ce qui ressemble à plusieurs vies et que votre vocation d'artiste s'est exprimée de nombreuses manières. Quel parcours riche et fécond ! J’ai hâte d'en parler avec vous au printemps prochain…» Olivier Maas. 2016 


Cristian Ronsmans, auteur et conférencier 

« Mon cher Robert, quand vous parlez de l'art contemporain et de ses agents, en mentionnant ces derniers vous mettez le doigt sur la plaie qui contamine l’art contemporain. Je ne suis pas sûr que votre texte ne puisse pas trouver d'écho auprès de créateurs contemporains, hors même du champ de la peinture — qu'Aude de Kerros pense morte et enterrée, ce qu'elle dénonce dans son ouvrage L’Art caché. Je dis cela parce qu'il est vrai que par l'action conjuguée d'investisseurs, d'agents, de galeristes, commanditaires et fumistes de l’A.C., et de haut vol ; vol dans son sens amphibologique, action qui fait un tort considérable à l'AC, il devient compliqué pour beaucoup de distinguer la supercherie, prenons Jef Koons par exemple et pas vraiment au hasard, et l'honnêteté intellectuelle a minima. Mais bien évidemment je vous rejoins dans votre analyse de l'art en cet extrait que je viens de lire (sur votre blog). Je vous rejoins tout en restant ouvert à la création contemporaine et en débusquant, traquant, combattant, tant que faire se peut, l'imposture qui tend à se généraliser. Pour des raisons évidentes. Je me suis permis de partager votre extrait sur mon mur. Ayant été un peu réducteur dans mon premier commentaire, je l'ai explicité. Bien à vous et au plaisir que j'aurai en me procurant votre livre que je lirai prochainement. » 


…. Ad Imaginem Dei L’oeuvre invisible, une expérience phénoménologique de l’art. « Quand je dis une phénoménologie de l’art je suis un peu réducteur, car il s’agit bien d’une phénoménologie de l’esprit dans l’art, à lui appliquée. L’auteur de ce livre, Robert Empain, semble, en effet, vouloir nous faire comprendre qu’il s’agit de faire remonter à la conscience ce qui est enfoui dans son au-delà, l’émotion vécue, par une praxis expérimentale vécue dans l’instant et dans sa manifestation. Autrement dit, c’est le sens de cette dernière qu’il faut pro-clamer, clamer devant, clamer à la présence de l’autre. Mais pas seulement. Car si, de fait on pro-clame l’émotion, il convient aussi de la transformer en connaissance. Ici l’Esprit entre en jeu et, en raison de la joie de porter haut et fort la connaissance et sa manifestation à la présence de l’autre, le spectateur, partenaire de cette dialectique, entre dans une sorte d’euphorie démonique, l’eudémonisme, la contemplation de la vérité, bien éloignée de la conception qu’en avait Nietzsche qui y voyait une sorte de béatitude pouvant engendrer un sentiment de bonheur, dont il n’est pas nécessaire de souligner l’impermanence. Ce bonheur là ne s’embarrasse pas de l’art et inversement ! »  Cristian Ronsmans. 2015 


Xavier Houben, architecte 

« Depuis quelques mois, voire une année entière, j’ai envie de vous dire à quel point votre livre m’a touché. Mes deux lectures ont transformé l’exemplaire que vous nous aviez donné en un merveilleux manuscrit chiffonné, sali et rempli de notes, de traces de crayon et de doigts. Ce livre m’a touché comme m’a touché la rencontre avec votre bonheur et votre générosité, à Saskia et à vous, lors de cette soirée où nous étions venus vous offrir un rosier et qui fut pour moi une véritable leçon de vie. Depuis ce jour, il me semble juste et indispensable de chercher sa voie avec beaucoup d’honnêteté et de bienveillance envers soi même. Je pense que la vie et le partage avec les autres personnes, avec les animaux et la nature, ne nous montrent leur merveilleuse beauté que lorsque nous nous autorisons à la voir. Cette voie, vous nous l’as montrée avec cette honnêteté et cette bienveillance que vous et Saskia personnifiez pour moi. Je vous suis reconnaissant de m’avoir montré qu’une certaine douceur, que certains doutes et questionnements sur la vie et la spiritualité, qu’une certaine fragilité peut-être, ne sont pas des choses que nous devons cacher aux autres. Les personnes bienveillantes nous en serons reconnaissantes, ce sont les personnes dont on se nourrit, et tant pis pour celles qui ont le besoin ou l’envie de nous blesser en passant par cette porte qu’on leur a ouverte. J’ai beaucoup d’admiration pour votre érudition. Votre livre était pour moi un énorme cadeau car vous y livrez votre personne, une mise à nu de vos pensées, de vos plaisirs et de vos questionnements, de votre histoire aussi, ce qui me permet de me nourrir et m’aide à me construire un peu plus. Le fait que certaines lignes soient très proches de mon histoire et de mon monde n’y est certainement pas étranger : -) Ces lignes ne sont pas aussi bien écrites que celle de votre ami Olivier, mais ce matin, je me suis dit qu’il était temps de vous envoyer quelques lignes pour vous remercier à ma manière un peu confuse. Je me réjouis de pouvoir continuer mon vol à travers cette vie, en me disant que vous pouvez à chaque moment apparaitre au hasard d’un coin de rue et je garde votre icône voilée comme un rappel pour moi à être et à rester vrai et généreux. à bientôt, avec beaucoup d’émotion, » Xavier Houben, 2016 


Dominique Lebel. romancière, historienne de l’art. 

