jeudi 31 août 2023

Paroles du Christ. Pour une philosophie du christianisme, de Michel Henry




Par Pierre Piret


À propos de l'ultime ouvrage de Michel Henry: 

Paroles du Christ 


Une belle, bonne et brève introduction à l'oeuvre et au livre testament de Michel Henry, philosophe majeur, initiateur de la phénoménologie de la Vie, une philosophie première et dernière capable de nous éclairer sur tout ce qui nous nie, à savoir le nihilisme et la barbarie de notre époque, et de nous ramener à notre naissance originaire dans le Vie même, et par là, peut-être, de sauver notre Humanité de l'auto-destruction qui est en cours.





Ultime témoignage de Michel Henry décédé le 3 juillet 2002, Paroles du Christ (2003) se laisse découvrir comme une pure écoute des paroles prononcées par le Christ Jésus, telles que les transmettent, en concordance avec les autres textes de l’Ecriture Sainte, les quatre évangiles. Avant d’en aborder le contenu, il convient de souligner le style de cet ouvrage, de comparer ce style à celui des deux livres précédents, parus chez le même éditeur. Eux aussi sont relatifs à la révélation du Christ. C’est moi la Vérité, publié en 1996, recourt principalement, dans l’évangile selon saint Jean, aux paroles que le Christ dit de lui-même en tant qu’il est le Fils de Dieu, adresse aux hommes en tant qu’ils sont fils dans le Fils. La phénoménologie de la vie, élaborée et mise en oeuvre par l’auteur au long de ses réflexions antérieures sur l’essence originaire de la manifestation, rejoint la prétention du Christ à être la Vérité, la Révélation absolue de la Vie, le premier Vivant en qui tout vivant advient à la vie, c’est-à-dire à soi-même: le sous-titre de l’ouvrage est «Pour une philosophie du christianisme».


Publié en 2000, Incarnation porte comme sous-titre «Une philosophie de la chair». Le fil conducteur en est désigné dès l’introduction: le prologue de l’évangile johannique sur le Verbe de Vie (cf. Jn 1,4), sur le Verbe qui s’est fait chair (cf. Jn 1,14), affirme l’union du Verbe et de la chair dans le Christ. Comment, de notre côté, ne pas évoquer en même temps le concile d’Éphèse (en 431), qui proclame l’unité du Verbe et de sa chair? L’ouvrage développe sa réflexion sur la façon dont la chair est révélation, sur la façon dont la révélation s’accomplit dans la chair. Eu égard à la confession chrétienne ainsi qu’à l’élucidation de notre condition incarnée, l’auteur tient compte des enseignements fondamentaux de quelques Pères de l’Église (notamment Irénée, Athanase, Augustin) et reprend, dans cet ouvrage de synthèse, les grands thèmes de sa recherche philosophique. Paroles du Christ mentionne d’emblée, par une référence indirecte au concile de Chalcédoine (en 451), les deux natures du Christ 2. L’auteur cite la nature humaine en premier lieu, pour en déclarer immédiatement la condition finie. «En revêtant notre condition, il (le Christ) en a assumé du même coup la finitude. Cette finitude est précisément celle de la chair», laquelle est vouée à entretenir la vie qui s’éprouve en elle dans ses besoins comme dans son dynamisme (p. 7). En même temps, c’est la parole du Christ qui se trouve marquée par la dualité de la nature humaine et de la nature divine. «Cette dissociation essentielle entre la parole d’un homme et celle de Dieu doit faire l’objet d’un examen rigoureux» (p. 9). Le plan du livre est ainsi tracé. Il s’agit d’étudier, progressivement, les paroles que le Christ, homme, adresse aux hommes en leur parlant d’eux (chapitres 1 à 3), puis celles qu’il leur adresse en parlant de lui-même (chapitres 4 à 6), lorsqu’il s’affirme le Messie, le Fils du Père, le Verbe de Dieu. Il s’agit alors d’examiner les caractères essentiels de cette Parole de Dieu qu’est le Christ, distincte de la parole humaine en général (chapitres 7 et 8), et la façon dont les hommes sont à même d’entendre une telle Parole qui n’est plus la leur mais celle de Dieu (chapitres 9 et 10, conclusion).


Si l’évangile de Jean demeure capital dans «l’auto-justification des paroles du Christ sur lui-même» comme «Verbe de Dieu» (selon l’intitulé du chapitre 8), les évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc mettent en relief le passage — qui caractérise l’ouvrage et son déploiement — de ce que les hommes pensent et disent d’eux-mêmes à ce qu’ils sont pour Dieu. L’auteur les cite abondamment, en recourant fréquemment à la comparaison synoptique (cf. p. 55, note). Son exégèse, simple et aiguë, n’est traversée d’aucune référence théologique, excepté les citations d’Irénée (p. 27) et d’Eckhart (p. 105 et 140); elle est libre, aussi, de toute technicité philosophique. Contrairement aux deux livres précédents, celui-ci ne comporte pas de sous-titre relatif à la philosophie. «La possibilité pour l’homme d’entendre la parole du Christ en son coeur, c’est identiquement celle de comprendre les Écritures» (conclusion, p. 146).


Cela ne signifie nullement que l’intelligence philosophique soit mise en veilleuse. Au contraire. C’est elle qu’une fois encore, une dernière fois, les lecteurs assidus de Michel Henry reconnaissent, éclairée, humble et cordiale. C’est elle qui, écartant les «obstacles » à l’écoute de la Parole de la Vie (cf. p. 147), rend explicite «le bouleversement de la condition humaine par la parole du Christ» (selon l’intitulé du chapitre 3), — et ensuite, selon la promesse de l’introduction, offre au théologien une juste compréhension de l’énoncé de Chalcédoine, — et enfin, en en mesurant l’importance, ordonne les enseignements de maître Eckhart sur notre génération dans le Verbe, sur notre connaissance de Dieu. Nous mettrons en valeur ces trois thèmes, retenus parmi d’autres également remarquables, dans le parcours du livre qu’à présent nous entreprenons, chapitre par chapitre.


On peut relever, dans les évangiles, plusieurs propos du Christ qui constituent une sagesse humaine. Celle-ci est traversée par la distinction entre l’extérieur et l’intérieur, le visible et l’invisible, la gloire du monde et le secret du coeur: ainsi l’homme est-il conduit à la singularité de sa condition (chapitre 1). Cependant, cette condition même est bouleversée par un ensemble de paradoxes qui semblent mettre en oeuvre une autre logique: le discours des Béatitudes, par exemple, ou l’appel à aimer les ennemis, viennent disqualifier l’existence sociale telle que les hommes la comprennent naturellement (chapitre 2). Cette compréhension, en effet, a pour fondement la «réciprocité», laquelle ne fait intervenir, dans les relations humaines, rien d’autre que les termes de la relation — à savoir les hommes. Or le Christ, en excluant la réciprocité ainsi entendue, «désigne la génération immanente de notre vie finie dans la vie infinie de Dieu» (p. 46) et, de la sorte, fonde en lui une «nouvelle réciprocité » (chapitre 3).


