jeudi 16 août 2018

La phénoménologie de la religion selon Michel Henry


Grâce à toi Rolf Kühn 

  Voici le troisième article annoncé de Rolf Kühn que j'associe à la cause d'un Art pour la Vie que nous défendons sur ce blog ; Rolf Kühn est un des plus brillants penseurs et défenseurs d'une culture par et pour la Vie et l'un des plus éminents continuateurs de la phénoménologie radicale inaugurée par Michel Henry dont nous nous réclamons ici. Ces trois articles de Rolf Kühn prolongent la publication du texte de ma conférence Art et Naissance en Dieu, donnée aux Rencontres de culture chrétienne à l'Abbaye Notre Dame de Fontgombault, et publiée ici. Je renvoie donc le lecteur aux quatre derniers articles en relation publiés sur ce blog.
Puisque la Vie est pour Michel Henry avant tout une réalité, et non un simple concept, l’Absolu qui y correspond (en tant qu’immanence transcendantale au niveau d’une auto-affection qui peut fonder sa propre essence par une auto-génération) ne constitue pas une généralité, mais une Incarnation concrète avant tout temps au sens johannique. Cette proto-relation entre « Père » et « Fils » dans la Vie divine se comprend ainsi de même comme une « naissance éternelle» de l’âme au sens eckhartien, ce qui fait que la présence de « Dieu » est donnée à travers toutes nos modalisations pour éprouver la plénitude du vivre à tout moment. Une telle phénoménologie radicale de la religion englobe donc aussi l’éthique et l’art, car en sa «passibilité» foncière le lien religieux originaire fait naître simultanément la force de tout agir.



Fils dans la Vie. 2013

I. Absolu et invisibilité de la vie à partir de l’éthique et de la culture


1. Il est impossible d’avoir conscience de l’Absolu comme on a conscience de quelque chose. Un savoir absolu comme celui que visait Hegel reste également une conscience d’objet ou de ce qu’on voit. Ce savoir absolu est faussé dans son principe même étant donné que la conscience hégélienne se représente elle-même dans un voir qui nécessairement objective sa propre nature. Il est très important de distinguer une subjectivité phénoménologique absolue de ce savoir absolu idéaliste si l’on veut saisir correctement cette absoluité spécifique du savoir de la vie pratique, culturelle ou religieuse selon Michel Henry. Cela seul peut nous éviter tout projet de totalisation éthique ou politique au nom de l’Histoire ou d’autres hypostases (race, nation, classe, progrès, confession, etc.) (1) . Si la religion de la vie est une culture de la vie invisible, elle ne peut jamais se retrouver en un dernier objet comme chez Hegel, dans un objet absolu qui serait finalement elle-même (2).
 
2. Ainsi, l’invisibilité de la subjectivité phénoménologique pure connaît bien une « transcendance » immanente par rapport à l’Origine de l’auto-devenir de la vie absolue, mais sans que cette transcendance représente pour autant une généralité ou une dialectique objectives à l’égard de la subjectivité. La vie absolue est l’ipséisation auto-affective de cette subjectivité, ce qui laisse éclore l’éthique et la religion en son cœur passible même. En ce sens, celle-ci éprouve en elle une certitude inébranlable quant à son pouvoir d’évaluation des valeurs, une foi en cette donation absolue de la vie qui, dans une auto-affection sans distance et refus possibles, inscrit la source de toute valeur et religio au cœur même de chaque Moi. Si donc une telle éthique et religion est en un certain sens la culture même, toute culture véritablement vivante ne peut manquer de renvoyer à un Absolu immédiat au lieu de s’ériger elle-même en absolu par un projet d’autonomie illusoire, comme la technique se le propose aujourd’hui. Un savoir bâti sur un voir théorique, scientifique, technique, monétaire, etc., implique une maîtrise du vu qui doit s’intégrer dans le projet du voir qui lui est supérieur en tant qu’objectivité, progrès, bien commun. C’est une logique implacable qui préside à l’activité de ce sujet occidental de la connaissance, c’est-à-dire de cet homme-vision se modelant finalement sur ce qu’il voit : il ne devient pas seulement principe d’objectivité, comme dans la philosophie classique, mais finalement l’objet lui-même, comme dans les épistémologies modernes héritières de cette philosophie de la connaissance-lumière.
 
3. L’analyse phénoménologique de la toute-puissance et de la domination dans la culture est construite ici à partir de l’hétérogénéité entre le voir ek-statique et le vivre immanent ou religieux. Cette distinction ne se révèle donc pas seulement possible, mais d’une importance décisive pour fonder une véritable liberté créatrice obéissant à la modalisation des lois intérieures ou pathétiques de la vie. L’éthique et la religion du non-voir de la vie exclut que n’importe quel « autre » soit obligé de s’exhiber par le discours, l’action efficace ou les confessions idéologiques. La légitimité de sa vie ne réside en effet dans aucune démonstration visible, mais dans le fait transcendantal de sa « naissance » dans la vie absolue et par celle-ci. Ce respect qu’on peut appeler méta-éthique est donc, en même temps, religieux puisque le lien culturel avec autrui émane du lien commun qui immerge chacun en la vie absolue. Cette éthique culturelle ou cette culture éthique implique, par conséquent, une évaluation catégorique du savoir matériel et objectif comme relatif – le savoir subjectif étant le seul à être absolu. De cette manière, il n’est bien entendu pas question de cesser d’organiser le monde matériel afin que la vie – qui est « nécessité de vivre » et donc répétition – soit possible en suivant son mouvement propre. On n’y cherche toutefois plus l’essentiel de ce que nous sommes. Toute idéologie se trouve ainsi exclue si on entend ici par idéologie la réduction de la vie humaine et transcendantale en dernière analyse à un aspect partiel, qu’il soit d’ordre biologique, social, politique, confessionnel ou philosophique (3). Une phénoménologie radicale de la culture ramène donc constamment à la Vie absolue au lieu de la fuir. Elle fait entrevoir un savoir religieux de la vie qui rend possible la vie en coïncidant avec son essence même en tant que pouvoir sensible, affectif ou pulsionnel.
 
4. La vie est sacrée au sens éthique dans la mesure où elle réclame un respect absolu, interdit toute forme de viol et de meurtre. Elle est également en ce sens le support de tout ce qui est religieux. Dans la mesure où la vie, à la différence de l’exhibition objective, n’implique aucune domination et aucune séparation du type sujet-objet, elle est une pure passibilité vis-à-vis d’elle-même. Ma naissance absolue dans la vie implique ainsi une non-position par moi-même, contrairement aux philosophies idéalistes et existentialistes. Je dépends d’un commencement absolu et de son immémoriabilité généalogique totale. C’est ce qui caractérise la vie à chaque instant de mon existence. La vie transcendantale est également radicalement passible vis-à-vis d’elle-même. C’est cela qu’expriment les notions phénoménologiques de pathos, d’auto-affection, d’intensité ou encore d’épreuve attribuées à la Vie en tant que telle. Cette passivité foncière, primordiale et plus ancienne que toute liberté, ôte tout droit de toucher à la vie dans la mesure même où celle-ci ne se donne que sous cette condition de ne pas pouvoir être déliée d’elle-même. Si de cette épreuve pathétique émanent des forces-potentialités culturelles intrinsèques, la religion peut de façon plus particulière être considérée comme cette « forme de vie » qui – culturellement et eidétiquement – a toujours exprimé cette vérité fondamentale que nous sommes sans aucun pouvoir contre le pouvoir qui nous fait vivre. L’ipséité pathétique que je suis se décline donc comme un non-pouvoir fondamental. Ce lien passif avec moi-même crée un lien transcendantal indissoluble qui fait que je suis un « moi » à l’accusatif, un moi qui porte une investiture à la fois individuelle et divine inaliénable.
 