Ad imaginem dei - L’oeuvre invisible, de Robert Empain. Une âme en voyage « L’oeuvre ne devient oeuvre qu’en oeuvrant en nous, par nous, là où elle s’accomplit et nous transfigure, nous rendant capable de ressembler à Dieu » Voilà, vous avez compris le titre. Ce livre est né des carnets d’un artiste, griffonnés pendant plusieurs années. Et c’est un livre magnifique. Je vous invite à suivre ma visite, parce que tout s’est passé pour moi exactement ainsi. J’ai suivi le guide– bon, par moments je ne l’ai plus écouté mais j’ai toujours été comme ça, incapable de trop de suite dans les idées. Je n’ai jamais suivi une visite en entier, un rien me distrait. Mais là, j’avais un guide très particulier –vous vous souvenez des piles Duracel et des petits lapins qui tapaient sur un tambour, à la télé ? C’est lui. Et ce n’est pas lui, parce qu’il est aussi peintre. Et il a une prose extraordinaire, donc il est aussi écrivain - ou poète, vous choisirez. Je l’ai suivi à Venise, à Florence, à Ostende, à Manhattan, à Aix en Provence, dans les musées. Je suis partie en avion vers Rome avec lui et nous avons regardé les sommets enneigés des Alpes et il m’a dit regardez bien par le hublot, on dirait d’énormes reptiles pétrifiés. Il m’a montré une chapelle peinte par Giotto, m’a entraînée dans les turbulences des couleurs et m’a dit vous voyez, là c’est un miracle. Il m’a montré les femmes nues de Picasso et m’a dit aussi ce que vous voyez là, ce sont des équations féminines non résolues, comme des bateaux en réparation. Il m’a montré les peintures si lisses de Dali et m’a dit sur ces tableaux-là, le peintre a envie de rire, il plonge dans les apparences pour les détruire, ça l’amuse. Il m’a emmenée vers le sourire du Kouros grec, qui n’a pas trop envie de sourire parce qu’il n’est qu’un homme de pierre et qu’il lui manque la vie, et il m’a montré aussi le drame dans le ciel, entre la lumière et l’ombre. Et puis j’ai vu au passage quelques femmes, et un couple extraordinaire et un directeur d’agence publicitaire –un peu de sa vie. Il m’a montré des phrases, « je ne cherche pas, je trouve » et celle-là, que je voudrais ne jamais oublier: « La vie est si simple en été ». Et puis il m’a raconté une histoire, qui est l’histoire de l’art , la vraie–c’est l’histoire d’un oeil, parce qu’à partir de la Renaissance, les peintres n’ont plus eu qu’un oeil, un oeil de verre qui les empêchait de voir. Ensuite ils ont retrouvé leurs deux yeux parce qu’ils ont commencé à piéger cet oeil qui ne voyait rien d’autre que la surface des choses, mais ce n’était pas assez. Il a fallu que l’un des deux yeux regarde à droite et l’autre à gauche et le troisième oeil est né, avec Picasso. Cet oeil-là voit ce qu’il y a à l’intérieur. A l’intérieur de l’écran. Mon guide m’a montré aussi ce qu’il était capable de faire, et je l’ai vu tracer un trait, le trait magique qui réconcilie le dedans et le dehors, vous savez, ce trait qui brise les vitres. Je l’ai vu aussi fabriquer du blanc, son blanc qu’il appelle le blanc camembert et ça m’a fait rire, de la part d’un publicitaire. Alors je dois le remercier –il faut toujours remercier le guide. Pas pour la visite de Venise, je trouve les Vierges à l’enfant espagnoles tellement plus belles et émouvantes que les italiennes. Pas non plus pour la visite de Florence, parce que je suis un peu comme Nina, moi aussi j’ai été happée par les vitrines des boutiques, qui sont fabuleuses là-bas. Non, je voudrais le remercier pour m’avoir cité cette phrase sublime de Fra Angelico, à laquelle je vais m’accrocher à partir d’aujourd’hui (une phrase pareille je vais vous dire, je ne vais pas la lâcher) : « L’obscurité du monde n’est qu’une ombre ». Et au moment de quitter mon guide, je l’ai bien regardé et j’ai repensé à cette parole de Picasso, qu’il m’avait répétée : « à quatorze ans je dessinais comme Raphaël, il m’aura fallu avoir quatre-vingts ans pour dessiner comme un enfant ». Et parce que j’espère très sincèrement que vous irez vous plonger vous aussi dans ce livre, je dois vous prévenir : il n’y a pas de plan de visite. Et n’en demandez pas au guide, il ne vous en donnera pas. Parce qu’il suit le plan originel, comme dans les salles des fac-similés égyptiens, il vous expliquera. Tous ces chapitres sont autant de fragments projetés sur un livre abstrait –abstrait au sens propre, c’est à dire détaché du monde des apparences C’est le livre d’une âme, si vous voulez tout savoir, mais d’une âme qui prend l’avion avec son patron pour aller demander de l’argent aux Américains, une âme qui s’enchante d’un beau paysage, une âme qui se fâche parce que le monde l’énerve, une âme qui tombe malade et qui rêve aussi. Qui rêve d’un art théophanique –auquel vous croirez ou pas, en tout cas, je vous promets une sacrée visite. » Dominique Lebel. 2017 


Marie Pairelle, secrétaire de mairie 

«J’ai enfin pris le temps de me plonger dans votre livre Ad Imaginem Dei - L'oeuvre invisible, acheté lors de votre exposition à Plaincourault, où j'étais venue peu avant vous déranger avec mes plans de géo-biologie…

Peu après, vous m’avez demandé si je comprenais votre cheminement à travers vos écrits. Oui, j'ai compris et j'ai aimé, et beaucoup aimé même. J'avais commencé à marquer les pages au crayon dès qu'un passage traduisait de belle façon mes pensées, ou m'interpelait, ou me touchait. Je me suis vite rendu compte qu'il y en avait beaucoup trop pour que je vous les cite tous. Je vais donc résumer mes commentaires. Je ne m'attendais pas à votre passé de publicitaire et j'ai adoré votre analyse, moi qui ait été trésorière de l'Association Nationale de Défense des Téléspectateurs lorsque la pub a commencé à couper les programmes dans les années 90… Vous m’avez un peu scotchée avec la cérémonie de messe. Afficher ainsi sa foi, Il fallait oser ! Les descriptions de tableaux m'ont non seulement intéressée mais ont grandement contribué à mon éducation... Et pas que ... " La Tentation de Saint Antoine" m'a éclairée pour mieux supporter des émotions à combattre et retrouver ma sérénité. Merci. Et tout cet amour ! Me voici rassurée sur la race humaine, encore merci. Lorsque j'ai un écrit important à rédiger, je choisis mon endroit, une feuille blanche et un crayon papier, et j'attends qu'on me souffle. Parfois je m'épate quand je me relis... au fond de moi que sais bien que si talent il y a, il ne vient pas vraiment de moi. Bien sincèrement » Marie Pairelle, 2017  


Un lecteur philosophe, dont ne j’ai pas retrouvé le nom   Le peintre et poète Robert Empain a construit ce récit à partir de ses carnets de voyages et de ses rencontres avec les oeuvres d’art. L'auteur de ce livre nous achemine au fil de ses voyages et de son travail d’artiste, vers une authentique et originale phénoménologie de l'art qui, fidèle à la méthode initiée par Husserl, consiste, de réduction en réduction, à aller à la chose même de l'art, à son phénomène, à son apparition. Il s’agit pour l’auteur, comme pour l’artiste potentiel et originel qu’est à ses yeux tout homme, de rencontrer les oeuvres en personne, et, ce faisant, de prouver en l’éprouvant ce que Wassily Kandinsky disait de l'oeuvre d’art, qu'elle est à la fois extérieure et intérieure, qu'elle obéit à une double nécessité, la première qui du dedans pousse l'artiste à créer, à se créer en créant, et la seconde qui s'imposant de l'oeuvre même conduit le faire même de l'art, l'art de faire. L'oeuvre d'art se montrant alors comme tout phénomène du monde selon un double mode d’apparaître : l’un au dehors, dans la réalité visible du monde, et l’autre au dedans, dans la réalité invisible de l’âme vivante. Ce récit, où se succèdent les récits de rencontres fondatrices et fulgurantes d'un jeune peintre avec les oeuvres d'art, témoigne de leur pouvoir de ressuscitation, de leur capacité d’éveil spirituel, mais alors et encore du pouvoir et de la fonction de l’imagination créatrice et visionnaire par laquelle l'oeuvre d'art vue et vécue devient une oeuvre vivante. L'auteur réaffirme alors la vocation perdue de l'art : par la rencontre vivante avec des oeuvres d'art véridiques, non seulement l'oeuvre reprend vie, mais chacun peut se rencontrer lui-même ressuscité, c'est-à-dire imaginer en lui l’Image de Dieu à laquelle il est fait et vers laquelle il peut s’élever. 2017



Camille Gloaguen, « humble lectrice » 

« Ce livre témoigne du monde des vivants à l'endroit où la barbarie nauséabonde actuelle attaque Dieu en oubliant sa bonté et sa générosité. Il n'existe plus de Père de nos jours, nous oublions les anciens et ce livre permet de les ressusciter par l'intermédiaire d'une écriture voluptueuse, douce et empreinte de magie. Il y aurait tant à dire et je ne suis qu'une pauvre petite lectrice ô combien humble. Pour moi ce livre permet de vivre cette dualité qui existe entre la connaissance, la soif d'apprendre et le sensoriel de la vie qui existe en chacun d'entre nous. Eros l'emporte sur Thanatos et Dieu merci ! Amen. » Camille Gloaguen. 2018 