Puisqu’une telle relation dépend du Christ, ce sont les «paroles du Christ sur lui-même», poursuit Michel Henry, «qu’il convient maintenant d’analyser» (p. 52). De notre côté, marquons un temps d’arrêt pour souligner les présupposés rationnels de cette deuxième étape. Une pensée philosophique soucieuse de dégager les conditions de l’intersubjectivité humaine peut accéder à l’idée du médiateur, à l’hypothèse christologique. Toutefois, un tel transcendantalisme ne suffit pas à la phénoménologie qui, dans la possibilité et ses conditions, perçoit toujours une effectuation d’ores et déjà à l’oeuvre. Non seulement Michel Henry insiste sur le bouleversement de la condition humaine par l’effet du Christ et de sa parole, mais encore, il justifie notre réception de ce que le Christ dit de lui-même, de sa condition divine, par la reconnaissance de la Vérité qui vit en nous.


Celui qui prononce les Béatitudes ne connaît pas seulement la nature du Royaume et celle de notre rapport à lui; voici qu’il intervient lui-même dans ce rapport: “bienheureux êtes-vous... à cause de moi”. Dès lors, «si le Christ s’inscrit dans la relation intérieure de l’homme à Dieu au point de s’identifier à elle, définissant ainsi la voie qui mène au Royaume, c’est bien de le suivre qu’il s’agit pour chacun de ceux qui cherchent le Royaume» (p. 61). D’où la question que tous, à un moment ou à un autre, lui posent: qui es-tu, que dis-tu de toi-même? (chapitre 4).


L’ensemble des évangiles relate les ultimes déclarations de Jésus sur sa condition, qui font l’enjeu de son procès. «L’identification de Jésus au Christ, au Messie, est son identification au Fils de Dieu, et son identification au Fils de Dieu est son identification à Dieu lui-même» (p. 70-71). Deux voies s’ouvrent à tout homme qui cherche à légitimer une affirmation aussi catégorique. La première a déjà été suivie aux chapitres 3 et 4: parce que la condition humaine «n’est plus saisissable dans une généalogie naturelle mais divine», tout ce qui concerne l’homme «doit procéder de l’origine dont il dérive, de sa relation à Dieu» (chapitre 5).


À ce propos, il convient de nous interroger brièvement sur la«vraie nature» des hommes, constituée par leur «généalogie divine», sur l’«anéantissement» de la «nature humaine» qu’ils conçoivent spontanément (cf. p. 55). Michel Henry s’écarterait-il de la confession de l’une et de l’autre natures du Christ par la théologie chrétienne, qu’il continue pourtant de mentionner (cf. p. 85) comme fil conducteur de sa recherche? En réalité, lorsqu’il définit que la nature humaine est unie à la nature divine dans la personne du Christ, le concile de Chalcédoine professe notre accès à la vie divine, et les Pères de l’Église décrivent notre divinisation, notre filiation, la grâce. Il n’y a pas, en régime chrétien,

de natura pura humaine.


La deuxième voie d’une légitimation de la parole humaine du Christ sur sa condition divine consiste à recourir au témoignage. «C’est la carence propre à toute parole d’homme que la Loi tente de surmonter en exigeant la pluralité des témoignages. C’est cette même carence qui conduit le Christ à récuser, en ce qui le concerne, tout témoignage humain» (p. 84). Celui qui l’a envoyé — le Père — témoigne pour lui, avec lui, et lui-même ne fait qu’un avec le Père. Autrement dit, nous sommes conduits à entendre, du Christ, sa parole divine — celle qui lui revient en tant qu’il est le Verbe de Dieu (chapitre 6). Pour aborder cette troisième étape, il faut revenir à la distinction entre la «parole du monde» et la «parole de la vie». Par la première, nous désignons les choses du monde, tout ce qui apparaît à l’extérieur de nous-mêmes; cela implique le caractère référentiel du langage et la différence entre le Dire et son dit. Par la seconde, la vie parle d’elle-même, se révélant à soi-même; dans chacune des tonalités de notre vie advient l’identité infrangible du Dire et du dit, l’auto-révélation originaire de la Vie (chapitre 7).


La pensée grecque a inauguré la théorie du langage du monde. La culture religieuse qu’on dénomme le judéo-christianisme relève de la parole de la vie. Dans tous les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’homme est défini par son lien à la Parole de Dieu, qui est Parole de la Vie. Or le prologue de l’évangile johannique éclaire l’un et l’autre Testament en même temps qu’il résume les paroles du Christ sur lui-même: ayant identifié Dieu à la Vie, Jean décrit comment cette Vie absolue s’engendre elle-même en engendrant en elle le premier Vivant. D’où la légitimation dernière des paroles du Christ: elle est absolue comme cette Vie absolue dont il est l’auto-révélation – lui qui, en tant que Verbe, «n’est rien d’autre que la connaissance que Dieu a de lui-même» (chapitre 8). Au cours du chapitre 8, Michel Henry cite Eckhart: chacun de nous, vivant dans la vie, est «un homme qui connaît Dieu (ein Gott wissender Mensch)» (p. 105). On sait l’importance qu’il accorde à l’enseignement du maître rhénan. Or celui-ci n’exténue-t-il pas le mouvement de l’analogie qui passe des choses créées  et de leurs perfections à l’affirmation de Dieu? Thomas d’Aquin fonde la possibilité d’un tel mouvement dans la primauté de Dieu, de qui les perfections passent dans les créatures. La “mystique” d’Eckhart nous reconduit à notre vérité originaire dans le Verbe de Dieu: en lui nous connaissons notre génération éternelle et, par là, l’univers de la création.


Le Christ sait «la difficulté pour les hommes d’entendre sa Parole». Il utilise la parabole, dont le projet est «d’établir une analogie entre deux univers, celui du visible et celui de l’invisible, celui du fini et celui de l’infini, de telle façon qu’une série d’événements se produisant dans le premier nous incite à concevoir le second, le règne de Dieu» (p. 116). Dans la parabole du semeur, il dévoile la possibilité de l’écoute, mais aussi les obstacles qui s’y opposent. Les différentes figures du mal sont rassemblées en celle-ci: l’homme, «toujours déjà donné à lui-même dans la vie» se fait «maître de lui-même» (p. 121). Et lorsque le mal ne se reconnaît pas tel, s’en prend à la lumière de la Vérité quand il entre en elle, il devient le péché (chapitre 9). Verbe qui s’est incarné pour sauver ce qui était perdu, le Christ sait aussi «la possibilité pour les hommes d’entendre sa Parole». Comme la Vie divine répète pour chaque vivant l’oeuvre qu’elle a accomplie pour elle-même, générant le premier Vivant qui est sa révélation, son Verbe, un nouveau caractère de la parole du Christ se découvre à nous: la toute-puissance de son action. Le Christ donne la vie, la guérit, la ressuscite; il purifie le coeur, pardonne le péché qui fait obstacle au déferlement de la vie divine.


À l’approche de la mort, sa parole revêt la forme d’une prière au Père (cf. Jn 17): que la relation d’amour du Père et du Fils soit étendue à tous les vivants! (chapitre 10). «Écouter la Parole. Ce que le Christ a dit à la synagogue de Capharnaüm». C’est l’intitulé de la conclusion, laquelle signale une sorte de cercle dans la possibilité de l’expérience religieuse libératrice: «Seule l’écoute de la Parole peut nous délivrer du mal, mais le mal a rendu impossible l’écoute de la Parole» (p. 154). Sachant cela, le Christ procède, pour ainsi dire, à un «coup de force». Il presse ceux qui l’écoutent, dans la synagogue de Capharnaüm, de manger le pain vivant qui est sa chair et de boire son sang afin de vivre par lui (cf. Jn 6,47-59). De telles paroles «ne sont plus celles d’un enseignement mais du salut» (p. 155). Elles sont à l’opposé des paroles des hommes au pouvoir plus que limité, sinon trompeur: À l’opposé, la toute-puissance de la Parole divine est celle de la Vie absolue. L’institution de l’Eucharistie dont les synoptiques font le récit exhibe ce pouvoir: “Ceci est mon corps”. Lors du mémorial ininterrompu de cette institution à travers les siècles, c’est, répétée par le prêtre, la parole souveraine du Christ qui consacre l’offrande. À Capharnaüm, l’économie du salut est exposée en toute clarté. La toute-puissance de la Parole est l’invincible venue en soi de la Vie absolue se révélant à soi en son Verbe. Parce que le Verbe s’est incarné en la chair du Christ, l’identification à cette chair est l’identification au Verbe — à la Vie éternelle.


