mercredi 16 septembre 2015

L'Enfance éternelle


Grâce à toi Andreï Tarkovski

Alors que par centaines de milliers enfants et réfugiés sont tués ou noyés par la barbarie abjecte de notre temps, alors que l'Europe nantie, administrée, assistée ou pensionnée, réduit en quotas comptés l'asile à accorder à ceux qui crèvent à ses portes, alors qu'hier, dans la petite lorgnette défilante, une centaine d'amis me rappelaient affectueusement mes 66 ans - moi qui me sens de plus en plus comme un enfant réfugié dans la Main du Père - voici qu'un ange de passage - une musicienne de mes amis, nommée Solange Labbé - me remit en mémoire la séquence d'un film oublié qui marqua pourtant mon enfance et ma vie d'artiste: L'Enfance d'Yvan, d'Andreï Tarkovski.  

Dans ce film, le cinéaste et poète russe, commence par nous montrer l'enfance, notre enfance à tous, où chacun vient à naître à la beauté d'un monde qui lui est donnée avec la vie, et avec cette enfance il nous montre l'Enfance éternelle promise à ceux qui croient et qui voient que tout cela leur donné par grâce. Mais bien vite, ce film nous montre la défiguration et le meurtre constant de cette Enfance éternelle par ceux qui ne croyant en rien, en rien d'autre qu'eux-mêmes, en rien d'autre que leurs délires, leurs puissances de destruction, se croient maîtres de tout, de leurs vies comme de celles des autres, à ceux qui alors, interminablement, font d'un monde donné pour la vie un enfer pour la mort et des enfants du Vivant des inhumains en puissance, des monstres à leur image. 

Voici L'Enfance d'Yvan, en version originale sous titrée anglais. 





L'Enfance d'Ivan est le premier long métrage de Andreï Tarkovski. En rupture avec le cinéma de propagande soviétique, avec laquelle il ruse, ce film met l'accent sur la destinée individuelle.
 La guerre et les erreurs politiques y sont dénoncées comme destructrices de vie, d'amours, de promesses et d'avenir. Le jeune Tarkovski s'avance d'emblée dans une déshistorisation de la guerre qu’il montre comme une condition monstrueuse qui développe en tout être humain, en tout enfant - un enfant nommé ici Ivan, un partisan de douze ans dont la mère a été tuée sous ses yeux - un esprit de vengeance, une ténacité héroïque, qui ne sont rien d'autre qu'une folie froide, une impossibilité à vivre une vie humaine. 



Extrait du scénario du film :

 1. Coucou ! Coucou ! Une toile d'araignée dont les fils brillent au soleil
entre deux branches d'un noisetier comme les fissures d'une vitre brisée.
L'arbuste tressaille, les gouttes de rosée s'embrasent,
puis retombent en une cascade étincelante.
Debout derrière un jeune pin bien droit, Ivan regarde.
Il tend l'oreille. Il scrute les sommets des arbres
et attend que résonne le mystérieux coucou.




"Ce qui trouble dans ce film, dit Pierre Murat, c'est la dualité héros/monstre contenue chez l’enfant.  Antoine de Baecque écrit quant à lui : « l’enfant est l'être tarkovskien par excellence, celui qui sent le monde et ne le pense pas … il est d'abord un lieu de sensibilité  - une sensibilité exacerbée, qui porte le monstrueux … dont l’esprit d'innocence est traversé par le mal.  En effet : " Ivan mêle en son âme troublée les rêves heureux et les visions de mort, de meurtres et de tortures, et son corps innocent, la beauté frêle de ses membres fragiles, se marient aux cicatrices qui désignent la barbarie des hommes en guerre : tout le mal du monde est contenu dans son être."

Avec L'Enfance d'Ivan, Tarkovski détourne un cliché de la propagande du cinéma soviétique, celui de l'adolescence héroïque, pour élever l’enfance au rang d'une forme poétique et vivante livrée corps et âme à la puissance déshumanisante du nihilisme et de la barbarie.  " Monstre, martyr et saint, Ivan ne vit qu'à l'état de douleur. " conclut Antoine de Baecque.

"Mon enfance, dit Andréï Trakovski, a été très différente de celle d'Ivan qui vécut la guerre en adulte et en combattant. Tous les garçons russes de mon âge ont pourtant eu une vie très difficile. Dire que quelque chose lie Andréï Trakovski et Ivan, c'est rappeler la communauté de souffrance établie entre Ivan et tous les jeunes Russes de cette génération ... Certes, ce film, L’Enfance d'Ivan, a été bien reçu, mais il a été incompris de la critique … Il s'agissait plutôt de la première œuvre d'un jeune metteur en scène, donc une œuvre poétique à comprendre de mon point de vue, non du point de vue historique. Sartre, par exemple, a défendu ardemment le film …, mais d'un point de vue strictement philosophique. Pour moi, ce n'était pas une défense valable. Je recherchais une défense artistique, et non idéologique… Ce n'est pas l'interprétation de Sartre que je conteste. Je suis tout à fait d'accord avec cette vision : la guerre produit des héros-victimes. Il n'y a pas de vainqueur dans une guerre. … Ce que je conteste plutôt c'est le cadre de cette polémique : des idées, des valeurs étaient mises en avant, l'art et l'artiste oubliés."


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