Œuvrer !
Vers un art spirituel
En mai et juin de cette année 2023, j’aurai la joie de présenter à la Galerie Grâce à Bruxelles un peu plus d’une centaine d’œuvres sur papier de 1972 à 2022. J’espère que cette rétrospective et le catalogue qui l'accompagne permettront de faire reconnaître au delà du cercle de mes amis et amateurs la singularité, la nécessité, le sens et la cohérence d’une vie et d’une œuvre voulues l’une et l’autre libres et indépendantes de tout système.
Le principe initial de cette rétrospective était de retenir deux œuvres par années. En définitive, les œuvres ont plutôt été choisies par décennies et présentées de cette façon dans ce catalogue introduit par ce texte liminaire, complété par mes commentaires, une brève biographie et un texte du philosophe Thierry Berlanda à propos de mon livre Ad Imaginem Dei.
Écoutant ce que Kandinsky a nommé la Nécessité intérieure, me souvenant de l’indépendance prescrite au peintre par Cézanne, acceptant la solitude promise au poète par Rainer Maria Rilke, j’ai conquis laborieusement ma liberté et mon indépendance en menant pendant vingt ans une vie à faces multiples : celle d’un art director célébré par le milieu de la publicité, celle d’un artiste éloigné du milieu de l’art officiel marchand et celle d’un poète mystique à la recherche de cet Amour qui nous aima avant la création du monde.
L'âme (de Francis Bacon). Pastel.1985 |
Grand lecteur et grand voyageur, grand écouteur et grand regardeur, étudiant attentif des œuvres de tous les temps et de tous les arts, d’artistes célèbres ou anonymes, je les ai accueillis comme mes compagnons et mes contemporains, et cela depuis mes quinze ans, précisément en décembre 1964 où je me suis trouvé face à des chefs-d’œuvre qui m’apprirent que toute œuvre d’art véritable, quelque soit son époque, son lieu d’origine, la célébrité ou l’anonymat de son auteur, sa valeur historique et marchande, jaillit toujours de l’Esprit et peut ainsi toucher immédiatement, intimement, gratuitement notre esprit et changer profondément notre vie, se faisant alors contemporaine de celui qui la vit en vérité et la rencontre en personne, comme disent les phénoménologues et les poètes. L’essentiel étant toujours de s’exposer aux œuvres, de se donner à elles dans la rencontre pour les laisser agir, toucher notre coeur, travailler notre âme et informer notre esprit. Cette relation intime, ce rapport amoureux avec l’œuvre d’art véritable fait d’elle ce qu’elle doit être : une action de grâce, un verbe, le verbe ŒUVRER conjugué en tous au singulier et au pluriel, à tous les temps et à jamais ! Ainsi, et ainsi seulement, l’œuvre d’art vit, s’incarne et élève notre esprit vers l’Esprit !
L’Esprit dont il s’agit n'est autre que celui de la Vie, de l’invisible Vie qui vit en nous les vivants. La Vie n’est pas quelque-chose mais toujours quelqu’un, la vie d’une personne vivante comme vous et moi, un miracle incarné en vérité qui a le pouvoir de dire « Je vis, je sens que je vis et je sais avec certitude que je vis.» Or, si nous possèdons tous le pouvoir de sentir, de dire, de jouir et d’exprimer de mille manières que nous vivons, nous n’avons pas le pouvoir de nous donner la vie à nous-mêmes, et qu’alors il nous faudrait admettre que la vie nous vient d’un Don que nous recevons d’un Autre, de Quelqu’un, d’un Premier Vivant qui possède la Vie et le pouvoir de nous la donner.
Vocatus non vocatus deus aderit. Aquarelle. 1993 |
La Parole perdue. Aqauerlle. 1993 |
Mais l’homme dispose aussi du pouvoir et de la liberté de nier tout cela, d’ignorer le Don de la Vie et la prendre pour lui seul afin d’en jouir égoïstement. Plus encore, l’homme peut voler la vie d’autrui pour l’exploiter, la ruiner, la jeter et l’assassiner en ce monde, ignorant souvent que ce faisant il se tue lui-même spirituellement. L’homme peut encore, pour justifier à ses yeux ses méfaits et ses crimes contre l’Esprit, imaginer que la vie lui vient d’une suite de hasards survenus dans la matière, une matière dont il comprendra un jour le secret afin d’obtenir le pouvoir de se donner éternellement la vie à lui-même et à qui il veut. Le paradoxe de ces hommes qui désirent se faire dieux sans Dieu est de se recevoir d’un Don qu’il ne peuvent nier que par le pouvoir que ce Don leur donne, se reniant ainsi eux-mêmes indéfiniment dans leur refus.
Descente aux enfers. Huile sur papier. Marouflé sur toile. 1989 |
Pèlerin céleste. Aquarelle. 2006 - 2022 |
Si en 2023, au seuil de cette rétrospective de 50 ans de mes travaux sur papier, j’ébauche ce tableau sombre, pathétique et inachevé de la condition humaine et de sa vocation divine c’est pour que sur ce fond se dessine clairement la vocation de l’art et la ligne longue, tremblante et pleine d’espérance de ma propre marche de la nuit vers la lumière de la vérité qui sauve.
Je vous remercie de votre attention.