mercredi 18 octobre 2017

Jusqu’où ce voyage vers la lumière conduira-t-il Saskia Weyts?

Grâce à toi Saskia Weyts

C'est une grande joie pour moi d'annoncer et de présenter ici l'exposition de Saskia Weyts au Museu José Malhoa à Caldas da Rainha, au Portugal. Si Saskia est mon épouse, ma soeur, mon amie, et mon artiste préférée elle est aussi le soutien majeur de toutes les actions et expositions du groupe Grâce depuis sa fondation. Cette exposition dans une vaste salle muséale lui permet de présenter une rétrospective  du travail qu'elle a réalisé au Portugal depuis 2012, un pays fervent où elle a retrouvé un compagnon phénoménal qui a marqué son enfance : le vaste Océan !





A la recherche d’une maison au Portugal, Saskia Weyts la trouve en 2012 sur les hauteurs de Sobral da Lagoa, un village agricole proche de Obidos. Face à cette maison, deux rivières ont peint avec de l’eau, du vent et du temps d’immenses tableaux vivants, de vastes paysages changeants, tour à tour éclaboussés de la lumière solaire et des ombres des nuages passant. De son atelier, l’oeil et l’esprit peuvent s’envoler sur les chemins, les champs et les bois pour atteindre au loin la lagune d’Obidos et au delà, à perte de vue, le vaste Océan et le ciel infini où naissent les nuées. C’est en ce lieu béni qu’a commencé pour Saskia Weyts un nouveau voyage dans la peinture, vers ce qu’elle nommera le cosmos intérieur. 





Première étape de ce voyage: l’habitation du lieu 
Quiconque observe, attentivement, pour le peindre, un paysage, un océan, un ciel, un visage, un caillou ou une fleur, en vient à admettre avec Cézanne qu’il lui est impossible de peindre tel quel et en vérité ce qu’il voit devant lui. Ce que l’on peut tenter de peindre, de traduire en peinture, c’est seulement ce qui est vécu et ressenti dans l’observation attentive de ce qui nous apparait ; à savoir le phénomène. Saskia, comme les peintres et poètes véritables, est, selon la formule de Gaston Bachelard, une phénoménologue née, qui habite et travaille désormais à Sobral da Lagoa quelques mois par an. Là, elle se met également à habiter le paysage inépuisable qui s’offre à elle. Elle rencontre ses voisines portugaises et commence à parler leur langue. Chaque jour elle descend dans la vallée, la traverse jusqu’à la lagune, qui est comme un passage en douceur vers l’Océan, si puissant, si fascinant. Elle observe, elle explore, elle touche, elle sent, elle s’émerveille et se nourrit. Et un jour, modestement, elle se met à dessiner et à peindre des fragments de ce grand tout. C’est ainsi que le paysage peu à peu se peint en elle. 

Un jour, sur la plage de Foz do Arelho, à l’embouchure de la lagune, elle trouve une coquille d’huitre à fleur d’eau. Et plus loin une deuxième et bien vite une dizaine d’autres qu’elle emmène là haut à l’atelier pour les observer de près et réaliser que ces minuscules lieux d’habitation de la vie la plus élémentaire sont comme des lagunes en miniature, des microcosmes semblables au macrocosme environnant. Chacune de ces coquilles est faite de fines strates de calcaire exactement comme ces montagnes et ces falaises titanesques qui contiennent la lagune et la puissance océanique. Poursuivant ses observations et ses recherches, Saskia découvre dans le sol de la lagune de véritables mines de coquilles anciennes ; elle réalise que ces coquilles se sont accumulées ici depuis des millions d’années et forment en profondeur le sol de la lagune et de toute la vallée. Elle se met alors non plus à dessiner et à peindre les paysages de la vallée, de la lagune ou de l’océan, mais ces paysages miniatures extraordinairement variés qu’elle découvre dans ces vénérables habitations microcosmiques dans lesquels le regard peut tout autant voyager, se perdre et s’émerveiller. Elle peint ces coquilles à taille réelle sur de larges fonds blancs qui forment comme une aura autour de ces créatures minérales, mettant en lumière leurs reliefs étonnants tout en invitant le regardeur à s’approcher pour y pénétrer et y séjourner un moment. 




