lundi 27 octobre 2014

L’invisible Lumière dont toute photographie porte la nostalgie


Par Robert Empain






Une photographie c’est un visage qui sort de l’ombre pour séjourner un temps dans la lumière du monde.

Une photographie c’est un semblant de chose ou d’être qui s’avance éclairé par une double clarté et vient percer la Nuit de l’oubli.

Une photographie c’est une lumière libérée d’une ombre qui la gardait prisonnière.

Les visages humains s’y présentent comme les flammes tremblantes des cierges finissants dans les chapelles obscures.

Les photographies sont encore semblables aux fleurs, aux feuillages, aux mousses et aux lichens.

En vérité, les photographies sont semblables aux corps vivants, ivres de vie, soumis à la brûlure d’un feu et puis à son extinction, à leur engloutissement définitif dans le négatif, dans la décomposition, dans la poussière noire et consumée de la terre d’où elles furent tirées et où elles retournent.

Toutes les photographies témoignent de notre incapacité à nous approprier définitivement quoi que ce soit en ce monde et de la nostalgie et de la vanité de vouloir, ou même d’espérer, y prolonger notre passage.

La photographie, comme tout désir humain tourné uniquement vers le monde, témoigne de notre vanité et de notre sottise.

Mais, pourtant et pour autant que nous recevions leur témoignage paradoxal, nombre de photographies peuvent être reçues comme des grâces.

Ne nous attristons donc pas, réjouissons-nous au contraire, car le temps viendra où les vivants n’auront plus besoin de photographier et de filmer quoi que ce soit de ce monde où objets et corps vivants paraissent et disparaissent un jour ou l’autre dans l’oubli.

De même, un jour viendra où nous n’aurons pas davantage besoin de nous battre pour nous approprier quoi que ce soit en ce monde.

Car ce jour là nous aurons compris que tout y réapparaît à chaque instant pour nous et par nous.

Ce jour là, oui, nous verrons que l’air, la lumière, l’eau et tout ce qui vit sur Terre sont recréés, renouvelés, régénérés, donnés et maintenus continuellement pour nous et que nous sommes fous de nous acharner à nous prendre tout cela les uns aux autres, à le gaspiller, à le détruire, à nous détruire. 

Ce jour là, nous aurons compris ce que c’est qu’être vivant.

Nous aurons compris que nos vies sont ressuscitées et restituées à chacune de nos respirations.

Et cela, sans que nous y soyons pour rien.

Car le Souffle qui nous donne de respirer n’est pas le nôtre et nous n’avons aucun pouvoir sur lui.

Et, si nous pouvons et devons même absolument douter des apparences du monde et, à fortiori, de ses innombrables copies appelées les images, pourquoi douterions-nous de la vie qui nous est donnée  ?
Pourquoi continuerions-nous à croire que la vie nous est donnée pour nous être retirée ?
Pourquoi continuerions-nous à croire à cette absurdité que nous serions jetés là pour la mort par la vie ?

Reconnaissons que la vie nous veut, qu’elle nous veut vivants éternellement en Elle et non morts !

La mort est une invention de nos doutes et de nos peurs.
La mort est une représentation qui comme toutes nos chères photographies ne touche que la part de nous qui est au monde.

Ô miracle !
La mort comme comme les photographies n’atteint que nos corps matériels et périssables.

Et la vie ne nous est pas donnée par le corps, ni par la lumière du monde.

La vie, la vie nous vient de la Vie. De la Vie qui vient.

Elle nous vient dans la lumière invisible de la Vie, qui luit hors du monde.

La Vie donne vie et lumière à nos âmes.

Et les vivants n’ont pas le pouvoir de se donner la vie à eux-mêmes.*

Dans et par la Vie absolue * nous sommes vivants.

Dans la Vie et par elle nous naissons à la vie avant de paraître dans le monde*.

Dans et par la Vie nous naissons et renaissons sans cesse et nous renaîtrons encore et encore pourvu que voulions d’Elle, la Vie, pourvu que nous la reconnaissions en nous et en tous, que nous la désirions et que nous brûlions pour Elle d’un feu qui ne se consume pas dont le Nom inouï encore est Amour.

L’Amour, personne jamais ne le photographiera car l'Amour est le soleil qui traverse le Ciel voilé de nos coeurs.

L’Amour ?

Folie pour le monde, sagesse de la Vie.

L’Amour ?

L’invisible Lumière dont toute photographie porte la nostalgie.




