dimanche 26 avril 2015

La fureur du Prince


Grâce à toi Thierry Berlanda

Alors que je terminais la lecture de La fureur du Prince, le dernier roman paru et le second tome de la trilogie de Thierry Berlanda, j’apprenais que quelques jours après sa parution la version brochée de ce livre était déjà en rupture de stock ! Cela ne m'étonna pas de ce roman magistral, qui, non content de nous captiver du début à la fin, agite en nos âmes bouleversées des choses cachées depuis la fondation du monde, selon la formule de l’évangéliste Matthieu. 

Je ne suis ni critique littéraire ni expert en littérature policière, mais j’en ai assez lue et vue adaptée à l’écran,  pour dire que Thierry Berlanda nous distille livre après livre un genre subtil de roman noir à la fois philosophique, mythique et alchimique. 

Dans un genre romanesque qui a donné tant d’oeuvres extraordinaires à la littérature, au cinéma et à la télévision, mais qui, comme tant de choses de nos jours, tend à s’épuiser dans le maniérisme et la surexploitation commerciale, il est rare de voir se marier avec art les ingrédients obligatoires du genre : intrigue savante, criminels diaboliques ou psychopathes, enquêteurs géniaux, atrocités inédites, rebondissements inattendus, suspens haletant etc, avec une écriture documentée et même érudite, un style aussi vif que ciselé, et surtout avec la langue inouïe que Thierry Berlanda nous fait entendre depuis Tempête sur Nogales, un roman antérieur à cette trilogie. Mais à toutes ces qualités rares, il faut ajouter l’empathie réelle et communicative - communicative parce que réelle - de l’auteur pour des personnages qui prennent chair par son verbe, y compris son héros criminel, pour lequel l’auteur semble lui aussi éprouver une troublante fascination.

Ce héros, un Prince dont on va connaître la fureur, est d’abord un enfant, un prince déchu de ses titres héréditaires à la mort de son père, un roi assassiné dans son palais lors des soulèvements populaires de la révolution iranienne. Le prince orphelin, exilé à Paris avec sa mère, une danseuse devenue prostituée, grandit dans la honte et le ressentiment. Ruminant sa vengeance et le retour de sa puissance perdue, le Prince devenu adulte sombre dans un délire et une rage qui le poussent au meurtre de sa mère qui, réduite à la misère, songeait à vendre le précieux Insigne royal de son fils, la preuve de ses origines royales.
Une telle âme en fureur dans un corps rugissant on l’aurait dite autrefois possédée du démon. De nos jours, où l’on ne croit plus ni à Dieu ni à Diable, on diagnostique un psychopathe. Quoiqu’il en soit, notre Prince délirant se lance dans une série de meurtres rituels macabres, sensée régénérer sa condition royale, qui va plonger la France entière, presse, police, institutions pénitencières et psychiatriques, ainsi que les lecteurs de Thierry Berlanda, dans une fascination à la fois révulsante et délectable. 
Voilà donc l’alchimie de Thierry Berlanda, son oeuvre au noir dirais-je, avec laquelle il entend chauffer à blanc notre fascination immémoriale pour le crime et la mort pour en sonder la cause cachée et provoquer, peut-être, une catharsis, une apocalypse, une révélation, une transmutation salvatrice.


La fureur du Prince, le second tome de la trilogie
de Thierry Berlanda, fait suite à L'insigne du Boiteux
parus chez NL. Le troisième tome est a paraître


Cette cause cachée, le philosophe Thierry Berlanda la connaît aussi parfaitement que son Prince l’ignore et s’en trouve ainsi possédé. Si on la dit cachée cette cause c’est en vérité que nous préférons nous la cacher alors même qu’elle fonde notre humaine condition et nos civilisations mortelles, nous poussant à nous entretuer depuis la fondation du monde, à venger nos crimes par d’autres crimes, nous maintenant dans une culpabilité indicible, nous faisant causer dans le vide et errer dans la nuit, alimentant nos manques à être et nous persuadant que nous sommes jetés là pour la mort. 