5. La dimension religieuse de la vie consiste en ce mystère abyssal qui est au cœur de toutes les traditions culturelles authentiques, à savoir que je suis tout entier ma vie sans que je ne sois pour rien dans cette donation offerte à tout moment. Cette auto-donation passible de la vie à elle-même – qui implique néanmoins tous les pouvoirs du « Je peux » de l’ego transcendantal ou actif – est le fondement phénoménologique qui met la réalité même de chaque vie en relation directe avec la vie de Dieu. Le respect infini à l’égard d’autrui et de soi-même en tant qu’ethos implique un fondement de cette épreuve, à savoir l’Infini, qui n’est pas seulement un téléologique théorique inachevé, une idée-limite selon Descartes, Kant et Husserl, mais une Réalité en tant que source ou force de vivre à chaque fois actuelle. La religion paraît ainsi comme une manifestation culturelle qui, à la fois, parachève l’auto-accroissement de la vie par la célébration de son Origine et permet la reconnaissance des modalités phénoménologiques de la vie comme l’auto-révélation de « Dieu » lui-même. Cette analyse pourrait être appliquée à toute religion et implique en tout cas toujours, à son sommet, l’inouï de la vie qui bascule dans la mort lorsque elle doit céder la place à des substituts abstraits. Il suffit de voir surgir aujourd’hui de nouvelles villes purement uniformisées et pour certaines d’entre elles dépourvues de temples, d’églises, de statues ou d’autres monuments, pour saisir sur le vif cette agonie culturelle déjà consommée qui demande un retour à la seule source vivante qui existe – la vie justement – pour laisser espérer une nouvelle régénération (4).


II. Naissance en Dieu » et Auto-Révélation de la Vie

6. La phénoménologie de la religion telle que nous la développons ici à partir de la pensée de Henry permet donc une compréhension de la Réalité de Dieu en tant qu’immanence absolue. Puisque chaque « homme » trouve sa naissance primordiale en cette immanence de Dieu, à savoir comme vie auto-affectée, on peut même parler ici avec Maître Eckhart d’une Naissance en Dieu même (5) . Tout instant de notre vie nous permet de vivre nos affections et événements comme inscrits dans la Vie de Dieu, dans son Auto-Révélation sans distance ou représentation. Dans le cadre d’une recherche phénoménologique toujours plus radicalisée et qui devient ainsi une phénoménologie contre-réductive au sens de Henry, « Dieu » ne peut plus relever du domaine conceptuel, au sens ontologique ou au sens causal d’une métaphysique classique. En effet, tout concept n’est pas seulement soumis ou lié à l’intuition husserlienne avec sa régression infinie, mais il implique toujours aussi, par ce fait même, un doute principiel qui laisse la possibilité au développement de toutes les négations de la vie ou athéismes pensables. Ce ne sont donc pas ces formes de nihilisme historique ou moderne qui en tant que telles font problème. On peut toujours leur trouver une certaine plausibilité herméneutique ou épochale. Ce qui est ici en cause, c’est Dieu en tant que cette Réalité apodictique qui est à l’origine de nos vies mêmes. Si, par réduction transcendantale, j’arrive à saisir ma subjectivité même comme passibilité originaire, je ne peux manquer d’assumer également en celle-ci la certitude co-extensive que ce n’est pas moi qui suis à la source de cette vie que je suis, que celle-ci m’advient hors de toute auto-position de ma part.
 
7. Le fait que la certitude de mon origine passible se fonde dans l’immédiateté d’un sentir pur ne peut manquer en ce sens d’avoir des implications fondamentales quant au statut de la « métaphysique » (6). Celle-ci ne peut que renvoyer en dernière instance au lien substantiel entre la Vie phénoménologiquement absolue et ma vie purement passible en elle et à partir d’elle, ce qui implique un dépassement de la différence ontologique heideggerienne. Cette dernière, surtout en tant que temporalité pure ou Er-eignis, reste en effet attachée à un présupposé phénoménologique crucial, à savoir qu’il y a une Distance, comprise comme le premier Écart, indispensable à tout apparaître ou encore au sens de l’être7. Dans ma vie éprouvée passiblement, il n’y a aucune distance, aucun écart temporel, spatial ou logique qui me sépare de la Vie phénoménologique pure ou absolue. C’est en ce sens que le terme de métaphysique désigne ici une dépendance et une identité beaucoup plus radicales que toute émanation créationnelle ou analogique à partir d’un Être suprême ou d’un Dieu dont l’apparaître serait lui aussi subordonné à la neutralité, l’anonymat de l’ek-stase, de la transcendance. Du point de vue de l’auto-affection immanente de tout ce qui est vivant, le terme de métaphysique chez Michel Henry renvoie à une Passibilité qui ne quitte jamais le Soi et forme sa réalité véritable à tout moment de sa vie éprouvée, c’est-à-dire une réalité à jamais non-représentée et donc non illusoire.
 
8. Philosophiquement, nous pourrions en rester là et ébaucher une pensée de la seule Finitude, comme on la trouve entre autres chez Merleau-Ponty et Levinas, au moins en ce qui concerne l’intentionnalité éthique ou récurrente chez ce dernier. Au contraire, pour une phénoménologie contre-réductive – ou matériellement passible au sens henryen –, la Facticité transcendantale est la révélation même de la Vie absolue à l’origine de ma vie individuée. Dans cette Facticité pratique ou vivante, c’est la Vie absolue elle-même qui se révèle. Mon épreuve d’elle n’est rien d’autre que cette Révélation sans distance ou retard au sens de Derrida. Par conséquent, là où il y a Révélation au sens éminent et primordial, c’est-à-dire comme l’essence même de la manifestation originaire, il y a religion si religio signifie le lien vivant se nouant absolument comme certitude intérieure. Une phénoménologie de la Vie absolue se situe entre la métaphysique et la religion constituée (8). En tant que discours philosophique, cette phénoménologie indique notre situation métaphysique radicale (Finitude), sans devenir pour autant une religion dogmatique (théologie), car elle reste attachée réductivement à la sphère de la coïncidence immédiate entre Donation et Révélation, sans passer donc par une quelconque médiation extérieure supplémentaire, que celle-ci soit Histoire ou Écriture. Ces dernières doivent être justifiées par le Logos interne de la Vie qui est « la Voie et la Vérité » au dire de l’Évangile de Saint Jean, ce qui veut dire qu’il y a identité entre Vie et Vérité, que la Vie constitue l’Accès à sa propre Vérité comme Vie divine (9).