Raymond Oillet, philosophe, auteur 

« J'ai lu avec plaisir la belle page que Thierry Berlanda a écrite pour présenter Ad Imaginem Dei : il vous compare à un volcan et non à l’ange boiteux que vous dites être… Et moi je vous vois comme un ‘phare’ mais c'est toujours en précisant ‘à qui sait voir’… Rappelez-vous Mallarmé qui parlait du 'troupeau ahuri des humains’… Mais je lis dans votre livre : « Les hommes sont des miracles qui s'ignorent tant qu'ils doutent de la source invisible qui les fonde, tant qu'il ne leur vient plus à l'esprit qu'ils sont eux-mêmes les preuves qu'ils cherchent éperdument au dehors, là où ne se trouvent plus que des traces éphémères de leurs vies. Ainsi, doutant, ignorant ou méprisant les pouvoirs qu'ils reçoivent du Vivant, ils les épuisent en conquêtes extérieures stériles où ils s'annulent les uns les autres. p.304 Et ceci un peu plus loin, sur Matisse, p.311: « L'émotion est ainsi le miracle qui meut simultanément, fait vibrer les couleurs de l'âme et les couleurs correspondantes du monde. Ce miracle, qui fait se rejoindre lumière de l'âme et lumière du monde, est semblable à celui qui met en résonances les sonorités de l'âme et celles du monde, ainsi que les saveurs, les senteurs et des élans du coeur. Toutes ces correspondances vibratoires étant celles du dedans et du dehors, de l'invisible et du visible, de l'âme et du monde, de l'Incréé et du créé, du Créateur et de sa créature, du Vivant et des vivants, de l'Amour et des aimés. Tous ces phénomènes se nomment encore des théophanies, à savoir des réalités divines manifestées dans le monde mais éprouvées dans l'invisibilité vivante de notre âme. OUI. La création, faudrait-il ajouter, me rend responsable de l'Amour. L'Amour inspire la Sagesse et réciproquement sans doute car sans discernement ni prudence, l'erreur et la passion nous emporteraient. Il n'y a pas UN ( seul ) mais bien création, Un en Deux, la créature (ou Fils) étant responsable du jeu ( je ). Et vous n'avez pas manqué cette vérité. Vous écrivez ‘miracle’, 'théophanie’, ‘résonance’, vous savez, j'ai même précisé 'résonance’ et non ‘ raisonnance’ ! L'Amour et pourquoi pas la Foi ; je ne répugne pas à ce mot, somme toute le sentiment intense et précis d'appartenir à un ordre divin, mais qui n'est pas mécanique, déterministe. Liberté et responsabilité sont liées. » Raymond Oillet. 2019 


Grâce à eux

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Découvrez sur iTunes : AD IMAGINEM DEI 1 L’œuvre invisible de Robert Empain, un livre de 372 pages  illustré magnifiquement par les oeuvres d'art évoquées.

vendredi 30 août 2019

Le don de la chair du Christ en ses mystères

Grâce à Antoine Vidalin

La phénoménologie de la vie élaborée par Michel Henry a profondément renouvelé l’approche philosophique du corps humain, le comprenant désormais comme chair vivante, donnée à elle-même dans l’auto-donation de la Vie absolue (Dieu). Cet article veut éprouver la fécondité de cette approche du corps pour la théologie eucharistique en scrutant les paroles et les gestes de Jésus au cours de la dernière Cène, tels qu’ils sont transmis aux Apôtres.


La Cène par Fra Angélico. 1439



L’Acte eucharistique de Jésus et sa tradition

LE DON DE LA CHAIR DU CHRIST EN SES MYSTÈRES

La phénoménologie de la vie élaborée par Michel Henry au cours du dernier demi-siècle a profondément renouvelé l’approche philosophique du corps. La reconnaissance de la chair comme réalité auto-affective, subjective et invisible de l’homme ouvrait la voie pour une nouvelle phénoménologie dans laquelle il s’agit de rapporter tous les phénomènes à leur réalité affective dans la chair (ainsi, appréhender la couleur d’un objet demandera de la saisir, non d’abord comme une propriété d’une substance mondaine, mais comme une tonalité impressionnelle de mon acte de vision). Loin de discréditer le monde, la phénoménologie de la vie permet au contraire de le fonder pleinement comme monde-de-la-vie, et renoue sans doute avec une métaphysique concrète et réaliste.
Au terme de l’oeuvre d’Henry, l’ouvrage Incarnation montrait comment une phénoménologie de la chair renvoyait nécessairement à une phénoménologie de l’in-carnation, de la venue en soi de toute chair dès lors que toute impression est portée, comme ce qui la rend possible et réelle, par une Archi-impressionnalité, celle de la Vie absolue venant en soi dans le Premier Vivant. Ainsi pouvait être donnée une intelligence philosophique de l’Incarnation du Christ, Premier Vivant, comme la venue dans une chair de celui qui se tient au Commencement de toute chair et la rend possible.
Assuré qu’une telle phénoménologie, en arrimant ainsi toute chair à la Vie absolue, ne peut manquer de renouveler la théologie, nous avions tenté dans un premier article (1) de montrer l’incidence de cette compréhension de la chair sur la notion de présence réelle dans le corps eucharistique. Nous voudrions à présent dans cet article (2) éprouver la fécondité d’une phénoménologie de l’incarnation  pour l’approche théologique de l’Acte eucharistique de Jésus à la dernière Cène.

I. — L’Acte eucharistique de Jésus

Le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain, et ayant rendu grâce, il le rompit et dit: «Ceci est mon corps qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi». De même il prit aussi la coupe
après le repas, en disant: «Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites ceci, chaque fois que vous en boirez, en mémoire de moi» (1 Co 11,23-25).