Et Michel Henry d’achever son oeuvre par les paroles du Christ en Jean 6,54.


“Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour” (p. 155).


Pierre PIRET, S.J


Rue du Collège Saint-Michel, 60 Institut d’Études

Théologiques Dans Nouvelle revue théologique 2003/1 (Tome 125), pages 115 à 121 Éditions Nouvelle revue théologique ASBL


_________


1. HENRY M., Paroles du Christ, Paris, Seuil, octobre 2002, 158 p. ISBN 2-

02-055758-4.

NRT 125 (2003) 115-121

P. PIRET, S.J.

2. Voici le début de l’introduction: «Selon la théologie chrétienne (nous nous

interrogerons plus loin, d’un point de vue philosophique, sur sa vraisemblance

ou sa légitimité), la nature du Christ est double, humaine et divine à la fois.

Dans la mesure où le Christ est l’Incarnation du Verbe de Dieu, c’est ce Verbe,

et ainsi Dieu lui-même, qui habite en lui. Mais parce que la chair en laquelle le

Verbe s’est incarné est semblable à la nôtre, alors le Christ est un homme

comme nous» (p. 7).

L’expression “la nature double” ne doit pas être tirée hors de son contexte,

car elle serait alors ambiguë. L’auteur nomme ailleurs “les deux natures” du

Christ (cf. p. 85).



© Nouvelle revue théologique ASBL | Téléchargé le 31/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.63.96.65)

© Nouvelle revue théologique ASBL | Téléchargé le 31/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.63.96.65)

lundi 14 août 2023

Phénoménologie radicale de la praxis thérapeutique

Grâce à toi Rolf Kühn

La vocation de ce Blog, comme le précise le petit texte introductif en marge de cette page d'accueil, est de défendre un art spirituel et contemporain qui espère rien de moins que de ressusciter la vie ! Est contemporaine, libre, spirituelle et susceptible de ressusciter la vie toute oeuvre d’art qui touche immédiatement, gratuitement, intimement, mystérieusement et profondément notre vie et cela quelque soit son époque, la célébrité de son auteur et sa valeur marchande. De telles oeuvres, de tous les arts, intemporelles et vivantes, nous appellent, éveillent notre curiosité et mobilisent notre attention et, pour autant que nous donnions de nous mêmes dans la rencontre, elles nous transforment profondément en nous faisant éprouver le Fond invisible de nos vies. Ce Fond invisible de nos vies s'appelait autrefois l'âme et mieux encore le Coeur, cet organe spirituel entre l'âme et l'esprit, capable de toucher et de recueillir l'Esprit, l'Esprit Vivant qui nous donne de naître à jamais en lui, de nous connaître de de nous aimer et de nous ressusciter à la vraie vie - celle même que notre monde a perdu de vue. Si, parmi les artistes contemporains, nous sommes peu nombreux à défendre cette haute vocation de l'art nous nous sommes trouvés de nombreux alliés parmi les artistes qui nous ont précédés dans cette voie, mais aussi parmi les phénoménologues contemporains qui l'ont redécouverte selon la leur. Parmi eux, il y a Rolf Kühn dont nous avons publié ici quatre articles et auquel nous faisons appel une nouvelle fois avec un texte qu'il publia en 2003, un texte quasiment contemporain de notre performance de 2000 à 2002 au Centre médical de Bruxelles, intitulée Le  Cabinet d'art thérapie et de thérapie de l'art où je rapprochais les vocations apparentées et complémentaires de l'art comme médecine et de la médecine comme art, deux arts ayant toujours eu la vie en vue mais  atteints alors par la même maladie mortelle : l'oubli de la vie absolue dont vivent les vivants...  

           


Mains jointes dans la nuit. R.E. 2005.
  


REGARD TRANSCENDANTAL ET COMMUNAUTÉ INTROPATHIQUE


Approche d'une phénoménologie radicale de la praxis thérapeutique *


par


ROLF KÜHN 


FRIBOURG-EN-BRISGAU




La philosophie phénoménologique issue de Husserl pratique la réduction de tout savoir naturel pour saisir la constitution du Réel à partir de notre subjectivité immanente en tant que "présent vivant". En radicalisant cette approche on arrive à une compréhension de l'Individu comme engendré par la Vie seule, ce qui implique une auto-affection sans distance ou recul possibles, ainsi que nous l'enseigne l'oeuvre capitale de Michel Henry. En tant que pathos originaire qui fait l'essence de notre subjectivité charnelle ou passible, cette Epreuve de la vie, dans sa souffrance et dans sa jouissance, constitue en même temps la source de tout agir qui prend naissance dans cette auto-affection à préciser comme Pouvoir fondamental à travers le besoin et la pulsion vivants. La "praxis subjective" qui en résulte d'abord tout intérieurement n'est pas seulement le "travail vivant" irremplaçable dont parlait Marx en critiquant les abstractions fétichistes du social et de l'économique, mais elle est, plus profondément encore, cette Archi-Force par laquelle tout réel du monde qui m'entoure ne trouve sa substance que grâce aux pouvoirs subjectifs tel que le sentir, l'imaginer, le marcher, le voir, l'aimer, le peiner, etc. La praxis thérapeutique finalement ne peut pas être autre chose alors que ce "lieu communautaire" où s'échangent pratiquement, sans le dictat des normes et représentations habituelles, les modalités abyssales de chaque vie individuelle qui, souvent, ne croit plus pouvoir faire face à la passibilité foncière avec laquelle elle se trouve plongée dans la Vie phénoménologique absolue. Revenir à cette Vie immémoriale même, toucher le Fond de son Réel, implique ainsi la Certitude, hors réflexion, d'une transformation lente où la désespérance, l'angoisse, le souci ou le dégout se changeront en Bonheur qui est la matière manifeste même de la Vie en son auto-aimer original ou divin.




  1. Réduction phénoménologique et savoir naturel

Notre titre semble suggérer, d'abord, une opposition entre Individu et Réalité, mais il faut admettre que la notion de Réel implique une équivoque. D'un côté, nous appelons réel ce qui apparaît devant nos yeux grâce à notre perception, c'est-à-dire le monde. D'autre part, le terme de réalité désigne un principe de manifestation tant extérieur qu'intérieur. Or, ce principe d'apparaître ne peut pas alors résider dans la "réalité" que nous voyons, parce qu'il relève de notre conscience en tant que sensibilité et jugement. Si la philosophie a toujours posé le problème de la possibilité de l'expérience en général depuis Platon, Descartes et Kant, pour se tenir aux penseurs les plus influents, il incombe à la phénoménologie fondée par Husserl au début du siècle dernier d'avoir analysé de façon originale la constitution du réel en tant que sens ou significations par des actes intentionnels. 


