dimanche 24 juin 2018

Là où l’air est plus pur, le ciel plus découvert, et Dieu plus familier

Grâce au Père Dom Jean Pateau
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SAINT JEAN BAPTISTE
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 24 juin 2018)


Vox clamantis in deserto.
Voix de celui qui crie dans le désert.
(Jn 1,23)


Saint Jean Baptiste au désert par Domenico Veneziano




La naissance de Jean-Baptiste accomplit le signe donné par l’Ange Gabriel à Marie au jour de l’Annonciation : « Voici que dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu elle aussi un fils, et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. » (Lc 1,36) Cette naissance miraculeuse révèle la vocation de Jean. Dieu rend fécond ce qui semblait irrémédiablement stérile, et Jean en est l’heureux témoin.
Alors que nous entendons les cris de l’enfant de la vieillesse, comment ne pas penser à l’étrange carte de visite que le Baptiste donnera aux prêtres, aux Lévites et aux pharisiens envoyés avec mission de s’enquérir de son identité : Voix de celui qui crie dans le désert. Jean ne révèle pas son identité, mais sa mission. Il est ‘Voix’. Sa vie, comme le montre déjà sa naissance, n’aura qu’un but : manifester « celui qui crie dans le désert ».

À quoi bon crier dans un désert ? Qui, perdu dans les sables des dunes, à perte de vue et sous un soleil écrasant, entendra cette voix ? Le désert pourrait-il être le lieu d’un quelconque bienfait ? Il semble bien plutôt le lieu de la mort. 
Mais est-il vraiment nécessaire qu’une parole soit entendue pour qu’une parole puisse être dite ? N’y aurait-il pas même certaines paroles qui ne peuvent se prononcer que dans un désert ? Le désert, disait Origène, c’est le lieu où « l’air est plus pur, le ciel plus découvert, et Dieu plus familier ». (Hom. XI,4 sur St Luc – SC 87,192) Autrement dit, le désert est le lieu par excellence où « Dieu fait grâce ». Telle est justement la signification du prénom « Jean », issu des mots hébreux yehô et hânan qui signifient : « Dieu est miséricordieux ».

Mais comment Dieu fera-t-il grâce si personne ne prête l’oreille à la Voix de Jean, si personne ne prend le chemin du désert afin d’écouter sa voix et de rencontrer la parole qui ne peut s’entendre que dans le désert ? Quitter le monde, gagner le désert, afin d’y prononcer la parole, telle est la vocation de Jean. 
Quitter le monde pour entendre la parole, tel est l’appel que doit mettre en oeuvre tout homme, pour autant qu’il soit attentif à sa vocation. Dès le sein maternel, Dieu s’est souvenu de Jean, il se souvient aussi de chacun d’entre nous. Nous souvenons-nous de lui ? Prenons nous le chemin du désert ? Attendons-nous sa parole ? Attendre la parole, ce n’est pas se contenter d’une demi-vérité, d’une réponse superficielle. 
Attendre la parole, c’est débuter un chemin qui semble ne pas vouloir finir. Jean est le poteau indicateur, il n’est ni le chemin ni son terme. L’interrogation sur l’identité de Jean ne reçoit pas de réponse.
Déjà, auprès de son berceau, les amis de la famille se demandaient : « Qui sera cet enfant ? » Aujourd’hui, on dirait : « Que fera cet enfant ? » Ils n’eurent de réponse que la prophétie de Zacharie : 

Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, 
qui visite et rachète son peuple. 
Il a fait surgir la force qui nous sauve... 
 Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé 
prophète du Très-Haut ; 
tu marcheras devant, à la face du Seigneur, 
et tu prépareras ses chemins… 
pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres 
et l’ombre de la mort pour conduire 
nos pas au chemin de la paix. » (Lc 1,68-69;76.79)


Quel est donc ce chemin de la paix ? Qui est celui qui crie dans le désert, celui qui est notre paix ? Le lendemain de sa rencontre avec les envoyés des Juifs, voyant Jésus venir vers lui, Jean déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » (Jn 1,29)

Depuis le premier péché, chaque homme a une fâcheuse tendance à se considérer comme le centre de l’univers. Compte tenu du nombre des êtres humains, cela fait beaucoup de centres pour un seul univers. De là naissent bien des conflits. Jean, lui, reçoit le Seigneur comme le but de toute vie. Le centre de gravité de l’univers, si l’on peut parler ainsi, ce n’est pas chaque homme, c’est Dieu, et c’est vers lui que chaque vie doit être réorientée.


Prophète. Huile, collage et aquarelle sur papier. 1996



Pour orienter sa vie vers le Seigneur, il faut renoncer à soi-même, s’oublier, s’alléger de ce qui alourdit ou qui fausse le cap ; prendre le chemin du désert, du dépouillement. 
Des hommes ont ressenti, dès les premiers siècles de l’Église, le besoin de suivre la vocation de Jean dans sa radicalité. Ce sont les moines. En renonçant à eux-mêmes, ils prennent le parti de chercher Dieu seul. 
Les paroles du prophète Isaïe appliquées au Précurseur attestent de la fécondité de telles vies cachées : 
Je fais de toi la lumière des nations,  pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre... Les rois verront, ils se lèveront, les grands se prosterneront à cause du Seigneur qui est fidèle, du Saint d’Israël qui t’a choisi. (Is 49, 6-7)

Pensons par exemple à l’impact de la vie monastique sur le Moyen-Âge et le développement de la chrétienté. 
Mais suivre Jean, ce n’est pas nécessairement gagner le cloître. C’est aussi travailler à faire de son coeur, Dieu aidant, un lieu où « l’air est plus pur, le ciel plus découvert, et Dieu plus familier. » C’est renoncer aux addictions qui emprisonnent, à l’alcool, à la pornographie, aux médias ; c’est bannir de son coeur l’esprit de haine, de colère, de murmure, de critique ; c’est se faire tout à tous.

Avec la naissance d’un enfant commence une histoire d’amour dont Dieu a l’initiative : « Dieu fait grâce. » Auprès de chaque berceau demeure l’interrogation : « Qui sera cet enfant ? » Ou plutôt : « Vers qui ira cet enfant ? » 
Si la grâce du baptême vient illuminer cette âme, elle sera appelée, en vertu du sacerdoce commun des fidèles, à devenir comme Jean la « voix de celui qui crie dans le désert ». Quelle place prendra effectivement la spiritualité du désert dans le développement de cette vie ?

La vie de Jean n’est pas une belle histoire qu’on se raconte, mais l’exemplaire de toute vie qui se prétend chrétienne. Dieu veut nous rendre féconds. Prenons le temps du silence, le temps de nous retirer loin des bavardages mondains et des mensonges des médias. Gagnons le désert, préservons en nos coeurs un désert, un lieu où « l’air est plus pur, le ciel plus découvert, et Dieu plus familier ».
Amen.
Illustrations :  Domenico Veneziano & Robert Empain

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