Et cette cause n’est autre que le meurtre perpétuel de l’homme par lui-même. 

Voilà dite l’inaudible cause ! Voilà rappelé ce que les mythes ne cessent de nous raconter, ce que les éveillés, les envoyés du Ciel, prophètes, apôtres, mystiques, poètes, écrivains, artistes, et nombre de penseurs inspirés, ne cessent de vouloir faire entendre aux sourds volontaires que nous sommes, qui s’empressent de jeter ces véridiques aux oubliettes, voire même, comme cela arriva à Celui qui nous les envoya et qui vint en Personne, d’être crucifié et de ressusciter pour nous ouvrir les yeux et les oreilles. Celui qui a dit : « Ce monde passera, mes paroles ne passeront pas. » 



Homme dévoré par le Serpent. 1992


Si donc, en ces temps absurdes, le philosophe et romancier Thierry Berlanda convoque un Prince criminel pyschopathe dans une trilogie exemplaire c’est évidemment pour sonder en son âme malade la cause cachée à l’origine du mal, pour démasquer en lui un autre Prince, plus ancien, plus malin, celui que nous révèle la Genèse par exemple comme Prince du mensonge et Principe de notre monde. Ce Prince, qui a été reconnu par les meilleurs enquêteurs sous de multiples identités : Lucifer, Serpent, Satan, Malin, Adversaire, Séparateur, Diable, Belzébuth, Ahriman, Léviathan, est partout et toujours l’Ennemi Numéro 1 des vivants, toujours à la manoeuvre en chacun et en tous depuis l’origine, depuis Adam et Eve, parents archétypes de l’humanité, qu’il trompa et poussa à la mort, depuis Caïn, leur fils, qu’il posséda et poussa au meurtre de son frère Abel, et ainsi de suite de ses oeuvres interminables.
Ce que nous dit ce Prince du mensonge pour nous rouler à chaque coup dans son Enfer est parfaitement connu : « …mangez donc du fruit de l’Arbre de la Vie, chers enfants, vous n’en mourez pas, vous serez comme Elohim, connaissant le bien et le mal… » 
Autrement dit : gentils humains, vous êtes libres de prendre le pouvoir, de vous faire un monde à vous et d’y régner à jamais ! Passez-vous donc du Bon Dieu et de son Fils, de ce Je suis qui Je serai et de ses lois impossibles, devenez des princes, des dieux à perpétuité en vous appropriant la vie et ses pouvoirs, la votre de vie comme celles de vos semblables et faites de tous et tout les objets de vos jouissances. Vous ne mourez pas du tout, vous vivrez éternellement sous le règne de vos désirs.
Et nous avons cru ce Prince et nous le croyons assez pour en faire le Roi de nos âmes où il instille son Principe mortel : Tu n’as nul besoin de croître dans la connaissance de la Vie, nul besoin de donner ce que tu as déjà, il te suffit de n’aimer que toi, il te suffit de prendre tout pour toi et de tout consommer.
Très fort le Prince !