Deuxième étape: l’habitation de la peinture 
La peinture est une phénoménologie pour autant que sa pratique vise la chose elle-même, aille droit au phénomène, à son être propre, pour décrire ce qui apparaît là devant, mais non pas avec des mots comme en philosophie, mais ici avec de la peinture, des formes, des matières, des couleurs, porteuses d’émotions. Il s’agit toujours d’une rencontre en personne avec ce qui se montre, ce qui accueille, ce que l’esprit vient habiter, connaître et incorporer. La première étape du travail avait permis à Saskia d’incorporer la force particulière qui forme une coquille d’huitre bi-faces selon une loi immémoriale propre à cette espèce de mollusque. Et cette force n’est autre que celle de la vie qui habite cette créature, la force vitale qui construit autour d’elle l’habitation où elle vit et se reproduit en sécurité dans un milieu redoutable. Ce geste humble, en son principe, est semblable aux forces qui forment toutes les formes en ce monde et au delà de lui selon leurs nécessités propres. Ainsi en est-il de la lagune, de l’océan, des montagnes, des falaises, des paysages, du ciel et des nuages, ainsi en est-il des planètes, des galaxies, des étoiles, ainsi en est-il des carrés, des cercles, des triangles, des lignes et des courbes, comme de tous les corps vivants sur cette Terre. Saskia sait ainsi que le tableau est un lieu d’habitation pour le regard, un lieu d’hospitalité et de voyage pour l’esprit vivant qui s’y cherche et s’y trouve. 
Dans cette étape de sa création, elle cherche à former ses peintures selon ce geste vivant qui forme depuis des millions d’années les coquilles d’huitres sans jamais pour tant créer deux coquilles identiques. Les peintures de cette série sont ainsi faites de gestes rapides et précis qui transposent l’acte de création naturelle en un acte de création picturale. A l’aide de spatules de sa fabrication, la peintre pose sur le papier ou sur la toile brute ou blanche, des couleurs en épaisseur et en strates serrées, selon cette nécessité vitale qui lentement forme autour du mollusque son habitation. Mais ici le temps de cet acte est réduit à l’extrême et se déploie dans espace pictural bien plus grand que nature, ce qui donne à ces peintures une force considérable qui semble animer les couleurs et les matières. Les tableaux de cette série deviennent des grottes, des ravins, des lagunes, des montagnes, des continents en formation que l’esprit humain peut désormais habiter. 



Troisième étape du voyage: l’habitation de l’immensité 
Au terme de ces deux premières étapes, qui ont donné depuis 2012 deux séries impressionnantes, Saskia Weyts désirait revenir  au paysage océanique qu’elle trouvait de prime abord trop vaste pour être peint. Forte de son expérience, elle va peindre ces paysages comme elle a peint ses coquillages : comme des miniatures. Si l’oeil est capable de contenir l’immensité d’un ciel étoilé, si une flaque d’eau peut réfléchir le soleil et une coquille d’huitre un océan, c’est que l’infiniment grand habite l’infiniment petit, c’est que l’esprit voit et va où il veut. Ces paysages d’océan et de falaises colossales seront donc d’autant mieux donnés à voir qu’ils seront contenus dans les limites d’une humble demeure: une coquille. Ces miniatures constituent une troisième série de peintures commencée au Portugal en 2015. 



Quatrième étape du voyage: l’habitation de la lumière 
La lumière est un mystère : on ne voit pas la lumière, on ne voit que ses réceptacles. Comme la Vie, la lumière est invisible et rend visible et vivant tout sur cette Terre. Les couleurs par exemple qu’elle révèle en traversant la matière, en pénétrant notre oeil et en touchant notre esprit. Cette quatrième série de peinture, commencée en 2016, cherche à saisir la lumière extraordinairement puissante en ces lieux où elle pénètre tout : l’eau, l’air et la terre sans cesse mêlés et habités par cette lumière qui transparaît et irradie de l’intérieur de toutes choses, comme elle le fait d’ailleurs dans les peintures de Patinir dont chaque objet et chaque créature semblent habités par une lumière propre. Cette série se développe souvent sur de plus grands formats, non plus en épaisseur, mais en transparences ; la couleur, qui est lumière, pénétrant le papier en profondeur comme elle pénètre en ces lieux l’eau et l’air, les feuilles et les fleurs... Jusqu’où ce voyage vers la lumière conduira-t-il Saskia Weyts, sinon vers celle de la Vie qui illumine son cosmos intérieur. 



Saskia Weyts Cosmos intérieur
 Museu José Malhoa 
Caldas da Rainha Portugal 
 26 octobre - 3 décembre 2017



Illustrations : Images des tableaux de Saskia Weyts - 
Rappel les images ne sont pas des tableaux et inversement.
Texte : Robert Empain






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