mardi 5 février 2019

Traces et témoignages de la Beauté et de la Vérité


Grâce à Vincent Fournier, Hervé de Vaublanc, Philippe Sers, Isabelle Moulin...


 TRACE & TÉMOIGNAGE - AU COLLÈGE DES BERNARDINS PARIS

EXPOSITION

Vincent Fournier

18 JANVIER - 2 MARS 2019

COLLOQUE

SAMEDI 9 FEVRIER -  9h30  - 18h00


Le Collège des Bernardins à Paris présente une exposition de Vincent Fournier, proposée par le laboratoire Beauté et Vérité de la Faculté Notre-Dame, dans le cadre de sa recherche sur la création artistique comme expérience de la transcendance. Les commissaires sont Philippe Sers et Isabelle Moulin. Je me réjouis que le Collège des Bernardins en vienne a exposer des artistes qui se déclarent non seulement croyants — quel courage ! — mais qui sont aussi engagés dans une recherche dans laquelle expérience esthétique, expérience de la beauté et de la vérité, expérience de la révélation, expérience de l’incarnation et expérience mystique, pourraient se rejoindre pour retrouver la voie d’une régénération d’un art spirituel, d’un art chrétien pour et dans une époque qui a perdu l’Esprit à ce point qu’elle était parvenue à le bannir d’un lieu d’art et de création où il pouvait encore être accueilli, le Collège des Bernardins...  Un tel art, ouvertement spirituel et résolument chrétien, Kandinsky l’avait mis en pratique et appelé de ses voeux dès 1911 dans un livre  —  Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier - et théorisé et enseigné ensuite au Bauhaus.  Les oeuvres et les enseignements de Kandinsky ont marqué ma formation, ma vie et mon travail d’artiste et de poète. Ils ne furent hélas que pillés et détournés de leur vocation véritable par la plupart de ses contemporains, à commencer par Marcel Duchamp et la légion de ses suiveurs jusqu’à nos sinistres jours. Il est des plus urgents de réaffirmer in extremis à la face des puissances de la dérision, de la négation et de la mort, un art pour la Vérité et la Vie !  "La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers, prions donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. » Luc 10,2
Je publie ci dessous les textes en lien avec cette exposition et une vidéo de Philippe Sers intitulée Sagesse et Beauté, le combat spirituel de l'art.  Je signale le colloque organisé en relation avec cette exposition, le samedi 9 février au Collège des Bernardins à Paris, par le laboratoire de recherche de la Faculté Notre-Dame Beauté et Vérité. J'assisterai à ce colloque et je verrai si cette exposition tient ces promesses ...  Informations






ART & TRANSCENDANCE

par  Hervé de Vaublanc  

Directeur de la programmation culturelle Art & Transcendance au Collège des Bernardins

À l’heure d’une société en constante mutation où les innovations technologiques et les découvertes scientifiques prennent le pas sur les croyances collectives, un certain  désenchantement du monde entraîne une perte  de repères autant spirituelle que sociale.  Dans ce contexte, les artistes, « créateurs  de traces », peuvent être perçus comme des  médiateurs avec le divin et suggérer des pistes de réflexions, voire des réponses aux questionnements métaphysiques de chacun. C’est ce rapport entre art et transcendance  que sollicite le laboratoire de recherche  « Beauté et Vérité » de la Faculté Notre-Dame  et cette exposition placée sous le commissariat  d’Isabelle Moulin et de Philippe Sers.

Artiste croyant, Vincent Fournier se livre  et propose au spectateur un cheminement  à travers sa spiritualité. Ses œuvres à l’esthétique épurée, tantôt abstraites, tantôt  figuratives, faites de matériaux et d’objets simples mais symboliques tels que des parchemins, des livres, de la pierre, du bois, des planches, témoignent de sa foi chrétienne  et de son expérience de la transcendance.  Son travail invite à la méditation sur le rapport à l’absolu, à l’existence et au divin, et pousse  tout un chacun - croyant ou non - à renouer  avec sa vie intérieure.


L’ART & LA TRACE

par Isabelle Moulin, commissaire de l’exposition,

À la suite de l’exposition La Grande Résurrection chez Kandinsky pour le 150ieme anniversaire de la naissance du peintre en 2016, le laboratoire de recherche « Beauté et Vérité » présente cette année Vincent Fournier - Trace & Témoignage Le laboratoire « Beauté et vérité. Métaphysique du beau, expérience spirituelle  et création artistique » de la Faculté  Notre-Dame au Collège des Bernardins, est un lieu d’échange entre artistes, historiens de l’art, philosophes et théologiens, qui met l’expérience artistique au cœur de  son activité. Sa spécificité est d’associer l’art  et la beauté, en laissant ouverte la voie de la  spiritualité. Il entend répondre à l’inspiration du cardinal Jean-Marie Lustiger qui voyait  le Collège des Bernardins comme le lieu où unir réflexion, ouverture au monde et culture  dans la pratique du dialogue.