9. En ce sens, la phénoménologie de la vie passible en moi renvoie à l’épreuve d’une Révélation à la fois immanente et immédiate. Elle ne peut donc manquer d’être en rapport avec la mystique comprise ici comme l’expérience même de l’éprouver en tant que tel, autrement dit l’auto-épreuve pure de tout éprouver. Dans la Finitude passible, il n’y a plus ni différence ni extériorité. Il y a seulement une affection vivante par elle-même. C’est pour cette raison que nous pouvons affirmer que l’expérience mystique ne s’appuie pas, par nature, sur quelque chose d’extérieur ou de mondain. Comme le remarque Henry, c’est cela même qui constitue la jouissance indicible de l’expérience mystique (10). Cette jouissance, pour être correctement comprise, doit être articulée à la question de la Nuit. Celle-ci est au cœur même de l’expérience concrète du mystique (11). C’est en ce sens que la mystique peut être saisie comme une critériologie de la phénoménologie contre-réductive. Même pour la réduction husserlienne, il existe au départ de l’analyse phénoménologique une « pauvreté absolue » (absolute Armut) de l’esprit ou de la conscience, une absence de possession d’une connaissance théorique préalable permettant de diriger la recherche (12). De la même façon, la mystique constitue une rupture sans appel avec toute « intuition » sensible ou intellectuelle. Aucune intuition ne peut atteindre la Réalité même de Dieu, autrement dit ce Dieu se donnant lui-même hors de tout horizon de représentation. En ce sens, sans nier aucunement le monde en sa valeur ontologique, la pauvreté, le vide de l’esprit – c’est-à-dire notre passibilité foncière – sont identiques à la plénitude même de la Vie phénoménologique absolue, celle-ci nous étant donnée à tout point de l’analyse contre-réductive comme pure présence auto-affective. Pour le dire encore autrement, cette plénitude manifeste est donnée par et dans toute modalisation vivante, même sur le plan le plus modeste.
 
10. Si la critériologie mystique, en sa co-donation intérieure du Tout et du Rien ou encore de la Joie et de la Souffrance, correspond à la démarche phénoménologique même sur son chemin entre métaphysique et religion positive, entre Finitude et Révélation pure, il importe de ne pas éluder le côté matériel de notre problématique. Jusqu’à maintenant, nous n’avons en effet que « tracé » la méthode formelle d’une recherche religieuse. Il faut maintenant nous diriger avec Henry vers son contenu même, lequel doit se révéler, en fin de compte, comme la Réalité de Dieu et la réalité de notre Naissance en Lui. Dans la perspective de la phénoménologie matérielle, c’est au sens le plus fort que je dois tout à la Vie phénoménologique absolue : je dépends de cette Vie de telle façon que je ne suis rien d’autre que cette dépendance même. Autrement dit, je suis le Besoin pur d’un moi à l’accusatif. À l’encontre de l’idéalisme allemand qui ne voit dans le Besoin (Bedürfen) qu’une contraction aveugle (Schelling) ou qu’un manque dialectique (Hegel), la réalité phénoménologique du besoin désigne ce Fait originaire que j’ai besoin, d’abord, de la Vie elle-même, avant d’avoir besoin de quoi que ce soit (13). Le terme de besoin n’a donc au départ rien d’intentionnel, comme c’est encore bien le cas pour le Souci (Sorge) chez Heidegger. S’il est évident que le besoin traverse toute ek-stase, il faut qu’il y ait, originairement, l’investissement absolu de ce besoin par la Vie même. Seul cet investissement absolument non-intentionnel, purement immanent, permet au Besoin de se modaliser en désir, effort et agir, cette modalisation purement pratique étant intérieure à son s’éprouver permanent (14).  Si nous laissons ici les détails de ces analyses de la modalisation immanente de la vie (15) pour ne cerner que le rapport entre le besoin et la naissance en Dieu, nous dirons que celui-ci – en tant qu’auto-besoin de la Vie à tout moment – apparaît nécessairement comme impliquant également à tout moment ma naissance en cette Vie. C’est dire que chaque besoin – en lequel mon moi est révélé à lui-même comme purement passible – est Révélation de la Vie absolue. J’assiste, à tout instant, à la Révélation du Dieu réel en mon auto-révélation à moi, laquelle est identique à mon auto-affection absolue. La Naissance en Dieu n’a, par conséquent, rien de statique, ni de temporel. Elle ne renvoie pas davantage à un plan créationnel ou encore à l’épreuve d’une perte voire d’une déchéance. Au sens de Maître Eckhart et Michel Henry, c’est un Naître éternel ou toujours neuf. La Réalité de Dieu impliquée dans le besoin le plus discret ou le plus récurrent n’est plus ici l’objet d’une conceptualisation ou d’une une intuition, mais est l’auto-donation même de cette Réalité. L’auto-apparaître de tout apparaître reste à jamais dépendant de cette auto-manifestation de l’auto-révélation en son Se-donner pur.
 
11. Sans entrer ici dans les détails, on peut ainsi soutenir que tout discours de la religion ou sur elle qui méconnait l’auto-révélation vivante ou immanente ne peut que reproduire toutes les difficultés bien connues qui sont liées à un Dieu-Concept ou encore à un Dieu-Chose (16). Nous ne voulons pas ce faisant nier la possibilité légitime de telles recherches. Toutefois, pour la phénoménologie radicale, il y a en toute rigueur coïncidence entre le processus et le contenu, entre l’existence et l’essence. Je ne peux plus me distancer artificiellement ou « scientifiquement » de cette Vie même. Si celle-ci, à tout moment, me permet d’en faire l’analyse réductive, c’est pour finalement se donner comme ce qui précède radicalement toute analyse, comme ce qui se donne de façon contre-réductive. Au bout d’un tel cheminement, prenant en compte ses conséquences ultimes, nous voudrions souligner qu’une phénoménologie entièrement contre-réductive, se situant donc dans l’auto-mouvement culturel de la Vie et dans l’Absolu de sa Révélation, ne peut être continuée que comme une phénoménologie radicalement pratique. Cette praxis – qu’il ne faut pas confondre avec un pragmatisme méthodique ou d’expérimentation (17) – est la conséquence intrinsèque de l’identité du besoin et de la plénitude en tout apparaître. Comme on en trouve déjà l’ébauche chez Pierre Maine de Biran (18), les modalisations immanentes et effectives d’une telle praxis doivent être saisies dans leur naissance permanente. Dans une telle perspective, à cause précisément du lien originaire entre besoin et culture, une telle praxis peut également être définie comme une esthétique et « théologie » élémentaire plus archaïque encore que la Lebenswelt husserlienne (19)
 
