vendredi 31 janvier 2014

La clairière de ton coeur


Grâce au Coeur du Christ Jésus


Résonance métaphorique. 1999





Cette image surprenante, cher lecteur, est une image d'un coeur humain, un coeur comme le tien, un coeur semblable à tous les coeurs humains; qui tous alors ressemblent à une clairière ouverte sur le ciel, une clairière intérieure dont les arbres et les branches s'élèvent vers une lumière, une lumière intérieure.
J'ai utilisé cette image médicale, après l'avoir coloriée en rouge, dans une série d'une vingtaine d'images d'anatomie poétique que j'ai exposée au Centre médical Galilée à Bruxelles en 1999, alors que j'y créais le Cabinet d'art thérapie.
Cette image du coeur clairière est une parabole lumineuse qui nous montre la voie, la seule voie salvatrice, la voie intime du coeur qui, en son secret, à notre  insu, est déjà tourné vers Ciel, le Ciel intérieur. 
Une telle clairière s'ouvre à ceux qui ont traversé la forêt la plus redoutable entre toutes : la forêt des leurres, des peurs et des ressentiments.
Une telle clairière s'offre à ceux qui se sont éloignés du monde au risque de se perdre, à ceux qui sont perdus aux yeux des rivés au monde, et qui, par une grâce incompréhensible pour eux, s'en sont délivrés, se sont rendus au coeur d'eux-mêmes, dans la clairière lumineuse et paisible où ils vivent en vérité, là où se fait entendre un murmure joyeux et lumineux, le murmure de leur propre Source, la Source de Vie.
Une Vie qu'ils avaient cherchée en vain dans le monde, une Vie qu'ils croyaient perdue à tout jamais alors qu'au coeur d'eux-mêmes elle ne les avait jamais quittés, une Vie qui ne cessait de les appeler par mille bruissements de souffle et de sang pour les guider, hors de la confusion régnante,  par mille lueurs vers ce lieu de lumière et d'accueil, dans le Coeur de la Joie de vivre épousée.


Sacré Coeur de Jésus dans une déchirure.
Exposition Paroles inouïes. Robert Empain 2011




« Le cœur est  la définition la plus adéquate de l’homme. » écrit le philosophe Michel Henry.  Ainsi ce que tu éprouves dans ta chair, dans ton cœur, c’est la vie. 
La vie ? 
« La vie est le mouvement invisible et incessant de venir en soi, de s’éprouver soi-même, de s’accroître de soi (...) Enraciné dans la vie, l’art est une réponse pathétique (un éprouver) que la vie s’efforce d’apporter à l’immense Désir qui la traverse. Et cette réponse, la vie ne peut la trouver qu’en elle-même, dans une sensibilité qui veut sentir davantage, se sentir plus intensément… » écrit encore Michel Henry.
La vie est ainsi la Force invisible (un Flux dira Nietzsche) qui veut toujours s’éprouver plus intensément et s’accroître davantage en nous à chaque instant. Et l’art n’a d’autre but que de nous faire ressentir et d’accroître la vie et l’essence de l’art est la sensibilité.
Textes :
1- extrait du carnet 2010 de Robert Empain ; notes pour l'exposition Viens Esprit-Saint - Bruxelles. avril 2010. 
2 - extrait du texte de présentation de l'exposition Au coeur du Sujet - Grâce à Michel Henry. Espace Grâce. Bruxelles. 2006
Illustrations : 
Résonance métaphorique, Impression numérique, 60 x 80 cm.1999 ; 
Sacré Coeur de Jésus, Assemblage. 2010. Exposition Paroles inouïes. 2011. Robert Empain

mercredi 29 janvier 2014

L'amour avec la vie


Grâce à Léo Ferré




On s'aimera
Pour un quignon d' soleil
Qui s'étire pareil
Au feu d'un feu de bois
On s'aimera
Pour des feuilles mourant
Sous l'œil indifférent
De Monseigneur le Froid
De Monseigneur le Froid

On s'aimera cet automne
Quand ça fume que du blond
Quand sonne à la Sorbonne
L'heure de la leçon
Quand les oiseaux frileux
Se prennent par la taille
Et qu'il fait encore bleu
Dans le ciel en bataille
Dans le ciel en bataille

On s'aimera
Pour un manteau pelé
Par les ciseaux gelés
Du tailleur des frimas
On s'aimera
Pour la boule de gui
Que l'an neuf à minuit
A roulée sous nos pas
A roulée sous nos pas

On s'aimera cet hiver
Quand la terre est peignée
Quand s'est tu le concert
Des oiseaux envolés
Quand le ciel est si bas
Qu'on l' croit au rez-de-chaussée
Et qu' le temps des lilas
N'est pas près d'être chanté
N'est pas près d'être chanté

On s'aimera
Pour un tapis tout vert
Où comme les filles de l'air
Les abeilles vont jouer
On s'aimera
Pour ces bourgeons d'amour
Qui allongent aux beaux jours
Les bras de la forêt
Les bras de la forêt