Ceci est mon corps

Étant, avec le Père et l’Esprit Saint, l’auteur de sa propre Incarnation, le Christ peut dire de lui-même en vérité: ceci est mon corps, car il est la Parole faite chair et qui donc fait de ce corps, son corps. Comme Verbe incarné, il est la Parole qu’il dit (sa chair est la parole qui dit: c’est moi, JE SUIS ce corps). Il possède ainsi la puissance de disposer de soi en son corps. C’est pourquoi cette première parole de Jésus est identiquement un acte, l’acte intérieur qu’expriment les gestes de prendre le pain et de rendre grâce, et par lequel le Christ se saisit de soi en vue du don de soi, acte qui remonte à son Incarnation même. Il peut le dire de lui-même, mais aussi du pain qu’il prend: en effet, il n’est pas seulement la puissance agissant en sa propre Incarnation, mais la puissance s’incarnant en toute chair et donatrice des pouvoirs par lesquels toute chair est constituée dans sa relation au monde, singulièrement pour pouvoir s’y nourrir. Ainsi, le pain ne peut devenir ma chair de telle sorte que j’y puise le rassasiement et la force que parce que, sous l’enchaînement des actions telles que mastication, déglutition, assimilation corporelle, s’opère une véritable transsubstantiation invisible (et pour cela, réelle) en laquelle la chair du Christ m’est donnée pour devenir ma chair. C’est, en effet, dans l’Incarnation du Christ au Commencement, que me sont donnés ces pouvoirs charnels de manger, d’assimiler, de transformer cette nature étrangère, broyée sous mes dents,  en ma vie et ma force. Ainsi peut se lire la miséricorde première de la Vie, dans cette Incarnation du Christ au tout début, donatrice de tout pouvoir. Cette chair du Christ est bien également présente dans le pain dans la mesure où le pain n’est pain que comme fruit de la terre (germination), de l’eau et du soleil (croissance), du feu et du travail de l’homme (farine, pâte, cuisson), possible par la première), que leur chair devienne sa chair, que leur chair ne vive plus d’elle-même mais de Lui, s’éprouvant en Lui qui se donne à eux. La transsubstantiation opérée par la Parole du Christ, ceci est mon corps, du pain en corps du Christ doit donc être comprise au niveau ontologique fondamental de la phénoménologie de la vie: celle de la chair des disciples en la chair du Christ qui les joint à eux-mêmes et, corrélativement, celle du pain en la chair du Christ qui donne toute chair à elle-même.
Il faut ajouter que c’est justement parce que l’homme, par le péché, vit dans l’oubli de sa relation ontologique à la vérité originelle de la Vie, que cette relation doit être restaurée au lieu même où elle fut oubliée, c’est-à-dire par la nourriture. Puisque l’homme s’est tourné vers l’extériorité, lui demandant la Vie, c’est par le détour de l’extériorité que le Christ donne sa chair, extériorité que la mort doit briser pour que la Vie intérieure soit donnée. Comment cela se fera-t-il? Dans l’acte par lequel l’homme pourra actualiser sa passivité et sa dépendance, c’est-à-dire dans l’acte de manger. Car si cet acte, suite à la convoitise, fut celui du péché, il demeure celui du besoin et du savoir pathétique de notre dépendance.
Manger, c’est non seulement prendre le monde, le croquer à pleines dents de telle sorte que la nourriture broyée sous la dent livre au palais son suc, mais aussi, la nourriture étant déglutie, l’assimiler à nos puissances corporelles dans une opération dont nous sommes passifs, puisqu’elle se déroule en nous sans nous.
Et de même que le pain est non seulement cette bouchée invisible nourrissant les hommes, mais un «ceci» fait pour être broyé, le Christ n’est pas seulement chair invisible porteuse de la Vie de Dieu, mais corps visible. C’est pourquoi il ne dit pas: ceci est ma chair, mais: ceci est mon corps. L’Incarnation du Verbe est en effet sa venue dans une chair de péché, une chair non seulement passible et dépendante, mais aussi vulnérable, soumise aux puissances extérieures, qui se présente sous l’aspect d’un corps que l’on peut réduire à sa seule visibilité. Cela implique qu’on puisse le saisir, le prendre sous la main, le rompre, le transformer en une chose, un ceci. C’est un corps de pauvre qui peut être mangé, non seulement par les bêtes sauvages, mais par les hommes, les riches et les puissants, car quand ils mangent leur pain, ils mangent mon peuple (Ps 13,4). Les pauvres n’ont plus que leur corps et pour cette raison, peuvent être mangés: ils dévorent la chair de mon peuple et arrachent la peau de dessus lui, ils lui rompent les os, ils le dépècent comme de la chair dans le chaudron, comme de la viande à l’intérieur d’une marmite (Mi 3,3). Ce qui peut sembler ici une métaphore, une outrance rhétorique des prophètes pour dénoncer  l’injustice des puissants, doit recevoir sa vérité littérale dans la chair du Christ: c’est bien la peine du travailleur et donc sa chair que nous dévorons lorsque son travail est volé et aliéné de sorte que nous lui ôtons la vie. Dévorant sa chair, nous mangeons celle du Christ Premier Vivant s’incarnant en toute chair comme ce plus de la vie, donateur de tout accroissement, qui ne peut plus être donné ni accueilli, mais dévoré.
La Parole du Christ: ceci est mon corps dit donc le Verbe Incarné, Jésus-Christ, dans la condition unique qui est la sienne, à la fois Verbe et homme, Verbe incarné donateur de toute chair, et homme solidaire de tous les vivants, pauvre avec les pauvres dans un corps vulnérable et souffrant. De tout cela, le Christ rend grâce en rendant grâce pour le pain, recevant son être et sa mission du Père et s’abandonnant à lui: tu m’as façonné un corps, alors j’ai dit: voici, je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté (cf. He 10,5-7et Ps 39,8).

Qui est pour vous

Un corps n’est jamais une chose, un simple ceci. Il est habité par une chair. C’est cette chair qui se donne en acceptant de devenir un ceci, en se distanciant en quelque sorte d’elle-même pour dire: ceci est mon corps. Cette donation a sa source dans la volonté divine qui présida à l’Incarnation et par laquelle le Verbe veut demeurer ce qu’il est depuis le Commencement, le donateur de toute chair, et qui le conduit à assumer le refus de l’homme en acceptant la loi de l’extériorité et donc la mort. C’est cette volonté que le Christ ratifie en sa volonté humaine à Gethsémani, en obéissance au Père. Le ceci doit donc, pour trouver sa vérité intégrale, être rapporté à l’ensemble de la phrase: ceci = mon corps qui est pour vous, mon corps en tant qu’il est intégralement pour vous. Mais que donne le Christ aux Douze (et à eux seuls selon les trois Évangiles synoptiques) en cette heure qui précède sa Passion?
Il ne s’est pas encore offert sur la Croix, le sacrifice n’est pas complètement accompli! Il ne peut encore leur donner la Vie éternelle puisqu’il n’a pas encore reçu la gloire qu’il possédait avant
la fondation du monde (cf. Jn 17,5) et que l’Esprit n’a pas encore été livré (cf. Jn 7,39). Il donne ce qu’il est à cet instant, c’est-à-dire son corps en tant que prêt pour la Passion, dans l’accord de ses deux volontés. Il révèle par là que cette Passion est pour les Apôtres, qu’elle n’est pas un événement accidentel, voire concernant seulement le péché des autres hommes (des chefs du peuple juif ou des Romains), mais qu’elle est nécessaire pour qu’il les rejoigne. Cette révélation n’est pas d’abord intellectuelle auquel  cas Jésus aurait pu se contenter d’un discours); elle est un Acte, par lequel il passe en eux dès lors qu’ils acceptent de communier à cet Acte en prenant le pain et le mangeant, c’est-à-dire dès lors qu’ils se fient, par leurs actes, à celui qui a les paroles de la vie éternelle (Jn 6,68) sans qu’ils ne comprennent ni ne croient encore pleinement. Ce n’est pas encore la vie éternelle qui leur est donnée (comme il en sera après la résurrection lorsque pour eux le Christ rompra le pain), mais l’assurance éprouvée concrètement dans la manducation, de son amour pour eux, un amour qui ira jusqu’au bout, malgré leur abandon, leur lâcheté et même la trahison de l’un d’entre eux. De telle sorte qu’ils pourront revenir (Lc 22,32) et recevoir la paix et le pardon du Ressuscité pour en être lestémoins. Ils le pourront, car en mangeant le corps du Christ tout prêt pour la Passion, ils demeurent, par delà la faiblesse de leur foi, en communion avec celui qui continue à les porter, seul, dans sa Passion, à cette Heure où l’action de l’homme ne peut plus rien et où Dieu seul agit dans son Fils (4).
Si le Christ ne s’était pas donné, la veille de sa Passion, à ceux qu’il avait choisis pour être ses compagnons et ses Apôtres, ceux ci n’auraient pu participer réellement à sa Passion en étant plongés dans sa mort pour être sauvés (5).