12. Une remarque supplémentaire, qui nous importe beaucoup, concerne l’aspect christologique de la problématique (20) Le Christ n’est pas seulement présenté par Michel Henry comme le Logos auto-affectif de la naissance en Dieu, mais aussi bien comme cette Affectivité singulière et concrète qui transforme toute histoire existentielle. Il est donc question ici d’une Affection réelle à la hauteur de la Liberté du Christ comme Fils de Dieu depuis le commencement. Nous éprouvons ainsi la « présence » d’une Affectivité pure au sens universel même qui, comme le montre la formation du canon des Écritures saintes, imprègne effectivement l’histoire des hommes sur terre (21). Ces analyses nous permettent de prolonger nos réflexions sur la « Naissance en Dieu » par une description de la vie ecclésiale et sacramentelle ainsi que par une interrogation sur la mort et de la résurrection de la chair. Ces mystères chrétiens ne sont pas liés, avant tout, à une symbolique distancée, mais justement à notre corporéité immanente saisie comme la réalité ultime de la Donation et du Don de Dieu, c’est-à-dire comme la loi pratique de notre Historialité affective se manifestant en toute joie et en toute souffrance (22). Pour aller à l’extrême de toutes ces investigations, et afin de donner à la Naissance en Dieu sa dernière concrétude transcendantale, nous pensons en effet pouvoir élucider l’individuation de chacun à partir du lien immémorial Vie/Chair, c’est-à-dire en tant que déterminabilité christ(olog)ique de tout apparaître. Si toute détermination prédicative implique l’auto-donation de la Vie en son Auto-révélation, elle contient par conséquent une Archi-individuation originaire qui est celle même du Fils de Dieu – Fils qui est Amour et Obéissance filiale. Or, si la philosophie, comme toute autre pensée, ne crée jamais rien, elle utilise en tout jugement perceptif ou prédicatif une Force qui se prête à une telle détermination chaque fois particulière. On peut donc affirmer que je touche phénoménologiquement la Chair du Christ en tout processus de détermination. C’est bien ce que suggère la démarche de Henry. C’est dire que ce n’est pas seulement en rencontrant Autrui que je touche la Chair du Christ. Je touche celle-ci également en tout faire, penser, sentir ou agi. Il s’agit, à chaque fois, d’une concrétion au niveau d’une vie qui s’individualise dans la Vérité éternelle du Christ même (23).. La problématique de la Naissance en Dieu ne conduit donc à aucun quiétisme, mais bien plutôt à un Faire chaque fois révélateur et déterminé, la particularité de chaque détermination donnant à reconnaître le Don même de Dieu comme cette plénitude inépuisable qui nous affecte en ses modalisations infinies. C’est ainsi que l’Essentiel nous est toujours donné, partout et à tout moment. Le quotidien ne manque ni de rigueur philosophique ni de religion, ni de mystique. Il est le Bonheur de vivre avec toutes ses tonalités et couleurs si émouvantes et révélatrices, lesquelles forment la culture réelle comme aboutissement d’une phénoménologie de la religion digne de ce nom.



Prière. 2004

 

III. Le rapport entre l’art et la religion

13. L’esthétique matérielle et culturelle que nous faisons intervenir également ici est plus qu’une discipline particulière de la philosophie puisqu’il y est question du Fondement phénoménologique commun à l’Affectivité et à l’Art au moyen d’une « aïsthétique », qui imprègne le pathos commun de la vie s’auto-affectant comme charnalité ou incarnation sensible. En ce sens, l’« esthétique henryenne » n’est pas un simple ajout ou une « application » de sa phénoménologie radicale aux arts, mais elle en forme bien le centre matériel. Car l’archi-facticité de l’incarnation originaire implique à tout moment de sa modalisation immanente une sensibilité en mouvement motivée par l’auto-accomplissement heureux ou esthétique de la vie subjective. La perception avec ses corrélats noématiques au sens husserlien n’est donc plus le « fil conducteur » (Leitfaden) d’une compréhension de l’imagination artistique. Étant soumise à une contre-réduction radicalisée, cette perception intentionnelle cède sa place constituante aux aisthéta, lesquels contiennent cette impressionnabilité originaire qui s’enracine, en dernière analyse, dans l’étreinte de la vie, autrement dit dans le foyer ultime de tout apparaître en son auto-apparaître.
 
14. Aucun geste créateur n’étant concevable sans ce pathos intérieur en lequel une vie artistique individuelle naît chaque fois à elle-même en tant que cette impressionnabilité, il faut dès lors reconnaître que l’imagination créatrice réalise chaque fois le « passage » entre le pathos invisible et la « libération » de celui-ci par l’« expression ». C’est pour cette raison que nous ne réservons pas la qualité esthétique aux seules œuvres d’art reconnues historiquement ou publiquement, mais aussi à tout ce qui donne « forme » au vivre sensible (les habits, la nourriture, les rôles, la communication, etc.). Il faudrait poursuivre ces recherches en envisageant des études particulières dans le domaine de la publicité, des objets industriels, des voitures, etc., ce que Henry n’a pas ignoré en citant souvent l’exemple du Bauhaus ou encore l’exemple de Ruskin et de Morris comme une « tentative extraordinaire visant à donner à la production industrielle les caractères d’une production esthétique (24) ».
 
15. C’est dans le sens d’une telle unité culturelle qu’il est possible de parler d’une « aïsthétique » ou d’une « existence esthétique » si l’on veut souligner par ces notions le fait qu’il n’y a pas seulement une unification de l’aisthèsis et de l’esthétique dans un fondement charnel ou affectif commun, mais qu’il y a un véritable vivre esthétique. Ce dernier ne s’arrête pas seulement à l’œuvre artistique créée, mais concerne l’existence esthétique dans son intégralité, c’est-à-dire comme étant chaque fois une vie individuelle esthétique à mener dans toutes les dimensions de l’existence (25). Aujourd’hui, une telle vie esthétique est amenée à se déployer dans des contextes qui ne reconnaissent plus de primordialité à l’art et sa production, qui sont gouvernés par un marché et ses lois. Une telle étude du rapport entre société et art, y compris dans ses aspects économiques et financiers, est présente comme une problématique générale de la modernité dans le Marx et La Barbarie de Henry, mais il faudrait encore prolonger de telles intuitions afin de saisir les possibilités réelles – ou déjà échouées – d’une « co-existence » entre l’art et la science technique, sans exclure la religion. À moins que l’art véritable d’aujourd’hui partage déjà le destin épochal de la vie invisible, à savoir l’underground dont parle le dernier chapitre de La Barbarie. Pour formuler la même question positivement, il faudrait se demander si l’art peut encore – comme la religion, et avec elle – insuffler une nouvelle inspiration à nos sociétés prises dans une « mondialisation » réductrice.
 
16. En fait, il faut bien constater que la question de l’art et de l’esthétique ne forme pas la dernière réponse de Henry face à la situation culturelle et spirituelle de notre temps. À la fin de son livre sur Kandinsky, la création et réception esthétiques sont bien entendu présentée sans restriction comme un « salut » possible pour l’humanité (26). On peut y entendre une certaine réplique à la Krisis où la téléologie d’une prise de conscience phénoménologique auto-responsable est présentée par Husserl comme le « salut » de l’humanité, ce que Henry critique clairement à maints endroits (27). On ne peut toutefois ignorer le fait que les trois derniers ouvrages de Henry « exhibent » le Fond de l’Absolu « religieux » présent dans sa pensée dès le début. Il s’agit d’analyser phénoménologiquement l’« intelligibilité johannique » comme une réponse « par delà philosophie et théologie » aux interrogations radicales sur la Vérité originaire (28). Si « au fond de sa Nuit, notre chair est Dieu » (29) ce Dieu se situe là où se trouve également le lieu originaire de l’Art – au cœur de l’auto-étreinte abyssale de la vie toujours incarnée. Mais « Dieu » et « Art » vont-ils ensemble ou est-ce que le premier remplace dans une certaine mesure le second dans les textes tardifs de Henry ? Nous ne pensons en tout cas pas qu’il y a un « tournant théologique » chez Henry. Son travail contre-réductif tire seulement au clair les dernières implications phénoménologiques entre la Vie et tout Soi par le phénomène indéniable de l’Archi-Ipséisation (30).