On s'aimera ce printemps
Quand les soucis guignols
Dansent le french-cancan
Au son du rossignol
Quand le chignon d'hiver
De la terre endormie
Se défait pour refaire
L'amour avec la vie
L'amour avec la vie

On s'aimera
Pour une vague bleue
Qui fait tout ce qu'on veut
Qui marche sur le dos
On s'aimera
Pour le sel et le pré
De la plage râpée
Où dorment des corbeaux
Où dorment des corbeaux



Texte et musique : Léo Ferré

mardi 28 janvier 2014

L'art comme sacrement


Grâce à vous peintres d'icônes



Prière des peintres d'icônes

Toi Maître divin de tout ce qui existe, 
éclaire mon âme mon coeur et mon esprit, 
conduis mes mains afin qu'elles puissent représenter 
dignement ton Image  pour la gloire,
 la joie et l'embellissement de ta Sainte Église


Je poursuis une série aquarelles, commencée il y a plusieurs années, au départ de la prière qu'adressaient à l'Esprit-Saint les peintres d'icônes avant de se mettre au travail. 
Cet acte de peindre était lui-même accompli par ces artistes comme une prière. 
Prière, sacrement, théophanie, rencontre amoureuse du divin et de l'humain, colloque du coeur, où se trouve l'accord juste des figures saintes, des formes, des couleurs et du peintre lui-même. 
Art véritable et vérifiable, art sacré en un mot, par lequel l'artiste prie l'Esprit et par lequel l'Esprit prie avec lui, agissant en lui, le respirant et l'inspirant, illuminant son âme et conduisant ses mains, oeuvrant dans sa chair invisible et, simultanément, dans le visible pour créer ce lieu de médiation et d'apparition appelé une icône.



Face du Christ, Andreï Roublev


Icônes dont la source, le modèle initial et unique, est la Vera icona - la Vraie Image - non faite de main d'homme : l'empreinte directe laissée par la Face ensanglantée de Jésus sur un linge alors qu'Il montait au Golgotha. Icône du Dieu Vivant incarné, du Fils, qui s'imprègne et s'incarne en l'homme qui la pénètre en priant et qui, ce faisant, sauve et restaure en lui l'Image originelle et altérée du fils qu'il est, et que nous sommes tous, nous qui, semblablement, sommes faits à l'image du Dieu Vivant. 

L'Icône ressuscite en nous la Vie pour autant que la vivions là où seulement elle peut vivre et agir : dans notre coeur. Pour autant que nous priions l'Esprit de nous faire vivre à nouveau, d'illuminer notre chair vivante. Pour autant que nous y écoutions son appel et que nous recevions sa joie de nous rejoindre nous-mêmes en Lui. 



Prière de l'homme, prière de Dieu.  2005




Texte : Extrait des Carnets de Robert Empain. 2000 et 2005 
Illustrations : Images d'oeuvres de André Roublev et Robert Empain 




samedi 25 janvier 2014

Une empreinte vivante sur les parois de ma chapelle de chair


Extrait de Ad Imaginem Dei
de Robert Empain 

Ce livre de 367 pages illustrées est disponible sur iTunes store


Grâce à Giotto di Bondone

De passage à Padova, j’entre voir Giotto à la chapelle des Scrovegni. 
Me voici dans l’un des plus fabuleux vaisseau spatial jamais construit par l’homme. Je suis le seul voyageur à bord (il est un peu tôt pour le troupeau Kodak). Juste à temps, nous partons. Envol doux de tout l’édifice, turbulence légère des couleurs minérales, bleues, terre verte, terre grise, ocre jaune, rouge... Tête en bas, pieds en haut, œil partout. D’emblée, je reconnais le Livre Saint original, la Légende dorée, le livre d’images prototype de la vie de Jésus et de ses parents terrestres, le modèle de tous les livres d’images saintes, dont je reçus à cinq ans une pâle copie : La miche de pain, alors que j’étais au jardin d’enfants, à l’école de l’Enfant Jésus. 



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Où suis-je ? En moi : ces icônes géantes sont peintes sur les parois internes de mon corps. Ces anges, ces visages, ces mains, ces êtres traversent mes yeux et viennent toucher mon enfance, ma chair, mon âme. 
Voici Le rêve de Joachim, La rencontre à la porte d’Or, La naissance de Marie, Les prétendants remettant les verges. Le mariage de Marie. Voici L’Annonciation. L’ange Gabriel d’un côté, Marie de l’autre, au beau milieu l’arc triomphal du cœur que transperce le Christ majestueux trônant sur la cible, la porte de la Jérusalem céleste. 


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Virage à tribord, retour sur terre : Nativité, Fuite en Egypte, Massacre des innocents.
Maintenant le ciel se déchire, voici Le Baptême du Christ, un abrégé fulgurant du voyage : du fond vaseux de l’inconscience engloutie surgit le corps double de Jésus : l’un est transparent dans l’eau matricielle, l’autre est luminescent dans l’azur. Le corps du Christ est ici tout entier tendu vers une cicatrice sidérante de lumière, une fissure dans la fresque éclaboussée de ciel, une miraculeuse déchirure opérée par le temps... 


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Résurrection immédiate ! 