De la nécessité pour le Christ de se donner réellement en son corps aux Douze Apôtres, témoigne en contraste l’absence étonnante à la dernière Cène de Marie. Sans entrer dans le débat historique sur la convenance de sa présence à un tel repas, l’absence de mention scripturaire doit être honorée et recevoir sa signification théologique: si Marie n’a pas communié à la dernière Cène, c’est qu’elle n’en avait pas besoin (alors qu’elle sera aux côtés des disciples pour prier et recevoir l’Esprit Saint). Marie n’a pas besoin de communier, dès lors que sa vie est déjà tout entière communion dans la foi et dans l’Esprit à la vie de son Fils, jusqu’au consentement au pied de la Croix, et même jusque dans a résurrection de son Fils (d’où l’assomption de Marie, fruit de  cette communion charnelle). En effet, la Parole qu’est son Fils ne cesse de se faire chair en elle depuis le début, à l’Annonciation, immédiatement, sans avoir besoin de passer par l’extériorité sacramentelle: et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses dans
son coeur (Lc 2,19 et Lc 3,51). La présence de Marie au pied de la Croix souligne combien il était nécessaire que le Christ trouvât, pour son Acte, une personne qui en reçoive totalement le fruit en son être en y adhérant. Une telle adhésion du côté des Apôtres ne saurait encore être entière. Elle ne le sera d’ailleurs jamais totalement, même après la Résurrection, de sorte qu’eux-mêmes et l’Église auront toujours besoin de Marie à leur côté, comme Mère de leur foi. Aussi, Marie à l’Eucharistie est-elle plutôt du côté de celle qui, par sa foi, donne le corps de son Fils aux disciples plutôt que de celle qui le reçoit. C’est ainsi qu’elle n’est pas seulement figure personnelle de l’Église, mais aussi Mère de l’Église.

Le don du corps du Christ correspond donc au mystère de son Incarnation, comme Envoi par le Père, et au mystère de son existence pour nous les hommes, accomplie dans l’obéissance au Père jusqu’à sa libre disposition pour la Passion. Ce n’est pas un hasard si les paroles et les gestes sur le pain surviennent, selon Paul et Luc, au début du repas, renvoyant ainsi au commencement de la vie du Christ et aux mystères de l’Incarnation et de Gethsémani.
Les paroles suivantes concernant la coupe de vin sont en revanche placées, toujours selon Paul et Luc, à la fin du repas. Nous allons voir comment elles expriment directement la Passion et la Résurrection, c’est-à-dire les derniers mystères du Christ.

Mon sang

Le sang, c’est l’âme de la chair (Lv 17,14). Cette affirmation scripturaire doit recevoir un sens phénoménologique et non simplement métaphorique. Quelle expérience ai-je de mon sang?
Tout d’abord, n’est-il pas intérieur à mon corps, presque invisible et en même temps si touchable, si vulnérable en son affleurement sous la peau? Ne pas le voir et en sentir les pulsations, c’est vivre, alors que le voir s’écouler dans ce rouge vermeil dont l’intensité a la violence de la vie, c’est commencer à mourir. De plus, ne fais-je pas l’expérience, à travers l’irrigation du sang qui rejoint et habite chaque point de ma chair vivante en ramifications de plus en plus fines, et dont le battement de coeur en sa répétition entretient incessamment le flux, d’une vie qui vit en moi sans moi et qui pourtant est la vie de ma vie. Cette vie autre est en même temps si intime que mes sentiments les plus personnels, voire le traits de mon caractère, se colorent de la couleur de mon sang: le rosissement du bien-être, le fard de la honte et le rougeoiement de la colère, le blanchiment de la peur et de l’humiliation... Si le corps peut être dit symbole de la chair en tant qu’il renvoie immédiatement à la chair invisible et à ses pouvoirs (ces mains qui prennent, ces yeux qui voient…), le sang, cette intériorité vivante, voilée sous la peau, peut être alors dit symbole de la chair en tant qu’il renvoie au principe de la vie de la chair, son âme. C’est ainsi que corps et sang symbolisent réellement à eux deux la chair immanente. Mais le sang symbolise plus précisément la chair en tant que vie reçue et donc dépendante d’une Vie qui la précède et lui est en même temps immanente. Par là, le sang dit aussi la fragilité de la chair, sa dépendance et sa souffrance possible: ainsi son écoulement extérieur est identique au sentiment intérieur de la vie se retirant de soi et donc de la perte de soi, sentiment qui est pourtant l’épreuve de soi la plus angoissante, dans laquelle l’ego, au moment où il se sent disparaître, souffre lui même le plus intensément comme celui qui est livré à lui-même et à son impuissance radicale, faisant déjà l’épreuve réelle de sa mort. Le sang contient ainsi à la fois l’expérience d’une communion à la Vie absolue et d’une possible rupture de cette communion.
Par sa dichotomie (mort/vie) et le renvoi inévitable à une Vie reçue d’en haut, le sang, dans toutes les civilisations, touche à la dimension sacrée de l’existence, même si toutes ne se comportent pas de la même manière à son égard. L’interdit formulé en Genèse et en Lévitique concernant la consommation du sang des animaux est l’expression du sentiment de cette dimension et l’inscription de l’impossibilité pour l’homme de mettre la main sur la vie. En même temps, cette interdiction tranche avec la pratique d’autres cultures qui ont pu, non seulement boire le sang des animaux pour s’approprier leur vie, mais encore le sang humain. De telle sorte que l’interdit en Israël vient s’opposer à un désir tout aussi fort de boire le sang pour communier au principe vital. On pourrait dire que, d’une certaine manière, l’interdit juif souligne la nécessité de ce qu’il prohibe, puisqu’il consacre la présence du divin, comme origine de la vie, dans le sang, et qu’Israël vit pour cette communion à la présence de Dieu. Car que recherche l’homme?
Non seulement sa subsistance et sa force en mangeant (la Faim y est Besoin de soi) mais aussi sa joie en communiant à la Vie infinie qui le porte (la Soif y est désir de Dieu, de la jouissance de soi là où elle est possible, c’est-à-dire en Dieu).

Ce désir de communion et de joie trouve une satisfaction réelle dans le vin qui réjouit le coeur de l’homme (cf. Ps 103,15): lent produit du soleil qui extrait de la terre ses vertus minérales pour les concentrer dans le raisin vermeil, fruit du travail amoureux de l’homme sur sa vigne, de la vendange joyeuse et du foulage violent aux pieds dans la cuve, produit du patient travail du temps qui transforme au fond des caves le liquide sucré pour lui donner ses vertus enivrantes, le vin est vraiment le sang de la terre et des grappes, auquel l’homme peut boire et par lequel il peut célébrer sa communion et sa joie. À la différence du pain, le vin n’est pas nécessaire à l’entretien de la vie. Il est pourtant un luxe indispensable si l’homme est un être de désir, c’est-à-dire appelé à communier à la Vie reçue en partage avec tous: on a soif de plus que de l’eau, et toute soif, même la plus humble, est soif de Dieu. En se mêlant au sang, le vin devient sang et apporte l’ivresse qui gagne tout l’être à la joie et le dispose à la communion. Or la joie surgit en nous sans nous, comme le vin agit en nous sans nous, comme le sang bat en nos veines sans nous. La joie est imprévisible et surabondante, résultat non des efforts volontaires de
l’homme mais donnée dans la communion aux autres. On ne se réjouit pas pour quelque chose, ni même pour soi, mais toujours à cause de quelqu’un, de sa présence, de la communion vécue avec lui. C’est pourquoi le mariage dans lequel deux personnes s’unissent l’une à l’autre pour toujours, donne son caractère le plus intense au vin des noces. C’est pourquoi aussi l’ivresse du vin sans la joie de la communion, est une joie factice qui se transforme bientôt en une tristesse d’autant plus amère qu’elle est déçue: la coupe de vin peut ainsi se transformer en vin de vertige et de fureur (cf. Jr 25,15 ; Is 51, 17), celui que la Bible associe à la colère de Dieu: le Seigneur tient en main une coupe où fermente un vin capiteux; il le verse et tous les impies de la terre le boiront jusqu’à la lie (Ps 74,9).