17. Nul lecteur de l’esthétique henryenne ignore que Klee et Rothko sont, pour Henry, des « peintres mystiques ». C’est à la même époque que Henry parle des icônes byzantines comme des émanations du sacré (31). Il rejoint dans le texte sur Briesen l’archi-souffrance de l’Un nietzschéen. On peut même ajouter le constat qu’il fait que le christianisme naissant a permis au IIIe siècle une floraison absolument nouvelle de formes artistiques. La question centrale demeure toutefois : est-ce que l’Absolu de l’art et celui de la religion sont le même Absolu ? Même si Henry présente jusqu’à la fin l’art, la religion et l’éthique comme la triade favorite par lequel la vie phénoménologique pure se manifeste aux individus et dans les sociétés, on ne peut esquiver cette interrogation ultime au sujet de cette auto-génération de la Vie divine qui se fait avant tout art. Si l’on pose cette même question du côté de l’ « existence esthétique », il n’est pas difficile de montrer que la vie individuelle d’un artiste plonge dans un Absolu – même en dehors de toute croyance confessionnelle (32) – dans la mesure même où il est appelé à faire entendre toutes les « nuances émotionnelles » de la vie, y compris donc le sentiment religieux. C’est bien ce que Kandinsky explicite avec profondeur (33). Il reste que, tout en plongeant dans l’Absolu de la Vie, l’art n’est pas cet Absolu lui-même. Cette expression ne peut en dernière analyse que renvoyer au Principe auto-générateur de la Vie, à celui qui est « au commencement », à savoir à Dieu en tant que « Père ».

18. Il nous semble donc que les derniers ouvrages de Henry abordent une Réalité qui se trouve avant toute modalisation de pouvoirs spécifiques tels que l’esthétique et la culture pour ce qui nous concerne ici. Si l’on nomme « Religion » ce lien entre vie individuée et Vie absolue ou divine, il faut reconnaître qu’il s’agit bien avec ce lien de la passibilité originaire du soi, de ce qui conditionne chacun de ses mouvements charnels, comme nous l’avons vu. Si le pathos participe déjà inchoativement à la vie esthétique en sa narration affective, le rapport immémorial entre ce pathos et la passibilité est quant à lui le « lieu » originaire de la religion en tant que notre naissance subjective absolue dans la vie. Les analyses de Henry sur la « seconde naissance » reconduisent précisément à ce lieu immémorial (34).  En son immémorialité même, cette naissance est sans « expression » directe possible. Henry n’évoque pas l’art comme ce qui permet d’interroger le commencement entièrement contre-réductif de notre vie, mais la « religion » et la « foi » dont témoigne le christianisme avant toute théologie thématique.
 
19. Henry reconnaît la « vérité du Christ » comme « sa vérité » propre (35). Cette vérité se passe, à ce niveau ultime, de tout texte et de toute esthétique pour être l’épreuve de l’identité avec le Commencement même en tant que Vérité auto-révélante. Si l’on accepte que cette Vérité coïncide avec la « gloire » (doxa) de l’Auto-Révélation en sa manifestation même, laquelle est une « Archi-Passibilisation » pure, on peut y reconnaître une sorte d’ « Esthétique Divine », c’est-à-dire l’éclat d’une Vérité vivifiant tout, y compris la mort. La tradition théologique et philosophique de Platon jusqu’à Schelling en passant par les Pères de l’Église (26) a toujours connu une spéculation métaphysique sur Dieu comme Artiste-Créateur suprême. Mais ce n’est pas à cette tradition que nous songeons ici. Nous voulons seulement faire ressortir avec Henry la question du salut comme étant la dernière interrogation phénoménologique radicale – et cela indépendamment de toute discipline. À ce moment, ni la philosophie, ni la théologie, ni l’art ne peuvent s’approprier la Vérité purement éprouvée de l’abyssalité de la Vie en tant que Révélation dans la Nuit de notre passibilité « plus claire que le jour », selon l’expression que Henry emprunte dans son premier ouvrage aux Hymnes à la Nuit de Novalis (37). Cette expression contient tout le mouvement de l’œuvre de Henry, laquelle s’achève dans la question de l’Auto-Révélation divine immanente en tant que telle.
IV. Ethique et religion dans leur rapport à l’unité du savoir archi intelligible
 
20. La révision henryenne intégrale de l’ontologie en sa dichotomie ousio-logique traditionnelle de la forme universelle et du contenu sensible ou hylétique aboutit ainsi à un résultat crucial, celui d’une nouvelle approche de l’unité des disciplines philosophiques. Gnoséologie, éthique, esthétique et religion ne se juxtaposent plus ici comme des discours chaque fois particuliers sur l’être, chacun étant porteur d’un intérêt spécifique. Il s’agit, bien au contraire, de développer une approche vivante du réel où nos forces et capacités affectives ou charnelles jouent toujours ensemble. Pour appréhender cette unité ontologique, méta-généalogique, culturelle et religieuse de l’expérience, nous ne pouvons plus nous fier à une seule discipline. Sur le plan épistémologique, toute connaissance – qu’elle soit naïve ou scientifique – reste structurellement dépendante d’un type de questionnement singulier qui ne peut pas prétendre posséder la « vérité » de l’apparaître en tant que tel.
 
21. En situant la « connaissance » dans l’Affect et sa projection imaginaire, nous rendons compte de la possibilité même de cette connaissance, mais sans précisément laisser cette possibilité échapper à ce qui la fonde et qui est en deçà de toute connaissance même transcendantale. Ainsi, la question d’une ontologie originaire de la Vie n’implique pas seulement la mise entre parenthèses des « images de la vie » proposées par Husserl comme une eidétique de la vie de l’ego et de sa conscience vécue (38). En abandonnant la méthode de la variation réductive centrée sur l’objectité idéale, il s’agit plutôt de rejoindre l’auto-mouvement historial de la vie en sa praxis interne et d’« assister » ainsi « religieusement » à la naissance de n’importe quelle modalisation affective avant même qu’elle ne se cristallise en une objectivité pensée. Étant donné que toutes les tonalités impressionnelles et émotionnelles s’effectuent toujours dans des passages réversibles, allant par exemple de l’ennui à la créativité et vice versa, nous sommes à chaque fois l’épreuve d’une omniprésence affective de sensations et de sentiments, d’une unité dynamique de la vie, ce qui est le point de départ de toute culturation et religion. Par son rapprochement des méthodologies de Husserl et de Marx, en montrant « leur extraordinaire affinité » – et nous pourrions encore ajouter la méthodologie de Maine de Biran –, Henry cherche à penser la compossibilité fondamentale des pouvoirs de la « chair pathétique » selon « une structure, une finalité radicalement différente des lois du monde ».
Ainsi s’ouvre devant la pensée un domaine de réalité qui, pour être celle du monde, n’en est pas moins foncièrement différente de celui qui est constitué par les phénomènes du monde. C’est donc un problème épistémologique nouveau et fondamental que de rechercher une méthodologie qui, en dépit de cet évanouissement de la vie devant la pensée, serait cependant susceptible de nous y donner accès. […] La relation constitutive de notre condition est donc un mouvement, l’auto-transformation de ce vivant généré dans l’auto-génération de la vie absolue, ne vivant que de celle-ci, et ne pouvant accomplir sa propre essence que dans l’essence de cette vie absolue. Le mouvement de cette auto-transformation est l’éthique, son site est la religion (39).
 
