jeudi 26 décembre 2019

La véritable actualité, la véritable nouveauté, c’est la génération du Verbe...


 Grâce à toi Seigneur Jésus

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NOËL

MESSE DU JOUR

Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU

Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 25 décembre 2019)

Et Verbum caro factum est
Et le Verbe s’est fait chair...

(Jn 1,14 )



Nativité par Robert Campin. 1420-26




Chers Frères et Soeurs, Mes très chers Fils,

À l’heure qu’il est, les bergers sont repartis, regagnant leurs troupeaux. Marie et Joseph se retrouvent seuls dans l’étable. Marie repasse en son coeur les événements de ces dernières heures qui déjà sont un mystère.
En nous donnant à lire les Prologues de l’Évangile selon saint Jean et de l’épître aux Hébreux, l’Église introduit les fidèles dans la contemplation d’un mystère encore plus profond : celui de la génération éternelle du Verbe de Dieu auprès du Père. Sans cette génération première du Verbe, Parole éternelle du Père, il ne pourrait y avoir dans le temps son incarnation.
La foi en ces mystères est essentielle pour répondre à la question de l’identité de l’Enfant de la crèche : Est-il Dieu ? Est-il homme ?
L’histoire des premiers siècles de l’Église montre que l’affirmation de saint Jean n’est pas si évidente. Le Verbe s’est fait chair. Mais cette chair, n’était-elle pas seulement une apparence ? Et si elle est bien celle d’un homme véritable, celui-ci est-il Dieu en même temps ?
Les formules du Credo, tirées des Conciles de Nicée et de Constantinople, sont claires.
Au sujet du Fils de Dieu, Parole du Père, Verbe de Dieu, nous croyons qu’il est Dieu comme le Père est Dieu, lumière comme le Père est lumière, vrai Dieu comme le Père est vrai Dieu. Ceci est exprimé par un mot consacré que l’on peut se réjouir de voir réapparaître dans la nouvelle traduction liturgique du Credo : consubstantiel au Père. Seule demeure entre eux l’opposition entre le fait d’engendrer, qui est propre au Père, et celui d’être engendré, qui est propre au Fils. Ils ne sont qu’un seul Dieu. Au sujet du mystère de l’incarnation, l’Église professe que pour nous les hommes et pour notre salut, le Fils est descendu des cieux, s’est incarné et s’est fait homme. Le Verbe de Dieu, vrai Dieu de toute éternité, assume au temps voulu une nature humaine. Il s’incarne.
Si la foi catholique a été contestée dans les premiers siècles de l’Église, il en va de même aujourd’hui. Et si elle n’est pas contestée, pire, elle est tout simplement ignorée.
Le chrétien se définit volontiers comme un homme bon, miséricordieux, charitable. Loin d’affirmer que le chrétien ne devrait pas avoir ces qualités, il faut cependant rappeler que cela n’a rien de spécifique au chrétien. Tout homme est appelé à faire le bien et à éviter le mal.



Vierge Marie à l'Enfant voilée. Collage. 2014



    Le chrétien est un disciple du Christ. Il croit que Jésus est le Christ, Fils de Dieu incarné, Dieu lui-même, qu’il est mort et qu’il est ressuscité pour notre salut. La foi au Christ, telle est notre marque distinctive. Le fidèle est celui qui a la foi. Cette foi, nous la partageons avec les premiers chrétiens. Elle n’a pas changé. Elle ne peut changer. Au plus fort des persécutions, nos frères dans la foi traçaient, avant de mourir, dans le sable des arènes ou sur les murs de leurs prisons le mot ichthus, composé des initiales en grec des mots : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, ou encore un poisson stylisé ; ichthus en grec signifiant poisson. Nous pourrions en écrire autant.

    Tant de nos contemporains sont promenés dans une actualité qui n’a plus rien d’actuel, s’épuisant de nouveautés en nouveautés qui passent. La véritable actualité, la véritable nouveauté, c’est cette génération du Verbe au sein de la Trinité : un don infini, totalement donné et parfaitement reçu. La véritable actualité et la véritable nouveauté, c’est l’amour de Dieu pour sa créature. N’est-il pas consolant d’entendre qu’ « après avoir parlé par les prophètes, Dieu nous a parlé par son Fils » ?