Car si le vin réjouit le coeur de l’homme, cette joie n’est encore qu’une promesse, celle de la jouissance pleine et entière vers laquelle la vie de l’homme et l’histoire tout entière sont tendues et que la tradition juive attend à la plénitude des temps comme le festin messianique où le vin sera celui des noces de Dieu avec son peuple, vin nouveau par lequel l’homme communiera à la vie et à la joie de Dieu. Que pourrait être ce vin sinon le sang, c’est-à-dire la vie même de Dieu? C’est ce que le Christ inaugure à Cana et accomplit pour ses Apôtres à la Cène.
Tout d’abord, en disant du vin ceci est mon sang, Jésus révèle qu’il est l’origine de cette vertu de joie contenue dans le vin;  cette l’acte eucharistique de jésus et sa traditio 415 joie qui coule avec le vin dans nos veines et qui devient notre joie, est sa joie, parce qu’elle est son sang, c’est-à-dire sa vie continuant à se donner miséricordieusement à tous, à travers le cosmos et le travail des hommes et plus encore, à travers le temps, cette longue patience de Dieu qui transforme la peine du labeur en joie du fruit (6). Le vin ne peut devenir notre sang et notre joie sans que soit à l’oeuvre la donation d’en haut, celle de sa joie et donc de sa vie communiquée comme son sang qui est la vraie boisson (Jn 6,55).
Mais nous savons que, dans les paroles du Christ, une autre  «transsubstantiation » est à l’oeuvre: non seulement celle de sa chair et de son sang en chair et sang de l’homme, mais celle de la chair et du sang de l’homme en la chair et le sang du Christ, non seulement le sang du Christ présent en tout breuvage capable de désaltérer la soif de l’homme, mais le sang du Christ versé pour nous. Car le sang de la joie, le vin nouveau est un sang versé dans la mort violente que les hommes vont lui infliger (et déjà dans le refus qu’ils n’ont cessé d’opposer à la communion et à la joie). 

La réalité du sang versé est ainsi sa souffrance déjà réelle à l’instant
de la Cène, car présente tout au long de sa vie, de la communion violemment refusée, souffrance qui fera sa soif sur la Croix et que seul le vinaigre désaltérera. En même temps, cette souffrance est déjà réellement joie de la communion avec les Apôtres, par-delà leurs manquements, qui s’accomplira définitivement avec le vin nouveau du Royaume (cf. Lc 22,18). Si cette souffrance est déjà joie de la communion, c’est que, par elle, le Christ rejoint et épouse la souffrance de toute l’humanité. Bien plus, parce que Lui, le seul juste, prend la place des pécheurs, la coupe qu’il va boire est celle de la colère de Dieu. Mais cette coupe est prise par le Christ pour être la coupe du salut pour tous, en étant élevée en sacrifice d’action de grâce, lui qui rend grâce dans l’acte d’offrande de lui-même accompli à cette heure: comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur (…) Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce (Ps 115, 12.17). Car le sang versé ne nécessitera pas d’expiation, étant lui-même l’expiation, par le sacrifice librement consenti et le pardon imploré et donné sur la Croix. La coupe de la colère bue par le Christ est la coupe du salut, offerte aux disciples.
Ce sang versé doit être bu, c’est-à-dire devenir le sang et la joie des Apôtres. Le pardon doit se répandre dans tout leur être, tout leur corps, pour les faire entrer dans une autre ivresse, celle de la communion à la Vie de Dieu et à son amour: par là, le Christ invite, non pas à braver l’interdit du sang mais à accomplir ce que cet interdit désignait, boire le sang de Dieu.
En choisissant de donner son sang à ses Apôtres sous l’apparence du vin, le Christ conjoint donc à la souffrance promise, la joie du festin messianique et de la communion. Il le peut car cette joie est celle du Commencement, la joie du Fils dans l’amour du Père qui présida à l’In-carnation. Ultimement, la joie et la communion sont celles de l’Alliance nouvelle et éternelle. Tel est le fruit promis que la Résurrection manifestera et que la Pentecôte accomplira.


La nouvelle alliance

Le fruit qui sera donné dans la Résurrection puis l’Ascension, c’est-à-dire l’instauration de l’unique Médiation du Christ, est déjà célébré et goûté lors de la Cène puisque le sang offert en boisson est celui de l’Alliance Nouvelle entre Dieu et les hommes. Cette alliance, annoncée par le prophète Jérémie peu avant la chute de Jérusalem et l’exil (cf. Jr 31,31), n’est pas seulement nouvelle parce qu’elle succèderait à l’ancienne, auquel cas elle deviendrait à son tour ancienne, mais parce qu’elle intègre le pardon comme son fondement. En Jérémie, le pardon était certes annoncé (car je pardonnerai leur faute, et de leur péché je ne me souviendrai plus (Jr 31,34) comme ce qui pourrait inscrire la loi de Dieu sur les coeurs (cf. Jr 31,33). Désormais, le sang de l’Alliance est celui même du pardon des péchés, c’est-à-dire que le pardon constitue l’Alliance et n’est pas ce qui, dans un second temps, permettrait de recoller ce qui a été rompu. Cette Alliance est nouvelle car toujours nouvelle, l’amour qui se donne étant toujours neuf comme la vie qui ne cesse de venir miséricordieusement en tous. C’est pour cela que le Christ peut la célébrer avec ses Apôtres malgré leur faiblesse et leur péché, révélant que Dieu nous aime alors que nous sommes encore pécheurs. En même temps, cette Alliance nouvelle est aussi la plus ancienne, elle est l’Alliance originelle dont Adam était appelé à vivre, l’intériorité réciproque avec le Fils à l’image de l’amour vécu avec le Père dans la communion de l’Esprit: moi en eux et toi en moi (Jn 17,23). C’est pourquoi les paroles consécratoires de la messe ajoutent: l’Alliance nouvelle et éternelle, car ce qui est la Fin de l’histoire  l’acte eucharistique de jésus est aussi à l’oeuvre dès le Commencement et à l’origine de toute l’économie du salut (7). Dans l’agneau égorgé depuis la fondation du monde (Ap 13,8), gît le mystère de cette alliance éternelle, caché au long des siècles et manifesté, dans les derniers temps, sur le visage du Crucifié.
Au terme de cette réflexion sur l’acte eucharistique de Jésus nous pouvons tenter le récapitulatif suivant, en reprenant les quatre
mystères que manifeste son Acte:

Incarnation      Gethsémani      Passion        Résurrection
 
       Envoi                 Obéissance          Sacrifice            Communion
 
{Commencement du repas}                       {Fin du repas}
 
Ceci est mon corps Donné pour vous Ceci est mon sang L’alliance nouvelle
 
       Prenez                      Mangez              Prenez                    Buvez

     {Faim comme Besoin de Soi}            {Soif comme Désir de la Vie}

Dans son Acte eucharistique, Jésus rassemble donc toute sa vie, de son Incarnation à son Ascension, se livrant à ses Apôtres afin que ceux-ci soient en communion avec lui et entrent avec lui dans la grande épreuve de leur régénération. En cet Acte, Jésus se révèle en son être et sa mission comme celui qui donne la vie à toute chair, dès l’origine et, par-delà le péché, dans le pardon, déjà promis à l’origine. Toute sa vie est cet Acte. Il est l’Acte premier et dernier, le centre de l’histoire qui révèle le sens du monde et ouvre les Écritures. En son intégralité, cet Acte consiste en l’engendrement des fils dans le Fils unique pour tous ceux qui communient à sa chair. Cela signifie qu’en cet Acte, c’est toute la Trinité qui opère en union à l’opération humaine du Christ: le Père qui envoie en engendrant, le Fils qui obéit en étant engendré et en demeurant dans le Père, l’Esprit livré dans l’étreinte du Père et du Fils que la mort ne peut briser et dont toute vie jaillit. Le Christ est identiquement cet Acte en obéissance au Père pour nous les hommes: on ne peut en rien séparer son être de son agir. Dès lors, pour le Christ, se livrer à ses Apôtres, c’est aussi livrer l’Acte qu’il est, l’acte de sa livraison, de telle sorte que cet Acte puisse devenir le 
leur. D’où la parole: faites ceci en mémoire de moi.