22. Une telle analyse entièrement nouvelle ne réclame pas seulement une réduction de la catégorialité mondaine. Elle demande encore une « déconstruction » de l’idéalité de toute discipline, cette déconstruction étant nécessaire pour se situer véritablement dans la source de tout apparaître en tant que tel, qui est l’Affect ou la naissance du moi originaire par l’Auto-affection initiale (40). Si nous avons dit que le « Moi » n’est jamais l’ego isolé et que l’Affect est le commencement radical de tout Imaginaire social ou culturel du Monde, nous pouvons affirmer finalement que le Moi « expérimente » la richesse infinie de la vie phénoménologiquement absolue en faisant l’épreuve ipséisante de cette Vie même. Nous sommes donc ici en prise avec un en-deçà de toute discipline spécifique et nous nous approchons de cette « archi-intelligibilité » déjà évoquée. Henry a été jusqu’à détacher cette dernière de la philosophie et de la phénoménologie en la qualifiant d’ « archi-gnose » ou encore de « gnose des simples » :
D’autant plus pure, simple, dépouillée de tout, réduite en nous chacune de nos souffrances, d’autant plus fortement s’éprouve en nous la puissance sans limites qui la donne à elle-même. Et quand cette souffrance a atteint son point limite dans le désespoir, l’Œil de Dieu nous regarde. C’est l’ivresse sans limites de la vie, l’Archi-jouissance de son amour éternel en son Verbe, son Esprit qui nous submerge. Tout ce qui est abaissé sera relevé. Heureux ceux qui souffrent, qui n’ont plus rien d’autre peut-être que leur chair. L’Archi-gnose est la gnose des simples (41).
 
23. « N’avoir plus que sa chair », c’est être placé dans l’Épreuve pure de la Chair en tant que telle, c’est-à-dire en ce mode d’unité de toutes les affections possibles avant qu’elles ne se figent en représentations et savoirs abstraits ou théoriques. Cette épochè totale en sa pure archi-intelligibilité affective ou charnelle délivre une « vérité » seulement pratique, une vérité qu’il faut renoncer à nommer prédicativement afin de « vivre » l’essence même de l’apparaître en tant qu’il est identique à la passibilité de la vie, à l’unité originaire de sa réceptivité et de sa donation. Ne mesurant plus les impressions ou tonalités qui naissent inlassablement en moi selon le critère des apparences mondaines et donc prédicatives, idéalisantes ou encore objectives, ma chair devient la parousie même de la vie phénoménologique en son Absoluité, à savoir en son Historialité sans Fond visible ou palpable. Si, en ce point limite, il n’existe plus aucun savoir théorique comme discipline privilégiée, il reste l’ontologique pur, celui de la Force de l’Affect et, ainsi, la passibilité de cette praxis subjective des individus que nous avons définie comme culture historiale. Précisons encore une fois que la « culture » n’est pas le fruit de l’abstraction totalisante des vécus, le fruit de leur représentation souvent idéologique, mais le jaillissement affectif de tout faire. Cette affectivité qui précède tout savoir thématique parce qu’elle est le savoir immanent de la vie inclut la souffrance en laquelle l’agir s’affecte en s’effectuant. Dans cette perspective, philosophie et phénoménologie se situent uniquement au niveau d’une deixis de la vie, sans pouvoir se substituer à celle-ci.
 
24. À la suite de Henry qui définit l’auto-mouvement purement pratique de la vie avant toute visibilisation comme une « auto-transformation » de l’ipséité individuelle, il est possible de décrire cette historialité absolue de la vie dans le sens d’une éthique dont l’essence religieuse n’est donc pas différente de l’ontologique. Aussi longtemps en effet que l’auto-transformation de la vie correspond au mouvement immanent de la vie en tant que cet auto-accroissement où la joie et la souffrance s’échangent sans arrêt ou « blocage », une telle « éthique » met avant tout en évidence l’agir dans l’épreuve de lui-même, l’agir en tant qu’il naît « spontanément » d’un rythme impressionnel, affectif, et se condense en des actions correspondant au vouloir et au désir intrinsèques de la vie même. C’est en ce sens que Henry peut dire que la « maîtrise » corporelle exigée par la danse, pour nous en tenir à cet exemple, forme l’éthique même de tout ce dont les mouvements corporels sont capables(42). Si nous manquons à la réalisation effective de ce pouvoir d’auto-accroissement de la vie, l’éthique religieuse nous rappelle et motive la « restauration » de la donation originaire de la Vie absolue en sa com-possibilité tant individuelle que communautaire (43). Une telle thèse n’a rien d’étonnant aussi longtemps que nous restons fidèles à cette prescription phénoménologique fondamentale de ne jamais confondre la vie immanente avec ses images transcendantes, autrement dit de ne pas substituer à l’éthique immédiate de la vie des normes qui sont abstraites de cette immédiateté, de l’immanence même des praxis individuelles (44). Il importe en effet de problématiser la distance entre les valeurs réellement éprouvées par la vie en son ipséisation intérieure et leurs abstractions. Il faut, pour le dire encore autrement, pouvoir répondre à la question de savoir d’où nous vient la Force pour réaliser les exigences d’une normativité morale ou sociale, si elle s’est déjà coupée de l’affection éthique concrète au sein du mouvement de la vie et de son auto-transformation. En somme, le résultat est ici le même que pour l’aisthétique originaire dans laquelle nous avons reconnu une donation culturelle immédiate : tout sentir implique un sentir plus, ce qui fait justement l’essence religieuse de tout art. De cette manière, l’analyse phénoménologique radicale de la vie est amenée finalement à identifier l’éthique et l’aisthétique. Suivre l’appel intérieur pour conduire l’imaginaire « aisthétique » à son comble correspond à la création ou réception d’une « œuvre » qui est en même temps un accomplissement éthique – ontologiquement et existentiellement (45).
 