    Pour autant, l’affirmation de l’Évangile : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu », n’en reçoit qu’un sens plus dramatique. L’amour n’est pas aimé. Oui, la terre et la création, c’est chez lui. Et si c’est aussi « chez nous », c’est parce que d’abord, c’est « chez lui ». Il est illusoire de vouloir échanger sur l’écologie en ignorant Dieu. N’est-ce pas lui qui a établi dans son amour et sa sagesse les règles des relations entre les êtres au sein de sa création ? Comment ignorer ces règles ?
Verbum caro factum est, le Verbe s’est fait chair : suprême amour de sa création et du corps de sa créature, suprême abaissement, suprême humilité pour partager à l’homme sa divinité. Dieu se revêt de notre chair, se fait Emmanuel : Dieu avec nous.

    L’homme oublieux de Dieu, comme pour occuper une place qui lui semble vide, s’érige en Dieu. Suprême orgueil, suprême mépris de l’amour et de la sagesse de son Créateur, il revisite la création et prétend la modeler à son gré. La dictature des faux dieux se fait chaque jour plus oppressante. La justice entre les hommes et le respect de la liberté de tous exigent la vérité sur ce qu’est l’homme, et l’acceptation du plan divin.

    Que faire, alors que notre pèlerinage est toujours plus difficile ? 
Jésus aujourd’hui se fait aussi pèlerin. Dieu est avec nous. Marchons à ses côtés.
Pour tenir tête à une société qui ne prête attention qu’à la violence ou à ce qui touche ses intérêts économiques, il est urgent que les chrétiens se regroupent et se forment. Il faut qu’ils connaissent et acceptent les affirmations de leur foi. Ne laissons pas caricaturer le Christ ou son message. 
L’Enfant de la crèche n’est-il qu’un personnage de plâtre qui ressort de sa boîte chaque année, ou est-il Celui qui a profondément marqué ma vie, au point qu’elle répand autour d’elle sa lumière et son message ? 
    Le Christ vaut-il la peine d’être connu, d’être annoncé ? Celui que la plupart des médias ignorent, il nous revient de l’annoncer, en occupant les lieux de parole, en soutenant les médias chrétiens. En face, c’est un vide abyssal.

    Ce qui manque aujourd’hui à trop de chrétiens, c’est ce qui manquait au jeune homme riche : la flamme de la foi qui permet d’aller au bout avec le Christ. Le don radical de Dieu appelle le don radical de l’homme : « Dieu ou rien » ! Si le monde devient chaque jour plus violent, si les situations de haine se multiplient, c’est que le monde a décidé qu’il n’y a
rien au-delà de lui. Il ne lui manque que d’accepter l’amour et la paix de son Dieu qui aujourd’hui prennent les traits d’un enfant.
    
    Alors que la nuit est sombre, le chrétien est le veilleur qui a mission d’ouvrir la voie de l’espérance à ses frères. Aujourd’hui, dans une crèche, auprès de Marie, est apparu le Christ, Fils de Dieu, notre Sauveur, notre paix.

Amen, Alleluia.

mercredi 18 décembre 2019

Pedras nascidas das ondas, quand la poésie traverse la peinture.

Grâce à Saskia Weyts 

J'ai la joie de vous annoncer l'exposition de Saskia Weyts (artiste de Grâce depuis le début ), intitulée Pedras nascidas da ondas (Des pierres nées des vagues) à L'Espaço Pontes à Fundão au Portugal, où, à l'invitation de l'Association Luzlinar, elle présente jusqu'à la fin janvier des peintures réalisées en 2017 et 2018. 




 A propos de ce travail Saskia Weyts écrit sur son site d'artiste :   


 " Ces pierres, je les sors d’une seule source vivante : l’Océan.
Je les enlève de cette source, je les récolte et je les fixe pour un temps dans mon temps.
Ces pierres sont formées par les mouvements de l’eau, par des millions de mouvements des vagues qui les ont roulées sur le sable, arrondies, polies, sculptées.
Une pierre mouillée révèle sa couleur cachée, la lumière cachée dans la pierre.
La formation de ces pierres est comme celle de l’être humain : « mouvement et repos »(Jean-Yves Leloup, citant l'évangile de Thomas)
En observant ces pierres, je prends le temps de les méditer
 pour voir le secret qui se trouve enfermé dedans.
Je m’émerveille de leur présence et petit à petit je pénètre le mystère de chaque pierre, leur profondeur, leur côté caché, leur âme minérale.  Leur histoire millénaire se murmure et se chante dans leurs couleurs.
Du matériel vers l’Immatériel."


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Je reproduis ci dessous le beau texte critique, intitulé Quand la poésie traverse la peinture, écrit par le poète portugais Manuel da Silva Ramos à propos de cette exposition et de celle du peintre Cargaleiro à Castello Branco, paru le 12 décembre dernier dans le Journal de Fundaô.