Caïn. 1996


C’est pourquoi face à ce Prince déchu possédé jusqu’à la moelle par le Principe meurtrier, qui le pousse à tenir pour rien la vie de ses semblables, Thierry Berlanda pose Jeanne, une jeune femme spécialiste de l’Iran, consultée par les enquêteurs, une maman qui aime son fils Léo plus qu’elle même. 
Jeanne, à la fin du premier tome se retrouve face à l’Ennemi qu’elle pourchassait. A ce moment précis, Jeanne découvre en elle une énergie inconnue qui la sauvera des griffes du Prince diabolique, elle et son fils. De même, au terme du second tome, alors que le Prince s’est évadé de son asile psychiatrique, une forteresse dernier cri qu’il a réduit en passoire sanglante, Jeanne se trouve une nouvelle fois face à face avec lui.  Voici ce passage : « … Puis elle a grimpé les marches du perron à quatre pattes, lentement mais sans renoncer, bien que tous ses membres s’y soient refusés.  Il faut ! Il faut ! C’est à moi de faire ça !  Maintenant, elle est rencognée contre la double baie en haut du perron, couchée sur le ventre, enfoncée dans le sol si elle avait pu. Elle est pétrifiée de froid, mais ne le ressent plus. La peur, si. Ce n’est plus une peur qui lui ôte tout courage, comme les phobies qui la paralysaient jusqu’à récemment et l’empêchaient d’agir et même de penser. C’est une peur qui, au contraire, le mobilise contre ce qui la cause, comme lorsqu’elle avait lutté pour protéger Léo, l’hiver dernier, dans l’appartement de Paul. Et cette peur là, elle sait bien que ce ne sont pas deux hommes qui se battent dans un salon qui peuvent lui provoquer. Non, cette peur-là vient la cueillir enfant dans son lit et la ramène à ce qui n’a aucune consolation dans ce monde. Elle est le signe de ce qui se déverse à gros bouillons au fond du coeur des hommes, dans l’âme acharnée de Caïn, depuis un passé qui ne passe jamais, bien qu’on le croie cadenassé sous le socle de la civilisation, risettes et convenances, mais qui peut faire brèche à tout moment : l’énergie noire.  Yeux grands ouverts, Jeanne se laisse envahir par des images de Léo, aussi de Paul, de leurs visages doux, de leurs décollages à plein régime quand ils se moquent d’elle parce qu’elle a employé un mot de plus de trois syllabes, et elle se dit que si elle doit mourir maintenant, ce sera dans le souvenir de leurs rires. » pages 278 et 279. Et un peu plus loin, page 281 : « Jeanne est à terre à ses pieds. Il n’a pas l’insigne ! Il ne me tuera pas ! "Tu ne me tueras pas, Prince Akhavan ! " Jeanne se redresse et fait face. Et c’est comme tenir tête à la soufflance d’un réacteur. "Sans alamat é ma’loul, tu ne pourrais renaître au sein d’une autre mère !" »  

Voici nommée « énergie noire » la cause cachée et inaudible du mal, le Principe malin et immémorial qui possède et pousse tous les Caïn du monde à tuer leurs semblables, à perpétuer ainsi leur propre meurtre, à s’exiler indéfiniment de l’Eden, qui est la connaissance et la jouissance de la Vie éternelle, pour tomber dans le cercle des princes malades de la mort.
Cette énergie noire, folle et furieuse, et la peur qu’elle suscite en nous dès l’enfance, est, nous dit l’auteur « sans consolation en ce monde » et « elle peut faire brèche à tout moment en chacun de nous ». Pourtant, Jeanne face à l’énergie noire du Prince, qui est sa fureur, parvient à dépasser sa peur pour retrouver cette autre énergie qui l’avait déjà sauvée lors du premier face à face avec lui. Relisons ce passage où il est dit comment elle y parvient : «  Jeanne se laisse envahir par des images de Léo, aussi de Paul, de leurs visages doux, de leurs déconnages à plein régime quand ils se moquent d’elle parce qu’elle a employé un mot de plus de trois syllabes, et elle se dit que si elle doit mourir maintenant, ce sera dans le souvenir de leurs rires. » 

Ce passage est à mon sens le passage secret de ce livre. Ce passage s’ouvrira à ceux, plus nombreux qu’on ne le pense, qui s’y sont déjà avancé quelque peu. Entrons dans ce passage et écoutons son secret : pour vaincre l’énergie noire, la fureur du Prince qui nous possède et nous pousse au meurtre incessant de nous-mêmes, il faut retrouver comme Jeanne l’énergie de l’humble amour. L’humble amour nous conduit à la Source cachée qui nous cause, qui nous veut vivants et non morts : la Source de Amour infini de la Vie. L’Amour de la Vie est infini parce qu’il est assez humble pour se donner à nous, pour venir et revenir sans cesse en nous qui ne serions pas sans lui. Oui, en vérité, la Vie nous aime malgré notre prétention à vouloir nous passer d’elle, malgré notre obstination à lui préférer la noirceur de l’oubli et l’énergie noire du non-amour, la maladie passagère de la mort.

