samedi 24 février 2018

Le pesanteur et la grâce


Grâce à vous artistes anonymes

Je publie ci dessous un texte paru en 2010 dans la version antérieure de Attention, l'art peut ressusciter la vie ! qui fut piratée 2013.  J'ai écrit cette note en 2010 dans le cadre superbe du collège des Bernardins où une exposition était proposée tout l’été. Elle était intitulée La pesanteur et la grâce, un titre inspiré par les œuvres de Simone Weil.  Cette exposition était une commande du Collège des Bernardins et nous invitait à réfléchir sur le rapport entre abstraction et spiritualité... Le commissaire Eric de Chassey (directeur de la Villa Médicis à Rome de 2009 à 2016) voulait exposer cinq artistes d’âges différents, présentant des œuvres solides et abstraites, appartenant à une voie nouvelle qu’il appelle « abstraction spiritualisante » par opposition à la voie de « l’abstraction spirituelle ». « Une abstraction qui, dit-il, ne prescrit pas un contenu par avance, mais le découvre au fur et à mesure du travail de l’artiste et de l’attitude que l’œuvre induit chez le spectateur » ... « une des voies possibles, dit-il encore, pour qu’une création artistique puisse se trouver au plus près d’une expérience spirituelle authentique » Ajoutant  : « la figuration en peinture est devenue particulièrement difficile, car obligée de prendre en compte un aspect très négatif de l’humain ». Et : « il y a une réelle difficulté à assumer dans une même image cette négativité de l’humain et la possibilité de quelque chose qui la dépasse et qui la sauve ...  Peu d’artistes arrivent à tenir les deux, et faut-il encore que le visiteur accepte de jouer le jeu, de se rendre attentif à ce qu’il a devant les yeux, c’est-à-dire faire l’expérience spirituelle fondamentale : sentir ce passage de rien à quelque chose ». Les artistes exposés sont : Emmanuele Becheri, Callum Innès, Georges Tony Stol, Emmanuel Van der Meulen, et Marthe Wery.


Vue de l'exposition




L'exposition La pesanteur et la grâce présentée au collège des Bernardins à Paris cet été (2010) se réfère explicitement à Kandisnky et à l'abstraction.  Elle présente des oeuvres minimales, qui me touchent très minimalement à vrai dire, de Marthe Wéry, Callum Innes, Georges Tony Stoll, Emmanuel Van der Meulen et de Emmanuelle Becheri.

En 1911, Wassily Kandisnky, dans son livre Du spirituel dans l'art, rappelait que toutes les formes et toutes les couleurs sont des forces, des vibrations spirituelles émanant de l'Esprit Créateur et qu'un simple point de couleur posé sur une toile ou un mur blanc suffit à poser le mystère de l'apparaître...

Ici, aux collège des Bernardins, des oeuvres d'un art dit minimal, car elles sont faites de très peu d'éléments, viennent s'ajouter, vibrer et résonner dans un lieu qui est déjà une oeuvre d'art accomplie, et, incontestablement, c'est le rapport du lieu et de ces ajouts minimalistes qui fait oeuvre ici.  Ce lieu, qui est un chef d'oeuvre, est ainsi utilisé comme Plan originel — selon la désignation Kandinsky — à savoir comme fond pour une composition plastique nouvelle. Ce procédé de base est inévitable car il faut bien qu'une oeuvre, comme toute chose en ce monde, soit placée quelque part, en un lieu. 

Vue de l'exposition


L'art moderne, et à sa suite l'art contemporain, ont instauré l'usage intensif, voire  même exclusif durant des décennies, de lieux absolument blancs, celui du musée ou de la galerie d'art, des lieux qui correspondent au fond blanc de la toile ou du papier. 
Dans de tels lieux blancs et hyper-lumineux, les formes, les couleurs, les objets se trouvent isolés, séparés de tout, abstraits du monde et ainsi mis en état de se présenter tels qu'ils sont, c'est-à-dire de révéler leur vibration propre, leur mode d'être-là, leur aura, leur présence mystérieuse, leur pouvoir d'apparition.

Notons que de son côté la publicité ne s'y est pas trompée : elle nous montre très souvent ses produits parfaitement idéalisés sur de tels fonds blancs purs, et confère ainis à la moindre boite de lessive une dimension magique d'apparition...

De même, dans des lieux comme cette salle des Bernardins, qui sont des chefs d'oeuvres de l'art architectural, la moindre petite chose du monde vient palpiter comme un oiseau en vol dans un ciel pur, dans sa dimension céleste, angélique.

Je signale ces choses non pour dénigrer ces pratiques mais pour les relativiser, les décrypter, pour les replacer dans l'humilité minimale, initiale, souhaitable et nécessaire mais encore pour rendre grâce aux artistes authentiquement spirituels et anonymes qui ont su créer et bâtir de tels lieux, que l’on a raison d’appeler sacrés, tant ils sont capables de faire descendre un peu de la beauté du Ciel sur la terre, permettant à tout un chacun de rencontrer en personne une beauté créée qui témoigne de la Beauté incréée.

Vue de l'exposition


Dans ce sens, je retiens la phrase de Simone Weil citée dans la présentation de l'exposition : « La grâce ne s’atteint pas par une volonté héroïque mais par la soumission humble aux nécessités de la pesanteur… » ce qu'elle appelle encore l'effet de levier,  à savoir :  monter en s'abaissant .  Ajoutant : «  il ne nous est peut-être donné de ne monter qu’ainsi… »

Des propos qui rejoignent ceux de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et la Sainte Face - propos dont j'ai fait des voiles - qui comprend que l'amour infini de Dieu consiste à s'abaisser vers nous pour nous élever vers lui ; et que nul homme ne pourra s'élever s'il n'est d'abord descendu au fond de lui pour y mener le combat avec l'inconnu qu'il est encore à lui-même et y trouver son vrai Nom, celui que de sa seconde Naissance dans l'Amour, c'est-à dire son engendrement dans la Vie du Vivant. A bon entendeur...



 Image de l'exposition issues du site du Collège des Bernardins à Paris
Texte de Robert Empain, 2010

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