Grâce à Hieronymus Bosch
La Tentation de saint Antoine. Atelier de Hieronymus Bosch |
Extrait de
Ad Imaginem Dei - L'oeuvre invisible
... Poussé par ce diable de Dali, je n’hésite pas à plonger une nouvelle fois dans la grande tentation universelle, non pas dans la version sirupeuse qu’il peignit à sa manière insectoïde hollywoodienne, et qui se trouve ici même, dans ce musée, mais dans celle, inégalable, de Jérome Bosch que je connais bien pour l’avoir regardée de près, dessinée et traversée maintes fois de haut en bas : La tentation de saint Antoine, un triptyque sur bois aux alentours de 1500.
Les tableaux de Bosch grouillent de tous les diables réels et de toutes les monstruosités imaginables par les humains endiablés. Ils avaient un tel succès en leur temps que les aides du maître devaient les copier en série à l’identique. Celui ci est une parfaite copie d’atelier, la plupart des Bosch originaux se trouvant en Espagne et au Portugal.
Celui qui sacrifierait à cette oeuvre une heure de son temps de bureau ou de télévision, trouverait le temps nécessaire pour pénétrer les cent tableaux que Bosch a rassemblés ici en un seul. Ce courageux renonçant parcourrait alors un peu de la vie d’un saint homme, nommé Antoine, qui en tout a suivi le chemin du Christ. Antoine, raconte son saint compagnon Athanase, commença sa vie d’homme en donnant tous ses biens aux pauvres, il se retira ensuite au désert pour vivre en Dieu seul. Là, comme Jésus, il dût affronter Satan qui, déchaîné, déploya contre lui toutes les ruses dont il est capable pour lui faire renoncer à son désir de Dieu.
Les Evangiles nous apprennent que Jésus lui même, à l’âge de trente ans, avant de commencer sa vie publique, se retira au désert où il jeuna et pria pendant quarante jours et fut tenté par Satan qui, en échange de sa soumission, lui proposa la puissance, la gloire et le règne sur le monde. On sait ce que le monde fit à Jésus par la suite.
De même, écrit saint Athanase, Satan, impuissant à briser la foi d’Antoine par les séductions, les promesses et les flatteries, le fit rosser par ses démons et le tourmenta à mort par des visions infernales. Sauvé par une grande clarté qui mit les diables en fuite, Antoine vit apparaître en cette lumière Jésus, et lui demanda : « Où étiez-vous, Seigneur Jésus ? Où étiez-vous ? Que n'étiez-vous ici dès le commencement pour me prêter secours et me guérir de mes blessures ! » Le Seigneur lui répondit : « Antoine, j'étais là, et je te regardais combattre ; or, maintenant que tu as lutté avec vigueur, je rendrai ton nom célèbre dans tout l’univers. »
On ne comprendra rien à ces paroles ni à ce tableau de Jérome Bosch si, tout imbibé par la logique du monde présent, on oublie que l’homme, tout homme, reçoit absolument tout ce qu’il est, et tout ce qu’il a, du Vivant, et qu’en plus de ces dons gratuits, il reçoit celui, plus incroyable encore, de la liberté de nier, de haïr ou d’aimer son Donateur.
La ruse du monde consiste à faire croire à ses sujets qu’un tel Dieu capable d’amour absolu est une illusion, une croyance puérile, dépassée et définitivement impensable à l’époque moderne des satellites, des astronautes, de la télévision, des centrales nucléaires et de la psychanalyse. Or, cette ruse du monde est précisément celle de Satan, l’un des noms hébreux donnés au principe fondateur du monde, son Prince donc, connu dans l’univers entier pour son rôle de premier plan dans la Genèse, où, déguisé en Serpent, il trompa Adam en lui promettant de devenir dieu sans Dieu, réussissant du même coup à masquer son identité véritable, celle de Lucifer, créature resplendissante de Dieu, qui, éblouit par son propre éclat, s’emprisonna pour un temps indéfini dans la vénération exclusive de lui-même, inventant ainsi l’ego initial, l’égoïsme aveugle à tout autre que lui-même, prisonnier de sa vanité, enfermé dans son moi, comme le noyau dans l’atome et le feu dévorant au ventre de la Terre. Menteur maniaque, négateur buté, jaloux de l’homme, rusé adversaire, créature de Dieu pourtant, autorisée à mettre à l’épreuve notre liberté, Satan, alias Lucifer, nous hait comme un frère peut haïr son frère, comme un fils peut haïr son père à qui il doit tout. Satan, infiltré à demeure dans nos âmes règne sur nous au point d’être parvenu à faire croire aux sages de ce monde qu’il n’existe plus.