Grâce à de tels passages des livres peuvent nous délivrer du monde absurde dans lequel nous croyons être jetés à jamais. Alors que les concepts savants et les brillantes démonstrations échouent à nous toucher là où ça fait mal, là où est le mal, les vrais romans murmurent à nos coeurs des choses cachées depuis la fondation du monde, et révèlent aux petits ce qui demeure caché aux Sages et aux Princes de ce monde.

Grâce à Thierry Berlanda, le philosophe qui s’est fait romancier pour que dans les rugissements du Prince de ce monde nous entendions murmurer la Vie dans le coeur de Jeanne.  
 


Texte, illustrations de Robert Empain


dimanche 19 avril 2015

Le combat spirituel de Salvador Dali


 Grâce à toi Salvador Dali


par Robert Empain



Autoportrait mou au lard grillé. 1941



Salvador !

Figueras est à une demi heure d’ici. Une visite à Salvador Dali en son nouveau Musée s’impose donc.
Pas de doute, pour Dali le visible est pourri. Sa vision paranoïaque-critique, semble frappée d’une haine inquiète du visible.  Le monde ? Hypocrite trompeur, halluciné. Mais aussi farce miraculeuse.
La vue ? Un leurre. La réalité ? Un simulacre terrible, grotesque. Ce qui fascine Dali : « ...le grouillement des larves et des mouches ivres sur la putréfaction d’un cadavre…» Un âne pourri est à ses yeux « ...le reflet aveuglant et dur de nouvelles pierres précieuses. » Pour Salvador Dali la mort se repaît perpétuellement du monde et se mue en « un mirage miroitant, fallacieux, mais jouissant. »

Je ressens ce que Dali a pu éprouver en me remémorant une expérience de mon enfance. Je devais avoir six ans quand, par un après-midi d’été,  je trouvai, dans l'herbe haute du jardin d’une église, un oiseau mort. Je le retournai avec une branche et je découvris, en sursautant d'horreur et de dégoût, que par dessous il était dévoré par une multitude de petits vers grouillants ! Je revois et je revis l’immonde se jeter dans mes yeux comme il a du se jeter dans les yeux de Dali. Je découvris à ce moment précis, moi aussi, la dévoration cachée derrière les apparences trompeuses du monde, et cela d’autant plus que l'oiseau semblait intact à première vue. J’en ai à nouveau le haut le coeur, comme si les vers dévoraient mon estomac d'enfant, et j’imagine Salvador blême comme moi, frappé de ce même dégoût, saisit d’effroi lui aussi par le secret du monde.

Seulement, le dégoût du grouillant, de la mort carnivore,  vivante donc, se mêlent, chez Dali, d’une appétence pour le morbide (que je n’ai pas), mais encore d’une salutaire mise à distance humoristique qu’il est rare de posséder à ce degré. Il me semble que cette répugnance fut la scène fondatrice d'où toute sa peinture sortira et que ses peintures sont les seules, à ma connaissance, à produire à la fois le dégoût physique et l’éclat de rire salvateur.



