mercredi 25 mars 2015

Aujourd'hui, fête de l'Annonciation perpétuelle


Grâce à toi Marie Mère de Dieu
Extrait de Ad Imaginme Dei 1 L'oeuvre invisible 

Le tableau comme Ange













 L'Annonciation par Robert Campin, 1420


Le Musée Royal d’art ancien de Bruxelles est à deux minutes à pied de l’agence et il est gratuit. J'y vais donc souvent regarder des tableaux, voire un seul tableau, le plus longtemps possible. Aujourd'hui, j’ai passé une heure avec l’ami Robert Campin rencontré cet hiver à Aix en Provence. 
Il faut regarder longtemps son Annonciation (1420), entrer dans le tableau, dans ce qui s’annonce là dans le temps peint : le tableau comme Ange, le tableau comme Annonciation même ! 
L’œil de Campin s’est démultiplié, les miens s’écarquillent. L’Ange Gabriel et la Vierge sont dans la même pièce, pourtant l'Ange semble être ailleurs : en vérité, il apparaît. Tous les objets de la  chambre de Marie, fenêtres, porte, table, cheminée, livre ouvert etc, comme les deux personnages, sont peints à la perfection, mais chacun d’un point de vue différent, non par maladresse mais  à dessein, car ainsi ils se donnent à voir de leurs points de vues propres, comme surgissant en eux-mêmes, de leurs corps, de leurs âmes rendues manifestes dans leurs corps. La lumière émanant de chacun, la précision de chaque détail, confèrent aux choses et aux corps une présence parfaitement surnaturelle : la table est ainsi parfaitement table, le livre est parfaitement livre et ainsi de suite pour tout. Chaque chose est révélée selon sa vérité idéale, pure, et vient à être présente en personne dans une simplicité majestueuse. Il s’agit de nous ravir, de nous ravir à l’espace perceptif familier, de nous conduire corps et âme, par le regard, hors du temps et de l’espace du monde humain, dans le temps de la Parole qui féconde et engendre la chair, le temps hors temps de l’Eternel, qui rencontre ici, à l’instant même, notre maintenant ; le temps divin de la joie vivante, de l'éternel Vivant au présent. L’humour participant de la grâce, tout s’amuse, tout joue, tout jouit dans cette chambre où à lieu en ce moment même la scène d’amour la plus incroyable de tous les temps !

Je songe une nouvelle fois au ridicule du mot Cubisme qui prétend signifier un progrès de la peinture, de la modernité en art. C’est un exemple de la contagion du vocabulaire de la technique dans l'art et de la stupidité moderniste selon laquelle l'art progresserait en se géométrisant ! Nous voyons de plus en plus se répandre les conséquences de cet aveuglement dans la laideur de l'architecture, publique et privée, dans les espaces urbains, les arts plastiques comme dans les arts appliqués, le design, la mode, la publicité etc. Le modernisme armé par la technique et ses calculs a poussé les créateurs à délaisser leur sensibilité et leur Nécessité intérieure pour devenir des techniciens qui répètent bêtement, sans vue d'ensemble et sans composition, les formes géométriques de base, se limitant le plus souvent à aligner des angles droits et des rectangles mal proportionnés, à assembler des matières artificielles et des couleurs primaires ou neutres. Partout l’enlaidissement, l'uniformité, l'ennui et le dégoût de vivre se sont répandus avec la production industrielle de bâtiments, de routes et d’objets dépourvus de rythme et de style,  des villes sans poésie, sans âme, sans vie. Le développement technique hâtif et aveugle jette des millions d’humains modernisés dans un mode de vie contraint et oppressant qui les pousse dans la dépression et dans l’échappatoire addictif de la consommation et du divertissement continus. La formule de Rimbaud «Il faut être absolument moderne» érigée en slogan, et complètement détournée de sons sens subversif,  étale ad nauseam ses effets désastreux !
Mais je reviens à l'ami Campin et à son Annonciation.
Je m’attarde sur les plissés des manteaux de l’Ange et de la Vierge. Les étoffes s’effleurent, bruissent et se plissent en plissant la surface lisse du tableau : elles s'aiment. Tout s'ouvre sans cesse dans ce tableau comme s’ouvre une fleur, comme un champs de lys et de roses qui éclosent perpétuellement. Tout s'annonce en tout.
Les manteaux, les vêtements ici sont des capes. Le mot cape, du latin cappa, donne le mot chapelle en français et signifie ce qui enveloppe, ce qui revêt. Ces vêtements, ces capes se plissant et s’effleurant figurent alors ce qui nous enveloppe, ce qui nous voile : notre chair mortelle dans laquelle ici, à l’instant, une autre chair s’annonce, une chair de résurrection s’anime et jouit par la puissance d'une Parole qui dit « Ave Maria Gracia Pleina » à laquelle répond une simple parole de Marie qui dit « Oui ». La Rédemption commence avec l'Annonciation qui est l’instant de l’Incarnation du Verbe dans la chair humaine ; Annonciation, Incarnation et Rédemption recommençant depuis à chaque instant de nos vies. L'art chrétien se charge de nous le rappeler. Et le miracle de cet art qui désire nous révéler la résurrection de la chair est qu’il le fait effectivement en ressuscitant notre chair à la pure jouissance charnelle par le regard. Car c’est notre chair spirituelle, qui est l'étoffe même de notre âme, qui ressuscite ici et se réjouit par la vision reconduite à sa source...
Pour l’ouïe, Gilles Binchois, contemporain de Campin, Josquin des Prés, Bach, Carpentier, Campra, Mozart et bien d’autres prendront la relève…




Magnificat Marc Antoine Carpentier








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