Clac ! l’éclairage automatique s’enclenche. 
Voici la visite de l’autocar, appareils photos sur bedons et bermudas fleuris.

Dernier regard au baiser de Judas à Jésus au Jardin des oliviers. Fin du voyage. Retour dans l’ici bas. Saint Pierre coupe l’oreille du soldat, une silhouette grise capuchonnée, vue de dos, tire un rideau sur la scène de la trahison. 

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J’emporte ce miracle avec moi comme un songe majeur, une empreinte vivante sur les étroites parois de ma chapelle de chair.

Illustrations : Images des fresques de Giotto à la chapelle des Scrovegni à Padova. Italie; Treizième siècle.
Texte : extrait de L'oeil joyau. Carnets 1980-1985. Robert Empain. Editions Ré. Bruxelles. 1999

jeudi 23 janvier 2014

Ce qui fait l'oeuvre d'art


Grâce aux artistes anonymes




Ce qui fait une véritable oeuvre d’art, ce qui la distingue d’un objet ordinaire et même d’un objet d’art présenté dans un musée ou une galerie, c’est que, paradoxalement, alors qu’elle est là devant nous et nous attire en elle, elle nous fait simultanément entrer en nous, en notre âme, où elle agit sur notre vie, au point de la changer et de la transformer pour toujours, nous révélant une dimension inconnue de nous-mêmes, nous approfondissant, nous faisant ressentir une joie, un trouble, une gratitude, une affection pour l’artiste qui l’a faite et pour la vie qui lui a donné de la faire et nous donne de rencontrer de telles oeuvres. 

C’est pourquoi quand je rencontre, en tête à tête, en personne, une oeuvre d’art véritable comme ici, en 2001, cette tête de sculptée de Bouddha Bruxelles, ou encore en 2003 les fresques du Château d'Oiron, je leur exprime toute ma gratitude en passant… 


Grâce à vous tous


Gratitude à Oiron, 2004



Vidéo, texte et photographie par Robert Empain

mercredi 22 janvier 2014

L'Annonciation de chaque instant

Grâce à toi Gabriel




Notre Rédemption commence à l'instant de l'Annonciation, en cet instant où l'Ange Gabriel se présente à une vierge nommée Marie et lui dit de se réjouir car l'Esprit de Dieu - qui est la Vie - est sur elle, avec elle et en elle, qu'emplie de sa grâce, elle va mettre au monde un fils, qui sera le Fils de Dieu, la Vie en Personne, le Dieu vivant fait Homme. Or, si l'Annonciation est l'instant de l'Incarnation du Verbe dans une chair humaine, cette Incarnation recommence à chaque instant en chacun de nous qui, vivants, sommes appelés à la Vie.
L'art chrétien s'est chargé de nous transmettre cette Nouvelle. Et le miracle de cet art désireux de nous révéler la résurrection de la chair, notre Rédemption par l'amour de Dieu qui s'est fait semblable à nous, est qu'il le fasse effectivement en ressuscitant en nous, ici et maintenant, une jouissance, une jouissance esthétique, qui est à la fois charnelle et spirituelle. Une jouissance et une joie qui nous permettent de vérifier que cette chair spirituelle est l'étoffe même de notre âme qui se réjouit par la vision, l'ouïe et par tous nos sens, d'être reconduite, d'être élevée et de se reconnaître en sa Source incarnée : l'Esprit de Vie.

Le 25 mars 2001, j'avais posé une grande image encadrée de l'Annonciation de Fra Angélico sur un banc en face de la fenêtre de mon atelier, aussitôt je m'aperçus que le ciel et la croix que formait le châssis de la fenêtre se réfléchissaient sur la vitre, sur l'Annonciation.
Comment ne pas y voir une grâce et comment ne pas chercher à la garder ?


 Une autre Annonciation vue par Fra Angelico. XVième siècle Florence




Grâce vidéo et texte : Robert Empain 2001 et 2008

vendredi 17 janvier 2014

Connaître Dieu immédiatement et sans image




Rolf Kühn, L'abîme de l'épreuve :

"...Eckhart, sermon 57 :  Dieu le Père a une intellection parfaite en lui-même et une connaissance pleine et abyssale de lui-même par lui-même - non pas par n'importe quelle image. Ainsi Dieu le Père engendre son fils dans la vraie unité de la nature divine. Voyez, c'est de cette même manière et aucunement d'une autre façon que Dieu engendre son fils dans le fondement de l'âme et dans son être et qu'il s'unit de la sorte avec elle. Car s'il y avait là n'importe quelle image il n'y aurait pas de vraie union. 
... Dieu ne saurait, par principe, être démontré à partir d'un concept ou à partir d'une idée ; en effet il livre bien plutôt lui-même la "condition d'expérience" propre sous laquelle on peut en faire l'expérience et l'éprouver. Dès lors, l'absence de conditions extérieures de la naissance divine chez Maître Eckhart est identique avec le fondement privé d'image de l'âme, c'est-à-dire avec l'absence de tout horizon de l'intellection de soi, qui se démontre, en tant que ré-flexion, afin de laisser l'âme être un pur besoin. En effet dans le même...   
Si je dois connaître Dieu immédiatement et sans image ni parabole, alors Dieu doit devenir tout bonnement moi et moi tout bonnement lui, à ce point que j'agisse avec lui, et ce, non pas que j'agisse avec lui de façon que j'agisse et lui pousse derrière, mais, au contraire, j'agis complètement avec ce qui m'est propre. J'agis proprement avec lui exactement comme mon âme agit avec mon corps. Cela peut nous consoler, et si nous n'avions rien par ailleurs, cela devrait suffire pour  nous inciter à aimer Dieu."