Vincent Fournier cherche à trouver l’unité de la trace, qui est la marque de la vie  spirituelle. De fait, le monde dans lequel nous vivons est saturé de traces, nos traces, celles des autres : les objets que nous  utilisons sont la marque de notre existence,  les chemins que nous empruntons, jusqu’à  nos traces virtuelles. Selon le philosophe Jean-Paul Sartre, notre corps s’étend dans notre environnement par nos traces, tout en  y rencontrant les faisceaux de traces laissés par autrui. La trace est créatrice de monde. Elle est également la marque du créateur  du monde. 

Pour le théologien franciscain saint Bonaventure (1217-1274), tout être créé est  une trace de Dieu, ombre, vestige ou image.  Il est donc possible de remonter, par la voie  de la beauté qu’indiquait déjà le texte biblique de la  Sagesse de l’œuvre au divin artisan. Par la trace, le spirituel touche le matériel. Le créé  porte la marque du divin, qui est aussi le lieu de sa manifestation.Mais la trace est une empreinte légère ; la manifestation se fait discrète, à la manière du Dieu caché qui se révèle dans le monde. Elle témoigne aussi bien de la présence d’un événement (le stigmate) que d’une absence (le tombeau vide), tout comme la croix, marque de l’Incarnation d’un  Christ ressuscité.

Les vocations de l’art  sont sans doute plurielles. Mais il peut s’en trouver une qui réponde à sa « situation ». Car l’art est également trace et monde, présence et  absence, relation entre matérialité et esprit. Pour le philosophe Emmanuel Lévinas, « être à l’image de Dieu, ne signifie pas être l’icône de Dieu, mais se trouver dans sa trace ». Pour lui, la trace de Dieu est à rechercher en allant vers les autres. Mais ne pourrait-on supposer que l’art joue un rôle similaire à l’autre par rapport à moi ? Chercher la trace de Dieu est une manière de suivre le Christ ; la réunion autour d’une œuvre d’art, une forme de Sequela Christi. 

* Isabelle Moulin, Commissaire de l’exposition et co-directrice du laboratoire « Beauté et Vérité » est Maître de conférences à la Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg



L’UNITE

par Vincent Fournier, artiste

Cela fait plus de 20 ans. J’étais parti dans un monastère pour quelques jours de retraite  silencieuse. J’eus peu d’échanges avec les sœurs du lieu, si ce n’est une brève discussion  avec l’une d’entre elles. Je me rappelle surtout la réponse qu’elle me fit alors que je l’interrogeais sur divers points de la foi  chrétienne : « C’est une unité. »

Mon travail artistique s’est développé avec la vie spirituelle dont il est la trace. Dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, le visiteur découvre sur le mur en dessous des fenêtres un chemin de croix abstrait et symbolique. Une petite peinture figurative précède le chemin de croix : L’Agonie au jardin des oliviers. Les quatorze stations se déploient ensuite en respectant le rythme de la dévotion. Le silence des images murmure chaque scène, invitant celui qui les regarde à la contemplation. Le papier est déchiré, certains traits de pinceau à l’huile se lisent en transparence, au travers du support. L’encre de Chine noire et les bords brûlés  disent le mystère divin. Le visiteur attentif remarquera les chiffres romains et les petits clous dans les cadres de tilleul. On arrive à la très belle porte symbolisant le tombeau. Rencontre avec sainte Marie-Madeleine, première témoin du Christ ressuscité. Elle veille. Le tombeau vide, le linceul de Turin, ses plis et brûlures ont  inspiré les images de cet angle de la sacristie. Transfiguration, passion, résurrection,  eucharistie, Immaculée Conception, le Sacré-Cœur, le Nuage d’inconnaissance, l’empreinte ou Veronica sont les thèmes récurrents proposés. Silencieuses, parfois colorées, ces images simples se répondent par la composition ou par les matériaux, sorte d’échos des variations de la prière durant l’année. Accrochés sur un grand mur comme une  paroi d’ex-votos, des peintures et dessins s’interpellent, fragiles et pauvres. Ils veulent exprimer une unité d’intention : la vie de  foi en Jésus-Christ. Le regard passe de la transfiguration à l’eucharistie et s’arrête sur sainte Claire portant l’ostensoir. 