25. Si l’éthique et l’esthétique peuvent donc trouver leur enracinement dans ce mode originaire passible qui se situe avant tout savoir et toute discipline spécifique, nous avons montré qu’il fallait les situer encore par rapport à la religion, cette dernière devant être entendue avant toute détermination théologique ou confessionnelle. Henry définit la religion comme ce « site » immémorial où se joue l’auto-transformation de la Vie absolue et de nos vies subjectives en leur réciprocité inséparable. Ce site, qui est le non-lieu mondain par excellence, ne peut être correctement compris, qu’à partir d’une Passibilité sans nom et visage, qu’à partir de ce Mode par lequel toute vie affective et charnelle plonge dans l’Absoluité de la Vie pure. Dans une certaine mesure, l’esthétique et l’éthique renvoient encore à un agir. Si nous poussons la contre-réduction jusqu’à l’essence phénoménologique de ce pur rapport du Moi à la Vie qui l’engendre, la religion n’est rien d’autre que la relationnalité nue de ce Rapport, l’épreuve de ce « lien » comme passibilité absolue, comme religio (46) Si les traditions religieuses conceptualisent cette épreuve ontologique radicale par des notions telles que Création, Révélation, Grâce, Rédemption, etc., et si Henry a apparemment limité ses propres analyses tardives à une « Philosophie du christianisme », il ne faut pas perdre de vue que l’articulation du rapport individu/Vie, chair/finitude ou salut/éternité, etc., concerne toutes les religions. Il devrait donc être possible de concevoir une « Philosophie de la religion » qui, en son universalité, ne tiendrait compte que de rapports phénoménologiques originaires pour dire ce qui est radicalement en jeu en toute expérience religieuse, y compris dans sa négation a-théiste (47).
 
26. Dans un monde « pluraliste » et « inter-culturel », seule une réflexion sur l’unité ontologiquement véritable de la vie nous semble être en mesure désormais de dire encore l’unité réelle de tous les individus en respectant leur « altérité » foncière. L’individu naît comme une ipséité qui ne peut être confondue avec celle des autres, mais au sein d’une communauté aussi originaire que la naissance de chacun. Ce n’est donc jamais la ratio et son logos discursif qui peuvent unifier les hommes. Seule leur affectivité charnelle profonde peut le faire. Il y a en ce sens une unité de toute éthique et de toute religion en tant que modalités émanant d’une même vie, de cette vie en laquelle chacun est filialement engendré. On s’aperçoit ce faisant que la phénoménologie de la Vie n’est nullement « a-politique », qu’elle prend bien au contraire position également au niveau éthique d’une « restauration » ontologique sociale : vivre ensemble ce qui est vraiment « commun » à tous, à savoir notre naissance infrangible dans et par cette Vie phénoménologique absolue qui génère tout pouvoir, qui libère de tout « Pouvoir » extérieur hypostasié par l’idolâtrie régnante (48). Cette ontologie radicale faisant toujours appel à l’incarnation concrète d’une vie éprouvée par chacun ne peut laisser aucun « phénomène » hors de son champ d’investigation. Si c’est bien la vie qui est toujours « en jeu », le champ d’analyse de l’ontologie phénoménologique radicale est aussi large et profonde que la manifestation ou la révélation de cette Vie unique même qui motive tout apparaître en son Auto-apparaître principiel. Tout peut être vivifié si les individus savent « écouter » cette « Parole de Vie » qui ne fait jamais défaut en son Dire historial permanent et éternel. 