La Cène par Fra Angélico


II. — La traditio de l’Acte eucharistique de Jésus:
faites ceci en mémoire de moi

Ceci: touto. C’est par ce même vocable que le Christ a désigné son corps et son sang: ceci est mon corps qui est pour vous, ceci est mon sang versé pour vous. Mais le ceci se rapporte plus exactement, on l’a vu, à l’Acte de donation du Christ en son corps et son sang (et non d’abord au pain et au vin comme choses). C’est donc d’abord l’Acte eucharistique qui est contenu dans le commandement de faire ceci en mémoire de Lui. Telle est la réalité invisible révélée et donnée dans les gestes et les paroles visibles du Christ: prendre le pain, le vin, rendre grâce, dire ceci est mon corps, ceci est mon sang, etc... Mais il faut aller plus loin et reconnaître dans le ceci non seulement les paroles et les gestes de l’Acte eucharistique de Jésus, mais le fait que ces paroles et ces gestes sont et doivent être les siens. Sinon, nous n’aurions qu’une répétition distancée de ces gestes et paroles sans qu’ils puissent livrer la réalité intérieure de l’Acte de Jésus. D’où la précision: faites ceci en mémoire de moi.
Cette expression doit être clarifiée: eis tèn emèn anamnèsin. On voit d’emblée que la traduction liturgique peut prêter à confusion. Il ne s’agit pas, en effet, de nous souvenir du Christ mais d’agir en sa mémoire, dans sa mémoire: la mémoire est la sienne, c’est lui qui se souvient. Une telle compréhension s’inscrit dans la tradition du Mémorial juif dans laquelle le peuple, par une fête, un geste, un rite, un lieu, une pierre dressée… re-présente à Dieu le souvenir de ses actions et se rappelle à sa mémoire de telle sorte que Celui-ci reproduise ses merveilles pour le peuple. Dans le Mémorial (8), c’est d’abord Dieu qui se souvient, et se souvenir, pour Dieu, c’est agir. En même temps, le Mémorial est commandement de Dieu donné au peuple pour qu’il se souvienne de ses merveilles et se rende disponible à son action toujours nouvelle. Le Mémorial est ainsi toujours concret, impliquant une action de l’homme, et dans cette action, la promesse de l’action de Dieu. Parmi les merveilles de Dieu et les gestes du peuple qui les célèbre, la Pâque est fondatrice et sa fête apparaît comme le Mémorial par excellence, le premier qui soit commandé par Dieu: ce jour vous servira de mémorial et vous le fêterez comme une fête pour le Seigneur; dans toutes vos générations, c’est une institution perpétuelle, vous le fêterez (Ex 12,14).


