vendredi 6 janvier 2017

Nous avons vu son étoile




 Adoration des Mages. Frères Limbourg 1411-1416



ÉPIPHANIE

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault (Fontgombault, le 6 janvier 2017)


Vidimus stellam ejus.

Nous avons vu son étoile. (Mt 2,2)

LA FÊTE DES MAGES jette une ombre sur l’accueil du Sauveur en notre terre. Déjà avant la naissance de Jésus, Marie et Joseph avaient eu quelques difficultés à trouver un logis. Le recensement qui avait rempli les hôtelleries y était sans aucun doute pour beaucoup. Les habitants de la région de Bethléem ignoraient aussi la qualité de Celle qui leur demandait asile et surtout de Celui qui s’apprêtait à naître de son sein virginal. S’ils avaient su, probablement se seraient-ils montrés plus empressés ?

Durant la nuit de Noël, seuls quelques bergers, avertis par les anges, ont visité la crèche : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » (Lc 2,11) La joie commençait à rayonner à partir du coeur de l’Enfant couché dans une mangeoire. Cette joie est cependant restée si discrète que les puissants, les grands selon le monde, les sages ont ignoré et cette joie et sa cause.

Aujourd’hui, ces sages apprennent de voyageurs venus de loin qu’il se passe près de chez eux un événement susceptible de bousculer leur vie : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui » (Mt 2,2). Un roi… qui vient de naître… et ils l’ignorent ! Cet être inattendu bouleverse le plan d’hommes assoiffés de pouvoir, intrigants et malhonnêtes ; les prophètes l’avaient annoncé, il n’était pas désiré. Les plans de Dieu ne sont pas les plans des hommes ! 

La fête de l’Épiphanie témoigne de l’arrivée d’une nouvelle ère. La bonne nouvelle n’est pas réservée aux seuls Juifs. Dieu veut toucher tous les coeurs et utilise des chemins dont il a le secret, une étoile par exemple.

La Constitution pastorale sur l’Église dans le monde du temps présent du second concile du Vatican, Gaudium et Spes, affirme : Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. (Gaudium et Spes n°22)

La collecte de la Messe rappelant que Dieu a révélé aux Gentils son Fils en les guidant par une étoile, implore pour nous, qui connaissons déjà Dieu par la foi, la grâce d’être conduits jusqu’à la contemplation de l’éclat de sa grandeur. Face à l’enfant de la crèche, incapable de revendiquer une quelconque royauté, face à Dieu, l’humanité se divise. Alors que le mystère de Dieu veut toucher tout homme, chaque homme dans l’exercice de sa liberté garde la capacité de se mettre en route ou bien de demeurer sur place, voire d’empêcher que d’autres se mettent en route.

Même si les hommes refusent la royauté de Dieu, celle-ci n’en demeure pas moins réelle. Devant Pilate, Jésus affirme : « Mon royaume n’est pas de ce monde… Tu le dis : Je suis roi. » (Jn 18,36) et il poursuit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné d’en haut. » (Jn 19,11)
Paradoxe d’une royauté dont le royaume n’est pas de ce monde, mais qui est fondement de tout pouvoir en ce monde. L’ambition des rois de la terre a-t-elle toujours souhaité s’arroger les prérogatives du roi du Ciel ? L’opposition entre le Royaume du Ciel et les royaumes de la terre est-elle une fatalité ?
 

Si Dieu est Roi, il est Roi de Paix, poursuivant le bien de sa création et dotant tout homme pour qu’il travaille à ce bien. Le premier livre des Rois raconte que Yahvé apparut de nuit en songe au roi Salomon lui disant : « Demande ce que je dois te donner. » (1 R 3,5) Salomon répondit : « …Yahvé mon Dieu, tu as établi roi ton serviteur…, et moi, je suis un tout jeune homme, je ne sais pas agir en chef… Donne à ton serviteur un coeur plein de jugement pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal… » (1 R 3,7;9)

L’humilité, l’accueil du plan de Dieu sur l’homme, n’étaient pas le sentiment dominant des grands de la terre au temps où naissait l’Emmanuel. Le sont-ils plus aujourd’hui ? Les membres du peuple choisi n’ont pas reconnu leur Sauveur. Ils ont eu peur de lui au point de vouloir le supprimer. Les gentils au contraire, ceux qui étaient dans les ténèbres de l’ignorance, se sont déplacés à la vue d’une étoile.


Le chemin de la foi qu’il nous revient de parcourir peut ressembler soit au chemin des mages, soit à l’inattention, voire à la crainte des gens de Jérusalem. Dieu demeure Amour et Don.


Un grand voyageur, tel les mages, Antoine de Saint-Exupéry disait à sa mère : « Je crois sans espoir. » « Point n’est besoin de signe pour croire, lui répondait sa mère. Tout croyant… a ses heures de doute, d’éclipse, alors il faut marcher vers Dieu comme l’aveugle vers le feu, les paumes ouvertes, poursuivre sa recherche vers la Lumière ; l’homme porte en soi plus grand que lui, une parcelle de Dieu habite en chaque homme. » Antoine répond alors : « J’ai gardé une grande nostalgie du Dieu de mon enfance, de ce bonheur qu’il y avait à croire. Voyez-vous, j’ai l’air comme ça de ne rien sentir, je pense que je me défends simplement. Je défends l’enfant que j’étais… L’homme est long à naître » et sa mère de conclure : « Abandonne- toi au Seigneur, répète-Lui chaque jour : « Seigneur, je vais à Toi selon Ta grâce. » Ta foi n’est pas éteinte puisque tu n’as pas perdu l’essentiel : le goût de Dieu. » (Michèle Persane-Nastorg, Marie de Saint-Exupéry ou l’étoile du Petit Prince, p. 189)




Adoration des Mages. Albrecht Dürer 1504



Oui, l’homme est long à naître, surtout quand cette re-naissance doit le faire redevenir un enfant. Les objections ne manquent pas sur le chemin de la foi, nous avons tant à défendre contre Dieu, contre les hommes...

Les rois d’Orient sont venus à la crèche portant les couronnes éphémères des royaumes de la terre, ils repartent avec une couronne éternelle. Ils sont venus avec de l’or, de l’encens et de la myrrhe, et de nombreux présents, ils s’en vont avec le plus beau des cadeaux, l’Amour de Dieu touchant leur coeur et manifesté dans un enfant ; ils s’en vont dans la joie, la joie de la paix, la joie de la proximité avec Dieu.
Amen.