Grâce et expositions : Au Coeur du Sujet - 2006
Espace Grâce Bruxelles
Je suis la Vie, huile sur velours 2006. Robert Empain |
Paul Cézanne : «Il faut se dépêcher si l’on veut encore voir quelque chose, car les choses sont en train de disparaître.»
Or, la disparition a eu lieu. Comment et où les «choses» ont-elles disparu ? Elles ont disparu dans les écrans et les images, elles ont disparu de notre capacité de les voir, elles ont disparu de l’art lui même. Cette disparition se nomme Barbarie, Science, Technique, Spectacle, Marché, Musée…La suite est en cours : l’homme - pensé comme un objet parmi les objets du monde - est en train de disparaître.
Corps subjectif de Wassily Kandinsky, technique mixte sur toile, 2006. Robert Empain |
Au cœur du sujet est ta disparition
Pourtant, un seul tableau de Cézanne, un seul poème de Rimbaud - par exemples - sont plus essentiels pour l’homme que des milliards d’images car ils pourraient lui en apprendre beaucoup sur son apparition et sur sa disparition…
Yvon Mouster. Photographies issues d'une série de portraits de défunts déposes sur des tombess. 2006. |
L’art pourrait-il encore nous sauver ?
Une telle possibilité est-elle encore d’actualité pour l’art et ses agents ? Au cœur du sujet il y a cette question : quel art pourrait nous sauver ?
L’artiste qui espèrerait régénérer une telle possibilité, ne serait-ce que pour lui-même, doit comprendre et affirmer avec force : L’art, en son essence, est hors du monde, hors du temps, hors de toute époque, hors de ce que nous osons appeler la culture, hors des marchés, hors même du visible, il n’a rien à voir avec les images et les objets, rien à voir avec les idées et les concepts. Il s’ensuit que l’art ne peut être expliqué par l’histoire de l’art, la science, l’économie, la politique, la sociologie, la psychologie, la sémiologie, la psychanalyse, pas davantage par la technologie, la mode, le musée, les galeries, les médias, la nationalité, l’ethnie, la classe, le pouvoir, la biographie…
C’est au contraire la prolifération des théories, des explications, des justifications, l’addition de leurs considérations fragmentaires, hors de son sujet et hors Sujet, qui ont produit la confusion actuelle et détruit la relation vivante à l’art - passé comme présent - ainsi que son enseignement et sa pratique. C’est l’essence de l’art qui a été et qui est continuellement annulée par les politiques culturelles, muséales et patrimoniales ; qui est assassinée par les médias et anéantie par la spéculation et l’argent.
Philippe Sollers : « Désormais, les mortels unis par leur seule passion, qui est la mort, n’ont donc qu’une chose à faire, c’est d’éviter au maximum que se produise parmi eux un trop de bonheur. Le navigateur d’aujourd’hui est plus clandestin que jamais. Il doit recourir à d’autres stratégies et endurer la volonté générale qui consiste à fabriquer du temps pour la mort. » Une visite aux MAC’S SMAK et autres FRAC suffit à le démontrer.
Si l’art n’est pas du monde, pas dans l’histoire, pas dans le visible, pas dans la culture - telle qu’on nous la sert – pas dans les images et ainsi de suite, où est-il ? Quel est son lieu ?
Photographies du poète Philippe Pavageau. 2006 |
L’art a lieu en toi, dans ta chair, dans ta sensibilité, dans ton cœur, dans ta vie. « Le cœur est la définition la plus adéquate de l’homme.» écrit Michel Henry. Ce que tu éprouves dans ta chair, dans ton cœur, c’est la vie. Mais qu’est-ce que la vie ? « La vie est le mouvement invisible et incessant de venir en soi, de s’éprouver soi-même, de s’accroître de soi ; enraciné dans la vie, l’art est une réponse pathétique (un éprouver) que la vie s’efforce d’apporter à l’immense Désir qui la traverse. Et cette réponse, la vie ne peut la trouver qu’en elle-même, dans une sensibilité qui veut sentir davantage, se sentir plus intensément… » écrit Michel Henry. La vie est ainsi la Force invisible (un Flux dira Nietzsche) qui veut toujours s’éprouver plus intensément et s’accroître davantage en nous à chaque instant. L’art n’a d’autre but que de nous faire ressentir et d’accroître la vie et l’essence de l’art est la sensibilité. L’essence de l’art Wassily Kandinsky n’a cessé de l’affirmer : « C’est par la sensibilité seule que l’on parvient à atteindre le vrai dans l’art. »
Saskia Weyts. Regard croisé. Huile sur toile. 2006 |
La vie et l’art ne s’éprouvent qu’en l’homme, dans sa chair, dans son cœur et jamais dans le monde - car le monde n’éprouve rien. C’est pourquoi l’art, en son essence sensible qui est la vie elle même, est toujours hors du monde, hors de l’histoire, hors de l’époque, c’est pourquoi il n’a rien à voir avec quoi que ce soit d’objectif, un objet, une matière, un concept, une idée, une image etc. L’art a du sens si il est propagateur de vie, et l’artiste est le passager clandestin du monde qui, contre les forces de négation de la vie, contre la disparition du monde et de l’homme, contre cette époque, affirme et exprime la vie.
Martin Heidegger face à la dévastation du monde a écrit : « Seul un dieu peut nous sauver » Le seul dieu qui peut nous sauver est pourtant celui que Heidegger avait perdu de vue, il se nomme la Vérité et la Vie. Par lui nous pouvons sortir de cette interminable Saison en enfer et dire enfin avec Arthur Rimbaud : « …il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. »
Vue de l'exposition Au coeur du Sujet, à l'espace Grâce à Bruxelles |
Illustrations : oeuvres de Saskia Weyts, Yvon Mouster, Philippe Pavageau, Robert Empain,
Texte : Robert Empain
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