Deux figures sur une plage. Les désirs inassouvis.1928


Son obsession de la perfection technique est d'ailleurs mise au service du but suprême du peintre qui est selon Dali d’atteindre « ... l’opalescence des couleurs qui fait que même les bruns de la terre la plus ammoniacale semblent s’enfiévrer de l’argent des grisailles, et les noirs profonds  et pourrissants  deviennent diamantins. » L’énigme de la matière organique résidant dans « le coefficient de viscosité divine » la peinture à l’huile et son extraordinaire viscosité matérielle, sa malléabilité gluante, sa soumission pâteuse, sa fluide transparence charnelle, serviront idéalement la cause des nouvelles images peintes, qui visent « en suivant le libre penchant du désir, à déployer leur activité mortelle et à contribuer à la ruine de la réalité, au profit de tout ce qui, à travers les infâmes et abominables idéaux de tous ordres, esthétiques, humanitaires, philosophiques etc, nous ramènent aux sources claires de la masturbation, de l’exhibitionnisme, du crime, de l’amour. » 
Cette prophétie surréaliste datée de 1931 a opéré depuis un vaste passage à l’acte dans la société universelle des images et des leurres, celle-ci rivant désormais tout un chacun à la place du voyeur pornographe, adorateur de la mort grouillante en direct.
Je pense, ne me fiant qu’à moi-même et non plus à ses déclarations volontairement outrancières, que les images peintes par Dali, que je distingue de véritables tableaux,  ont le mérite de démontrer le mensonge, non pas du réel ou de la réalité, mais de toute image, de toute forme de représentation, de toute idéalité, qui, réflexives, spéculaires par définition, sont toujours trompeuses, médusantes, morcelantes et ainsi potentiellement schizoïdes et pathogènes.



L’âne pourri.1928



L'œil morbide, analytique et avide de Dali, frappé de dégoût et de nausée, contamine son style. Ses images qui veulent démasquer la duplicité du monde et de ses représentations sont ainsi doubles, triples, quadruples, kaléidoscopiques, et piégées, cryptées, visqueuses, empoissonnées, dégoûtantes, diluantes, nauséeuses elles aussi car elles veulent mettre en péril par le dégoût et la nausée notre crédulité béate, nos fictions scopiques, la façon projective et constante que nous avons de fabriquer notre vision de la réalité et de nous y engluer.
Ce que dénoncent par anticipation les images peintes à la perfection par Dali c’est la façon dont le vingtième siècle allait amplifier jusqu'à la folie la puissance mensongère de l’image pour en venir à falsifier totalement la vérité du monde, comme celle des hommes et de la vie.
Mais chez Dali le délire humoristique l’emporte sur le didactique : ciels, nuages, rochers, plages, corps, visages, barques, branchages, horloges, montres, bref, tout vient fondre dans la fournaise d’une apocalyptique digestion gluante. La matière, l'espace, le temps, les vivants se dissolvent sous l’effet du pinceau infernal du démiurge Salvador.


L’image disparait. 1938



Il y a dans son oeuvre un diagnostic prophétique, une démonstration magistrale par la psychose expérimentale, sa fameuse méthode de paranoïa critique, de la psychose générale et caractérisée de notre époque par laquelle toute réalité vivante se dissout sous l’œil acide, fictif et tyrannique du temps, le temps dévorant des horloges, le temps oppressant des machines, le temps irréel dans lequel aucune vie humaine ne peut vivre.

Dans L’Angélus de Millet, Dali voit « l’oeuvre picturale la plus troublante, la plus énigmatique, la plus dense, la plus riche en pensées inconscientes qui ait  jamais été » mais aussi « un temps ossifié ». Pourtant, il s'agit dans ce tableau de Millet de célébrer l'Annonciation, le Salut de l’Ange Gabriel à la Vierge Marie, le moment où la grâce divine opère l’incarnation du Verbe, du Vivant Amour dans la matrice de Marie, et par elle en toute chair humaine exilée en ce monde ; la venue du Fils de l'Homme qui vient pour vaincre la mort et ressusciter les hommes... Mais Dali ne voit pas dans L'Angélus l'heure de l'Annonciation, il voit l'heure tragique de la mort du Christ sur la croix !  La cloche de l'Angélus sonne pour lui le rappel terrible de l'heure de la mort de Dieu, le moment où le soleil a suspendu sa course, où le temps s’est ossifié en effet, et où la vérité a éclaté à la face du monde, où les voiles du Temps et du Temple se sont déchirés, où les corps se sont pétrifiés, où le Fils de Dieu est descendu aux enfers non ici pour vaincre la mort mais pour y jeter au feu infernal, et les faire fondre, les chairs coupables !
Mais Dali analyse son angoisse et exprime clairement son surgissement, car c'est dans « l’apparition de l’image de L’Angélus » qu'il voit « jaillir le drame insoupçonnable, caché sous les apparences les plus hypocrites du monde, dans le simulacre obsessif énigmatique et menaçant d’une soi-disant prière crépusculaire. » 