Ces derniers constituent - à chaque niveau de connaissance ou d'action en tant que perception, souvenir, attente ou volonté par exemple - un complexe infini de synthèses passives et actives avec leurs sédimentations, habitualités et projets. Rien de ce qui se manifeste pour nous, soit le monde, les autres ou moi-même, n'existe en dehors d'une telle oeuvre subjective originaire comme sens visé.  Autrement dit, il n'y a jamais rien de "tout fait" pour notre conscience, car même nos habitudes de sentir et de réfléchir demandent toujours une réactivation par une motivation vivifiante, de sorte que même les catégories les plus abstraites et universelles, telles que le temps et l'espace d'après Kant, sont traversées par une "tendance pulsionnelle" (Triebstreben) qui est notre vie intentionnelle ou kinesthésique dans sa primordialité, sans se confondre toutefois avec un "inconscient" freudien.


Si donc cette conscience-intention englobe, pour Husserl, tout apparaître à partir d'un "présent vivant" immanent avec ses rétentions, protentions et lignes affectives, cette conscience ne se pose pourtant jamais elle-même ontologiquement dans l'existence. En tant que conscience subjective et individuelle elle relève absolument de la Vie phénoménologique pure qui la fait naître et la soutient, ce qui nous rapproche déjà de notre thèse à développer que la Réalité ultime n'est rien d'autre finalement que cet "Individu Vivant" que nous sommes chacun au sens phénoménologique en vivant uniquement de l'auto-affection de cette Vie. Or, si la phénoménologie recherche l'auto-manifestation réelle de tout apparaître dans son principe vivant même, il va de soi que sa méthode de réduction en tant que mise entre parenthèse par l'épochè de tout savoir naturel aussi bien naïf que scientifique ne peut accepter aucun résultat soi-disant "objectif" pour lui dire ce qu'est l'Individu véritable ou la Vie en tant que Principe phénoménalisant. Ainsi, nous faisons ici abstraction transcendentalement de ce que disent de l'"homme" visible des disciplines telles que la biologie, la médecine, la psychologie ou la sociologie, par exemple.

La difficulté de la compréhension de nous-mêmes et du monde réside, par conséquent, essentiellement en ce passage capital d'une contre-réduction phénoménologique ou transcendentale. Car il faut abandonner toute présupposition empirique et positive, étant donné qu'elle se réfère toujours déjà à une vie ou à un monde constitués avec des lois de causalité qui ne représentent pas la manifestation originaire de notre conscience immanente. 2


Si nous parlons donc, par la suite, de l'"Individu Vivant" comme Réalité phénoménologique ultime, il faut mettre hors jeu nos opinions sur l'homme dues en grande partie aujourd'hui aux sciences historiques et naturelles seules, afin de concevoir l'être humain à partir de son unique "naissance" dans la Vie phénoménologique absolue ou divine. Et cette approche reste valable pour l'individu en état de santé comme de maladie également, car la "naissance dans la vie" est en même temps une "praxis subjective" absolue que "le regard thérapeutique" aborde chaque jour, en effet, au niveau de la réalité clinique, c'est-à-dire dans la réalité archi- phénoménologique du Besoin vivant entendu comme le se-souffrir et le se-réjouir des êtres confrontés à eux-mêmes. Ou comme Michel Henry le constate lui-même: "La médecine est inintelligible sans cette référence constante à la vie transcendentale comme constitutive de la réalité humain. Le regard médical est aujourd'hui l'un des derniers refuges de la culture. » (1) Ainsi, nous aurons à parler, dans un deuxième temps, de la praxis inouïe de la vie subjective avant tout projet existentiel ou socio-politique. Mais tout d'abord, réfléchissons maintenant sur notre naissance absolue dans la vie et par elle.


2. L'Individu comme Auto-affection


Naître dans la Vie phénoménologique absolue veut dire radicalement, comme l'a établi Michel Henry dans ses recherches passionnantes et rigoureuses jusqu'à sa mort, que la Vie nous affecte originairement et sans distance possible. A aucun moment de notre existence, nous ne pouvons nous passer de la vie qui est la nôtre, et en tout point de notre "être" nous touchons à elle, de façon que toute expérience sensible, cognitive ou pratique implique une modification intérieure de cette vie toujours individuée. Etre lié à la vie sans aucun recul possible veut dire positivement que le lien avec elle par notre naissance absolue en elle constitue une révélation ou une manifestation permanentes de la Vie jamais plus mises en question par elle. Etant donné que nous abordons cette auto-révélation de la vie en régime de réduction radicale, ou même plus précisément de contre-réduction (2) il n'y a plus aucun "monde" à ce niveau originaire ou primordial. Et l'absence de tout monde concevable signifie ici que notre naissance par l'auto-affection de la Vie n'implique plus aucun autre dire que le Dire ou la Parole de cette affectivité qui est, en même temps, la réalité ultime, comme nous le pressentons.

Le Dire pathétique ou l'automanifestation de la Vie en nous est l'épreuve que la Vie fait d'elle-même en engendrant chaque fois un Soi singulier, c'est-à-dire l'individu vivant que je suis dans ma joie, dans ma douleur, dans mes efforts déterminés, etc. Epreuve signifie alors une expérience par nature inaccessible à la ré-flexion, car ce qui est donné comme réel en cette épreuve est la Vie invisible même en tant que Donation phénoménologique absolue: ce qui est donné, le contenu, implique la même chose que l'acte qui donne, de sorte qu'il existe une identité originaire dans cette affection par laquelle la Vie s'éprouve elle-même. Seulement, cette identité n'est jamais abstraite ou idéale comme, par exemple, l'identité de moi dans la représentation que j'ai de moi-même par l'introspection. Cette identité de la vie est concrète et sans médiation extérieure, puisque l'épreuve de la vie en tant qu'émotion, sensation ou impression est chaque fois une tonalité particulière qui fait ma subjectivité "matérielle" passible entendue comme sensibilité charnelle en son impressionnabilité insurmontable.

Si nous poussons plus loin encore cette analyse de la Vie phénoménologique absolue que je "porte" en moi, tout en étant porté par elle, il faut dire, en outre, que ce pathos mentionné de la Vie est en même temps une jouissance et une souffrance primordiales. Car éprouver la vie à chaque instant - la nécessité du "il faut vivre", comme le dit le langage naturel - implique la réception de la vie en tant que passibilité pure de notre côté. Une passibilité en sa passivité pure ne peut que se supporter, se souffrir, et sans donner d'abord à ce terme phénoménologique un sens existentiel, nous sentons cependant déjà que la plupart des drames "psycho-pathologiques" se jouent à ce niveau d'une passibilité foncière qui ne se modalise plus en activité "normale", puisque le bonheur ou la joie d'éprouver et de goûter la vie absolument certaine ne sont justement plus vécus comme une jouissance heureuse à tout moment. Car étant donné que c'est la Vie elle-même qui s'affecte en cette passibilité conçue comme la donation de la Vie qui se reçoit elle-même, le fait de subir cette donation implique, en fait, de jouir de cette même vie, car à chaque instant la jouissance de la vie n'est rien d'autre que de vivre de son propre don.