Se souvenir des tableaux qui ne sont pas encore. Robert Empain. 1996


Or, c’est justement, selon les Synoptiques, au cours du repas pascal que Jésus institue l’Eucharistie comme son Mémorial (le mot utilisé chez Paul et Luc étant le même que celui de la Septante: anamnèsis). Il ne s’agit plus seulement d’accomplir les gestes du repas pascal comme Mémorial de telle sorte que Dieu se souvienne et poursuive au fil des générations l’oeuvre de libération commencée en Égypte (auquel cas l’acte de l’homme reste à distance de l’action de Dieu). Désormais, les gestes du Christ (qui encadrent le repas pascal sans être propres au repas pascal), contiennent réellement l’Acte par lequel le Christ libère l’homme du péché et le réinsère dans la liberté des enfants de Dieu. Il faut les répéter de telle sorte que, dans cette répétition, l’Acte du Christ soit réellement présent. Il faut donc non plus faire des gestes qui seraient un mémorial présenté à Dieu (le mémorial du peuple d’Israël), mais agir dans le Mémorial même du Christ (tout à la fois opération de Dieu et opération de l’homme, qui accomplit tous les mémoriaux d’Israël), c’est-à-dire dans son Acte. Pour plus de clarté, nous traduirons donc désormais le commandement du Christ par: faites ceci en mon mémorial.
Nous l’avons dit, l’Acte eucharistique rassemble toute la vie du Christ. Mais ce n’est qu’après la résurrection que sa chair demeure pour toujours pleine de l’Esprit, porteuse de toute sa vie terrestre, de sa conception à sa mort. Sa chair ressuscitée est ainsi son Mémorial vivant, au sens où la chair est mémoire vivante, active, répétable, et, en ce qui concerne le Christ ressuscité, désormais éternelle et donatrice d’elle-même. Dans le Mémorial eucharistique de sa chair, toute la vie du Christ demeure ainsi présente et disponible comme in-carnation en nous, les hommes. Mais ce n’est qu’après la Pentecôte que les Apôtres pourront, dans la puissance de l’Esprit, entrer dans le Mémorial du Christ pour agir en lui. Au soir de la Cène, les Apôtres ne pouvaient encore agir sinon en prenant, mangeant et buvant, c’est-à-dire en actualisant leur passivité foncière devant le don du Christ. Désormais, revenus de leur faiblesse et de leur péché, affermis dans leur foi par la Résurrection du Christ et par l’Esprit, ressuscités avec lui, c’est-à-dire ayant part à sa chair, ils apprennent à vivre de Lui et par Lui, et sont envoyés pour donner sa vie au monde: Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie (Jn 20,21). Demeurant dans cet envoi qui les consacre et les constitue (de même que l’identité filiale de Jésus est d’être l’Envoyé du Père), ils peuvent répéter les gestes et les paroles eucharistiques du Christ à partir de la donation première de la chair du Christ, reçue à la Cène et dont ils continuent à vivre de telle sorte que leur agir porte une présence du Christ absolument réelle. Ainsi, la réalité intérieure des gestes et des paroles qu’ils vont accomplir est-elle ce qui rend possible tout geste et toute parole de leur part, à savoir la donation du Christ comme incarnation vivante en leurs pouvoirs. Mais cette donation ne s’accomplit absolument que si leurs actes sont réalisés à partir d’elle, c’est-à-dire que si la prise du pain, l’action de grâce, la parole ceci est mon corps, etc… sont effectuées en communion avec le Christ qui se donne par ces gestes qui sont les siens, c’est-à-dire s’ils se livrent aussi avec lui en s’offrant au Père. Car alors, en se donnant, ce n’est plus eux qu’ils donnent mais le Christ, qui leur donne de se donner. La chair du Christ est désormais leur chair, son Mémorial, leur Mémorial.
Ainsi, en instituant l’Eucharistie au soir de la Cène, Jésus institue du même coup les Douze comme prêtres de la Nouvelle Alliance, ainsi que le reconnaît le Concile de Trente9. Le sacerdoce des Douze fait partie intégrante de leur apostolicité: établis témoins du Christ et dépositaires de son Acte (le dépôt de la foi est justement cet Acte vivant de Tradition), ils sont envoyés pour transmettre sa vie, en répétant ses gestes et ses paroles, répétition qui n’est possible qu’en se livrant soi-même (la Tradition vivante est à ce prix pour ne pas sombrer en traditionalisme).
Le commandement du Christ: faites ceci en mon mémorial porte ainsi en lui une double injonction:
– d’une part, répéter les gestes et les paroles du Christ,
– d’autre part, vivre ce que les gestes expriment du Christ, en se donnant soi-même avec Lui, c’est-à-dire, ainsi que le demande l’évêque durant l’ordination, en conformant sa vie au mystère célébré. 
En même temps, nous l’avons dit, les Apôtres, comme chacun de nous, ne seront jamais adéquats au don parfait que le Christ accomplit. Mais cet écart est bienheureux car constitutif du sacerdoce des Apôtres puisqu’ils ne sont pas le Christ (cf. Jn 1,20).
C’est pourquoi d’une part, ils invoquent toujours l’Esprit Saint dans la célébration de l’Eucharistie, l’Esprit garant de la communion vécue avec leur Seigneur, de cette intériorité réciproque par laquelle leur acte peut devenir celui du Christ, et le pain, son corps. D’autre part, les gestes qu’ils posent, par leur origine, ne sont pas les leurs, mais ceux du Christ à qui ils obéissent. Cette obéissance en fait des gestes intérieurs et non plus extérieurs, par lesquels ils renoncent pratiquement à eux-mêmes pour laisser le Christ agir à travers eux. De plus, leur acte d’offrande d’eux-mêmes n’est justement possible que dans l’Acte du Christ, c’est-à-dire qu’il intègre le savoir de leur impuissance radicale, de leur nécessaire inadéquation au don du Christ et donc de la pauvreté radicale de leur offrande (c’est pourquoi les Apôtres et leurs successeurs, en célébrant l’Eucharistie, continuent à la recevoir). Le pain ne devient pas leur corps, mais celui du Christ, de telle sorte que leur corps devienne celui du Christ.
Mais ne rencontrons-nous pas alors une autre limite au sacerdoce et à l’efficacité sacramentelle de l’Eucharistie, à savoir que l’impuissance radicale n’est jamais totale du côté de l’homme et que toujours s’y mêlent l’autosuffisance et l’illusion d’être la source de ses actes? Mais le commandement du Christ assume cet abîme qui est celui du péché, puisque, nous l’avons montré, le pardon fonde la Nouvelle Alliance. Qui peut alors nous garantir la présence réelle de l’Acte du Christ et de sa donation à l’Eucharistie sinon celle qui, absente à la Cène, sera présente au pied de la Croix pour, dans l’offrande d’elle-même, adhérer pleinement à l’Acte de son Fils et en recevoir tout le fruit? Marie ayant pleinement reçu son Fils dans le don qu’il fait de lui-même, vivant déjà pleinement de sa chair ressuscitée, peut désormais s’associer au don qu’il fait de lui-même en le donnant aux disciples. Et ce don est véritable, total, efficace, malgré l’inadéquation des ministres de ce don, puisque Marie demeure présente à chaque Eucharistie, comme la femme sacerdotale dont le sacerdoce, qui est celui de l’Église, porte celui des Apôtres. Non seulement elle permet le don entier du Christ mais elle permet que ce don soit reçu, étant celle qui peut ouvrir, en chaque coeur de disciple, la brèche du oui de la foi et de l’obéissance, pour que le Christ prenne vraiment chair en son Corps, pour que sa Vie s’y accroisse en communion de tous avec tous.
Le commandement Faites ceci en mon mémorial, d’abord donné aux Apôtres à la Cène, est lui aussi transmis avec les gestes et les paroles des Apôtres, de sorte qu’il est désormais adressé à chaque Eucharistie à tous les disciples. C’est toute l’Église qui est appelée à être sacerdotale et apostolique, c’est-à-dire à répéter dans sa vie l’acte de livraison de soi pour que la Vie éternelle soit donnée à tous. L’Eucharistie célébrée à chaque messe va ainsi devenir le lieu où l’acte humain va peu à peu retrouver sa vocation et sa puissance dans l’Acte du Christ pour donner la Vie au monde.


 
1. «Le corps de la présence réelle. Une réflexion théologique sur l’Eucharistie
à partir de M. Henry», NRT 125/3 (2003), p. 418-428.
2. Pour aller plus loin, voir notre thèse récemment publiée: Acte du Christ et
actes de l’homme. La théologie morale à l’épreuve de la phénoménologie de la vie,
coll. «Collège des Bernardins», Parole et Silence, Paris, 2012, 565 p.
3. On trouve cette même appréhension du monde extérieur comme corpsproprié
dans les cultures basées sur ce qu’on appelle la pensée concrète (et qui
ne connaissent pas la pensée abstraite). Ainsi je me souviens d’un paysan à Madagascar
parlant de la rizière ou de la pirogue comme de sa vie (vocable qui a en
malgache la même profondeur que la chair). Il n’y avait là nulle métaphore mais
la saisie immédiate de sa vie en relation subsistante avec le cosmos.
4. L’Église garde mémoire de sa propre impuissance à l’Heure de la Passion,
(Heure qui est aussi celle de sa naissance), en ne célébrant pas la messe le vendredi
saint ni le samedi saint. Elle ne peut s’associer activement par la célébration
de l’Eucharistie à cette Heure où le Christ seul s’offre pour elle, mais elle continue
à vivre de lui par sa communion aux hosties consacrées la veille, lors de la
Célébration de la Cène.
5. De telle sorte que les Onze auraient dû être baptisés sacramentellement
mais qui alors les aurait baptisés? Or, par leur communion à la dernière Cène
qui leur donne d’être unis au Christ en sa Passion et sa Résurrection, ils vont
être réellement (et non sacramentellement) baptisés et préparés à recevoir l’Esprit
Saint.
6. C’est d’ailleurs à la fin du repas, c’est-à-dire à la fin des temps que Jésus
prend la coupe de son sang, de même que c’était à la fin des noces de Cana qu’il
changeait l’eau en vin nouveau. La première coupe de vin qu’il bénit avant le
repas selon Luc (Lc 22,17) peut alors être mise en parallèle avec le premier vin
des noces qui vient à manquer.
7. L’alliance est nouvelle parce qu’éternelle. Quant à l’ancienne alliance, elle
est ancienne d’être temporelle et donc provisoire et ainsi toujours «près de disparaître
» (He 8,13). En même temps, elle porte en elle ce qui la rend possible,
l’Alliance éternelle par laquelle Dieu demeure fidèle et déploie l’économie du
salut dans l’histoire.
8. Mémorial est traduit dans la Septante indifféremment par mnèmosunon
(Ex 12,14; 13,9), ou par anamnèsis (Nb 10,10).
9. «Se déclarant établi prêtre pour toujours selon l’ordre de Melchisédek (cf.
Ps 110,4; He 5,6; 7,17), il (le Christ) offrit à Dieu le Père son corps et son sang
sous les espèces du pain et du vin; sous le symbole de celles-ci, il les donna aux
Apôtres (qu’il constituait alors prêtres de la Nouvelle Alliance) pour qu’ils les
prennent; et à ceux-ci ainsi qu’à leurs successeurs dans le sacerdoce, il ordonna
de les offrir en prononçant ces paroles: faites ceci en mémoire de moi (Lc 22,19;
1 Co 11,24), etc., comme l’a toujours compris et enseigné l’Église catholique»,
Concile de Trente, «Doctrine concernant le très saint Sacrifice de la Messe»,
22e session, le 17 sept. 1562, DS 1740.


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