Etude après Jérôme Bosch. R.E. 1979 |
Pourtant qui d’autre que le principe du néant règnerait sur des humains subjugués comme jamais par la mort en masse, en série, en vrai ou en simulé, en direct ou en différé ? Qui d’autre que le Prince du non en boucle pousserait les humains à se faire perpétuellement la guerre, à légitimer l’assassinat de peuples entiers et la destruction de la nature ? Qui d’autre encouragerait en l’homme le plaisir de torturer ses semblables et de réduire en objets tout ce qui possède un souffle de vie ?
Et si ce n’est Satan ou Lucifer quel nom notre époque donnera-t-elle à cette passion de la mort qui meut désormais le coeur des hommes ? La victoire du Malin serait-elle définitive au point que nous n’aurions plus de nom à donner au principe invisible qui nous domine, nous hante en secret, nous dévore à petit feu et nous tue en silence ?
Mais nous pouvons dormir tranquilles, un nom très moderne a été trouvé pour cette maladie paradoxale d’une vie qui ne voudrait plus vivre, pour cet étrange désir des vivants qui ne désiraient en définitive que la mort. Ce nom, simple et admirable, est Pulsion de mort ! Satan lui même a applaudit à cette découverte géniale de Sigmund Freud.
Mais nous pouvons dormir tranquilles, un nom très moderne a été trouvé pour cette maladie paradoxale d’une vie qui ne voudrait plus vivre, pour cet étrange désir des vivants qui ne désiraient en définitive que la mort. Ce nom, simple et admirable, est Pulsion de mort ! Satan lui même a applaudit à cette découverte géniale de Sigmund Freud.
Une grande clarté
Ainsi donc, nous les éblouis de lumières modernes, nous errons comme un seul homme dans les ténèbres de l’inconscience mus par Pulsion-de-mort, la divinité nouvelle du néant officiel, qui seule nous soulagera définitivement de nos pulsions et désirs insatiables d’objets que la civilisation de consommation de masse, les ressources limitées de la planète et le temps compté de l’Univers, s’épuiseront fatalement à assouvir.
Rien là, pourtant, de bien nouveau sous le Soleil de Satan, dirait Georges Bernanos qui, comme Jérôme Bosch, n’ignore rien du cloaque ténébreux de Pulsion-de-mort, ni, par conséquent, de l’empire invisible de Satan qui est largement ouvert à notre vue, ici, dans le triptyque fabuleux de ce peintre voyant.
Or, que voyons-nous dans ces trois panneaux sinon Antoine entouré par toutes les diableries, les aberrations et les calamités du monde, cerné de toutes parts par les créatures les plus folles, les miasmes les plus puants et les monstres les plus abjects, se tourner pourtant doucement vers nous et nous regarder avec compassion, nous indiquant de la main une niche sauvegardée dans une tour ruinée au milieu de ce monde à feu et à sang, et dans cette niche, un autel sur lequel se trouve Jésus sur la croix. Ou bien, en un autre lieu, non loin d’une ville en guerre, alors que des fous autour de lui semblent se disputer une femme nue et que d’autres s’empoisonnent et se suicident, Antoine lui se tourne à nouveau vers nous nous invitant à lire les Evangiles qu’il lit lui-même.
C’est donc ainsi qu’Antoine a vaincu Pulsion-de-mort, l’Adversaire, le frère jaloux, qu’il appelle le malheureux Satan, et tous ses diables grotesques, désespérants de stupidité, mis en fuite par la Grande-clarté, une Clarté d’autant plus grande qu’elle est celle de la Vérité, de la seule Lumière qui peut éclairer les ténèbres du mensonge, de la peur, de la jalousie et de l’égoïsme, de la négation du Vivant qui nous désire infiniment libres en Amour.
L’artiste véritable est celui qui, comme Bosch, Campin et tous les voyants célébrés ou anonymes, s’avancera, en boitant et en tremblant certes, vers la clarté promise à tout homme, accomplissant en lui l’oeuvre invisible de l’amour.
L’artiste comme le mystique œuvrent à la transformation de l’horreur en beauté, des ténèbres en lumière, du mensonge en vérité, de la mort en vie, de la haine en amour.
La seule oeuvre humaine nécessaire consiste à vaincre en nous la créature satanique qui n’est autre que la stupidité de l’ego, pour faire de soi un homme véritable qui n'a plus peur de son ombre et se rend capable d’aimer. C’est pourquoi, l’art est spirituel ou n’est rien.
La seule oeuvre humaine nécessaire consiste à vaincre en nous la créature satanique qui n’est autre que la stupidité de l’ego, pour faire de soi un homme véritable qui n'a plus peur de son ombre et se rend capable d’aimer. C’est pourquoi, l’art est spirituel ou n’est rien.
Texte : Extrait de
Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible, Robert Empain
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