lundi 7 décembre 2020

Au coeur du Sujet, la Vie.

Grâce et expositions : Au Coeur du Sujet - 2006

 Espace Grâce Bruxelles

En octobre 2006, quatre artistes du groupe Grâce, composé alors de Saskia Weyts, d'Yvon Mouster, de Philippe Pavageau et de Robert Empain,  présentaient à Bruxelles une exposition intitulée « Au Cœur du Sujet ». Nous disions alors ce que nous n'avons cessé de dire depuis : ce qui est au coeur de chaque homme c'est un Désir qui le veut en vie, non pas pour la mort comme le pensait Martin Heidegger et ses suiveurs aveugles, mais pour la vie infinie. Ce Désir est celui de la Vie absolue - Dieu - qui nous donne sa vie en espérant que nous la recevions et que nous l'aimions en nous-mêmes et en chaque vivant. Nous disions encore que la Vie, l'Amour et la Lumière sont les Noms de Dieu et que l'art peut encore ouvrir nos coeurs à ce Désir infini et nous apprendre de quelle chair éternelle notre âme est faite. Nous voulions aussi rendre hommage aux peintres Paul Cézanne et Vassily Kandinsky, au poète Arthur Rimbaud et au philosophe Michel Henry qui nous ont aidés à comprendre ces choses. Je publie ici le texte de l'Appel à participer à cette exposition que j'avais lancé à quelques artistes en 2006, car il peut nourrir notre réflexion aujourd'hui alors que la peur de la mort pétrifie plus durement que jamais des coeurs humains fermés à la vraie Vie.
 

Je suis la Vie, huile sur velours 2006. Robert Empain

 

Paul Cézanne :  «Il faut se dépêcher si l’on veut encore voir quelque chose, car les choses sont en train de disparaître.»  

Or, la disparition a eu lieu. Comment et où les «choses» ont-elles disparu ?  Elles ont disparu dans les écrans et les images, elles ont disparu de notre capacité de les voir, elles ont disparu de l’art lui même.  Cette disparition se nomme Barbarie, Science, Technique, Spectacle, Marché, Musée…La suite est en cours : l’homme - pensé comme un objet parmi les objets du monde - est en train de disparaître.  



Corps subjectif de Wassily Kandinsky, technique mixte sur toile, 2006. Robert Empain

 


Au cœur du sujet est ta disparition
Pourtant, un seul tableau de Cézanne, un seul poème de Rimbaud - par exemples - sont plus essentiels pour l’homme que des milliards d’images car ils pourraient lui en apprendre beaucoup sur son apparition et sur sa disparition… 

 


Yvon Mouster. Photographies issues d'une série de portraits de défunts déposes sur des tombess. 2006. 


L’art pourrait-il encore nous sauver ?
Une telle possibilité est-elle encore d’actualité pour l’art et ses agents ? Au cœur du sujet il y a cette question : quel art pourrait nous sauver ?  
L’artiste qui espèrerait régénérer une telle possibilité, ne serait-ce que pour lui-même, doit comprendre et affirmer avec force  : L’art, en son essence, est hors du monde, hors du temps, hors de toute époque, hors de ce que nous osons appeler la culture, hors des marchés, hors même du visible, il n’a rien à voir avec les images et les objets, rien à voir avec les idées et les concepts.  Il s’ensuit que l’art ne peut être expliqué par l’histoire de l’art, la science, l’économie, la politique, la sociologie, la psychologie, la sémiologie, la psychanalyse, pas davantage par la technologie, la mode, le musée, les galeries, les médias, la nationalité, l’ethnie, la classe, le pouvoir, la biographie… 

C’est au contraire la prolifération des théories, des explications, des justifications,  l’addition de leurs considérations fragmentaires, hors de son sujet et hors Sujet, qui ont produit la confusion actuelle et détruit la relation vivante à l’art - passé comme présent -  ainsi que son enseignement et sa pratique.  C’est l’essence de l’art qui a été et qui est continuellement annulée par les politiques culturelles, muséales et patrimoniales ; qui est assassinée par les médias et anéantie par la spéculation et l’argent.
Philippe Sollers : « Désormais, les mortels unis par leur seule passion, qui est la mort, n’ont donc qu’une chose à faire, c’est d’éviter  au maximum que se produise parmi eux un trop de bonheur. Le navigateur d’aujourd’hui est plus clandestin que jamais. Il doit recourir à d’autres stratégies et endurer la volonté générale qui consiste à fabriquer du temps pour la mort. » Une visite aux MAC’S SMAK et autres FRAC suffit à le démontrer.

Si l’art n’est pas du monde, pas dans l’histoire, pas dans le visible, pas dans la culture - telle qu’on nous la sert – pas dans les images et ainsi de suite, où est-il ? Quel est son lieu ?



Photographies du poète Philippe Pavageau. 2006


L’art a lieu en toi, dans ta chair, dans ta sensibilité, dans ton cœur, dans ta vie.  « Le cœur est  la définition la plus adéquate de l’homme.» écrit Michel Henry. Ce que tu éprouves dans ta chair, dans ton cœur, c’est la vie. Mais qu’est-ce que la vie ? « La vie est le mouvement invisible et incessant de venir en soi, de s’éprouver soi-même, de s’accroître de soi ; enraciné dans la vie, l’art est une réponse pathétique (un éprouver) que la vie s’efforce d’apporter à l’immense Désir qui la traverse. Et cette réponse, la vie ne peut la trouver qu’en elle-même, dans une sensibilité qui veut sentir davantage, se sentir plus intensément… » écrit Michel Henry. La vie est ainsi la Force invisible (un Flux dira Nietzsche) qui veut toujours s’éprouver plus intensément et s’accroître davantage en nous à chaque instant.  L’art n’a d’autre but que de nous faire ressentir et d’accroître la vie et l’essence de l’art est la sensibilité.  L’essence de l’art Wassily Kandinsky n’a cessé de l’affirmer :  « C’est par la sensibilité seule que l’on parvient à atteindre le vrai dans l’art. »



Saskia Weyts. Regard croisé. Huile sur toile. 2006


La vie et l’art ne s’éprouvent qu’en l’homme, dans sa chair, dans son cœur et jamais dans le monde - car le monde n’éprouve rien.  C’est pourquoi l’art, en son essence sensible qui est la vie elle même, est toujours hors du monde, hors de l’histoire, hors de l’époque, c’est pourquoi il n’a rien à voir avec quoi que ce soit d’objectif, un objet, une matière, un concept, une idée, une image etc. L’art a du sens si il est propagateur de vie, et l’artiste est le passager clandestin du monde qui, contre les forces de négation de la vie, contre la disparition du monde et de l’homme, contre cette époque, affirme et exprime la vie.
Martin Heidegger face à la dévastation du monde a écrit :  « Seul un dieu peut nous sauver » Le seul dieu qui peut nous sauver est pourtant celui que Heidegger avait perdu de vue, il se nomme la Vérité et la Vie. Par lui nous pouvons sortir de cette interminable Saison en enfer et dire enfin avec Arthur Rimbaud  : « …il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » 



Vue de l'exposition Au coeur du Sujet, à l'espace Grâce à Bruxelles


Illustrations : oeuvres de Saskia Weyts, Yvon Mouster, Philippe Pavageau, Robert Empain,  

Texte : Robert Empain


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