Par conséquent, la chair pathétique ou passible de l'épreuve de la vie contient toujours la même matérialité phénoménologique, à savoir notre propre chair affective qui est une corporéité originaire dans le pathos pur du sentir ou de l'impressionnabilité rendue possible, en dernière analyse, par l'Archi-chair du Christ, comme Michel Henry l'a analysé surtout dans son livre sur l'"Incarnation". Rien ne se donne à nous comme phénomène en dehors de cette impressionnabilité abyssale, de sorte que toute réalité appréhendée constitue d'abord une révélation intérieure de nous-mêmes à nous-mêmes. Ou pour le dire avec Merleau-Ponty: je suis "la chair du monde", bien qu'il mette l'accent uniquement sur le croisement sensible qui relie le monde au corps et vice versa, en y méconnaissant l'hypostase implicite du sensible par l'oublie la vie originaire avant tout monde et dans le sentir même. Si donc une phénoménologie radicale ou matérielle, comme celle de Michel Henry, insiste essentiellement sur le pathos charnel que je suis avant tout monde, c'est finalement pour souligner l'impossibilité transcendentale de me comprendre, en mon être intime, à partir d'un élément mondain quelconque. Nous avons parlé au début, avec Husserl, de cette nécessité de la réduction de tout savoir naturel pour mieux comprendre ici maintenant l'enjeu capital pour tout intelligence de notre humanitas: être né dans la Vie, dans son Epreuve comme Auto- affection pure, à savoir encore par son Souffrir et son Jouir, veut dire que notre "être" transcendental n'a besoin d'autre chose à chaque moment que de la Vie, et d'elle seulement. C'est cette concrétion dernière et absolue qui règle aussi toute praxis, comme il faut l'établir par la suite.


3. Le "Je-Peux" comme besoin et praxis


Si ma naissance transcendentale se réalise de manière radicale constante dans la Vie, autrement dit comme un Moi unique donné passiblement à soi-même, je suis investi par le fait même de cette naissance phénoménologique avec tous les pouvoirs de cette Vie. Cette condition se révèle par la vérité immanente de notre conscience que tout acte est soutenu et accompagné par le savoir intrinsèque d'un "Je-Peux" qui est un savoir originaire de la vie. Car ce "Je-Peux" fondamental implique un "Je-peux-toujours" ou un "Je-peux-à-nouveau", éventuellement aussi un "Je-peux-autrement", étant donné que la Vie est essentiellement répétition d'elle-même en fonction de ses besoins qui découlent de son unité affective du souffrir et du jouir, autrement dit de son Désir et de la satisfaction de celui-ci. Ce que la phénoménologie classique appelle l'ego transcendental, est donc plus précisément un ego actif sur le Fond d'un Moi purement passible donné à lui-même par la naissance dans la Vie absolue, ou plus exactement encore dans la chair incarnée du Verbe de Dieu.

Or, cette transformation de passibilité en activité, où le Moi d'abord à l'accusatif devient le Je intentionnel de ses actes, implique des modalisations fondamentales de la vie individuelle concrète ou monadique. Chaque pouvoir spécifique correspond à une motivation passible qui plonge ses racines dans le Besoin que la Vie éprouve à l'égard d'elle-même, puisque tout "vivre" a d'abord et avant tout besoin de la vie même afin de "pouvoir vivre". Cette tautologie apparente ne circonscrit rien d'autre que la loi d'auto-affection considérée sous l'angle de l'agir qui naît de la motivation primaire de changer la souffrance en jouissance. Ecrasée contre elle-même, subie sans aucune distanciation possible, la vie n'éprouve pas seulement une angoisse de ne pas pouvoir correspondre à elle-même, mais elle ressent aussi - sous le poids absolument passible de cette auto-étreinte - la Force de vouloir se transformer qui n'est, en fin de compte, que l'archi-pulsion. Cette "pulsion" n'est donc pas l'"inconscient" freudien (das Unbewußte) qui ne sait pas ce qu'il veut étant aveugle de son propre "vouloir", et comme s'il fallait dire de l'extérieur à la vie ce qu'il lui faut en son essence. Il s'agit bien plutôt de la Pulsion en tant que la Vie phénoménologique pure qui "sait" toujours ce dont elle a besoin à chaque instant, à savoir d'elle-même précisément en tant que modalité ou tonalité qui s'éprouvent affectivement chaque fois d'une manière déterminée.


Puisque la chair pathétique de l'auto-affection n'est jamais idéelle ou abstraite, mais déterminée individuellement en tant que cette impression, sensation ou douleur, etc., la motivation-besoin d'où naît la force du "Je-Peux" constitue toujours également une concentration d'énergie qui oriente mon action "vers" le réel. Si, en plus, nous retenons le fait que mon corps originaire implique un lien corrélatif avec la terre sur laquelle je me meus, toutes mes actions forment alors initialement des pouvoirs par lesquels je prends possession de moi-même et du monde, comme l'a déjà montré Maine de Biran à propos du sentiment de l'effort musculaire et volontaire. L'opposition entre la Vie invisible et la réalité extérieure n'est donc qu'apparente, car la concentration de tout pouvoir dans la Vie - dont dépend la découverte sensible du Réel - reconduit le Tout de ce Réel à son site originel qui est le pathos du besoin éprouvé en tant que le vouloir-vivre qui est chaque fois un se-vouloir-vivre de la Vie sans être obligé de passer par une représentation irréalisante. Ou comme le dit le tout dernier texte de Michel Henry: « L'extraordinaire profondeur du christianisme a été de nous faire comprendre que le monde n'est que l'apparence extérieure de ce double réseau de relations dont la réalité se tient dans l'invisible de notre vie - très précisément dans notre chair dont le corps n'est lui-même que l'aspect extérieur et visible. » (4)


Qu'il n'y ait donc qu'une seule Réalité finalement, celle de la Vie phénoménologique se modalisant infiniment en tant que besoin et "praxis subjective", c'est ce que Marx a exprimé par la notion élémentaire de "travail vivant" à laquelle Michel Henry attachait beaucoup d'importance depuis son analyse capitale de l'oeuvre de Marx en 1976. Sans pouvoir reprendre davantage ici la révolution ontologique dans la conception de vérité réalisée par la pensée de Marx qui ne confie plus, justement, l'essence de la Vérité à la théorie philosophique ou idéologique, mais à la pro-duction charnelle et laborieuse, il faut dire cependant que toute "production" n'est pas d'abord économique au sens d'une théorie de l'économie, mais individuelle, mieux encore: subjective. Ainsi, l'insistance sur le "travail individuel" ou "subjectif" chez Marx englobe-t-elle l'impossibilité de principe de pouvoir mesurer"adéquatement" l'effort immanent pathétique ou véritablement réel de tout agir individuel, soit-il travail ou action. L'économie politique n'est alors rien d'autre que le discours idéologique pour faire passer les entités vides d'"équivalences" abstraites (salaire, capital, intérêts, marché, etc.) pour des réalités ontologiques premières. On les croit capables de définir notre "être social" ainsi qu'un monde perçu seulement sur le plan scientifique et technique impliquant une exploitation illimitée, sans pouvoir former toutefois un véritable "monde-de-la-vie" (Lebenswelt) qui est le seul corrélât immédiatement concret de nos expériences sensibles et affectives. (5)



4. Communauté et échange intropathiques


L'idéologie régnante de la "complexité" techniciste veut donc nous faire oublier qu'il existe une Vie chaque fois individuelle beaucoup plus riche en nuances et en tonalités sensibles et spirituels que toute complexité représentable. Et cette richesse de la vie de chacun a choisi, en partie, la "clinique" aujourd'hui comme un lieu où il est encore possible d'échanger les besoins affectifs selon leurs modalisations intérieures propres. Car les autres lieux traditionnels d'une réciprocité ou communauté vivantes, tels que la religion, l'art et l'éthique se trouvent également à présent marginalisés, sinon déjà détruits. Eduquer, guérir ou "aider" en tous les sens du terme ne peuvent alors signifier autre chose que la "(re)découverte" de la Vie phénoménologique pure dont nous avons essayé de retracer ici la généalogie éternelle: s'éprouver comme jouissance et souffrance qui font le "contenu" même de la manifestation d'un monde au sein de mon activité-effort. Et si l'Individu Vivant est ce "Je transcendental qui s'entend dire le "Je-Peux", il n'y a aussi d'autres lois de relation concrète avec autrui que les lois véritablement inter-subjectives de la vie qui s'échange en vue de son accroissement.