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Texte 1999, augmenté en 2009. Vidée photographies et montage par  Robert Empain 2008-2014 Musique Pilowfilm.ours. 2014

* Grâce à Michel Henry

samedi 25 octobre 2014

Pluie dans un puits à Mérigny




Depuis l'an 2000, je filme à l'aide d'une petite caméra numérique, et quand ils se présentent, des phénomènes visuels que personne se semble remarquer, alors pourtant qu'ils sont d'une telle beauté que je les regarde comme des grâces. Je les nomme d'ailleurs des grâces vidéos. J'ai pu présenter ces petits films  en divers lieux à l'occasion de mes expositions. La première projection se fit  sur un grand voile de soie tendu dans le coeur d'une chapelle romane désaffectée à Le Blanc, en France. Et par la suite dans des galeries d'art, des églises, des ruelles, une forge délabrée, une maison des abeilles, des draps tendus dans des jardin ou des corps humains en mouvement. Et depuis que cela est possible, sur internet, ici et ailleurs.

Ces grâces se présentent partout et à chaque instant autour de nous. Il nous suffirait d'être attentif, mais distraits par nos affaires ou absorbés par nos divertissements, nous passons sans les voir et ne les recevons pour ce qu'elles sont.

Avec ces Grâces vidéos je ne prétend pas faire du cinéma. Je désire simplement éveiller le regard et la curiosité et inviter tout un chacun à recevoir et à recueillir par lui-même les grâces incessantes qui lui sont données partout. Cette attention recueillante conduisant selon moi au recueillement de la grâce initiale qui est la vie elle-même, une vie que nous recevons et que nous ne cessons d'oublier. La Vie nous donne pourtant de vivre malgré notre oubli et notre ingratitude, plus encore elle nous comble de ses grâces espérant nous faire connaître la joie de la grâce réciproque, par laquelle la Vie croîtra et se multipliera à l'infini en nous.

Par un beau jour de juillet 2008, la pluie s'est mise tomber brusquement dans mon jardin. Ce jour là j'ai regardé ce que je n'avais jamais regardé auparavant : la pluie qui tombait dans mon puits. Je vous laisse plonger avec ces milliers de gouttes de pluie au fond de l'inconnu où se trouve le ciel, en espérant que vous regarderez autrement la pluie tomber sur la vitre de votre pare brise par exemple, ou les flocon de neige dans la paume de votre main en vous émerveillant de pouvoir les recevoir comme des grâces, car pouvoir les recevoir comme telles, voilà la Grâce...




Illustration : Vidéo Grâce 17082008 - Pluie dans un puits à Mérigny

jeudi 16 octobre 2014

Porque el campo es el edén más lindo del mundo entero

Grâce à toi Guillermo Portabales

Comme beaucoup, j'ai découvert la musique cubaine des années 30 lorsqu'elle fut ressuscitée en 1996 par Ry Cooder,  un des meilleurs guitaristes américains, qui retrouva à Cuba quelques musiciens vétérans et les rassembla dans un album devenu légendaire sous le nom de Buena Vista Social Club. L'album et le groupe du même nom connurent un succès mondial et les vétérans donnèrent des concerts magnifiques partout dans le monde. De cette aventure Wim Wenders fit un film inoubliable. De toutes les chansons de cet album ma préférée a toujours été El carretero. Cet hymne à la vie simple, plus nostalgique que les autres, ressuscite le chant immémorial qui monte spontanément en tout vivant qui est porté par le rythme initial de sa marche ou par celui des sabots de son cheval sur la terre,  ce rythme vital fait de la marche une danse et soutient celui qui va seul par la campagne, par monts et par vaux, entre terre et ciel, et qui laisse alors vagabonder son imagination et chanter son coeur pour dire à la Terre, au Ciel et à la Vie sa peine et sa joie, son labeur et ses rêves. El Carretero fut composé par José Guillermo Quesada del Catillo, dit Guillermo Portabales, un chanteur et guitariste cubain né en 1911 dans la province cubaine de Rodas et mort à Porto Rico dans un accident en octobre 1970. Grâce lui soit rendue. 