Différentes, mais semblables par la présence qu’elles veulent révéler, toutes les œuvres font référence à la vie mystique chrétienne.  Elles cherchent à ouvrir un espace pour le cœur, espace de paix et de silence où l’au-delà se communique. Ces images ne sont pas spectaculaires et ne s’imposent pas. Elles veulent indiquer l’univers secret au cœur de chacun : la vie éternelle déjà commencée. Plus loin, un meuble incliné rappelle celui des moines copistes, le scriptorium. Un grand livre renferme des œuvres que l’on découvre en tournant délicatement les pages. La pierre  tombale du moine Günther gisant dans  la sacristie devient source d’inspiration. Les estampes exécutées par frottage s’intègrent harmonieusement et dialoguent avec les autres travaux de l’exposition.  Günther, ce moine mort il y a plus de sept cent ans nous parle encore, ainsi que l’artiste qui a gravé le dessin dans la pierre. Ils nous rappellent la nécessité vitale de  la prière dans le développement de la vie spirituelle et l’unification de l’être intérieur. 



 


RÉFLEXIONS SUR LE MODE DE LA TRACE EN ART  

par Philippe Sers, philosophe et commissaire de l'exposition 

Si en Chine, le shanshui, la peinture de paysage, qui est un art sacré, se définit comme « restes d’encre et trace de pinceau », c’est suffisant pour attirer notre attention sur l’événement qui inspire l’artiste, et qui compte plus que l’œuvre. Le peintre emplit son cœur de la vie du monde pour la laisser se répandre sur le papier en un jaillissement inspiré. L’œuvre marque les étapes d’une recherche, c’est le carnet d’un explorateur, les notes d’un expérimentateur. 

Jacques Derrida a insisté sur l’instrument de discernement que constitue la trace, qui éclaire et rend contrôlable l’historicité. Certaines traces correspondent aux accidents de l’histoire de l’individu : la névrose est ainsi la trace d’une déchirure. Mais il existe d’autres traces, acheiropoïétiques  (c’est-à-dire non faites  de main d’homme), lieux de l’Être. Elles rassemblent les causalités accidentelles dans l’indication de la source majeure et unique. 

De là vient la vénération de la trace, celle que manifeste le lettré Mi Fu devant le rocher, trace de l’action du Créateur, celle des disciples du Bouddha devant la trace de ses pas marqués par les roues de la Loi - la plus ancienne image  du bouddhisme - ou encore la trace insigne du visage du Sauveur, laissée sur le linge d’Édesse - fondement de toute image chrétienne. 
La trace est alors une approche intaglio (1) celle de l’action du principe créateur à travers la contemplation du monde, celle du chemin de l’homme vers la loi intérieure, ou celle des souffrances du Fils de Dieu, révélation de l’amour absolu dans le sacrifice de la Croix. 

L’image artistique est ainsi appelée à être le témoignage visuel d’une illumination de l’artiste, à se muer en un support pour revivre l’expérience de cette illumination et la fruition (2) du Mystère dans l’oraison. La vraie image métaphysique présente donc un double visage. Elle est le témoignage de l’existence d’une expérience qui a eu lieu une fois et en même temps elle appelle à revivre cette expérience. 

Si la trace est avant tout du registre de l’apophase (3), elle se montre aussi comme chemin vers ce dont l’image respecte le secret, tout en nous appelant à y participer. Cette participation demande le vide du cœur cher à la tradition philocalique (4) ce cœur de l’iconographe dans lequel vient s’inscrire la trace lumineuse du visage du Christ selon saint Philothée le Sinaïte. La trace est alors à l’extérieur et à l’intérieur. C’est le tombeau vide qui est le point de départ de la foi en la Résurrection. Les linges pliés que nous verrons ici crient plus fort que toutes les rumeurs du monde. 
Il faut remercier Vincent Fournier de nous faire partager son cheminement, ses illuminations et sa prière. Le remercier de nous inviter  à cette attention toute particulière, que les Pères orientaux dénommaient neptique (5) parce qu’elle est fondée sur un renoncement : celui qui ouvre au Spirituel dans l’art.  Philippe Sers. Commissaire de l’exposition, co-directeur du laboratoire « Beauté et Vérité » Philosophe et critique d’art.

1 - (intaille), gravure en creux.
2 - Le fait de goûter, de savourer, de jouir spirituellement de quelque chose ou de quelqu’un. Le terme implique que cette délectation est transformatrice : elle implique une fructification personnelle.
3 - Négation faite non pour rejeter mais pour manifester l’excès de ce qui est visé. La théologie apophatique dit ce que Dieu n’est pas pour mieux faire ressortir, dans le silence, ce qu’il est.
4 - Tradition ascétique et mystique du christianisme oriental visant la sobriété (nepsis) de l’esprit ou du cœur, c’est-à-dire du centre du sujet personnel, afin d’être rendu disponible à l’œuvre secrète et mystérieuse de Dieu. L’un des moyens employés consiste à synchroniser une prière très simple (la répétition du nom de Jésus) avec la respiration. Le mot « philocalie » signifie amour de la beauté et du bien. La Philocalie des Pères neptiques  est un recueil de textes appartenant à cette spiritualité.
5 - Adjectif signifiant « sobre ». Il s’agit de la sobriété  du cœur visée par la démarche philocalique. 





         










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