Car si nous pratiquons encore une fois la mise-hors-jeu de toute croyance naïve et de toute représentation théorique ou scientifique pour ne considérer que la réalité phénoménologique absolue de nous-mêmes, de nous hommes et femmes, il faut dire que notre génération dans la Vie renferme en tant que condition a priori aussi notre destinée ou finalité. Celle-ci ne peut être que la re(con)naissance en chacun d'une vérité irréductible qui concerne justement, de manière corrélative, l'auto-donation de la Vie absolue en chacune de nos déterminations vivantes ainsi que notre immersion totale en cette même Vie. Cette immersion infrangible constitue la chair phénoménologique pure de la donation reçue par laquelle tout Moi passible est donné à lui-même, ce qui implique en même temps notre être commun de tous les vivants. Car autant que je peux "oublier" ma propre auto-affection vivante qui me porte, pour me livrer uniquement au Souci de mes projets en ne poursuivant qu'une représentation future et donc chimérique de moi-même, de la même façon je peux oublier la destinée identique d'autrui, c'est-à-dire d'être également un vivant qui se reçoit absolument de la vie en lui.(6)


En précisant encore davantage cette réciprocité communautaire par la suite, nous retenons pour l'instant le fait que la "réalité" de la clinique n'est plus seulement l'occasion offerte à chacun qui souffre d'un "manque" d'insertion dans les "réalités multiples" d'aujourd'hui de réviser ses schémas affectifs et cognitifs d'aperception, afin de retrouver un nouveau « sens » d'un vivre évident" au niveau de la normalité quotidienne. (7) Et cette réalité de la clinique ou de la thérapie n'est pas non plus seulement, en poursuivant cette analyse dans le sens possible d'une phénoménologie existentielle, de reconnaître la contribution indéniable même des "anormaux" à un monde universel dont l'horizon total reste énigmatique (parce que toujours nous échappant), pour ménager une place à son étrangeté qui est vécue intensément, par exemple, dans la psychose (8). Non, la réalité de la clinique ou de la thérapie reste ce qui «est» avant et en-deçà de toute perspective d'un monde polyvalent, à savoir la confrontation avec la Naissance indicible de chacun de nous dans le "Se-Vouloir" de la Vie, dont aucune théorie de la pulsion ou de "l'affect inconscient" n'épuise le Commencement absolu en tant que Potentialité immémoriale de notre engendrement en elle.

 

Ce qui reste ainsi sur le plan de la pratique thérapeutique quotidienne, ce n'est donc pas, en définitive, un savoir technique des "méthodes thérapeutiques" ou "éducatives", mais une intropathie qui obéit aux lois vivantes de l'échange affectif réel et dont Michel Henry a narré la méta-généalogie sous forme fictive dans son roman "Le fils du roi" qui forme à cet égard, en même temps, un livre phénoménologique. Car celui qui "éduque" et qui "guérit" ne sait pas plus de la Vie que celui qui souffre. Le premier peut seulement "témoigner" peut-être de sa propre naissance permanente dans la Vie où la transformation patiente de la douleur en joie continue à s'accomplir sans s'arrêter à des idées projetées et abstraites d'une "impossibilité" imaginaire de vivre. Mais puisque ce savoir ne découle d'aucune démonstration déductive ou inductive, mais qu'il traduit l'oeuvre invisible de la Vie phénoménologique en lui-même, ce savoir-de-la-vie est aussi uniquement "pratique", c'est-à-dire justement l'intropathie effective qui exclut toute domination sur autrui (9). On pourrait y voir également la véritable « politique", si notre notion de la res publica n'était pas liée d'avance à l'hypostase de la généralité du "Bien publique" qui possède, selon la tradition philosophique ou l'éthique sociale, une dignité ontologique plus grande que l'individualité. Cette dernière est alors toujours appelée à se fondre en une "mission" plus élevée, que celle-ci soit le groupe, l'Etat, le progrès, la évolution, la nation, l'Europe ou la "globalisation" à présent. (10)



Si la Vie se réfugie dans les cliniques et dispensaires maintenant, parce qu'on ne veut plus d'elle dans les écoles ou les lieux de travails (d'où l'on chasse les individus vivants comme "inemployables"), c'est à cause du politique, du technique, de l'économique et de l'informatique qui ne constituent plus une réciprocité ni un échange au sens d'une production ou d'une intropathie vécues. Peut-on espérer toutefois que cette Vie mise au ban, reculée dans des ghettos, puisse encore inventer une autre "culture" où elle continuerait à se modaliser en paroxysme d'elle-même, comme elle le fait encore dans l'amour vrai et dans la charité désintéressée ou en tout autre geste d'une reconnaissance réelle d'autrui? Dans le passé, toute culture a toujours permis le développement intégral de tous les pouvoirs de l'homme, c'est-à- dire aussi bien sensibles que cognitifs et pratiques, pour célébrer - par les monuments, la peinture et la musique par exemple, mais aussi par le travail quotidien - l'Origine et la Destinée absolues de la Vie. Si les cliniques deviennent donc les lieux d’une telle culture d’où rien de vivant n'est exclu au préalable par décret théorique et abstrait, on peut, en effet, continuer à y reconnaître la présence effective de cette Vie. Car le regard clinique véritable n'obéit qu'à cette loi transcendentale incontournable sans aucun dogmatisme, où l'ethos philosophique et l'ethos pédagogique et thérapeutique peuvent se rejoindre par un ressourcement commun dans la Vie une, et dont le christianisme confesse la filiation divine en nous, se montrant ainsi plus "réelle" que toutes les "réalités" visible ou prétendues.



5. Regard clinique et langage de la vie


Si le regard transcendental constitue l'échange intropathique dans son expression réelle même, c'est-à-dire en suspendant les seules lois du monde en faveur de la réalité originaire de la vie, il doit être possible d'appliquer ainsi à un tel regard le contenu de la réciprocité vivante en tant que "parole de la vie". Le regard transcendental saisi comme regard ou praxis thérapeutiques ici en question se trouve alors investi des données phénoménologiques fondamentales faisant contraste avec la phénoménalisation de l'être mondain. Car en tant que transcendance ou ek-stase en son auto-apparaître même, ce monde implique une extériorisation de principe qui inclut, par nécessité interne, l'indifférence des rapports et l'incapacité de créer un contenu concret ou sensible. L'enjeu de cette hétérogénéité entre un tel apparaître du monde et l'apparaître vivant inverse serait alors capital, puisque le regard thérapeutique sera amené à voir la souffrance, la maladie ou toute autre forme de "défaillance" physique, psychique et spirituel avec les yeux mêmes de la Vie phénoménologique pure. Autrement dit, la Vie se regarderait elle-même sans faire créance à la "gloire du monde" pour parler comme les Evangiles au sujet du Christ abordant les êtres humains sans attacher de l'importance aux prestiges extérieures de profession, de classe, d'instruction ou de loi religieuse.