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Pèlerin. 1999


Texte : Rolf Kühn, extrait de L'abîme de l'épreuve. Peter Lang Editions.
Illuustration : Aquarelle de Robert Empain, 40 x 50 cm. 1999


mardi 14 janvier 2014

Que mon oeuvre soit un poème mis en musique par un peintre

 Grâce à Joan Miro


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"Assassiner la peinture !" fut l’intention déclarée de Joan Miro au milieu des années vingt.  Rémi Labrusse, dans son livre sur le peintre catalan Un feu dans les ruines, commente cette volonté  : " ... si la destruction apparaît fécondante et génératrice de gains pour Miro c’est qu’il  a confiance dans l’idée que l’origine puisse être effectivement donnée au présent ... c’est parce que la poétique de la destruction est en même temps une poétique de l’incarnation." Car, poursuit-il "L’origine, vers laquelle remonte Miro est celle de sa propre chair, le moment sans cesse repris où celle ci se rencontre et s’émerveille de soi, engloutissant d’un coup le monde extérieur dans la marée nocturne de son intimité glorieuse.»  Arrivé à ce point, Rémi Labrusse cite Michel Henry : " ... cette irruption de ce qui retire au visible sa préséance et le fait vaciller, qui substitue à la simplicité et à l’évidence de la figure la polyphonie pathétique de la vie dont l’unité est d’un autre ordre." 



Assassiner la peinture cela veut donc dire pour Miro comme pour Kandinsky, qu’il sera bien seul à soutenir à son arrivée à Paris après la fermeture du Bauhaus par les nazis,  assassiner les conventions représentatives, y compris celles du cubisme et celles du surréalisme déjà figées en académisme, cela veut dire ressusciter l’art qui vient de la Vie et qui ressuscite la Vie.


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Mais écoutons Miro : " La même démarche me fait chercher le bruit caché dans le silence, le mouvement dans l’immobile, la vie dans l’inanimé, l’infini dans le fini, des formes dans le vide et moi même dans l’anonymat." Et "Je travaille comme un jardinier. Et aussi  " Que mon oeuvre soit un poème mis en musique par un peintre..."  Et encore : "... quelle joie d’arriver à comprendre dans un paysage un petit brin d’herbe - pourquoi le mépriser ? – un brin d’herbe est aussi gracieux qu’un arbre ou une montagne. A part les primitifs et les Japonais presque tout le monde néglige ces choses divines."

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Cette démarche de Miro est expérimentale. Selon ses propres termes elle est " une recherche de laboratoire par laquelle il est nécessaire de passer mais qui peut vous emmener beaucoup plus loin ... " c’est-à-dire à l’abri du piège de l’objectivation par les oeuvres " dans le mouvement incessant de la vie se mouvant dans l’invisible de la chair ... soustraite à la pesanteur des choses."


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Rémi Labrusse abonde en ce sens : " ce que les oeuvres de Miro cherchent à détruire ce sont les murs des représentations pour atteindre l’intériorité vivante incessante" et c’est pourquoi de telles oeuvres sont "des tremplins pour la vie qui est le mouvement qui s’éprend de lui-même. "
L’oeuvre ne vaut que comme naissance et le tableau selon Miro lui-même " doit être comme des étincelles ... qu’on y sente le point de départ, le choc qui l’a déterminé ... " alors l’oeuvre fait " entrevoir qu’un jour elle permettra de commencer quelque-chose... " Et encore " Je crois que  les seules personnes qui comptent sont celles qui mettent leur sang et leur âme dans la ligne la plus ténue ou le point le plus ténu. Kokusaï disait qu’il voulait sentir une vibration dans le plus petit point de ses dessins. Tout ce qui n’a pas cette vie est nul ! "




Texte : Notes de lecture Robert Empain, 2009. Illustrations : Peintures de Joan Miro

dimanche 12 janvier 2014

La tentation de Saint Antoine


Grâce à Hieronymus Bosch




La Tentation de saint Antoine. Atelier de Hieronymus Bosch

Extrait de 
Ad Imaginem Dei - L'oeuvre invisible 
  
  de Robert Empain

Un ouvrage de 373 pages magnifiquement illustré disponible sur iTunes store 

 
... Poussé par ce diable de Dali, je n’hésite pas à plonger une nouvelle fois dans la grande tentation universelle, non pas dans la version sirupeuse qu’il peignit à sa manière insectoïde hollywoodienne, et qui se trouve ici même, dans ce musée, mais dans celle, inégalable, de Jérome Bosch que je connais bien pour l’avoir regardée de près, dessinée et traversée maintes fois de haut en bas : La tentation de saint Antoine, un triptyque sur bois aux alentours de 1500. 