Rolf Kühn

Notes
1.Cf. M. Henry, Marx. T.1. Une philosophie de la réalité, Paris, Gallimard, p.162 et suiv.
2. Cf. M. Henry, « Appendice : Mise en lumière du concept originaire de la révélation par opposition au concept hégélien de manifestation (Erscheinung) », in L’Essence de la manifestation, Paris, PUF, 1963, pp. 863-906.
3. Sur la critique de l’idéologie, cf. Henry, Marx. T. I. Une philosophie de la réalité, pp. 368 et suiv. ; S. Brunfaut, « D’une fantastique à une fantomatique de l’affect. L’ambivalence de l’idéologie dans le Marx de Michel Henry », Revue Internationale Michel Henry n° 1, 2010, pp. 101-119.
4. Cf. R. Kühn, « La vie comme demeure » (trad. F. Seyler), Le portique. Revue de philosophie et sciences humaines : L’architecture des milieux, n° 25, 2010, pp. 97-113.
5.Cf. J. Reaidy, Une relecture phénoménologique contemporaine de la mystique eckhartienne de « La Naissance de Dieu dans l’âme » par Michel Henry, Paris, Cerf, 2012 (à paraître).
6.Cf. aussi les contributions de X. Tilliette et R. Bernet sur la christologie et le christianisme de M. Henry, dans A. David et J. Greisch (éds.), Michel Henry. L’épreuve de la vie, Paris, Cerf, 2000, pp. 171-180, pp. 181-204 ; P. Gilbert, « Un tournant métaphysique de la phénoménologie française ? M. Henry, J.-L. Marion et P. Ricœur », Nouvelle revue théologique, n° 124, 2002, pp. 597-617.
7.Cf. M. Henry, Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000, pp. 47 et suiv.
8.Pour plus de détails, cf. notre ouvrage : Geburt in Gott. Religion, Metaphysik, Mystik und Phénoménologie, Fribourg/Munich, Alber 2003, pp. 11-35, et dernièrement L’Abîme de l’Épreuve. Phénoménologie matérielle en son archi-intelligibilité, Bruxelles, Peter Lang, 2012.
9. Pour cette discussion, cf. M. Enders et R. Kühn, « Im Anfang war der Logos… ». Studien zur philosophischen Rezeption des Johannesprologs von der Antike bis zur Gegenwart, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 2011.
10. M. Henry, Auto-donation. Entretiens et conférences, Paris, Beauchesne, 2004, p. 214.
11.Cf. A. Cugno, « Jean de la Croix avec Henry », dans A. David et J. Greisch (éds.) Michel Henry. L’épreuve de la vie, pp. 439-452.
12. Cf. E. Husserl, Erste Philosophie (1923/4), 2. Teil : Theorie der phänomenologischen Reduktion (Husserliana VIII), La Haye, Kluwer Academic, 1996, pp. 10 et suiv.
13. Pour cette discussion avec l’idéalisme transcendantal absolu, cf. R. Kühn, Anfang und Vergessen. Phänomenologische Lektüre des deutschen Idealismus – Fichte, Schelling, Hegel, Stuttgart, Kohlhammer, 2006, pp. 9-32.
14. Cf. entre autres, M. Henry, La Barbarie, Paris, Grasset, 1987 ; Du communisme au capitalisme. Théorie d’une catastrophe, Paris, Odile Jacob, 1990, pp. 25 et suiv.
15. Cf. aussi A. Vidalin, « L’acte humain dans la phénoménologie de la vie », Studia Phaenomenologica n° 9, 2009, pp. 129-144.
16. Nous retrouvons un souci similaire dans le recueil de P. Jonkers et R. Welten (dir.), God in France. Eight Contemporary French Thinkers on God, coll. « Studies in Philosophical Theology », Louvain, Peeters, 2005, avec une contribution de R. Welten sur Henry ; cf. aussi G. Dufour-Kowalska, « Phénoménologie matérielle et christianisme », dans Michel Henry. Passion et magnificence de la vie, Paris, Beauchesne, 2003, pp. 153-250.
17. Pour une telle analyse, cf. aussi notre ouvrage : Praxis der Phänomenologie. Einübung ins Unvordenkliche, Fribourg/Munich, Alber, 2010, pp. 251-276.
18. Cf. P. Maine de Biran, De l’aperception immédiate (Mémoire de Berlin 1807). Œuvres. T. IV, Paris, Vrin, 1995.
19. Cf. M. Henry, Voir l’invisible – sur Kandinsky, Paris, Bourin, 1990, pp. 228-246.
20. Cf. R. Kühn, Gabe als Leib in Christentum und Phänomenologie, Wurzbourg, Echter, 2004, pp. 55 et suiv. ; Gottes Selbstoffenbarung als Leben. Religionsphilosophie und Lebensphänomenologie, Wurzbourg, Echter, 2009.
21. Cf. A. Vidalin, La parole de la vie. La phénoménologie de Henry et l’intelligence chrétienne des Ėcritures, Paris, Parole et Silence, 2006, pp. 147 et suiv.
22. Cf. Henry, Incarnation, pp. 339 et suiv.
23. Cf. aussi M. Maesschalck, « L’incarnation dans les christologies spéculatives. De Fichte et Schelling à Henry », dans M. M. Olivetti (éd.), Incarnation, Biblioteca dell “Archivio di Filosofia”, CEDAM, Padova, 1999, pp. 673-690.
24. M. Henry, « La question de la vie et de la culture dans la perspective d’une phénoménologie radicale », dans Phénoménologie de la vie, T. II. De la subjectivité, pp. 11-30, ici p. 22. Pour un développement plus détaillé un peu plus tard, cf. Voir l’invisible, pp. 176 et suiv.
25. Cf. S. Knöpker, Existentieller Hedonismus. Von der Suche nach Lust zum Streben nach Sein, Fribourg/Munich, Alber, 2010, pp. 94 et suiv.
26. Cf. Henry, Voir l’invisible, p. 244. La phrase finale est : « L’art est la résurrection de la vie éternelle ».
27. Cf., par exemple, M. Henry, « L’invisible et la révélation » dans Entretiens, Arles. Sulliver, 2005, pp. 97-112, ici pp. 101 et suiv.
28. Cf. Henry, Incarnation, pp. 361 et suiv.
29. Ibid., p. 373.
30. Cf. à ce titre le débat public à l’Odéon, à Paris, en 1999, dans Henry, Phénoménologie de la vie, T. IV. Sur l’éthique et la religion, pp. 205-247.
31. Cf. Henry, La Barbarie, pp. 59 et suiv.
32. Cf. A. Jdey et R. Kühn (éds.), L’affect de l’art. Recherches sur l’esthétique de la phénoménologie matérielle, Leyden, Brill, 2012.
33. Cf. W. Kandinsky, « Mein Werdegang », dans W. Kandinsky, Autobiographische Schriften, Berne, Benteli Verlag, 1980, pp. 56 et suiv.
34. Cf. Henry, Incarnation, § 46, pp. 330-339.
35. Cf. ibid., pp. 371 et suiv., et aussi Paroles du Christ, Paris, Seuil, 2002, pp. 115 et suiv.
36. Cf. G. Dufour-Kowalska, L’art et la sensibilité de Kant à Michel Henry, Paris, Vrin, 1996, pp. 17-110.
37. Cf. M. Henry, L’Essence de la manifestation, p. 556 : « Du hast die Nacht mir zum Leben verkündet » (Tu m’as révélé la Nuit comme l’essence de la vie) ; Pour cette question, cf. également C. Ruta, « Das Vergessen aller Hoffnung – Meister Eckhart und Michel Henry », dans R. Kühn et S. Laoureux (dir.), Meister Eckhart – Erkenntnis und Mystik des Lebens. Forschungsbeiträge der Lebensphänomenologie, Fribourg-en-Brisgau, Alber, 2008, pp. 186-212.
38.Cf. M. Henry, « Ultime tentative pour surmonter l’aporie. La question de la ‘donnée-en-image’ de la vie invisible », dans Incarnation, § 14, pp. 115-121.
39. M. Henry, « Le christianisme : une approche phénoménologique ? », dans Phénoménologie de la vie. T. IV. Sur l’éthique et la religion, pp. 110-111.
40. C’est la ligne déjà suivie dans notre ouvrage Radicalité et passiblité. Pour une phénoménologie pratique, Paris, L’Harmattan, 2003. Il s’agit ici de préciser le caractère pré-disciplinaire de notre propre approche. Pour la comparaison avec d’autres formes de « déconstruction » dans la phénoménologie contemporaine, cf. aussi S. Laoureux, « La phénoménologie à l’épreuve de la phénoménologie matérielle », dans L’immanence à la limite. Recherches sur la phénoménologie de Michel Henry, Paris, Cerf, 2005, pp. 23-118.
41. Henry, Incarnation, p. 374 ; cf. également Paroles du Christ, pp. 143 et suiv.
42. Cf. Henry, La Barbarie, pp. 169 et suiv.
43 Cf. M. Henry, C’est moi la Vérité. Pour une philosophie du christianisme. Paris, Seuil, 1996, pp. 216 et suiv.
44. Cf. Henry, La Barbarie, pp. 143 et suiv. Pour une étude approfondie, cf. F. Seyler, L’éthique de l’affectivité dans la phénoménologie de Henry, Paris, Kimé, 2011, pp. 208 et suiv.
45. Pour ce développement d’une telle unité à retrouver aujourd’hui et demain, cf. R. Kühn, « Kultur heute », dans Ästhetische Existenz heute. Zum Verhältnis von Leben und Kunst, Fribourg/Munich, Alber, 2007, pp. 141-214.
46. Sur l’apport de Kierkegaard à l’articulation henryenne de la Vie et de l’ipséité, cf. la contribution de Chr. Moonen, « Touching from a Distance : In Search of the Self in Henry and Kierkegaard », Studia Phaenomenologica n° 9, 2010, pp. 147-156.
47. En plus de la triologie, on trouve des indications précieuses sur ce sujet dans M. Henry, « Sur l’éthique et la religion », dans Phénoménologie de la vie, T. IV. Sur l’éthique et la religion, pp. 67-202. Cf. également J. Hatem, « Jacobsen et Henry : athéisme et oubli », dans Le Sauveur et les viscères de l’être. Sur le gnosticisme de Henry, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 187-196 ; Ph. Capelle (éd.), Phénoménologie et christianisme chez Michel Henry : les derniers écrits de Michel Henry en débat, Paris, Cerf, 2004.
48. Cf. pour une étude plus étendue R. Kühn, Subjektive Praxis und Geschichte. Phänomenologie der politischen Aktualität, Fribourg/Munich, Alber, 2008, pp. 119-146.

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Référence électronique  Rolf Kühn, « La phénoménologie de la religion selon Michel Henry », Revue des sciences religieuses [En ligne], 86/2 | 2012, mis en ligne le 15 avril 2014, consulté le 16 août 2018. URL : http://journals.openedition.org/rsr/1469 ; DOI : 10.4000/rsr.1469 

Illustration : Collages de Robert Empain
 

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