Car le langage de la Vie renverse, trait pour trait, les trois caractères indiqués de l'apparaître mondain en leur contraire: à l'extériorisation s'impose l'immanence sans distance et sans écart, à l'indifférence des phénomènes entre eux s'établit le lien le plus fort qui est l'amour de la vie pour elle-même en toutes ses manifestations, et à la carence ontologique répond la génération d'un contenu ou d'un Soi chaque fois singulier. Un regard thérapeutique en tant que regard transcendental de la vie elle-même verrait donc, par toute impression et perception, un tel Soi unique qui n'est plus un corps ou une apparence "objectifs" figurant sur l'horizon extérieur et indifférent du monde, mais un Soi qui vaut pour lui-même en tant que vivant. Etre un vivant vu dans le regard de la vie seule, ne serait plus seulement un "être rationnel" qui doit sa reconnaissance intersubjective à la médiation par l'universalité abstraite de la ratio ou du logos hérités de la pensée grecque, mais il serait un être inviolable et riche de toutes les potentialités de la vie par le seul "fait" de son existence grâce à la Vie absolue. (11)


Et puisque ce regard transcendental ou thérapeutique se trouve exempt de toute comparaison déréalisante entre les êtres vivants, il ne serait pas non plus un regard froid ou indifférent qui juge les humains comme des objets. Bien au contraire, en tant que le regard de la Vie elle- même sur elle-même, il aperçoit en toute "expression" d'autrui une modalisation singulière de la vie chaque fois individuelle avec sa valeur absolue en tant que manifestation ou révélation d'une filiation incarnée et originaire. Sans prolonger ici notre analyse en ce dernier sens d'une ultime Donation divine et christique de la Vie phénoménologique pure, il devient clair, par ces seules affinités entrevues, que le regard thérapeutique ou clinique en tant que regard transcendental implique finalement la "régénération" ou la "seconde naissance" d'une vie individuelle originale, lorsque celle-ci s'éprouve subjectivement coupée de sa réalité

immanente en tant qu'auto-affection vivifiante.


Ne pouvant proposer ici qu'une esquisse de cette praxis thérapeutique à partir des caractères phénoménologiques du "langage de la vie", on peut néanmoins en dégager une "méthode pratique" en disant que la seule réalité qui compte au niveau d'un tel échange intropathique est constituée par l'immédiateté de l'auto-affection réciproque des personnes concernées. Car l'immédiateté contre-réductive exclut toute herméneutique interprétative ou scientifique afin de n'admettre comme seul critère de "thérapie" que le co-pathos qui éprouve ce qu'éprouve autrui en y "répondant" seulement par la vérité immédiate ou authentique du sentiment. Eprouver ce qu'éprouve l'autre, ne signifie justement pas une identité formelle ou logique d'un même contenu représenté, mais le fait phénoménologique radical que mon impression ou mon sentiment à l'égard d'autrui et son destin corresponde vraiment à une épreuve réelle de ma part - et non seulement à une convention théorique ou sociale, ou même au mensonge ou à l'hypocrisie. Ainsi, à l'exclusion du contenu vide ou d'une seule représentation du monde qui recèle du savoir de ce dernier, il y aurait cet échange intropathique comme échange d'affects réels dont nous avons établi l'importance dans la "constitution" du Réel dès le début de notre analyse. Que la praxis médicale en son ensemble y doit inclure les investigations techniques exigées par l'état d'une maladie organique, par exemple, ne contredit pas cette immédiateté affective nécessaire, s'il reste vrai que tout regard clinique en tant que regard transcendental du médecin ou thérapeute vise, derrière les diagnoses ou opérations, un être unique dans sa souffrance et son espoir, c'est-à-dire en sa vérité transcendentale.


La réciprocité humaine habituelle de répondre à la haine par la haine ou à l'agression par l'agression et au dégout par le même sentiment se trouve alors abolie en faveur d'une réciprocité nouvelle qui s'enracine dans ce lien absolu qui existe entre la parole de la Vie et la Vie elle-même. Car si la vérité transcendentale ou divine de cette dernière est son auto- révélation en elle-même en tant que cette adhésion ou cet amour indestructible à l'égard de tout vivant né en elle, sa parole également implique cette révélation en tant que ce langage intérieur qui correspond à la matérialité phénoménologique pure de toute affection ou sentiment. Par conséquent, si la vérité de l'auto-révélation de la Vie en elle-même consiste en une auto-révélation dont la chair affective même correspond à son amour à l'égard de sa propre substance vivante, la réciprocité entre les vivants doit obéir également à cette réciprocité immanente entre la Vie et sa parole. Au lieu de répondre alors à l'agression par la violence réelle ou symbolique de ma part, le regard thérapeutique ou clinique aperçoit au Fond même de cette agression encore une manifestation de la Vie absolue pour y répondre avec le sentiment ou l'affect que cette Vie connaît eidétiquement à l'égard de sa propre essence, à savoir l'auto-révélation de son amour. C'est ainsi que l'on pourrait reprendre l'opposition entre la "résistance" et le "transfert affectif" au sens freudien pour permettre une nouvelle approche de la réalité thérapeutique à partir du vécu phénoménologique même, et non seulement à partir d'une théorie "méta-psychologique" préalable.


Car si le regard transcendental adopte la transcendentalité pratique de la Vie elle-même, son immédiateté est identique à la nature essentielle de l'auto-affection pure de la Vie

phénoménologique ou divine qui oeuvre toujours et partout en vue de son auto-génération en tout vivant. L'immédiateté du regard thérapeutique transcendental se situe alors avant la réciprocité habituelle - naïve ou scientifique - entre les humains répondant aux mêmes affects mutuels sans passer, dans la plupart des cas, par ce que l'on pourrait nommer également la co-nativité (12). Cette dernière signifie, à ce moment, qu'il n'y a plus aucune autre référence de moi à autrui que la naissance chaque fois individuelle et absolue de chacun. Le site de la "rencontre" se trouve donc, de même, avant tout appel et tout visage au sens phénoménologique selon Heidegger, Lévinas ou Marion, puisque dans ma naissance transcendentale il y a, par la même vie, également la naissance d'autrui. Le regard thérapeutique comme la praxis de la co-nativité n'est donc rien d'autre, en dernière analyse, que l'échange de la vie commune par et dans le Fond de la Vie elle-même. Ainsi, la passibilité qui pèse avec tout son poids subjectif jusqu'à l'insupportable sur celui qui se ressent démuni ou atteint par la souffrance et la maladie se trouve "revivifiée" par le Fond de cette passibilité même qui est le Se-Souffrir de la Vie en son auto-jouissance comprise comme la Certitude de sa vérité éternelle. Autrement dit, le regard thérapeutique n'abandonne aucune vie en sa manifestation propre, mais il répond à toutes les apparences extérieures "objectives" par cette Auto-certitude de la seule Vie immanente.