Les tableaux de Bosch grouillent de tous les diables réels et de toutes les monstruosités imaginables par les humains endiablés. Ils avaient un tel succès en leur temps que les aides du maître devaient les copier en série à l’identique. Celui ci est une parfaite copie d’atelier, la plupart des Bosch originaux se trouvant en Espagne et au Portugal.
Celui qui sacrifierait à cette oeuvre une heure de son temps de bureau ou de télévision, trouverait le temps nécessaire pour pénétrer les cent tableaux que Bosch a rassemblés ici en un seul. Ce courageux renonçant parcourrait alors un peu de la vie d’un saint homme, nommé Antoine, qui en tout a suivi le chemin du Christ. Antoine, raconte son saint compagnon Athanase, commença sa vie d’homme en donnant tous ses biens aux pauvres, il se retira ensuite au désert pour vivre en Dieu seul. Là, comme Jésus, il dût affronter Satan qui, déchaîné, déploya contre lui toutes les ruses dont il est capable pour lui faire renoncer à son désir de Dieu. 

Les Evangiles nous apprennent que Jésus lui même, à l’âge de trente ans, avant de commencer sa vie publique, se retira au désert où il jeuna et pria pendant quarante jours et fut tenté par Satan qui, en échange de sa soumission, lui proposa la puissance, la gloire et le règne sur le monde. On sait ce que le monde fit à Jésus par la suite. 

De même, écrit saint Athanase, Satan, impuissant à briser la foi d’Antoine par les séductions, les promesses et les flatteries, le fit rosser par ses démons et le tourmenta à mort par des visions infernales. Sauvé par une grande clarté qui mit les diables en fuite, Antoine vit apparaître en cette lumière Jésus, et lui demanda : « Où étiez-vous, Seigneur Jésus ? Où étiez-vous ? Que n'étiez-vous ici dès le commencement pour me prêter secours et me guérir de mes blessures ! » Le Seigneur lui répondit : « Antoine, j'étais là, et je te regardais combattre ; or, maintenant que tu as lutté avec vigueur, je rendrai ton nom célèbre dans tout l’univers. » 

On ne comprendra rien à ces paroles ni à ce tableau de Jérome Bosch si, tout imbibé par la logique du monde présent, on oublie que l’homme, tout homme, reçoit absolument tout ce qu’il est, et tout ce qu’il a, du Vivant, et qu’en plus de ces dons gratuits, il reçoit celui, plus incroyable encore, de la liberté de nier, de haïr ou d’aimer son Donateur. 

La ruse du monde consiste à faire croire à ses sujets qu’un tel Dieu capable d’amour absolu est une illusion, une croyance puérile, dépassée et définitivement impensable à l’époque moderne des satellites, des astronautes, de la télévision, des centrales nucléaires et de la psychanalyse. Or, cette ruse du monde est précisément celle de Satan, l’un des noms hébreux donnés au principe fondateur du monde, son Prince donc, connu dans l’univers entier pour son rôle de premier plan dans la Genèse, où, déguisé en Serpent, il trompa Adam en lui promettant de devenir dieu sans Dieu, réussissant du même coup à masquer son identité véritable, celle de Lucifer, créature resplendissante de Dieu, qui, éblouit par son propre éclat, s’emprisonna pour un temps indéfini dans la vénération exclusive de lui-même, inventant ainsi l’ego initial, l’égoïsme aveugle à tout autre que lui-même, prisonnier de sa vanité, enfermé dans son moi, comme le noyau dans l’atome et le feu dévorant au ventre de la Terre. Menteur maniaque, négateur buté, jaloux de l’homme, rusé adversaire, créature de Dieu pourtant, autorisée à mettre à l’épreuve notre liberté, Satan, alias Lucifer, nous hait comme un frère peut haïr son frère, comme un fils peut haïr son père à qui il doit tout. Satan, infiltré à demeure dans nos âmes règne sur nous au point d’être parvenu à faire croire aux sages de ce monde qu’il n’existe plus. 




Etude après Jérôme Bosch. R.E. 1979



Pourtant qui d’autre que le principe du néant règnerait sur des humains subjugués comme jamais par la mort en masse, en série, en vrai ou en simulé, en direct ou en différé ? Qui d’autre que le Prince du non en boucle pousserait les humains à se faire perpétuellement la guerre, à légitimer l’assassinat de peuples entiers et la destruction de la nature ? Qui d’autre encouragerait en l’homme le plaisir de torturer ses semblables et de réduire en objets tout ce qui possède un souffle de vie ? 

Et si ce n’est Satan ou Lucifer quel nom notre époque donnera-t-elle à cette passion de la mort qui meut désormais le coeur des hommes ? La victoire du Malin serait-elle définitive au point que nous n’aurions plus de nom à donner au principe invisible qui nous domine, nous hante en secret, nous dévore à petit feu et nous tue en silence ? 
Mais nous pouvons dormir tranquilles, un nom très moderne a été trouvé pour cette maladie paradoxale d’une vie qui ne voudrait plus vivre, pour cet étrange désir des vivants qui ne désiraient en définitive que la mort. Ce nom, simple et admirable, est Pulsion de mort ! Satan lui même a applaudit à cette découverte géniale de Sigmund Freud.


