vendredi 29 janvier 2016

Suivez le guide !





Dominique Lebel est romancière, blogueuse et critique littéraire. Elle a pris le temps de lire mon livre et de partir pour un sacré voyage, dit elle, avec Ad Imaginem Dei. A son retour, elle a publié sur son blog ce texte intitulé Fragments d'une âme en voyage. Sans doute cette âme en voyage est-elle la mienne, mais aussi je le crois un peu la sienne. Si cela était, le sacré voyage devrait se poursuivre dans son âme ... 




                          
Fragments d'une âme en voyage

« L’œuvre ne devient oeuvre qu’en oeuvrant en nous, par nous, là où elle s’accomplit et nous transfigure, nous rendant capable de ressembler à Dieu » Voilà, vous avez compris le titre.

Ce livre est né des carnets d’un artiste, griffonnés pendant plusieurs années. Et c’est un livre magnifique.
Je vous invite à suivre ma visite, parce que tout s’est passé pour moi exactement ainsi.
J’ai suivi le guide – bon, par moments je ne l’ai plus écouté mais j’ai toujours été comme ça, incapable de trop de suite dans les idées. Je n’ai jamais suivi une visite  en entier, un rien me distrait. Mais là, j’avais un guide très particulier –vous vous souvenez des piles Duracel et des petits lapins qui tapaient sur un tambour, à la télé ? C’est lui. Et ce n’est pas lui, parce qu’il est aussi peintre. Et il a une prose extraordinaire, donc il est aussi écrivain - ou poète, vous choisirez.

Je l’ai suivi à Venise, à Florence, à Ostende, à Manhattan, à Aix en Provence, dans les musées. Je suis partie en avion vers Rome avec lui et nous avons regardé les sommets enneigés des Alpes et il m’a dit regardez bien par le hublot, on dirait d’énormes reptiles pétrifiés. Il m’a montré une chapelle peinte par Giotto, m’a entraînée dans les turbulences des couleurs et m’a dit vous voyez, là c’est un miracle. Il m’a montré les femmes nues de Picasso et m’a dit aussi ce que vous voyez là, ce sont des équations féminines non résolues, comme des bateaux en réparation. Il m’a montré les peintures si lisses de Dali et m’a dit sur ces tableaux-là, le peintre a envie de rire, il plonge dans les apparences pour les détruire, ça l’amuse. Il m’a emmenée vers le sourire du Kouros grec, qui n’a pas trop envie de sourire parce qu’il n’est qu’un homme de pierre et qu’il lui manque la vie,  et  il m’a montré aussi le drame dans le ciel, entre la lumière et l’ombre. Et puis j’ai vu au passage quelques femmes, et un couple extraordinaire et un directeur d’agence publicitaire –un peu de sa vie. Il m’a montré des phrases, « je ne cherche pas, je trouve » et celle-là, que je voudrais ne jamais oublier: « La vie est si simple en été ».

Et puis il m’a raconté une histoire, qui est l’histoire de l’art , la vraie – c’est l’histoire d’un œil, parce qu’à partir de la Renaissance, les peintres n’ont plus eu qu’un œil, un œil de verre qui les empêchait de voir. Ensuite ils ont retrouvé leurs deux yeux parce qu’ils ont commencé à piéger cet œil qui ne voyait rien d’autre que la surface des choses, mais ce n’était pas assez. Il a fallu que l’un des deux yeux regarde à droite et l’autre à gauche et le troisième œil est né, avec Picasso. Cet œil-là voit ce qu’il y a à l’intérieur. A l’intérieur de l’écran.

Mon guide m’a montré aussi ce qu’il était capable de faire, et je l’ai vu tracer un trait, le trait magique qui réconcilie le dedans et le dehors, vous savez, ce trait qui brise les vitres. Je l’ai vu aussi fabriquer du blanc, son blanc qu’il appelle le blanc camembert et ça m’a fait rire, de la part d’un publicitaire.

Alors je dois le remercier –il faut toujours remercier le guide. Pas pour la visite de Venise, je trouve les Vierges à l’enfant espagnoles tellement plus belles et émouvantes que les italiennes. Pas non plus pour la visite de Florence, parce que je suis un peu comme Nina, moi aussi j’ai été happée par les vitrines des boutiques, qui sont fabuleuses là-bas. Non, je voudrais le remercier pour m’avoir cité cette phrase sublime de Fra Angelico, à laquelle je vais m’accrocher à partir d’aujourd’hui (une phrase pareille je vais vous dire, je ne vais pas la lâcher) : « L’obscurité du monde n’est qu’une ombre ».