El carretero

Ay, por el camino del sitio mío
un carretero alegre pasó
En su tonada que es muy guajira
y muy sentida alegre cantó

Ay, por el camino del sitio mío
un carretero alegre pasó
En su tonada que es muy sentida
y muy guajira alegre cantó :

Me voy al transbordador a descargar la carreta
Me voy al transbordador a descargar la carreta
Para llegar a la meta de mi penosa labor

Estribillo:
        A caballo vamos pa´l monte,
        a caballo vamos pa´l monte
        (bis)

Yo trabajo sin reposo para poderme casar, que
Yo trabajo sin reposo para poderme casar
Y si lo puedo lograr seré un guajiro dichoso

        {Estribillo}
Soy guajiro y carretero, en el campo vivo bien
Yo soy guajiro y carretero y en el campo vivo bien
Porque el campo es el edén más lindo del mundo entero

        {Estribillo}
Chapea el monte, cultiva el llano,
recoge el fruto de tu sudor
Chapea el monte, cultiva el llano,
recoge el fruto de tu sudor




Le charretier

Hé, sur le chemin de chez moi
Un charretier joyeux est passé
Et de sa voix paysanne
Et sincère, joyeux, il chantait !

Hé, sur le chemin de chez moi
Un charretier joyeux est passé
Et dans sa voix très sincère
Et tres paysanne, joyeux il chantait :

Je vais à la barge décharger ma charrette
Je vais à la barge décharger ma charrette
Pour achever mon dur labeur

Refrain

A cheval nous allons par monts et par vaux
A cheval nous allons par monts et par vaux

Moi je travaille sans relâche pour pouvoir me marier,
Moi je travaille sans relâche pour pouvoir me marier,
Et si j'y arrive je serai un paysan heureux

Refrain

Je suis paysan et charretier, à la campagne je vis bien
Moi je suis paysan et charretier, et à la campagne je vis bien
Parce que la campagne, c'est le plus beau paradis sur terre.

Refrain

Débroussaille les collines, cultive la plaine
Récolte le fruit de ta sueur
Débroussaille les collines, cultive la plaine
Récolte le fruit de ta sueur



Guillermo Portabales







mardi 14 octobre 2014

Paul, l'apôtre qui ''respirait le crime"

Grâce à toi Paul de Tarse



Conversion de Paul sur le chemin de Damas.
Anonyme espagnol. XVième siècle. Salamanca.




Je vous invite à lire Paul, l'apôtre qui " respirait le crime", le dernier livre de Jean-Michel Hirt qui en psychanalyste sonde la conversion de Saul, Paul de Tarse ( saint Paul ), un criminel et exterminateur enragé qui en un éclair fut renversé et retourné par l'apparition de la Vie en Personne : Jésus Christ ressuscité ! Jeté à terre, aveuglé par la Lumière, Jésus lui demande : " Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? " ( Actes des apôtres 9 ). Paul retourné et revenu vers lui-même comprend que cette Résurrection appelle tous les vivants à ressusciter à leur tour, pour autant qu'il reçoivent comme lui cette Nouvelle inouïe, cette Parole de Vie et d'Amour adressée à toute l'Humanité.  Porté par l'Esprit-Saint, Paul le juif romain persécuteur deviendra un chrétien persécuté qui ne cessera par ses actes et quelques lettres retrouvées de témoigner pour retourner l'Homme ancien, à savoir mettre à bas toutes ses sagesses, ses sciences et ses vains savoirs, pour révéler que chacun, fut-il un criminel, peut, par la Mort, la Résurrection et l'Amour de Jésus Christ convertir sa violence, ses pulsions destructrices, sa haine de la vie, sa pulsion de mort ( Freud ), sa culpabilité refoulée et sa rage, en pulsion spirituelle d'amour et de vie ! 




Présentation d'Actes Sud, collection "le souffle de l'esprit" :

Quand Luc, l’évangéliste et le rédacteur des Actes des Apôtres, écrit à propos de Paul de Tarse, son ami, que ce dernier, avant sa “conversion”, “respirait la menace et le crime” (Actes 9, 1), il faut l’entendre. La violence de Paul n’est pas un vain mot, lui qui, de persécuteur des adeptes de Jésus, deviendra son apôtre autoproclamé, mettant au service de sa nouvelle cause encore plus d’énergie qu’auparavant. Ses Épîtres, qui ont changé la face du monde, sont ici lues à la lumière de la psychanalyse et de l’imagination créatrice qu’elle libère. À suivre le chemin de Paul, il devient possible de comprendre comment la vie pulsionnelle, de par sa plasticité, irrigue la vie spirituelle d’un individu mémorable. Loin de ne concerner que la religion, l’expérience de ce saint homme est à même d’éclairer un lecteur, croyant ou non, sur les capacités du psychisme à subvertir la violence pulsionnelle et à la mettre au service de la construction du vivant.


Textes : R.E 14/10 /2014 & Actes Sud.
Images : Tempéra sur bois, anonyme. Photographiée à Salamanca par R.E.