Une grande clarté 
Ainsi donc, nous les éblouis de lumières modernes, nous errons comme un seul homme dans les ténèbres de l’inconscience mus par Pulsion-de-mort, la divinité nouvelle du néant officiel, qui seule nous soulagera définitivement de nos pulsions et désirs insatiables d’objets que la civilisation de consommation de masse, les ressources limitées de la planète et le temps compté de l’Univers, s’épuiseront fatalement à assouvir. 
Rien là, pourtant, de bien nouveau sous le Soleil de Satan, dirait Georges Bernanos qui, comme Jérôme Bosch, n’ignore rien du cloaque ténébreux de Pulsion-de-mort, ni, par conséquent, de l’empire invisible de Satan qui est largement ouvert à notre vue, ici, dans le triptyque fabuleux de ce peintre voyant. 

Or, que voyons-nous dans ces trois panneaux sinon Antoine entouré par toutes les diableries, les aberrations et les calamités du monde, cerné de toutes parts par les créatures les plus folles, les miasmes les plus puants et les monstres les plus abjects, se tourner pourtant doucement vers nous et nous regarder avec compassion, nous indiquant de la main une niche sauvegardée dans une tour ruinée au milieu de ce monde à feu et à sang, et dans cette niche, un autel sur lequel se trouve Jésus sur la croix. Ou bien, en un autre lieu, non loin d’une ville en guerre, alors que des fous autour de lui semblent se disputer une femme nue et que d’autres s’empoisonnent et se suicident, Antoine lui se tourne à nouveau vers nous nous invitant à lire les Evangiles qu’il lit lui-même.




C’est donc ainsi qu’Antoine a vaincu Pulsion-de-mort, l’Adversaire, le frère jaloux, qu’il appelle le malheureux Satan, et tous ses diables grotesques, désespérants de stupidité, mis en fuite par la Grande-clarté, une Clarté d’autant plus grande qu’elle est celle de la Vérité, de la seule Lumière qui peut éclairer les ténèbres du mensonge, de la peur, de la jalousie et de l’égoïsme, de la négation du Vivant qui nous désire infiniment libres en Amour.



L’artiste véritable est celui qui, comme Bosch, Campin et tous les voyants célébrés ou anonymes, s’avancera, en boitant et en tremblant certes, vers la clarté promise à tout homme, accomplissant en lui l’oeuvre invisible de l’amour. 

L’artiste comme le mystique œuvrent à la transformation de l’horreur en beauté, des ténèbres en lumière, du mensonge en vérité, de la mort en vie, de la haine en amour. 
La seule oeuvre humaine nécessaire consiste à vaincre en nous la créature satanique qui n’est autre que la stupidité de l’ego, pour faire de soi un homme véritable qui n'a plus peur de son ombre et se rend capable d’aimer. C’est pourquoi, l’art est spirituel ou n’est rien. 



Texte :  Extrait de Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible, Robert Empain

samedi 11 janvier 2014

À l’heure où le midi clos chaque chose


Grâce à Marcelle Gaillard




Je veux être éblouie par le soleil
Et ne plus rien voir
Qu’un trait de lumière vivace
A travers mes cils étreints et serrés
Et deviner dans leurs franges
Les foissonnements bavards
Qu’enfantent les débauches de feuilles
Ombre et clarté
À l’heure où le midi
Clos chaque chose.


Marcelle Gaillard

1916 - 2004

Artiste de Grâce

Ma maman

retournée au Vivant Amour 

le 9 janvier 2004









Illustration : Visage fleuri de larmes, huile sur toile, Robert Empain. 1997

vendredi 10 janvier 2014

Un film inachevé et sans cesse recommencé


Je publie sur ma page You Tube des extraits du film Mille grâces, mille larmes de joie que j'ai commencé en 2000 et présenté en 2001 dans une chapelle romane à Le Blanc en France. 
Ce film ne prétend pas s'approprier la beauté du monde mais espère tout simplement lui rendre grâce. Les plans séquences qui s'y succèdent, et qui s'y succèderont indéfiniment au fil du temps, je le nomme des grâces, des grâces recueillies une caméra à la main, des grâces rendues à l'auteur véritable des réalités terrestres sans cesse créées par Lui pour notre émerveillement et notre éveil, des grâces projetées sur la Terre, dans le Ciel et dans les yeux humains depuis la création du monde, depuis que la lumière a jailli des ténèbres, depuis que des vivants les regardent et s'en étonnent. 
Un tel film, amis, ne saurait ainsi avoir un début, un milieu et une fin, car il est infini et ne fait que capter ce qui dans le monde ne cesse de commencer. C'est pourquoi un tel projet, une telle prière en vérité est toujours en cours, toujours à voir, à faire et à dire, toujours en retrait de sa tâche infinie. 
Je publie ci dessous quelques unes de ces grâces que vous retrouverez plus nombreuses sur You Tube.
Je publie également la petite allocution que j'ai faite à Le Blanc en 2001 avant de la projection d'un premier jet de ce film qui était alors composé d'une cinquantaine de grâces recueillies dans le Parc régional naturel de la Brenne qui entoure cette ville de France. 
 