Et au moment de quitter mon guide, je l’ai bien regardé et j’ai repensé à cette parole de Picasso, qu’il m’avait répétée : « à quatorze ans je dessinais comme Raphaël, il m’aura fallu avoir quatre-vingts ans pour dessiner comme un enfant ».
Et parce que j’espère très sincèrement que vous irez vous plonger vous aussi dans ce livre, je dois vous prévenir : il n’y a pas de plan de visite. Et n’en demandez pas au guide, il ne vous en donnera pas. Parce qu’il suit le plan originel, comme dans les salles des fac-similés égyptiens, il vous expliquera. Tous ces chapitres sont autant de fragments projetés sur un livre abstrait – abstrait au sens propre, c’est à dire détaché du monde des apparences.

C’est le livre d’une âme, si vous voulez tout savoir, mais d’une âme qui prend l’avion avec son patron pour aller demander de l’argent aux Américains, une âme qui s’enchante d’un beau paysage, une âme qui se fâche parce que le monde l’énerve, une âme qui tombe malade et qui rêve aussi.
Qui rêve d’un art théophanique – auquel vous croirez ou pas, en tout cas, je vous promets une sacrée visite.

Dominique Lebel


Dominique Lebel a aussi choisi cette toilepour illustrer son article.
La prière continuelle. Huile sur toile. 150 x 200 cm. 2005


Grâce à elle



Ad imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible, de Robert Empain, un livre de 373 pages, dont soixante illustrées par les oeuvres d'art évoquées, est disponible sur iTunes et Amazon mais aussi dans une édition papier. Prière de voir les liens dans la marge droite de ce blog.

jeudi 7 janvier 2016

Le miracle de la culture qui échappe aux limitations du temps et de l'espace


Grâce à toi Olivier Maas

Mes lecteurs sont rares et précieux. Et ceux qui m'écrivent sont plus rares et plus précieux encore. C'est donc une grande joie pour moi de publier ici un échange épistolaire récent avec un lecteur particulièrement sensible et cultivé, Oliver Maas, ingénieur et artiste à ses heures, qui anime chaque été avec son épouse Véronique Maas, elle même écrivain, un séminaire de philosophie à Mérigny.    



Bonjour Robert,

Lors de notre dernière entrevue, je t'avais dit que je prendrais contact avec toi, pendant ma lecture de ton livre, afin d'échanger avec toi sur ce sujet. C'est une chose en cours en ce moment : je suis plongé dans Ad Imaginem Dei, à peu près à la moitié de l'ouvrage, alors que ton récit nous emmène à la visite du musée Cézanne à Aix et que tu réfléchis sur la démarche si personnelle et courageuse de ce peintre qui trace la route d'un nouveau regard sur le réel et sa représentation picturale. 

J'ai éprouvé dès maintenant, en cours de route, le besoin de te contacter pour te dire un peu ce que je ressens, avant même la fin du livre. En effet, il ne s'agit pas pour moi de faire un commentaire, élogieux et amical au bout du parcours, car ton livre me touche d'une manière particulière à laquelle je souhaite répondre dès maintenant.

L'idée qui me vient pour caractériser ce que je cherche à exprimer est une notion de globalité : je trouve que ton livre traduit de manière particulièrement juste la globalité d'une démarche : la vie sentimentale et professionnelle, l'expression vive, précise et inspirée d'une aspiration mystique très forte et très vivante, le cheminement d'une réflexion intellectuelle sur les valeurs et la société, une rumination approfondie sur une vocation artistique et les exigences de cette démarche en cohérence avec tes aspirations religieuses, intellectuelles et subjectives, et, pour finir, une iconographie représentant certaines de tes oeuvres personnelles ou celles d'autres artistes qui balisent ton cheminement et permettent d'en apercevoir les fruits. La globalité de ce parcours s'exprimant sur tous ces fronts sonne vrai et me touche, car elle couvre un certain nombre des thèmes  qui ont également occupé mes pensées au cours de ma vie. 

