jeudi 1 décembre 2016

Le tombeau méconnu de l'artiste célèbre


Un extrait de Ad Imaginem Dei IV D'où je vis - Inédit 
par Robert Empain 

Le tombeau méconnu de l'artiste célèbre. 1987


Mon travail d'artiste n'ayant rencontré aucune demande extérieure, ni aucune commande de quiconque, n'ayant pas cherché à exposer dans les circuits de l'art officiel ni rencontré un seul galeriste digne de ce nom mais seulement des marchands de produits artistiques et culturels, n'ayant pas trouvé un seul commissaire ouvert à l'art spirituel, n'ayant croisé que quelques amateurs éphémères de mon travail,  je n'ai jamais rien fabriqué, rien fait pour le monde, j'ai fait les oeuvres qui m'étaient intérieurement nécessaires, restant ainsi fidèle au principe souverain du maître de mon adolescence : Wassily Kandinsky. 

Mon insuccès commercial, que certains trouvent bizarre voire humiliant à mon âge, je le vois comme une bénédiction. On m'a dit qu'avec plus de moyens j'aurais réalisé davantage et mieux, des amis artistes ont ajouté que mon travail aurait été plus professionnel. C’est incontestable. Je rends grâce toutefois à mon insuccès de m'avoir protégé de ce professionnalisme là et avec lui de la fabrication, de l'affairisme et de la fascination morbide pour la renommée et de cette histoire de l'art qui se jouerait en direct comme un match de foot ou une cotation boursière, car là se trouvent l'idolâtrie, les chimères de notre temps et les fossoyeurs de l'art.
 

Mes oeuvres sont restées des ébauches. Certes. Elles sont comme ma vie, en devenir. Il me suffit que ces ébauches - dessins, aquarelles, pastels, huiles, objets, poèmes, notes d’atelier etc, - montrent que tout cheminement intérieur est fait de recherches incessantes, d'hésitations et d'élans, d'affinités et d'impasses, d'errances et de fulgurances, d'arrêts, de reculs et de quelques lueurs. J’espère simplement que mon cheminement qui n'a jamais cherché qu'à aller plus profondément vers le mystère de la vie et de sa beauté, ouvre un désir semblable chez de jeunes artistes et les encourage à poursuivre la longue, lente, nécessaire, et souvent joyeuse, pérégrination vers eux-mêmes.

La création artistique, comme toute création, aussi paradoxal que cela paraisse à des contemporains obsédés par la productivité, ne doit pas viser à produire des oeuvres ; pas plus pour les musées et les collectionneurs que pour l'histoire de l'art ou la vanité de leur créateur. 

Qui ne voit d'ailleurs que nos musées sont trop grands et trop centralisés et qu'ils sont remplis d'oeuvres non regardées qui s'entassent et s'annulent les unes les autres ? Qui se doute que les réserves de ces musées débordent d'oeuvres innombrables, inutiles sinon pourrissantes ? Qui ne voit que les oeuvres accumulées dans les collections privées ne servent le plus souvent que la vanité de leurs propriétaires ? Qui peut ignorer que l'esprit de lucre, la spéculation, l'argent sale et la mafia manipulent l'art et beaucoup artistes aujourd'hui ? Et qui ne voit que tout cela ne peut que corrompre les regards qui se porteraient sur les oeuvres véritables ? Les arts, les artistes et les oeuvres ne doivent servir qu'à l'accomplissement spirituel de chacun et de tous. La vocation des arts est de nous révéler la Vie et de susciter en nous son Amour infini. L’oeuvre digne de ce nom est toujours une oeuvre de la Vie pour la Vie. Et comme elle, elle est invisible et toujours nouvelle. 
Faute d’oeuvrer en ce sens les hommes détournent le pouvoir spirituel de l'art pour ne servir que l'esprit aveugle du monde et amplifier l'égarement humain en lui.

Si c'est donc bien à la création invisible et inachevée de l'homme que je suis que mes oeuvres, réussies et ratées, ont servi, c'est de cet homme et de son cheminement vers la Joie qu’elles témoigneront.


Texte : Robert Empain 2007 - in AD IMAGINEM IV - D'où je vis. Inédit
Illustration : Assemblage d'objets trouvés. Robert Empain. 1987

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