Qui suis-je ? 
Mesdames, messieurs, si je suis un étranger pour vous, sachez que je suis encore, et largement, un inconnu pour moi même. On me dit poète et peintre, je suis un voleur. 
Non pas un voleur de banques, de sacs à main ou de mobylettes, mais un voleur de petit chemin, un voleur de beauté, un voleur de feu. Un glaneur serait plus juste, selon le titre du beau film qu'Agnès Varda présentait alors que je montais mon modeste film, mon premier film, mon seul film, un film inachevé et sans cesse recommencé...  Ce que vous allez voir est mon butin, la petite moisson de ce que j'ai glanée sur les chemins de votre pays de Brenne. 

Qu'ai-je glané pour vous ? 
La beauté et la lueur des visages croisés au hasard à Le Blanc, l'impudeur de quelques fleurs abandonnées au bord des routes de Mérigny, un peu de vin dans un verre d'eau, un étang minuscule dans le creux d'une pomme, les éclats du soleil dans des perles de rosée à Ingrandes, des arcs-en-ciel produits par un arrosoir, des étoiles dans les plis de vos rivières, des arbres se diluant dans le courant, le regard d'une enfant fascinée par un serpent à la Foire commerciale, des tortues prises au piège dans une boite en plastique et ainsi de suite... Mille grâces à mes yeux.



Quelques séquences du film Mille grâces, mille larmes de joie sont visibles sur YouTube


Pourtant cette beauté là est sans valeur pour notre temps, elle appartient au monde du rien,  elle appartient donc à tout le monde et par là elle n'appartient à personne, si ce n'est au poète, au voleur de feu. Elle est hors spectacle, hors marché, elle n'est pas cotée en bourse. En vérité elle est sans prix et donc hors de prix. Tout simplement parce qu'elle relève de l'être et non de l'avoir, cette beauté là, comme toute beauté véritable, est gratuite. Gratuite cela signifie qu'elle provient de la grâce. De la grâce infinie et oubliée qui nous donne à tous d'être là dans une vie et dans un monde qui nous sont donnés à chaque seconde.



J'ai pris le titre de ce film, Mille grâces, mille larmes de joie, à une prière que Blaise Pascal avait cousue dans son manteau : Feu Joie Joie Joie, mille grâces, mille larmes de joie, pour chaque jour d'exercice sur la terre... 
J'aurais pu voler la belle formule dans laquelle Martin Heidegger concentre sa philosophie : Denken is danken - Penser c'est remercier. 

Les images de ce film ne prétendent certes pas s'approprier la beauté du monde, elles espèrent juste lui dire merci, lui rendre grâce. Elles ne sont littéralement que des reflets fugaces des images crées en permanence par la lumière, des phénomènes existants depuis la création du monde, depuis qu'existent la lumière et les ténèbres. 
Rainer Maria Rilke disait de la beauté qu'elle est le voile qui nous protège encore du Terrible. Je vous prie de regarder ces images comme les voiles tendus de l'Amour, comme mille voiles  à lever sur l'inconnu familier qui vous entoure, des images projetées ici sur un tissu de soie presque transparent pour mieux en montrer la nature cachée.



Ces images espèrent inaugurer un autre regard sur la beauté du monde : un regard capable d'admirer son humilité.  Admirer ! Le verbe magnifique que nous a donné le poète belge Émile Verhaeren pour orienter la pensée et les rapports entre les hommes.

Un tel film, qui fait actuellement une soixantaine de minutes, ne saurait pourtant avoir, chers amis, un début, un milieu et une fin, il est infini ou indéfini, car il pointe ce qui dans le monde ne cesse de commencer. C'est pourquoi un tel projet, une telle prière en vérité, ne peut être qu'inachevée car toujours en retrait de sa tâche infinie.

Les images de visages de femmes et d'hommes que vous y verrez espèrent encore témoigner humblement de la Loi divine qui fonde notre Humanité et pourrait remplacer toutes nos lois humaines, une Loi qui nous rappelle que tout homme est un miracle sur la Terre comme au Ciel, une Loi, que chaque visage humain proclame, et qui dit  « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Je remercie les personnes qui ont bien voulu me confier l'image de leur visage et ainsi le visage de leur véritable image... 

Je vous invite maintenant à regarder ce voile d'images. Regardez les comme des mensonges qui lèvent un peu le voile sur la vérité.  N'est-ce pas  cela  qu'espère accomplir toute œuvre d'art ?  

J'en dirai plus une autre fois.