A travers ce tableau et tout tableau, ce qui menace Dali et avec lui tous les vivants c'est donc bien l’image ! L'apparition de l'image comme telle, car l'image de L'Angélus de Millet est ici l'image par excellence, l'image prototype, l'image à l'image de toutes les images, une image qui à l'époque de Dali était encore accrochée partout dans les cuisines et les classes d'école en Espagne pour rappeler à tous, selon lui, l'instant de la mort de Dieu. 

Cette image comme toute image est morte, elle arrête la vie et le monde, elle le tue et elle le montre. Elle montre des corps humains pétrifiés dans un monde pétrifié à l'heure où sonne la mort de Dieu. Mais plus encore : si de « l’apparition de l’image de L’Angélus » jaillit « le drame insoupçonnable caché sous les apparences hypocrites du monde » c’est que pour Dali, le monde est une représentation hypocrite, une illusion, une tromperie, une menace, une image mortelle. Car le monde et ses apparences sont aux mains du Prince, du principe trompeur qui est pour Dali l'Ange de la mort.
Tout le travail créateur de Dali est un combat spirituel dans lequel il va affronter l'épouvante. Car Dali va descendre dans son propre enfer intérieur pour faire face à ses angoisses, à ses démons, à ses monstres, pour les dévisager et les vaincre sur son terrain, la peinture paranoïaque critique. Ses tableaux vont amener dans la lumière le pouvoir chimérique des ténèbres, le pouvoir illusoire de l'imaginaire et la puissance de captation de l’image en tant que mort qui nous regarde.
L’artiste ne doit pas s’égarer du côté de l’image qui devient fatalement idole et l’idole est un objet satanique qui prend des formes toujours nouvelles pour nous tromper, nous assujettir et nous tuer spirituellement.
Mais Dali fait exception  et magistralement!
En exagérant à la perfection la mécanique trompeuse qui est à l'oeuvre, en retournant l'horreur en humour, en soignant le mal par le mal, il nous démontre comment l’image nous maintient sous son regard mortel et il lui arrache son masque.
Cela étant, il reste que ce regard n’est jamais celui de l’image ni celui du monde, car une image n'a pas de regard et le monde ne voit rien. Une image n'a aucun pouvoir sinon celui que nous lui prêtons. Son pouvoir est celui de notre propre regard déformé, de notre désir détourné, pétri de nos angoisses, de nos phobies, de nos délires imaginaires, irréels que nous projetons au dehors, dans l’image précisément, dans le monde que nous imaginons et que nous prenons pour la réalité véritable. Ainsi, les œuvres cauchemardesques, les déclarations outrancières et l’humour dévastateur et salvateur de Dali nous sauve de l'image tout en le sauvant lui-même. Dans ce combat livré dans les profondeurs des leurres, Dali est devenu son Nom : Salvador !



Deux morceaux de pain exprimant le sentiment de l’amour. 1940




Cher Salvador, tu es le Pape des ânes pourris, des montres molles et des âmes confondues. À coups de moustaches tu me remets les yeux en place. Je prends note avant de partir de ton précieux Secret Numéro 50 qui prouve que tu as trouvé au fond de ton enfer l'Ange Gabriel en personne : « Le peintre doit laisser un ange guider sa main afin de gagner l’immortalité. »  J’emporte ton rire salvateur et je te pique au passage quelques titres de tableaux pour les enfiler comme des perles sur le fil d’une phrase limpide :  « L’Âne pourri chair de poule inaugurale ossification matinale oreille du pape toréador hallucinogène sardane pentagonale autoportrait mou au lard grillé spectre de Vermeer pouvant être utilisé comme table tête de mort sodomisant un piano à  queue...»  