Vue de l'Espaço Pontes à Fundaô



Quand la poésie traverse la peinture *



Texte paru dans le Journal de Fundaô 


 Ce sont les poètes qui dévoilent le mieux la peinture. Il suffit de regarder le passé récent, je ne dis pas au Portugal où l'habitude n'est pas enracinée, mais en France où c'est habituel et très apprécié. Ce sont, par exemple, Michel Leiris et Gilles Deleuze, poète et philosophe plein de poésie, qui ont le mieux parlé de la peinture de Francis Bacon. C’est encore Georges Bataille qui a également écrit des textes admirables sur divers peintres, mais aussi Baudelaire, Michaux, André Breton etc,.
 
Le samedi 7 décembre, au musée Cargaleiro de Castelo Branco, un beau musée cosmopolite que je ne connaissais pas, Fernando Paulouro Neves a présenté son livre de poésie « Métamorphoses - Poèmes pour Cargaleiro », une œuvre insolite qui revisite l’œuvre du peintre consacré ici, l'honore et la vivifie avec grande sensibilité et émotion.
En faisant de la poésie à travers l'œuvre de Cargaleiro, Paulouro va plus loin que les poètes mentionnés plus haut car son travail ne consiste pas à commenter, à interpréter ou à résumer l'univers du peintre mais à le faire vivre à travers des mots brûlants d’une combustion lente. En d'autres termes et comme le dit l'auteur, il s'agit « d'un câlin habillé de poèmes » ou « d'un regard poétique sur ce voyage de couleur ».
J'ai eu la chance de collaborer à cette présentation du livre en lisant quelques poèmes traduits par moi en français ( c'est un livre bilingue rare qui mérite d'être connu des Français ) et Manuel Costa Alves a lu le reste de l'ouvrage en portugais. C'était un régal d'entendre cette poésie dans la bouche de cet homme à la voix admirable. De nombreux Portugais se souviennent encore de ce Monsieur météo de la télévision... 

À côté de moi se trouvaient les premiers tableaux du peintre et j'ai été ébloui. Ils m'ont rappelé le geste australien et la peinture aborigène. En ouvrant le livre de Paulouro, nous ne devons pas être surpris par l'acuité lyrique du poète qui déclare: « vous inventez des lignes de couleurs plates / un monde abstrait / à l'intérieur de l'âme / sentiment et émotion / métamorphoses / comme un vent en vous » Ou : « Il y a un fleuve de couleurs / inventé par le temps / coulant dans vos yeux. » Et pourtant : « les vers du poème / au coeur du tableau / sont de la pure réalité / mille arbres s'élevant vers le ciel » Que Cargaleiro ait illustré deux livres du poète français Armand Guibert ( premier traducteur français de Fernando Pessoa ) prouve qu'il a toujours été attentif à la poésie. Maintenant, avec la poésie de Fernando Paulouro, le peintre était ravi.
C'est ce que nous ressentions tous, soit les soixante-dix personnes venues écouter cette poésie intemporelle, c’est qu’elle est le seul art qui transforme le monde qui passe. Les deux artistes méritent ensemble un album décent qui permettra de ne pas oublier ce dialogue insolite. Vive «la lumière sur les galets»!





Peintures de Saskia Weyts 2017/2018


À partir de pierres calcaires est également réalisée la peinture de Saskia Weyts, une artiste belge qui a une maison au Portugal, à la périphérie d'Óbidos. Ce jeudi 12, elle exposera à Espaço Pontes, à Fundão, invitée par l'Association Luzlinar. Professeur de dessin, peintre ayant obtenu de nombreuses récompenses depuis 1987, elle montre ici avec ces « Pedras Nascidas das Ondas » une fantastique démarche poétique.

Elle s'est simplement appropriée des pierres caressées par les eaux et a donné ensuite ses visions au papier. 

Ce sont des voyages et des paysages imaginaires, un cosmos surréaliste, des épiphanies métaphoriques. En doublant le temps, Saskia Weyts se positionne comme une peintre de la survie de la beauté dans une nature tourmentée par l'homme. Mémorialiste et archiviste d'un imaginaire basé sur le réel, la peintre reçoit naturellement la poésie comme un don de la nature. Et elle-même l'écrit, illustrant sa création: « Ces pierres, je les retire d'une seule source vivante, l'océan. / En regardant les pierres, je passe mon temps à méditer sur elles / pour voir le secret qui est enfermé à l'intérieur / ». 


Ne manquez pas cette exposition fascinante pour son originalité et son invention lyrique nous alerte sur un monde durable près de nous, et que, distraits, nous ne pouvons pas réaliser ou rêver." Manuel da Silva Ramos

* Le texte original est en portugais, nous l'avons traduit.