Ton récit sonne vrai à mes oreilles, car par son ampleur il embrasse largement le réel de ton expérience et trouve place dans le réel de la mienne. Ton propos me paraît familier sur de nombreux points et pourtant à chaque fois quasiment, il est plus fort, plus brûlant que celui que j'aurais pu formuler. Ton amour mystique de la vie et du Christ que je partage, bien que chez moi il soit plus modéré, raisonnable voire somnolent. Ta recherche picturale logée au coeur de tes aspirations mystiques, de tes expériences oniriques, et de l'étude poussée des maîtres de la peinture et des théoriciens de cet art ; j'ai un peu parcouru ce domaine, en dilettante et pour moi dessiner et peindre est un plaisir "innocent" qui s'apparente simplement à la pratique d'une langue vivante d'un autre type qui nous met en relation avec la beauté du monde et des hommes. 
Je savoure tes analyses et tes commentaires d'oeuvres d'art pour leur pertinence et la compréhension de l'intérieur de l'oeuvre qu'elles révèlent. 
Voilà ce que voulais te dire dès maintenant. Sache que quelque part en région parisienne un petit bonhomme fait un bout de chemin avec toi, le Robert d'aujourd'hui ou d'hier, un peu les deux probablement, et que cet amicale entraide de l'auteur vis à vis de son lecteur reproduit une fois de plus le miracle de la culture qui échappe aux limitations du temps et de l'espace. Merci bien !
 
A bientôt pour te voir, et de toute façon plus tôt encore pour te lire.
 
Bien amicalement
Olivier


Cher Olivier,

Quelle joie d’apprendre que tu me lis et de lire ce que tu écris ! Je te remercie de ces confidences saisies sur le vif de ta lecture. Oui, comme tu le dis, il s’agit d'une rencontre dans l’invisible, une rencontre qui est, comme tu le dis aussi, le miracle que la culture accomplit par la vie, une Vie qui échappe aux limitations du temps et de l'espace et qui donne chacun à lui-même et à tous... 

Ce livre est tiré de mes carnets de notes des années quatre-vingts, des notes saisies elles aussi sur le vif lors de mes rencontres avec des gens, des oeuvres, des villes, des paysages, des rêves, des songes, des actes de création ; toutes choses que je reconnaîtrai plus tard comme ces grâces qui nous font à l’Image de Dieu, pour autant que nous les recueillions. Des grâces qui nous plongent dans le mystère de notre présence à nous-mêmes et aux autres, nous révélant le miracle vivant que nous sommes grâce à celui qui vit en nous, et qui nous donne de le connaître.

L’art est hospitalité : il nous convie au Festin de la Vie.

Merci de m’encourager à poursuivre car je travaille ces temps-ci à la suite de L’oeuvre invisible que la Vie crée en nous. J’espère te lire à nouveau quand tu seras arrivé à la fin de cette étape…

De tout coeur

Robert


Cher Robert,
J'ai terminé ton livre, dans l'élan d'une lecture captivante ! 
Je comprends que tu as vécu ce qui ressemble à plusieurs vies et que ta vocation d'artiste s'est exprimée de nombreuses manières. Quel parcours riche et fécond !

J'ai hâte d'en parler avec toi au printemps prochain...

Olivier 


Cher Olivier,

Mes carnets ont été écrits - je pourrais dire dictés - par la Nécessité intérieure. Ce qui n'évite pas une mise en forme destinée au lecteur. Cette force de l'esprit qui nous parachève jour après jour est l'oeuvre invisible de la Vie qui espère faire naître en nous l'amour véritable, qui est un don de l'Esprit Saint par qui tout se fait et s'accomplit.

C'est en ce sens que Dieu nous fait à son image : il nous imagine semblable à Lui, vivants et libres, pour que réciproquement nous imaginions l'inimaginable Don qu'il nous fait de participer à son oeuvre d'amour.

Encore faut-il et d'abord que nous écoutions l'Esprit qui nous parle par cette voix, et que je nomme avec Kandinsky la Nécessité intérieure, qui nous donne de le connaître Lui, l'Esprit

Là se livre le "combat plus rude que la bataille d'hommes" comme dit Rimbaud, à savoir le combat contre soi-même, le combat incessant contre le monde, le monde imaginaire que nos désirs de puissance et de jouissance créent à leurs images, un monde absurde que nos esprits, libres de se détourner de Dieu, ont le pouvoir de créer.
  
Ce livre témoigne de ce combat intérieur et créateur auquel j'ai donné la forme de ce récit, aussi fidèle que possible à mes carnets, que tu as eu la patience de lire et la bonté de me dire quel élan de vie tu y as trouvé. Cela m'est très précieux car grâce à toi j'ai le sentiment qu'il n'était pas inutile de l'avoir fait. 

Ton soutien amical, avec ceux de quelques rares lecteurs, me donnent la force de poursuivre le récit de ce périple qui comporte plusieurs vies en effet, mais aussi de nombreuses morts à moi-même suivies de renaissances ; la vie étant ce processus de résurrection continuelle d'Elle-même en nous, fait d'abandons, de dons, de mutations et d'élévations, que je nomme l'Imagination créatrice - un autre Nom de la Vie.


De tout coeur

Robert