   
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Illustrations : tableaux de Salvador choisis sur le site du Musée Gala Salvador Dali de Figueras, à la page Catalgoue raisonné

vendredi 10 avril 2015

Bonjour Robert Empain, Je viens de télécharger votre ouvrage…




L'écrivain et poète Jean Lavoué est l'un des premiers lecteurs de mon livre Ad Imaginem Dei 1 L'oeuvre invisible. Qui plus est, au fil de sa lecture, il m'a écrit, il m'a offert ses impressions, ses pensées, ses élans, qu'il m'a autorisé à partager avec vous. La vie est donc plus belle aujourd'hui grâce à Jean Lavoué.  Cet homme est l'ami intime des arbres, des sources, des oiseaux et des poètes.
Les poètes sont ces vivants qui se souviennent qu'ils sont des arbres, des arbres qui marchent sur la Terre, des arbres enracinés dans des terres intérieures, des arbres de la connaissance où se retrouvent et se tracent les chemins vers le Ciel. Leurs poèmes sont des fruits cueillis dans leurs coeurs et offerts à tous, des fruits nourris de la Présence du Vivant mystère en eux, en tous et en tout. Merci Jean !


 

Bonjour Robert Empain,
Je viens de télécharger votre ouvrage magnifiquement illustré…

… Les cinquante premières pages me parlent et me touchent. Cette simplicité avec laquelle vous vous confiez, la liberté de ton, la qualité de l'écriture et la découverte pas à pas de cette grande sensibilité et culture artistiques qui sont les vôtres. J'aime en particulier ce passage sur le féminisme au sens de l'amour du Féminin... Mais tant d'autres choses aussi...

… Vous dire Robert que j'ai lu tout à l'heure ce dialogue avec Jung d'où est tiré le titre de votre ouvrage : magnifique ! J'aime la fulgurance des intuitions, la liberté de ton et cette force de l'Esprit, du Souffle, du Poème qui emporte tout ! Merci...
Je poursuis ma lecture...

… je viens de terminer la lecture de votre ouvrage dans lequel j'avais pu me plonger trois heures d'affilée jeudi après-midi.
C'est la force de l'expérience intérieure et de la foi bien sûr qui s'impose et à certains moments nous emporte vraiment vers ce royaume de confiance et de Présence auquel l'art nous introduit. Votre art, mais votre écriture aussi et l'enthousiasme qui la soulève... Merci de m'avoir ainsi initié un peu plus à la magie de la création picturale et à tout ce qui l'accompagne dans une existence comme la vôtre traversée d'éclats, de joie et de douleurs... Et toujours cette Vie, cet indicible, cet invisible sur la toile duquel se dévoile pas à pas l'oeuvre essentielle.

… c’est bien cette affirmation de foi que je qualifierai de "Johannique" en m'appuyant sur votre référence à l'Apocalypse, que l'on ressent en vous lisant et en recevant votre témoignage. Oui, sans doute l'oeuvre d'art est-elle une bonne médiatrice pour introduire à ce mystère de la Présence, mais encore faut-il accepter de se laisser guérir de nos aveuglements mondains et égotiques... Ouvrir les yeux : une voie toujours à dégager et à reprendre! Merci en tous les cas de me faire découvrir tous ces artistes et votre propre oeuvre qui ont été et sont chemin vers cette manifestation de la Vie en son plus haut mystère...

… Bien sûr, Robert, vous pouvez reprendre ce que je vous ai écrit en toute spontanéité et sincérité : sans doute pas suffisamment longuement au regard de la durable résonance de votre écriture entrecroisée de tableaux et de ce dévoilement du regard qu'opère votre généreuse et vigoureuse pédagogie !
Jean Lavoué



 Ad imaginen Dei 1 L'oeuvre invisible est téléchargeable sur iTunes store et sur Amazon 

Retrouvez Jean Lavoué et ses amis sur son blog L'enfance des arbres