A suivre...                                                               

Texte : Robert Empain, 2001.


mercredi 8 janvier 2014

S'exposer aux oeuvres d'art


Grâce aux artistes de tous les temps




L’art (véritable) conspire contre le monde, contre les modes, il fait la guerre aux étalagistes, aux spéculateurs, aux marchands  de leurres et de vies faussées. 
Soyez tranquilles, on y met bon ordre, on dresse les barricades, on tend le voile épais des commentaires, de la culture historique et l’écran de fumée hypnotique de la valeur marchande, des enchères à vous couper le souffle, à vous interdire d’y toucher, d’en approcher, d’y voir, d’en jouir sous peine d’alarme. 
Plus encore, on éborgne des générations de jeunes artistes au nom du progrès, au nom de la mode et du dédain du passé - très moderne le dédain déguisé en liberté - pour les mener où? Dans le n’importe quoi inoffensif ou le spectaculaire lucratif - ce qui revient au même !  Pour y parer une seule méthode : s’exposer aux oeuvres.

S'exposer aux oeuvres c'est se mettre à l’œuvre, aller vers celles qui appellent comme vers celles qui répugnent. Ensuite, seul surtout, face à face, laisser agir l'oeuvre, oublier tout ce que nous croyons en savoir, tout ce que l’on a dit à son sujet dans les livres d’histoire de l’art ou les magazines d'art, ouvrir nos sens, s’abandonner aux formes, aux couleurs, aux espaces, aux matières, aux gestes, aux signes, aux objets, aux lieux, aux détails, donner à l’œuvre le temps de nous ravir, la laisser nous guider, nous toucher, nous impressionner, s’emparer de nous, nous habiter, nous vaincre, nous troubler à sa façon. S'exposer aux oeuvres c'est tout simplement laisser l’œuvre faire son œuvre. Ainsi, vivre ses troubles, savourer ses joies, affiner ses plaisirs, nuancer ses ivresses, intensifier nos peurs. En un mot, en jouir ! S’exposer aux œuvres d’art et en jouir est un art en soi, un art érotique, un art amoureux, un art de vivre, un art gratuit, un art spirituel, un art perdu.

L’art de jouir de l’art est le contraire de ce que l’on nomme aujourd’hui la culture. Être cultivé de nos jours cela consiste à aller voir beaucoup d’expositions, à savoir les noms de beaucoup d'artistes, à savoir les styles, les écoles,  les influences, les dates, les tendances, la mode, le marché et les prix bien sûr ! Bref, cela consiste à accumuler des informations sur l’art.  L’art de jouir de l’art consiste au contraire à vivre les œuvres de l’intérieur, avec sa sensibilité, avec son cœur, avec son âme - en tenant pour négligeable tout savoir extérieur à leur sujet. 
Se cultiver c’est accumuler des savoirs sur l’art alors que jouir de l’art c’est accroître la connaissance de soi. 
Comme tout art véritable, l’art de jouir de l’art s’apprend et s’approfondit tout au long de la vie par la pratique, car il est la vie même.



Cet art là s’apprend sur le motif, comme disait Paul Cézanne, en rencontrant les œuvres en personne, comme disait Edmund Husserl à propos des choses... Jouir de l’art comme jouir de la vie cela ne s’apprend que par la jouissance, par une longue, subtile et quotidienne pratique du jouir ! En matière de jouissance on est d’abord novice, puis amateur, ensuite esthète, de là on peut devenir interprète et enfin virtuose.  Virtuose en joie de vivre voilà où peut conduire l’art de jouir des œuvres d’art. Tout ceci devient limpide si l’on compare la peinture à la musique. Sans virtuose pour la jouer il n’y a pas de musique ; de même, sans virtuose pour la jouer il n’y a pas de peinture, pas de sculpture, pas d’art. Sans interprète vivant en musique il n’y a que des partitions mortes, des scribouillis inutiles. Sans interprète en art il n’y a plus que des tableaux vains, éteints, stériles, des sculptures sans vie, des cadavres, des oeuvres désoeuvrées dans les musées et leurs fantômes imprimés dans les livres, des spectres négociés sur le marché. Sans un vivant pour les vivre il n’y a plus que des images d'oeuvres dans les magazines.


       C’est pourquoi il est urgent et vital de s’exposer aux tableaux. Mais attention ! Ceux qui auront vraiment vu et vécu les tableaux, comme ceux qui auront vraiment lu les livres et entendu la musique, deviendront les artistes ; pas forcément des auteurs, des compositeurs mais des interprètes. Non pas des plasticiens cotés, des fabricants renommés de produits artistiques pour galeries et musées, mais de vrais artistes, des artistes de la vie !  Ceux là seulement se sauveront du pouvoir mortifère de l’image, ils suivront le chemin de l’œil et du cœur à l’œuvre ; leur vision ne se fiant qu’à elle-même taillera dans la lumière et l’ombre l’œil joyau qui scintille sous leurs paupières. Cet œil jouissant, Georges Braque lui avait donné un nom mystique : l'œil blessure de lumière. C'est l’œil ébloui par un excès de jouissance, l'oeil contrit ressuscité par mille larmes de joie. 

À suivre...

Texte Robert Empain, tiré du carnet de voyage à Florence en 1981
Illustrations : oeuvres de Kandinsky, Botticelli, Tiziano 

NB : Attention, les images ne sont pas les tableaux et inversement