Nous avons abordé ici un terrain de recherche et de pratique qui reste certainement encore à approfondir à l'avenir par la phénoménologie matérielle de la vie (13). Mais il nous semble avoir indiqué suffisamment l'extrême richesse de la pensée henryenne pour elle-même et dans ses prolongements possibles et urgents face à un processus d'objectivation universelle ou globale qui réclame, de plus en plus, pour les individus touchés par cette évolution même un langage et un regard nouveaux. Cette radicalité phénoménologique "pratique" et son analyse rigoureuse sans concession nous semble être le meilleur hommage à rendre à l'oeuvre insolite de Michel Henry. Car si l'insolite est à la hauteur de la rigueur phénoménologique, une telle constellation ne signifie rien d'autre que le renversement de la métaphysique et de l'ontologie traditionnelles pour rendre enfin, c'est-à-dire la première fois depuis Aristote, un statut sans faille à la hylé ou à la matière sensible. Car si celle-ci est vraiment identique à l'essence en sa manifestation même, cette "matière hylétique" ne se décline plus selon les genres et les espèces, ou selon les régions eidétiques husserliennes, impliquant une médiation par le logos rationnel ou discursif, mais elle reçoit la dignité d'une réalité phénoménologique qui se reflète sur la dignité individuelle de chaque être humain: il n'est plus la spécification d'une essence générale et idéelle, mais l'essence même au sens d'une capacité réelle de génération productive ou d'une phénoménalisation concrète.


Que cette problématique dépasse l'enjeu de la seule "destruction" de l'onto-théologie métaphysique avec ses dernières variantes structuralistes ou postmodernes, s'affirme précisément dans le champ de la praxis clinique ou thérapeutique, puisqu'ici on ne peut plus faire abstraction de l'individualité la plus réelle, c'est-à-dire transcendentale, car il s'y agit d'une vie en souffrance. Une souffrance ne se guérit pas par l'application d'un a priori formel, comme elle a lieu dans les autres domaines publics, à savoir par exemple la politique, l'économie et les sciences. Une souffrance doit être transformée, et ce souffrir chaque fois individuel et subjectif constitue en fait, sur le plan de la problématique métaphysique et ontologique indiquée, une hylé singulière irremplaçable par une autre. En ce domaine donc, il ne peut y avoir de substituts pour une réalité qui n'apparaît telle que par sa phénoménalisation matérielle ou subjective unique. Par conséquent, si l'enjeu de la méthode phénoménologique et de la tradition philosophique en général se situe, finalement, à l'endroit précis d'une sensation ou d'un sentiment, elle ne peut plus se réfugier en une approche d'essences générales - mais elle doit répondre à un besoin dont l'urgence n'est que l'expression d'une vérité chaque fois insolite. De cette manière, l'insolite de la Phénoménologie de la Vie ne rejoint son véritable "objet" qui là où le lien entre Vie et Individu s'affirme comme la dernière instance de toute réflexion et praxis, religion et éthique incluses. Penser cette vérité qui est, en même temps, une urgence à l'échelle de l'évolution mondiale actuelle représente un défi auquel il faut répondre sans retard. S'il y a, donc, fidélité à une inspiration magistralement offerte par une oeuvre prise en considération ici, c'est sans doute celle-là.


Rolf Kühn, 


Heuweilerweg19,D-79 194 Gundelfingen/Freiburg i. Br.) www.lebensphaenomenologie.at


* Contribution tirée du Collectif publié par Jean-François Lavigne : Michel Henry. Pensée de la vie et culture contemporaine. Colloque international de Montpellier, 3-5 décembre 2003. Paris: Beauchesne 2006, p. 110-130).


__________


Notes 

1 Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000, p. 317, note 1. Cf. le développement de cette remarque dans le texte de Michel Henry sur "Souffrance et Vie" qui contient sa conférence au colloque "Philosophie et Psychiatrie" à Paris le 28 Juin 2001 et dont la publication est prévue dans un nouveau recueil d'articles dans la collection "Epiméthée" dirigée par Jean-Luc Marion. Le typoscrit en notre possession comporte 8 pages.

2 Sur cette dernière cf. J.-L. Longneaux (éd.), Retrouver la vie oubliée. Critiques et perspectives de la philosophie de Michel Henry, Presses Universitaires, Namur, 2000, pp. 21-82: La réduction radicalisée.

3 Cf. M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps. Essai sur l'ontologie biranienne, PUF, Paris 1965, repris pour l'essentiel et continué quant à la phénoménalisation de la corporéité originaire et christique dans son avant-dernier livre: Incarnation, chap. 26 et suivants.

4 Paroles du Christ, Paris, Seuil, 2002, p. 29.

5 Cf. aussi l'ouvrage de M. Henry, Du capitalisme au communisme. Théorie d'une catastrophe, Paris, Odile Jacob, 1990.

6 Sur la faillite de tout "humanisme" basé sur l'illusion d'une réciprocité supposée auto-nome et sa reprise par les rapports de miséricorde ou de charité, cf. M. Henry, Paroles du Christ, p. 32 sq.

7 Nous nous référons ici à la notion de natürliche Selbstverständlichkeit selon E. Husserl et la psychiatrie de W. Blankenburg, par exemple, inspirée de la Daseinsanalyse; cf. l'ouvrage de ce dernier: La perte de l'évidence naturelle, PUF, Paris, 1991, et aussi la Revue: L'art de comprendre 1, Mars 1994, p. 69-83.

8 Cf. en outre R. Bernet, La vie du sujet. Recherches sur l'interprétation de Husserl dans la phénoménologie, PUF, Paris, 1994, p. 93 sq.; Délire et réalité dans la psychose. Etudes phénoménologiques 15, 1992, p. 25-54.

9 Cf. aussi notre Essai: Existenz und Selbstaffektion in Therapie und Phénoménologie, Vienne, Passagen, 199, chap. "Existence et affectivité".

10 Cf. la critique magistrale faite par M. Henry à ce sujet: Difficile démocratie, in: A. David/J. Greisch (éds.), Michel Henry. L'Epreuve de la Vie, Paris, Cerf, 2001, p. 39-54; et spécialement par rapport aux questions éthiques de la biologie et de la médecine

11 Sur le "langage du monde et le langage de la vie" cf. M. Henry, C'est Moi la Vérité, Paris, Seuil, 1996, p. 21 sq.; Incarnation, p. 62 sq.; Paroles du Christ, p. 87 sq.

12 Pour l'application de cette notion aussi à l'analyse politique, cf. M. Maesschalck, La forme communautaire du jugement éthique chez M. Henry. Filiation et fraternité, in: J.-M. Longenaux (éd.), Retrouver la vie oubliée, p. 183-203.

13 Cf. aussi à ce sujet M. Schneider, Le sujet en souffrance, in: A. David/J. Greisch (éds.), Michel Henry, p. 281- 296. On peut y ajouter également les contributions antérieures de M. Henry: La généalogie de la psychanalyse. Le commencement perdu, PUF, Paris, 1985; La question du refoulement, in: R.-P. Droit (éd.), Présence de Schopenhauer, Paris, Grasset, 1989, p. 296-315; Ricoeur et Freud: entre psychanalyse et phénoménologie, in: J. Greisch/R. Kearny (éds.), Paul Ricoeur, les métamorphoses de la raison herméneutique, Paris, Cerf, 1991, p. 127-143; Phénoménologie et psychanalyse, in: P. Fédida/J. Schotte (éds.), Psychiatrie et existence, Grenoble, Millon, 1991, p. 101-115.